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\begin{document}
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{~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 3\\
(Une salle de visite \`a la prison de Fresnes. Perpendiculaire \`a la rampe, un couloir, ou une amorce de couloir divise la sc\`ene en son milieu, s\'eparant deux compartiments garnis de barreaux de fer. Portes au fond du couloir central et dans chacun des compartiments. Ceux-ci peuvent \^etre limit\'es de fa\c{c}on conventionnelle par des tentures, le d\'ecor consistant uniquement dans les deux grilles plus rapproch\'ees l'une de l'autre au fond qu'au premier plan. Au lever du rideau, Tabaroux occupe le compartiment de gauche, en tenue de prisonnier. Le gardien va et vient dans le couloir.)\\
\\
rampe~~~手すり、欄干\\
amorce~~~(魚釣りなどの)餌、発端\\
tentures~~~壁掛け、幔幕\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 1\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Le Gardien, Tabaroux.\\
(Le gardien fait quelques pas en silence, puis se campe devant Tabaroux.)\\
\\
se campe~~~(しっかりと)立つ\\
\\
~~~Le gardien. C'est la premi\`ere fois qu'elle vient te voir, ta femme?\\
~~~Tabaroux. Non, elle est d\'ej\`a venue il y a quinze jours. Ce s'\'etait pas vous qui \'etiez de service.\\
~~~Le Gardien, (ap\`es un silence.) Combien qu'il te reste \`a faire?\\
~~~Tabaroux. Quarante-huit jours demain matin.\\
~~~Le Gardien. Ce n'est rien. T'avais quatre mois?\\
~~~Tabaroux. Trois.\\
~~~Le Gardien. C'est la premi\`ere fois?\\
~~~Tabaroux. Oui. (Le gardien se prom\`ene.)\\
~~~Le Gardien. Trois mois, ce n'est pas un compte. C'est trop ou trop peu. Qu'est-ce que tu as fait pour \'ecoper trois mois sans sursis?\\
\\
\'ecoper~~~受ける、被る、食らう\\
sursis~~~執行猶予\\
\\
~~~Tabaroux. Pas grand'chose; ce qu'ils appellent outrages \`a un agent de la force publique.\\
~~~Le Gardien. Ah! Dans une manifestation?\\
~~~Tabaroux. Si vous voulez.\\
~~~Le Gardien. Une gr\`eve? Qu'est-ce que c'est ta profession?\\
~~~Tabaroux. Touneur sur m\'etaux. Pour l'instant, j'\'etais affuteur dans une usine.\\
\\
affuteur~~~研ぎ師\\
\\
~~~Le Gardien. Tu t'es bagarr\'e avec un agent?\\
\\
bagarr\'e~~~喧嘩する\\
\\
~~~Tabaroux. Non. Je lui ai fait peur en laissant tomber une jardini\`ere \`a ses pieds.\\
~~~Le Gardien, (intrigu\'e.) Une jardini\`ere?\\
\\
intrigu\'e~~~好奇心をそそる\\
\\
~~~Tabaroux. Un compotier, si vous pr\'ef\'erez.\\
\\
compotier~~~コンポート皿\\
\\
~~~Le Gardien. Oh! Mais o\`u l'avais-tu pris, ce compotier?\\
~~~Tabaroux. Chez moi! Je l'ai balanc\'e du quatri\`eme par la fen\^etre.\\
~~~Le Gardien. Mon vieux ... Tu parles d'une plaisanterie! Pour t'en tirer avec trois mois, il a fallu que tu aies un bon avocat et des t\'emoins de moralit\'e ...\\
~~~Tabaroux. Oui. L'avocat, il m'a compris. C'\'etait un petit jeune, un consciencieux, \`a qui j'ai pu tout expliquer. Il s'est bien mis \`a ma place. Il a trouv\'e le mot qui exprimait le vrai de la chose. Il a dit que je n'avais jamais eu l'intention de cabosser le flic, mais que j'avais voulu faire un geste symbolique. Un geste symbolique, vous comprenez?\\
\\
consciencieux~~~良心的な\\
cabosser~~~でこぼこにする\\
\\
