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\begin{document}
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{~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 2\\
~~~(Le petit salon des Bichat. Il communique, au fond, par une double porte vitr\'ee, qui demeure ouverte, avec la salle \`a manger, dont on aper\c{c}oit la table, recouverte d'un tapis \`a franges et orn\'ee d'une jardini\`ere semblable \`a celle qu'on a vue au premier acte. Cette jardini\`ere est h\'eriss\'ee de fleurs artificielles.)\\
\\
h\'eriss\'ee~~~立ち並んだ、満ちた\\
\\
~~~(Le m\^eme go\^ut appara\^it dans le salon, d'un faux luxe \'etriqu\'e. Au milieu, sur une petite table entour\'ee de si\`ege, un plateau garni d'un flacon et de verres \`a liqueur; phonographe sur un meuble \`a gauche. Portes \`a gauche et \`a droite, cette derni\`ere ouvrant sur un vestibule.)\\
\\
\'etriqu\'e~~~薄くする、(着物を)切り詰める\\
\\
~~~(Au lever du rideau, l'on entend un disque de danse qui est pr\`es de sa fin. L\'eontine et Bichat sont assis pr\`es de la table. L\'eontine coud une robe. Bichat sirote un petit verre. Mariette chantonne joyeusement l'air du disque en esquissant des pas de danse, non sans quelque gaucherie.)\\
\\
esquissant~~~スケッチをする、荒削りをする\\
gaucherie~~~ぎこちなさ\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 1\\
~~~~~~~~~~~~~~~(Mariette, Bichat, L\'eontine.)\\
~~~Mariette. Mais si, je vous affirme qu'on a jou\'e ce tango-l\`a hier soir.\\
~~~Bichat, (tranchant.) Non.\\
~~~L\'eontine. \c{C}a nous aurait frapp\'es, voyons: un de nos disques!\\
~~~Mariette. On l'a biss\'e deux fois. tout le monde le redemandait.\\
\\
biss\'e~~~繰り返す\\
\\
~~~Bichat, (doctoral, c'est le ton habituel du personnage.) On l'aurait donc non pas biss\'e, mais triss\'e.\\
\\
triss\'e~~~三度繰り返す\\
\\
~~~Mariette. Enfin, M. Gu\'eridon me l'a fait danser trois fois. A la fin je commen\c{c}ais \`a savoir un peu. (Elle danse.)\\
~~~L\'eontine. D'abord, nous l'aurions dans\'e, D\'ed\'e et moi.\\
~~~Bichat. A moins qu'on ne l'ait jou\'e pendant que nous n'\'etions pas l\`a.\\
~~~Mariette. Oui, pendant que vous \'etiez all\'es voir les jeux d'adresse. M\^eme, apr\`es ce tango-l\`a, je suis rest\'ee un moment toute seule \`a notre table. Gu\'eridon est parti chercher des cigarettes. (Riant.) Oh! figure-vous, plusieurs messieurs sont venus m'inviter \`a danser.\\
\\
jeux d'adresse~~~不明\\
\\
~~~L\'eontine. Il n'y a l\`a rien d'extraordinaire.\\
~~~Mariette. Naturellement, j'ai refus\'e. Je n'aurai pas su, c'\'etait une rumba. Mais \c{c}a me faisait dr\^ole: ils m'appelaient Mademoiselle. \c{C}a me rajeunissait.\\
~~~L\'eontine, (enjou\'ee.) Tu en as vraiment besoin, tu as l'air si vieille!\\
~~~Bichat. Et puis quoi, tu es demoiselle. Tu n'as jamais \'et\'e mari\'ee que je sache.\\
~~~Mariette. Si, voyons! Enfin, mari\'ee librement. Dans ma maison, dans mon quartier, tout le monde m'appelle Madame.\\
~~~Bichat. Et Gu\'eridon comment t'appelle-t-il, \`a propos? Je n'ai jamais remarqu\'e.\\
~~~Mariette. Oh! lui, tu sais, il a eu t\^ot fait de m'appeler Mariette, ou ...\\
\\
a eu t\^ot fait~~~??\\
\\
~~~L\'eontine, (encha\^inant.) Belle enfant!\\
\\
encha\^inant~~~鎖で繋ぐ、束縛する\\
\\
~~~Mariette. Il me donne toutes sortes de noms \`a la blague, comme \c{c}a lui vient. La premi\`ere fois que je l'ai vu ici, je crois qu'il m'a appel\'ee Madame.\\