~~~Le gardien. Oui, un geste qu'on regrette aussit\^ot qu'il est fait, quoi! (Silence, il se prom\`ene.)\\
~~~Tabaroux. Ma femme n'arrive pas. La derni\`ere fois, quand on m'a amen\'e ici, elle y \'etait d\'ej\`a.\\
~~~Le Gardien. Je sais bien ce qui la retarde. Ils m'ont pr\'evenu, en bas. Elle a \'et\'e au greffe parce qu'elle a oubli\'e de faire signer son permis.\\
\\
greffe~~~文書課\\
\\
~~~Tabaroux, (avec une nuance d'attendrissement.) Elle est toujours dans la lune.\\
~~~Le Gardien. Nous n'avons pas fini d'attendre! Au greffe, on fait la queue. (Il va et vient \`a une courte distance, avec une allure plus rapide.)\\
~~~Tabaroux. D'ici, vous avez tout du prisonnier.\\
~~~Le Gardien, (s'arr\^etant, soudain h\'eriss\'e.) Quoi? Qu'est-ce que tu dis?\\
\\
h\'eriss\'e~~~怒らせる\\
\\
~~~Tabaroux, (avec une cordialit\'e d\'esarmante.) Je dis que, vu d'ici, vous avez tout du prisonnier ou plut\^ot de l'ours en cage, \`a cause que vous \^etes entre deux rang\'ees de barreaux.\\
~~~Le Gardien, (radouci.) C'est possible, mais \c{c}a ne se dit pas, des choses pareilles. Si le chef \'etait pass\'e au-dessus (il l\`eve la t\^ete) et qu'il t'ait entendu, tu pouvais trinquer, tu sais; et moi, je me faisais engueuler.\\
\\
trinquer~~~ぶつかりあう、罰を受ける\\
\\
~~~Tabaroux. Vous pensez bien que je n'y ai mis aucune malice.\\
~~~Le Gardien. (Il absout le prisonnier d'un grognement, s'\'eloigne vers le fond avec dignit\'e, fait demi-tour, s'arr\^ete un instant, m\'editatif, puis revient.) Par le fait, c'est bien vrai que, nous autres, on est presque autant prisonnier que vous.\\
\\
absout~~~absoudre~~~(人の過ちを)許す\\
grognement~~~うなり声\\
\\
~~~Tabaroux. Ecoutez, n'allez pas prendre en mauvaise part ce que je vais vous dire: dans un sens, vous l'\^etes tout de m\^eme beaucouop moins que nous, prisonniers; mais dans un autre, je trouve que vous l'\^etes beaucoup plus.\\
~~~Le Gardien, (mi-choqu\'e, mi-amus\'e.) Tu vas fort, alors! \c{C}a n'a aucun rapport. Je ne suis pas au r\'egime cellulaire. Quand je ne suis pas de service, moi, je dors dans un bon lit avec ma bourgeoise. Je peux boire et manger ce qui me pla\^it. Enfin, je suis l\`a pour gagner ma vie. Je suis entr\'e ici avec des protections. J'aurai une retraite.\\
\\
cellulaire~~~独房\\
retraite~~~年金、隠れが\\
\\
~~~Tabaroux. D'accord, d'accord. Seulement dans le service, vous \^etes non seulement prisonnier de la prison, mais prisonnier des prisonniers.\\
~~~Le Gardine. Sans blague!\\
~~~Tabaroux. La surveillance vous tient l'oeul et l'esprit. Faut que vous soyez tout le temps occup\'es de nous. Tandis que nous, par la pens\'ee, on est aussi loin d'ici qu'on veut. Et la nuit, quand nous dormons et que vous \^etes de garde, laissez-moi vous dire que c'est nous qui vous tenons l\`a et pas vous qui nous tenez.\\
~~~Le Gardien, (riant.) Autant dire que c'est le voleur qui tient le gendarme.\\
~~~Tabaroux. Ils sont coinc\'es tous les deux, dans le m\^eme pi\`ege. Et avant que le voleur soit pris, il est libre comme un li\`evre, tandis que le gendarme, il y a longtemps qu'il est \`a l'attache. (Ils rient.) Non, mais blague \`a part, d'homme \`a homme, combien d'ann\'ees de prison qu'il vous reste \`a faire?\\
~~~Le Gardien. Comment?...\\
~~~Tabaroux. Si vous pr\'ef\'erez, combien d'ann\'ees de service? Dans combien votre retraite?\\
~~~Le Gardien. Douze ans.\\
~~~Tabaroux. Mince, alors! Quand je pense que moi, dans quarante-huit jours!... (Geste d'envol\'ee.)\\
~~~Le Gardien. Dis tout de suite que tu ne changerais pas ta place pour la mienne.\\
~~~Tabaroux. Franchement non; je ne changerais pas. Soit dit sans vous d\'esobliger. Affaire de go\^ut.\\
~~~Le Gardien. Si encore tu \'etais comme d'aucuns qui passent ici, des Messieurs de bourse ou de banque, des mariols qui tirent six mois pour avoir fait une belle op\'eration et qui retrouvent leur auto \`a la sortie, je comprendrais! Moi, ceux-l\`a, je les envie, tout d\'etenus qu'ils sont. C'est du monde qui retombe toujours \`a la bonne place. Il y en a un, tiens, il a fait avoir de l'avancement \`a un comptable d'ici. Mais toi, je crois que tu te fais des illusions, mon gars. Tu vas sortir d'ici pour aller t'esquinter en usine. A moins d'avoir des rentes, on est toujours prisonnier de son gagne-pain; et encore bien content. Ici, au moins on ne se fatigue pas. Toi-m\^eme, je parie que \c{c}a te repose plut\^ot, ces trois mois.\\
\\
bourse~~~証券取引所\\
mariol~~~抜け目のない人\\
d\'etenus~~~留置された人\\
l'avancement~~~前に出すこと\\
comptable~~~会計~~~ここ不明\\
t'esquinter~~~くたくたになる\\
\\
~~~Tabaroux. Oh! ce n'est pas moi qui vous dirai que l'usine, c'est beaucouop mieux qu'ici. Tout de m\^eme, c'est plus vivant et l'on se sent responsable de son boulot. On n'y est pas toute la journ\'ee. De plus, quand on en a marre et qu'on veut s'en aller, on n'a qu'\`a passer \`a la caisse. Le patron ne vous retient pas.\\
~~~Moi, par exemple, je n'ai jamais pu m'y faire. J'ai besoin d'air; j'ai besoin de me sentir mon ma\^itre. Je refuse d'\^etre une machine.\\
\\
boulot~~~仕事\\
marre~~~うんざり\\
passer \`a la caisse~~~首になる\\
\\
~~~Le Gardien. Tu vois bien!\\
~~~Tabaroux. Oui, mais je n'y retournerai pas, en usine. En sortant d'ici, je serai deux fois libre.\\
~~~Le Gardien, (avec int\'er\^et.) Qu'est-ce que tu feras? (Il se rapproche de Tabaroux.)\\
~~~Tabaroux, (confidentiel.) Je suis bon ouvrier. Tourneur, monteur ou affuteur, je suis sp\'ecialiste. J'ai gagn\'e assez bien. Il y a plus d'un an que je fais des \'economies. Je me suis m\^eme entra\^in\'e \`a en faire de plus en plus. Mais alors, tu entends, des \'economies! Je suis arriv\'e \`a vivre serr\'e au plus juste du juste. Ah! il a fallu que la petite femme que j'ai soit plut\^ot courageuse, et accommodante!... D'ailleurs, elle ne le sait pas que j'ai mis de l'argent de c\^ot\'e. Je ne pouvais pas le lui dire. \c{C}a l'aurait emp\^ech\'ee de supporter le r\'egime et \c{c}a m'aurait fait flancher.\\
\\
s'entra\^in\'er~~~鍛える\\
flancher~~~へこたれる\\
\\
~~~Et puis, elle a une garce de soeur qui vient toujours fourrer son nez dans le m\'enage et \`a qui elle ne sait rien cacher. \c{C}a serait trop long \`a t'expliquer. Alors, j'ai assez d'argent pour m'\'etablir \`a mon compte, \`a la campagne.\\
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garce~~~あばずれ、性悪女\\
\\