~~~L\'eontine. C'est un homme qui peut tout se permettre. Il a la mani\`ere.\\
~~~Bichat. Affaire de tact. Au bureau, par exemple, lorsqu'il se paie la t\^ete d'un coll\`egue, il va aussi loin qu'on peut aller, mais sans jamais d\'epasser la mesure. (Il atteint le flacon de liqueur.)\\
\\
se paie la t\^ete~~~嘲笑する\\
\\
~~~L\'eontine. D\'ed\'e! N'en reprends pas.\\
~~~Bichat. Une larme! C'est dimanche.\\
~~~L\'eontine, (allant lui \^oter le flacon des mains.) Non, mon Loulou blanc, sois raisonnable. Gu\'eridon va venir et tu en prendras encore avec lui. Apr\`es tu te plaindras d'avoir des aigreurs.\\
\\
aigreurs~~~酸味、苦しいこと\\
\\
~~~Bichat, (prenant un journal qu'il lit distraitement.) Ce n'est pas le rhum qui donne des aigreurs, c'est le marc. Enfin, soit, j'en prendrai avec Tony. Qu'est-ce que j'\'etais en train de dire?\\
\\
rhum~~~mを読む~~~ラム酒\\
\\
~~~Mariette, (qui s'est mise \`a ranger des disques du phono et \`a d\'echiffrer leurs titres.) Tu parlais de lui, au bureau.\\
~~~Bichat. Ah! oui. Nous lui devons de jolies s\'eances.\\
\\
s\'eances~~~出席、会議、上演時間\\
\\
~~~Mariette. Ce qu'il peut \^etre dr\^ole! Je me demande s'il lui arrive jamais d'\^etre triste ou simplement s\'erieux.\\
~~~Bichat. Je te prie de croire qu'il ne rigole pas toujours. D'abord faire des chanson, \c{c}a demande \'enorm\'ement de r\'eflexion et de travail.\\
~~~L\'eontine. M\^eme si c'est du comique. Il faut trouver les rimes et qu'elles tombent juste. Ce doit \^etre un vrai casse-t\^ete!\\
~~~Bichat. J'ai vu Gu\'eridon pr\'eoccup\'e, tourment\'e pendant toute une journ\'ee, au bureau, \`a cause d'un couplet qui ne venait pas.\\
~~~Mariette. Il est vrai que l'autre jour, je l'ai vu prendre un air tr\`es grave au Mus\'ee des Invalides, quand nous avons visit\'e le tombeau de Napol\'eon.\\
~~~Bichat. Tiens, parbleu!\\
~~~Mariette. C'est curieux, moi, bien s\^ur, j'ai trouv\'e \c{c}a int\'eressant, comme un monument historique, mais sans \'eprouver aucune \'emotion.\\
~~~L\'eontine. Pourtant, un tombeau, c'est toujours impressionnant.\\
~~~Mariette. L\`a, on ne pense pas \`a un mort comme au cimeti\`ere, mais plut\^ot \`a l'importance du travail et \`a la beaut\'e du marbre. Je n'en avais jamais vu de cette couleur-l\`a. J'ai voulu le dire \`a Gu\'eridon, mais je me suis arr\^et\'ee net en voyant la t\^ete qu'il faisait, une vraie t\^ete d'enterrement.\\
~~~L\'eontine. Il y est all\'e, ce matin, \`a l'enterrement, dis, D\'ed\'e?\\
~~~Bichat. Oui.\\
~~~Mariette. A l'enterrement de qui?\\
~~~Bichat. Je ne sais plus ... Devant le tombeau de Napol\'eon, il est \'evident, Mariette, que ton imagination ne peut pas travailler comme celle de Gu\'eridon, qui est beaucoup plus instruit que toi et qui, de plus, est po\`ete. Il revivait en un instant toute une \'epop\'ee: les Pyramides, Austerlitz, Waterloo, et il se r\'ecitait peut-\^etre int\'erieurement des vers de Victor Hugo.\\
\\
\'epop\'ee~~~叙事詩\\
\\