Mon affaire est d\'ej\`a toute combin\'ee. Je voulais \'economiser encore un peu, pour \^etre plus au large, mais ce n'est pas en sortant d'ici que je vais retourner \`a l'usine. Je n'ai de quoi partir, ni trop, ni trop peu, je pars. Et alors, tu te rends compte, une fois le bouleau termin\'e, ce sera le grand air, les d\'ejeuners sur l'herbe et la p\^eche \`a la ligne. A moi, il me faut des pays de rivi\`eres.\\
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bouleau~~~boulot~~?\\
\\
~~~Le Gardien. Evidemment, si tu r\'eussis...\\
~~~Tabaroux. T'inqui\`ete pas, mon patron fera le n\'ecessaire. Je connais ses capacit\'es, puisque ce sera moi mon patron.\\
~~~Le Gardien. Et ta femme? \c{C}a lui plaira, ce truc-l\`a?\\
~~~Tabaroux. Ah! si \c{c}a lui plaira! Je lui en parlerais bien tout \`a l'heure. Mais j'aurais trop peu de temps; je ne veux pas lui g\^acher la surprise; et puis non; elle est chez sa tonnerre de Dieu de soeur qui m'ab\^imerait tout... Sans compter qu'il y a sous roche un autre projet, peut-\^etre encore plus beau... une proposition d'un copain. Mais \c{c}a c'est enocre dans l'oeuf...\\
~~~Ma femme, si elle aimerait \c{c}a? Ah! mon ami! Elle l'a s\^urement d\'ej\`a r\^ev\'e. Ma femme, tu la verrais, assise au bord de l'eau, quand je l'emm\`ene \`a la p\^eche! Que ce soit l'\'et\'e ou l'hiver, tu la croirais en conversation d'amour avec les brins d'herbe, les arbres et les nuages. A la maison, \`a Saint-Ouen, elle a l'air d'une hirondelle en cage, la pauvre petite.\\
~~~Le Gardien. Elle n'arrive pas vite, ton hirondelle!\\
~~~Tabaroux. Non. (Un temps.) En ce moment, on n'est pas tr\`es bien ensemble. Elle me garde un peu rancune.\\
~~~Le Gardien. De quoi?\\
~~~Tabaroux. De ce que je suis ici, de ce que j'ai fait... Enfin, il y a malentendu et vexation... Elle veut juger sans savoir... Elle se laisse monter le cabochon et l'hirondelle essaye de se d\'eguiser en pintade. C'est lamentable.\\
\\
cabochon~~~カボション(切り子にカットせず凸面状に磨いた宝石)\\
caboche~~~頭\\
pintade~~~ホロホロチョウ\\
\\
~~~Le Gardien, (tirant sa montre.) La pintade, c'est moins rapide que l'hirondelle.\\
~~~Tabaroux. Et puis alors, moi, d\`es qu'une femme se met \`a me faire des reproches, \`a me demander des comptes...\\
~~~Le Gardien. La voil\`a. Je vais l'introduire. (Il sort au fond; Tabaroux, seul, respire profond\'ement, se passe la main sur les joues et le menton, cherche une attitude d\'egag\'ee. Presque aussit\^ot, le gardien introduit Mariette dans le compartiment de droite.)\\
\\
d\'egag\'ee~~~軽快な、自由な\\
\\
~~~Le Gardien. Voil\`a, c'est ici, entrez. (Il sort.)\\
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Mariette, Tabaroux.\\
~~~Tabaroux, (\`a mi-voix.) Mariette! Bonjour, ma petite.\\
~~~Mariette, (\'emue.) Bonjour Henri... (Un silence, pendant lequel elle s'approche de la grille et le regarde.) Comment vas-tu?\\
~~~Tabaroux. Bien et mal. \c{C}a d\'epend des moments et des id\'ees qui me travaillent.\\
~~~Mariette. Tu ne t'es pas attir\'e d'ennuis, au moins?\\
~~~Tabaroux. Quels ennuis?\\
~~~Marriette. Je ne sais pas, des punitions, des privations de quelque chose.\\