~~~Mariette. Oh! Il en raconte, des histoires! Il a vu tout ce qu'on peut voir \`a Paris. Hier, en dansant, il \'enum\'erait tous les endroits o\`u nous pourrions aller, o\`u il pourrait me conduire. Eh bien je n'en connaissais aucun. Je finissais par avoir honte. Il demandait: Vous \^etes d\'ej\`a mont\'ee sur la Tour Eiffel? Non. Sur les tours de Notre-Dame? Non. Vous connaissez les Buttes-Chaumont? Les Course? La f\^ete de Neuilly? Le Mus\'ee Gr\'evin? La tombe du Soldat Inconnu? Non. C'\'etait toujours non. Ah! vous ignorez tout de la Ville Lumi\`ere, qu'il m'a dit.\\
~~~L\'eontine. Evidemment, ma pauvre petite. Tu es demeur\'ee aussi \'eloign\'ee de tout, aussi ignorante que je l'\'etais quand je me suis mari\'ee. Tu ne connais que Saint-Ouen, le populo de Saint-Ouen, les cin\'emas de Saint-Ouen.\\
\\
populo~~~下層民、民衆\\
\\
~~~Mariette, (protestant.) Tout de m\^eme ...\\
~~~Bichat. De Paris, tu ne connais que les berges de la Seine o\`u le sieur Tabaroux allait p\^echer \`a la ligne.\\
\\
berges~~~土手\\
\\
~~~Mariette. C'est d\'ej\`a quelque chose.\\
~~~L\'eontine. Tout ce dont t'a parl\'e Gu\'eridon, je le connais, moi; et bien d'autres choses encore ... Enfin, tu vas vivre, Mariette. Nous allons te faire vivre un peu comme tous le monde.\\
~~~Bichat. Ou plus exactement, comme ...\\
~~~L\'eontine, (l'interrompant, \`a Mariette.) Fais attention de ne pas casser de disques. Tu sais, \c{c}a co\^ute cher.\\
~~~Bichat, (poursuivant.) ... Ou plus exactement comme tous ceux qui savent vivre, qui ont l'ambition de s'\'elever sur l'\'echelle sociale.\\
~~~Mariette. Oh! vous m'avez d\'ej\`a tellement g\^at\'ee! Depuis un mois, j'ai l'impression de vivre dans une f\^ete continuelle.\\
~~~L\'eontine. Mon pauvre chou.\\
~~~Mariette. Je ne me reconnais plus, je ne me retrouve plus.\\
~~~L\'eontine. Tant mieux, ma petite. Il faut que tu fasses peau neuve.\\
~~~Bichat. Nous voulons te "d\'etabarouser" compl\`etement. (Mariette montre quelque g\^ene.) Et dans quelques jours, nous te ferons part de certain projet qui t'int\'eresse.\\
~~~Mariette. Ah?\\
~~~L\'eontine, (\`a Bichat.) Chut! Bavard. (A Mariette.) Voil\`a. Tu peux aller passer cette robe, Mariette. Gu\'eridon doit venir vers deux heures et demie, et il est deux heures.\\
~~~Mariette, (prenant la robe.) Oh! merci! Ce que tu es gentille, tu sais! (Elle l'embrasse.)\\
~~~L\'eontine. Va, va ... Dis donc, donne un coup de fer \`a l'ourlet, tu as le temps.\\
\\
donne un coup de fer~~~アイロンをかける\\
l'ourlet~~~(折り返して縫った)へり\\
\\
~~~Mariette. Oui, et c'est moi qui remettrai la robe \`a ta taille quand tu voudras la mettre.\\
~~~L\'eontine. Ecoute, mariette, je ne la remettrai plus, je te la donne.\\
~~~Mariette, (confuse.) Non, Titine, je ne veux pas, tu m'as d\'ej\`a donn\'e trop de choses! Elle est comme neuve! Elle peut te faire encore beaucoup d'usage!\\
~~~L\'eontine. Je l'ai mise d\'ej\`a durant deux \'et\'ets!\\
~~~Bichat. Comprends, Mariette, que si elle n'\'etait pas en excellent \'etat, L\'eontine ne te la donnerait pas.\\
~~~L\'eontine, (\`a Mariette.) Va, va donc!\\
~~~Mariette. Bon, je me sauve. Merci Titine. (Elle va jusqu'\`a la porte de gauche et s'arr\^ete.) Dis donc, excuse-moi de te demander cela, mais ... est-ce que M. Gu\'eridon a d\'ej\`a vu cette robe sur toi?\\
~~~L\'eontine. Non. Pas cette ann\'ee en tous cas. Et si tu crois que les hommes se souviennent des robes!\\
~~~Bichat. Ils se souviennent de celles qu'ils ont chiffonn\'ees; et encore!\\
\\
chiffonn\'ees~~~しわくちゃになる\\
\\
~~~L\'eontine, (sur un ton de reproche.) D\'ed\'e! (Mariette sort en riant.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Bichat, L\'eontine.\\
~~~Bichat. Eh bien, \c{c}a ne va pas mal!\\
~~~L\'eontine. \c{C}a va m\^eme tr\`es bien. Gu\'eridon par ci, Gu\'eridon par l\`a! Elle commence \`a trouver tout naturel de sortir seule avec lui. Et cette petite coquetterie, \`a l'instant!\\
~~~Bichat. Moi, je constate un brusque progr\`es depuis hier soir. Le Moulin de la Galette marque une \'etape d\'ecisive. Il n'y a pas comme la danse pour la r\'ev\'elation des sentiments.\\
~~~L\'eontine. Tu es b\^ete et tu te trompes. C'est surtout depuis ce matin qu'il y a du changement; depuis que je lui ai parl\'e.\\
~~~Bachat. Ah, \c{c}a y est? Tu lui as dit?\\
~~~L\'eontine. Oui, en faisant le march\'e. Apr\`es m'avoir vu payer le boucher, elle se lamentait une fois de plus d'\^etre \`a notre charge et de n'avoir pas encore de travail. Cette fois, je n'ai pas laiss\'e passer l'occasion; je lui ai r\'epondu: "Ma petite, ne t'inqui\`ete pas; tu peux bien penser que si j'ai quitt\'e ma place, que si nous sommes all\'es \`a Saint-Malo, que si nous vivions dans l'aisance, ce n'est pas seulement parce que nous sommes \'economes; c'est que notre situation a chang\'e." alors, je lui ai confi\'e en grand secret que nous avions gagn\'e \`a la Loterie Nationale. Je ne lui ai pas dis deux cent mille francs, mais seulement cent mille.\\
~~~Bichat. Et alors?\\
~~~L\'eontine. Ah! mon ami! Les cent mille francs ont produit un tel effet que, si j'avais su, j'en aurai d\'eclar\'e cinquante. Je lui ait dit: Tu compreds que si je t'ai cach\'e cela jusqu'ici, c'est \`a cause de Tabaroux; et D\'ed\'e m'a d\'efendu de t'en parler avant que tu n'aies rompu cat\'egoriquement.\\
\\
cat\'egoriquement~~~はっきりと\\
\\
~~~Bichat. Tu n'avais pas besoin de mettre \c{c}a sur mon compte.\\
~~~L\'eontine. Mais si: tu es sens\'e ignorer qu'elle conna\^it nos moyens et nos projets. Comme \c{c}a ...\\
~~~Bichat. Nos projets? Tu lui as dit aussi? ...\\
~~~L\'eontine. Je lui ai dit que naturellement, tu conservais ton poste, mais que nous avions l'intention d'entreprendre un petit commerce de parfumerie et d'articles de toilette, \'etant donn\'e que je suis rest\'ee cinq ans dans la partie. Bref, je lui ai annonc\'e que nous allions lui proposer de tenir le magasin avec moi, qu'elle pourrait avoir une existence agr\'eable et assur\'ee.\\
~~~Bichat. \c{C}a lui a plu?\\
~~~L\'eontine. Comment donc! Elle m'a remerci\'ee, embrass\'ee ... La voil\`a maintenant partie \`a r\^ever la-dessus.\\
~~~Bichat. Ce qu'il faut absolument, c'est qu'elle signifie au plus t\^ot \`a ce voyou qu'elle le quitte; de fa\c{c}on qu'il en ait bien pris son parti dans deux mois quand il sortira de prison.\\
\\
voyou~~~浮浪者\\
pris son parti~~~決心する\\
\\
~~~L\'eontine. C'est ce que je ne cesse de lui dire et deuis ce matin tu peux croire qu'elle est de cet avis.\\
~~~Bichat. Et ... tu ne lui as pas parl\'e de Gu\'eridon?\\
~~~L\'eontine. Si.\\
~~~Bichat. Titine, tu n'aurais pas d\^u! C'est trop t\^ot! Mariette va d\'esormais se rendre compte que nous facilitons les entreprises de Tony, et \c{c}a peut la mettre en d\'efense, l'indisposer ...\\
\\
d\'esormais~~~今後、それ以後\\
indisposer~~~敵意を抱かせる\\
\\