~~~Tabaroux. Non. Je ne suis pas si fou. J'observe la r\`egle du jeu. Oh! je ne suis pas mal vu, ici. L'autre jour, il y avait une fuite d'eau qui mena\c{c}ait d'inonder tout. C'est moi qui l'ai trouv\'ee, r\'epar\'ee. On m'avait choisi pour aider un plombier \`a la noix, qui \'etait tout juste capable de se noyer.\\
\\
fuite d'eau~~~水漏れ\\
\`a la noix~~~くだらない、ひどい\\
\\
~~~Mariette. Ah! tant mieux. (Un temps.) Tu dors et tu manges suffisamment?\\
~~~Tabaroux. Oui. Je manquerais plut\^ot d'exercice. Il me semble que je m'\'epaissis, que je suis gonfl'e avec de l'eau de soupe.\\
\\
\'epaissis~~~太らせる\\
\\
~~~Mariette. Non. (Un silence.) Ah! pourquoi, Henri, as-tu fait cela!\\
~~~Tabaroux. Je t'en prie, ne revenons pas l\`a-dessus.\\
~~~Mariette. Es-tu assez couvert la nuit?\\
~~~Tabaroux, (s'exclamant, surpris.) Couvert? Avec cette chaleur qu'il fait? Si je pouvais m'arroser \`a l'eau fra\^iche! Tu peux croire que nous la sentons passer, la canicule.\\
\\
canicule~~~酷暑\\
\\
~~~Mariette, (confuse.) C'est vrai, je suis stupide.\\
~~~Tabaroux, (riant.) Ah! c'est bien toi, mon oiseau! Tu croyais qu'on nous faisait une saison \`a part, toujours la m\^eme, pour nous couper du monde encore plus? (soupirant.) Peut-\^etre que s'ils pouvaient!...\\
~~~Mariette. Henri, c'est tr\`es dur?\\
~~~Tabaroux. C'est dur, \'evidemment, mais c'est supportable. Parce que, tu comprends, pour moi, ici, c'est tout de m\^eme pas un tombeau; c'est un tunnel \`a passer. Dans quarante-huit jours, je remets le nez \`a la porit\`ere! et comment! Il y aura encore des feuilles aux arbres.\\
~~~Mariette. Oui... Tout de m\^eme, quarante-huit jours! Plus d'un mois et demi!\\
~~~Tabaroux. J'arrive \`a la moiti\'e. C'est depuis une semaine que le temps m'a dur\'e davantage... Parce que, samedi dernier, je t'ai attendue. J'\'etais sans doute idiot, mais il ne m'\'etait pas venu \`a l'id\'ee que tu pouvais ne pas venir... Ici, tu sais, quand on ne pense pas au jour de la lib\'eration, on pense \`a celui de la visite.\\
~~~Mariette, (la t\^ete basse.) Si j'avais su...\\
~~~Tabaroux. Apr\`es, \`a la r\'eflexion, je me suis dit: Evidemment, la derni\`ere fois, on s'est dit des choses qui ne lui ont pas donn\'e envie de revenir. Elle me garde rancune; elle est mont\'ee, on la monte contre moi. Je finissais m\^eme par m'exag\'erer les choses et par me dire que tu ne viendrais peut-\^etre pas encore aujourd'hui.\\
\\
monter~~~怒る、怒らせる\\
\\
~~~Mariette, (se resaisissant.) Ce n'est pas parce que je ne t'en veux plus que je viens te voir.\\
~~~Tabaroux, (enjou\'e.) C'est pour savoir si tu m'en veux encore?\\
~~~Mariette. Je sais que je t'en voudrai toujours.\\
~~~Tabaroux. Mais non, rassure-toi!\\
~~~Mariette, (s'irritant.) Rassure-toi. Je ne peux malheureusement pas t'en dire autant!\\
~~~Tabaroux. Oh! moi, je suis rassur\'e d'avance.\\
~~~Mariette. Tu ne devrais pas.\\
~~~Tabaroux. Tu ne m'aimes plus?\\
~~~Mariette, (doucement.) Non!\\
~~~Tabaroux. Voil\`a. Pour le moment, tu ne m'aimes plus.\\
~~~Si tu \'etais \`a ma place, Mariette, si tu \'etais en prison, il te serait peut-\^etre meilleur de t'imaginer que tu m'aimes encore.\\
~~~Mariette, (d'une voix sourde.) Je n'imagine pas. (Un silence.)\\