~~~L\'eontine. Innocent! Je connais ma soeur! Je n'ai fait que lui ouvrir, que lui entr'ouvrir des horizons. Gu\'eridon lui fait la cour, elle en est ravie, flatt\'ee, un peu gris\'ee, mais il ne lui vient pas \`a l'id\'ee que cela puisse devenir s\'erieux, enfin qu'un homme comme Gu\'eridon puisse jamais penser \`a se marier avec elle.\\
\\
gris\'ee~~~陶酔させる\\
\\
~~~Bichat. Je crois qu'en effet, il n'y pense gu\`ere. Il adore les femmes et n'a aucune vocation pour le mariage.\\
\\
vocation~~~性向、性癖、天職、使命\\
\\
~~~L\'eontine. Il y viendra comme les autres, le jour o\`u, s'\'etant amourach\'e d'une petite femme s\'erieuse, il constatera qu'il ne peut l'avoir sans l'\'epouser.\\
\\
constatera~~~認める、確かめる\\
\\
~~~Bichat. Gardons-nous, \^o Titine, gardons-nous d'anticiper sur l'avenir. Lorsque Gu\'eridon m'a dit qu'il trouvait ta soeur d\'elicieuse, je lui ai simplement confi\'e que nous voulions la sauver de Tabaroux, l'en d\'etourner \`a jamais. Je l'ai mis, confidentiellement, au courant du projet de magasin.\\
~~~L\'eontine. Alors, il sait que nous avons gagn\'e \`a la Loterie Nationale?\\
~~~Bichat. Non. Ne va pas surtout lui en parler! Je lui ai dit que j'avais fait un petit h\'eritage, sans pr\'eciser. Tu comprends, je lui avais toujours promis que si je gagnais jamais \`a loterie plus de cinquante mille francs, je lui en donnerai dix.\\
~~~L\'eontine, (s'exclamant.) Quelle stupidit\'e!\\
~~~Bichat. Pas si fort! Enfin, que lui as-tu dit, \`a propos de Tony?\\
~~~L\'eontine. Juste ce qu'il fallait. Apr\`es lui avoir parl\'e du magasin ... (Elle s'interrompt parce qu'on a sonn\'e.)\\
~~~Bichat. C'est Gu\'eridon. Je vais lui ouvrir. (Il se h\^ate vers la porte de droite.)\\
~~~L\'eontine. Dis-donc, laissons-les sortir seuls, mais pour les convenances qu'il soit tout de m\^eme un instant question d'aller voir le petit tous ensemble.\\
\\
pour des raisons de convenances~~~便宜上の理由で\\
ここ不明\\
\\
~~~Bichat. Mais oui! (Il sort, laissant la porte ouverte. On l'entend accueillir Gu\'eridon sur un ton enjou\'e.) Mon cher po\`ete, soyez le bienvenu! Comment te sens-tu?\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~Les m\^emes, G\'eridon.\\
~~~G\'eridon, (entrant.) Salut, \^o Bichat, Double-Chat, Super-Chat, c'est-\`a-dire Loulou-Blanc! (Saluant largement du feutre.) Madame Titine, mes hommages!\\
\\
feutre~~フェルト帽\\
\\
~~~L\'eontine. Bonjour, Monsieur Gu\'eridon! (Pogn\'ee de main.) Ah! Andr\'e ne vous a pas d\'ebarrass\'e de votre chapeau!\\
~~~Gu\'eridon. Je l'ai gard\'e, ch\`ere amie, afin de pouvoir vous mieux saluer. (Il fait un mouvement vers le vestibule.)\\
~~~Bichat. Donne. (Il prend le chapeau et dispara\^it le temps d'aller l'accrocher dans le vestibule.)\\
~~~L\'eontine, (\`a Gu\'eridon.) Alors, vraiment, vous ne pouviez pas venir d\'ejeuner avec nous?\\
~~~Gu\'eridon. Impossible, h\'elas! Votre \'epoux a d\^u vous le dire, je me devais d'aller \`a l'enterrement de Ludovic Florent. Une messe du tonnerre de Dieu, des discours \`a n'en plus finir; je suis sorti du cimeti\`ere Montparnasse \`a deux heures et demie. J'ai bouff\'e par l\`a en deux temps.\\
~~~Bichat. Eh bien, tu vas prendre un petit rhum. Donne un verre, Titine!\\
~~~L\'eontine, (allant chercher un verre \`a liqueur dans la salle \`a manger.) Ludovic Florent, qui est-ce?\\