~~~Tabaroux. Depuis quand, Mariette?\\
~~~Mariette. Hein?\\
~~~Tabaroux. Tu ne m'aimes plus depuis quand?\\
~~~Mariette. Surtout depuis ce que j'ai d\'ecouvert en allant chercher ta paye.\\
~~~Tabaroux. Qu'est-ce que tu as d\'ecouvert?\\
~~~Mariette. Tu le sais tr\`es bien. Que tu abusais de ma confiance, depuis des mois, que tu me trompais sur ce que tu gagnais, que tu avais des besoins d'argent cach\'es. Quand je pense que tu as pu me voir supporter toutes sortes de privations, de soucis, d'inqui\'etudes...\\
~~~Tabaroux. Est-ce que je ne les supportais pas aussi, les privations, est-ce que je ne trimais pas aussi? Quand tu sauras ce que j'ai fait de cet argent...\\
~~~Mariette. Je n'ai plus besoin de le savoir. Je ne veux pas le savoir.\\
~~~Tabaroux. Mais si, tu voudrais bien! Et tu le sauras tout de m\^eme, t\^ot ou tard.\\
~~~Mariette. Il fallait me le dire imm\'ediatement.\\
~~~Tabaroux. Non. Dans ton int\'er\^et comme dans le mien.\\
~~~Mariette. Dans mon int\'er\^et? Tu veux dire qu'il valait mieux me laisser ignorer des choses qui m'auraient d\'eplu ou fait souffrir? Des choses laides?\\
~~~Tabaroux. Quoi, par exemple?\\
~~~Mariette. Je suis bien oblig\'ee de supposer que tu avais des dettes; tu as pu me faire croire que tu travaillais, apr\`es avoir perdu ta place. Ou bien tu jouais au pari mutuel.\\
~~~Tabaroux, (gouailleur.) C'est tout?\\
\\
gouailleur~~~からかいの、あざ笑う\\
\\
~~~Mariette, (d'une voix alt\'er\'ee.) Tu pouvais aussi donner cet argent \`a une autre femme.\\
~~~Tabaroux. Tu n'as pas trouv\'e \c{c}a toute seule. Et pourquoi donc que je l'aurais subventionn\'ee, cette femme? Pour avoir le droit de me mettre au lit avec toi tous les soirs? Et d'aller \`a la p\^eche, avec toi, tous les dimanches? C'est idiot... Ah! tu t'es fait une jolie opinion de moi!\\
~~~Mariette. Au fond, je ne peux tout de m\^eme pas le croire, que tu aies une ma\^itresse. Mais par exemple, avant de me conna\^itre, tu as pu avoir un enfant avec une autre, et pour \'elever cet enfant...\\
~~~Tabaroux. \c{C}a c'est de toi. \c{C}a ressemble aux romans que tu te racontes.\\
~~~Mariette, (piqu\'ee.) Pas du tout. Je connais un cas comme celui-l\`a, il ne doit pas \^etre si rare.\\
~~~Tabaroux, (avec humeur.) Je n'ai pas d'enfant; si j'en avais un, \`a ma charge ou non, tu le saurais. Je n'ai pas de ma\^itresse non plus, ni de dettes, et je ne joue pas aux courses. Il t'est donc impossible d'imaginer que j'aie pu faire autre chose que des mocheries?\\
\\
subventionn\'ee~~~補助金を出す\\
\\
~~~Mariette. Quand on agit bien, on n'a pas \`a s'en cacher. Mais, je te le r\'ep\`ete, peu importe que tu aies fait de cet argent ceci ou cela. Le plus grave pour moi, c'est la tromperie. Quand je pense que cela durait depuis des mois et peut-\^etre des ann\'ees. Que \c{c}a aurait dur\'e encore.\\
~~~Tabaroux. Non.\\
~~~Mariette. Tu savais bien que j'avais en toi une confiance aveugle! Tu en as profit\'e pour me tromper, pour tricher! (Ma\^itrisant mal ses larmes.) C'est pourquoi, Henri, je suis venue te dire...\\
~~~Tabaroux. Quoi?\\
~~~Mariette, (avec effort.) Eh bien, que... que je ne t'aime plus, que...\\
~~~Tabaroux, (l'interrompant, irrit\'e.) Tu l'as d\'ej\`a dit. Et en supposant m\^eme que cela soit vrai, Mariette, vrai et d\'efinitif? En admettant que j'aie envers toi des torts \'epouvantables, crois-tu que ce soit tr\`es g\'en\'ereux de ta part de venir me le dire et redire, \`a travers les barreaux de ma cage? Tu n'aurais pas pu attendre un peu? Tu trouves qu'on a le coeur trop content, ici? Ah! vois-tu, ma petite, si tu vas voir quelqu'un \`a la prison ou \`a l'h\^opital, il faut que ce soit pour lui apporter un peu de remontant, pour lui faire prendre son mal en patience. Autrement, tu fais mieux d'aller au cin\'ema, c'est plus charitable.\\
\\
remontant~~~元気づける\\
\\
~~~Mariette, (apr\`es un silence.) Je te demande pardon. Mais moi, j'ai voulu \^etre franche. Et je pense que si tu m'aimais un peu, toi, tu n'aurais pas agi comme tu l'as fait. Alors...\\
~~~Tabaroux. \c{C}a, c'est \`a voir; tu ne sais pas de quoi il retourne. Maintenant, dis-moi: tu es toujours chez ta soeur?\\
~~~Mariette. Bien s\^ur.\\
~~~Tabaroux. Tu ne veux pas retourner chez nous?\\
~~~Mariette. J'y suis pass\'ee plusieurs fois. J'ai m\^eme pay\'e la facture du gaz.\\
~~~Tabaroux. Avec quel argent?\\
~~~Mariette. Avec celui de ta paye, de ta forte paye.\\
~~~Tabaroux, (amer.) Ainsi tu vis entre ces deux ouistitis qui crachent sur moi et tu manges leur pain, au lieu de rester \`a ta place et d'accepter l'arrangement que j'avais pris.\\
\\
ouistitis~~~きぬざる、一風変った人\\
\\
~~~Mariette. Je ne pouvais pas rester toute seule \`a la maison pendant trois mois, surtout apr\`es ce qui s'est pass\'e. Tu ne comprends pas que j'y serais devenue malade de tristesse et d'ennui?\\
~~~Tabaroux. Et de honte, hein? Devant les gens de la maison, la concierge, les boutiquiers, tu aurais eu honte \`a cause de ton mari. Tout le monde sait o\`u il est.\\
~~~Mariette. Non, Henri. Tu sais bien que je ne suis pas comme \c{c}a. Je ne pourrais \'eprouver de la honte que pour une chose que j'aurais faite, moi. Et je t'en voudrais tout autant d'avoir jet\'e par la fen\^etre la jardini\`ere et les coquillages, si tu n'\'etais pas en prison. On t'a condamn\'e \`a cause de l'agent. Mais ce que tu lui as fait \`a cet agent n'est rien \`a c\^ot\'e de ce que tu m'as fait \`a moi.\\
~~~Tabaroux. Sans ta soeur, ses manoeuvres, ses provocations, rien ne serait arriv\'e. Elle a pris entre nous une place que tu lui as faite, toi!\\
~~~Mariette. Non, elle a gard\'e celle qu'elle avait toujours eue.\\
~~~Tabaroux. Elle est toujours parvenue \`a savoir par toi tout ce qui se passait chez nous.\\
~~~Mariette. Ce n'est pas vrai. En tout cas, je ne pouvais pas lui en vouloir de nous porter de l'int\'er\^et. \\
~~~Tabaroux. De l'int\'er\^et! Ah oui. Elle me surveillait, me contr\^olait! Son petit cresson de mari et elle se permettaient de me juger! de me donner des conseils! Et \c{c}a ne te faisait pas m\^eme rigoler! Ils avaient droit \`a ta reconnaissance... Si je t'ai cach\'e quelque chose, c'est \`a cause de d'eux. C'est \`a eux que j'ai voulu le cacher!\\
~~~Mariette. C'est peut-\^etre \`a cause d'eux que tu faisais de nous des mis\'ereux, des purotins, alors que...\\