~~~Gu\'eridon. Voyons! le compositeur c\'el\`ebre, l'auteur de \textit{Puisque je l'aime}, du \textit{Petit nid}, de ...\\
~~~L\'eontine. Ah! Oui!\\
~~~Bichat. C'est une perte!\\
~~~Gu\'eridon. Mais o\`u donc est ma danseuse?\\
~~~Bichat. Elle s'habille.\\
~~~L\'eontine, (posant le verre qu'elle apporte sur le plateau, \`a c\^ot\'e de celui de Bichat.) Ah! \c{c}a vous intrigue de ne pas la voir. (Elle verse le rhum.) Elle met une belle robe en votre honneur.\\
\\
intrigue~~~気をひく、好奇心をそそる\\
~~~Bichat, (\`a Gu\'eridon.) Tu sais, elle est encore toute excit\'e par sa soir\'ee d'hier.\\
~~~L\'eontine. Tout \`a l'heure elle dansait toute seule. Le Moulin de la Galette, pour elle, vous pensez! C'\'etait la premi\`ere fois.\\
~~~Gu\'eridon. Pauvre gosse!\\
~~~L\'eontine. Et elle est dans la jubilation parce que vous allez la voir gentiment habill\'ee. Je lui ai donn\'e une de mes robes, alors, figurez-vous ...\\
\\
jubilation~~~大喜び\\
\\
~~~Bichat, (l'interrompant.) Titine, tu n'avais pas besoin d'en parler.\\
~~~L\'eontine. A Gu\'eridon? Pourquoi pas? C'est charment!\\
~~~Gu\'eridon, (curieux.) Alors?\\
~~~L\'eontine. Alors, elle a voulu savoir si vous m'aviez d\'ej\`a vue avec cette robe. Elle avait peur que vous ne la reconnaissiez. Je l'ai rassur\'ee, vous pensez bien! (Rires.)\\
~~~Gu\'eridon. Elle est adorable! Vous ne lui avez pas encore parl\'e de vos projets ni du petit h\'eritage?\\
~~~L\'eontine, (vivement.) Non, pas encore, et n'allez pas lui en paler!\\
~~~Bichat. Je t'ai dit pourquoi. (Geste rassurant de Gu\'eridon.)\\
~~~L\'eontine. Elle devrait \^etre l\`a! Je vais l'aider \`a passer sa robe.\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Gu\'eridon, Bicht.\\
~~~Gu\'eridon. Qu'est-ce qu'on fait cet apr\`es-midi?\\
~~~Bichat. Eh bien ... Nous allons \`a Joinville, voir le gosse.\\
~~~Gu\'eridon, (sans enthousiasme.) Parfait.\\
~~~Bichat. Quand je dis nous, entends qu Titine et moi devons y aller. Maintenant, toi, mon cher ... (Il se verse du rhum.)\\
~~~Gu\'eridon. Non, non, allons-y tous.\\
~~~Bichat, (riant.) Tu n'as pourtant pas l'air tr\`es emball\'e, hein?\\
\\
emball\'e~~~夢中になる\\
\\
~~~Gu\'eridon. Mon unique objection serait qu'il y a quelque peu \`a marcher, l\`a-bas, et que j'en ai d\'ej\`a plein les bottes. Mon vieux, j'ai commis la sottise d'aller \`a pied de Montmartre \`a Saint-Germain-des Pr\`es. Mais \c{c}a n'a pas d'importance ...\\
\\
botte~~~長靴、突き(剣術の)\\
\\
~~~Bichat. Ah! Tony, tu me fais rigoler, mais tu me fais de la peine.\\
~~~Gu\'eridon. Pourquoi?\\
~~~Bichat. A moi, ton meilleur ami, tu ne peux pas dire tout simplement que tu pr\'ef\`eres te balader avec Mariette?\\
\\
balader~~~散歩する、ぶらつく\\
\\
~~~Gu\'eridon. Je ne pr\'ef\`ere pas. Disons que je pr\'ef\'ererais si ce n'\'etait contraire \`a la biens\'eance.\\
\\
biens\'eance~~~似合うこと、礼儀に叶ったこと\\
\\
~~~Bichat, (s'esclaffant.) Comme si tu n'\'etais pas d\'ej\`a sorti seul avec elle!\\
\\
s'esclaffant~~~わっと哄笑する\\
\\
~~~Gu\'eridon. Tu ne me comprends pas: Je suis venu pour passer l'apr\`es-midi avec vous et je ne peux pas, vis-\`a-vis de ta femme, de Mariette m\^eme ...\\
~~~Bichat. Penses-tu! Il ne s'agit que de sauver les apparences. Tu ne tiens pas \`a aller \`a Joinville parce que tu as les pieds fatigu\'es.\\