~~~Tabaroux. Ecoute, Mariette, je ne peux pas m'expliquer tout \`a fait l\`a-dessus, justement parce que tu es chez ta soeur. Mais je vais tout de m\^eme t'apprendre une chose que tu pourras leur r\'ep\'eter aux deux chabichoux; ils en avaleront de travers leur tapioca au lait. Cet argent, qui n'est pas rentr\'e \`a la maison, cet argent que je retranchais de ma paye, il n'est pas perdu. Je l'ai pr\^et\'e.\\
~~~Mariette, (att\'er\'ee.) Tu l'as pr\^et\'e? A qui?\\
~~~Tabaroux. A quelqu'un dont je suis s\^ur comme de moi-m\^eme et qui me le rendra. C'est ce quelqu'un-l\`a dont j'accepte ici un peu d'argent pour la cantine et qui t'aurait fait remettre de quoi vivre si tu \'etais rest\'ee \`a la maison.\\
~~~Mariette. Par exemple! Tu as pr\^et\'e tout cet argent dont nous avoins tant besoin, qui nous aurait donn\'e tout ce qui nous manquait! Ah! il a de la chance, celui-l\`a! Tu lui as sacrifi\'e ta femme, ton foyer! Comment est-ce possible!\\
~~~Tabaroux. Je suppose que tu m'approuveras quand tu sauras tout. Pour l'instant, imagine que j'aie avanc\'e cet argent pour quelque chose comme... la lib\'eration d'un prisonnier; pour que deux \^etres comme toi et moi aient la possibilit\'e de vivre, de respirer.\\
~~~Mariette. Et nous? Est-ce que nous vivions? Est-ce que nous respirions?\\
~~~Tabaroux, (riant sous cape.) Ce n'\'etait pas toi qui te plaignais, c'\'etait moi!\\
~~~Mariette, (outr\'ee.) Si je ne me plaignais pas, c'est que j'ignorais ce que c'\'etait que de jouir un peu de la vie!\\
~~~Tabaroux. Et maintenant, tu sais?\\
~~~Mariette. Eh bien! oui, figure-toi! Je commence \`a me rendre compte! Je d\'ecouvre tout un mode que j'ignorais et qui est plein d'agr\'ements. En entrant ici j'en avais un peu honte. Je craignais que tu me demandes \`a quoi je passais mon temps. Mais vraiment...\\
~~~Tabaroux, (avec une violence contenue.) C'est magnifique! \c{C}a sert tout de m\^eme \`a quelque chose d'avoir un mari en prison! Et une soeur en soie artificielle! Et un beau-fr\`ere \`a faux-col! A toi, les merveilles du monde! Et bien, non, Mariette, ce n'est pas encore dans leur bonbonni\`ere que tu verras la vie en grandeur nature! Ou alors tu ne seras vraiment pas difficile.\\
~~~Mariette. Je n'ai jamais \'et\'e difficile, et pour cause! (On entend le bruit d'une sonnerie qui les fait tressaillir tous les deux.)\\
~~~Le Gardien, (paraissant au fond.) Allons, ma petite dame, la visite est termin\'ee. (Il sort.)\\
~~~Tabaroux. Mariette! Je ne t'ai rien dit de ce que je voulais!\\
~~~Mariette. Moi non plus.\\
~~~Tabaroux. Retourne \`a la maison, Mariette! (Elle fait non de la t\^ete.) Tu n'attendras tout de m\^eme pas que je sois sorti d'ici pour rentrer chez nous? Dis, Mariette?\\
~~~Le Gardien, (au seuil du box de Mariette.) Allons, Madame, par ici.\\
~~~Mariette. Je t'\'ecrirai! (Elle atteint la sortie.)\\
~~~Tabaroux, (tandis qu'elle franchit la porte.) Reviens samedi! Mariette! Samedi ou mercredi!\\
(Elle sort sans se retourner.)\\
~~~Tabaroux, (seul, \'etreignant les barreaux.) Petit chameau!\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau.)\\







}
\end{document}