\\
sauver les apparences~~~対面を保つ?\\
\\
~~~Gu\'eridon. C'est vrai.\\
~~~Bichat. Que tu n'aimes pas la campagne.\\
~~~Gu\'eridon. C'est vrai.\\
~~~Bichat. Que les b\'eb\'es ne t'int\'eressent que m\'ediocrement.\\
~~~Gu\'eridon. \c{C}a d\'epend ...\\
~~~Bichat. Tu nous l'as dit. Tu n'iras pas \`a Joinville. Ma femme te verra tr\`es volontiers poursuivre le sauvetage, et j'ai l'impression que Mariette ne demende qu'\`a \^etre sauv\'ee. Ne t'en fais pas, je vais arranger cela. Nous nous retrouverons en fin de journ\'ee \`a l'ap\'eritif.\\
\\
sauvetage~~~人命救助\\
~~~Gu\'eridon. Je n'ai plus qu'\`a m'incliner vers mes pieds douloureux. Et je te dirai ce soir, o\`u en est le sauvetage.\\
~~~Bichat. Voil\`a! O\`u vas-tu la mener, cette enfant?\\
~~~Gu\'eridon. Je ne sais pas; voir quelque chose qui l'amuse et me la mettre dans une ambiance favorable. En tout cas, je ne veux pas avoir \`a marcher. Non sans blague! (Entrent L\'eontine et Mariette.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 5\\
~~~~~~~~~~~~~~~Les m\^emes, L\'eontine et Mariette.\\
~~~L\'eontine, (\`a Mariette, avec humeur.) Tu avais encore laiss\'e le gaz allum\'e! Fais donc un peu attention, \c{c}a co\^ute cher!\\
~~~Mariette, (confuse.) Ah! oui, excuse-moi. Je ne savais pas si le fer serait assez chaud. Bonjour, monsieur Gu\'eridon.\\
~~~Gu\'eridon. La voil\`a, cette noceuse, cette noctambule! (Il lui serre la main, puis prenant L\'eontine et Bichat \`a t\'emoin.) Fra\^iche comme la ros\'ee! Dirait-on qu'elle vient de se lever?\\
\\
noceuse~~~飲み騒ぐのが好きな人\\
noctambule~~~夜遊びが好きな人\\
\\
~~~Mariette, (riant.) Je parie bien m'\'etre lev\'ee avant vous! A huit heures, ce matin, je passais le caf\'e.\\
~~~Gu\'eridon. \c{C}a alors, c'est du vice.\\
~~~L\'eontine. Elle a l'habitude de se lever \`a six heures et demie (Elle va ranger le flacon de rhum dans la salle \`a manger.)\\
~~~Mariette, (\`a Gu\'eridon.) Et vous: on ne dirait pas que vous revenez de l'enterrement. Qui avez-vous enterr\'e? votre propri\'etaire?\\
~~~Bichat, (sur un ton de reproche.) Mariette!\\
~~~Gu\'eridon. Pensez-vous que j'irai \`a l'enterrement de mon probloque!\\
\\
probloque~~~地主\\
\\
~~~Mariette, (s\'erieuse.) C'\'etait l'enterrement de qui?\\
~~~Gu\'eridon. De Ludovic Florent.\\
~~~Mariette. Un ami?\\
~~~Gu\'eridon. Un musicien, un compositeur, Mariette.\\
~~~L\'eontine. L'auteur de \textit{Puisque je l'aime}, tu sais?\\
~~~Mariette. Non, je ne sais pas; moi, je ne sais rien. (A Gu\'eridon.) Il avait mis des paroles de vous en musique?\\
~~~Gu\'eridon. Non. Je n'\'ecris que sur de vieux airs connus. Je ne l'avais m\^eme jamais vu, ce Ludovic.\\
~~~Mariette. Alors, pourquoi \^etes-vous all\'e \`a son enterrement?\\
~~~Gu\'eridon. On ne va pas toujours \`a l'enterrement pour le mort, \^o Mariette, mais pour voir des vivants. (Etonnement de Mariette.) Parfaitement!\\
~~~Mariette. Quelle dr\^ole d'id\'ee! Vous n'en voyez pas assez ailleurs, des vivants?\\
~~~Bichat. Elle est pure! (Rire de Bichat et de L\'eontine.)\\
~~~Gu\'eridon. Non, ch\`ere enfant! Il y a des gens qu'il n'est pas toujours facile de rencontrer ailleurs qu'aux enterrements. Croyez bien que je ne suis pas all\'e \`a celui de Ludovic Florent pour mon plaisir. J'ai horreur des pompes fun\`ebres. Mais cela m'a donn\'e l'occasion de rencontrer des chansonniers c\'el\`ebres, des directeurs de cabarets artistiques. Je leur ai rappel\'e l'envoi de mon petit volume, les mots \'elogieux que j'ai re\c{c}us d'eux. Comprenez donc que pour r\'eussir, le talent ne suffit pas! Il faut des relations.\\
~~~Bichat, (approuvant.) Parbleu!\\
~~~Gu\'eridon. Et lorsqu'on est toute la journ\'ee dans un bureau!\\
~~~L\'eontine. C'est encore heureux qu'on l'ait enterr\'e un dimanche!\\
~~~Gu\'eridon. Non, madame Titine: c'est plut\^ot f\^acheux, car en semaine, pour un enterrement, j'aurais obtenu un cong\'e.\\
~~~Bichat. A propos de cet enterrement, Titine, voil\`a un homme qui a march\'e ou pi\'etin\'e ce matin pendant trois heures. Il n'aspire qu'\`a aller s'asseoir devant quelque breuvage glac\'e ...\\
~~~Gu\'eridon, (mollement.) Mais non ...\\
\\
mollement~~~柔らかく\\
\\
~~~Bichat. Nous devons nous opposer \`a ce qu'il nous accompagne \`a Joinville.\\
~~~Gu\'eridon. Voil\`a! J'ai eu le malheur de lui confier que j'avais les jambes en p\^at\'e de foie. Mais \c{c}a n'emp\^eche que je peux tr\`es bien prendre l'autobus avec vous, quitte \`a vous attendre l\`a-bas, non loin de la station.\\
\\
p\^at\'e de foie~~~フワグラのパテ?\\
quitte \`a~~~・・・するのは構わないから\\
\\
~~~~~J'emprunterai, quitte \`a payer les int\'r\^ets.~~利子を払っても借りよう\\
\\
~~~L\'eontine. Ce serait absurde, permettez-moi de vous le dire. Je me demande pourquoi vous vous imposeriez cette corv\'ee!\\
\\
corv\'ee~~~苦役、厭な仕事\\
\\
~~~Gu\'eridon. Pour \^etre avec vous.\\
~~~Bichat. Nous nous retrouverons pour l'ap\'eritif. Ecoute, mon vieux, nous allons te laisser Mariette, si toutefois elle veut bien se d\'evouer.\\
\\
se d\'evouer~~~身を捧げる\\
\\
~~~Mariette, (mutine.) Oh! elle veut bien.\\
\\
mutin~~~きびきびと\\
\\
~~~Bichat. Bon. Vous allez vous faire v\'ehiculer dans quelque lieu agr\'eable et reposant.\\
~~~L\'eontine. C'est \c{c}a. Tu iras voir le petit cette semaine, Mariette.\\
~~~Gu\'eridon, (r\'esign\'e.) Je ne peux pourtant pas refuser la compagnie de Mariette.\\
~~~L\'eontine. Et nous, Loulou-Blanc, d\'ep\^echons! Je vais mettre mon chapeau. (Elle sort.)\\
~~~Gu\'eridon, (\`a Mariette, chantant.)\\
~~~~~\textit{D\^ites, la jeune belle},\\
~~~~~\textit{O\`u voulez-vous aller?}\\
~~~Mariette. Moi, je ne sais pas. O\`u vous voudrez.\\
~~~Gu\'eridon, (l'examinant.) D'abord voulez-vous me permettre une appr\'eciation. Oui?\\
~~~Mariette, (intrigu\'ee.) Oui.\\
\\
intrigu\'ee~~~好奇心をそそる\\
\\
~~~Gu\'eridon. Eh bien, vous avez une robe! (Il lui d\'edie un baiser expressif.) Bichat, n'est-ce pas? (Bichat opine souriant et va chercher son chapeau.)\\
\\
opine~~~意見を言う\\
\\
~~~Mariette, (heureuse.) Oui, je l'aime peaucoup.\\
~~~Gu\'eridon. Et elle vous aime. C'est une couleur qui vous va bien.\\
~~~Mariette. Ce n'est pas moi qui l'ai choisie, c'est ma soeur.\\
~~~Gu\'eridon. Oui, mais c'est vous qui la portez.\\
~~~Bichat, (revenant avec son chapeau.) La toilette, c'est la moiti\'e d'une femme.\\
~~~L\'eontine, (elle revient en mettant ses gants.) Alors, o\`u allez-vous?\\
~~~Gu\'eridon. J'ai une id\'ee: il y a en ce moment un film \'epatant \`a voir.\\
~~~Bichat. Vous allez \'etouffer, dans une salle de cin\'ema.\\
~~~Gu\'eridon. Erreur. Il y a des ventilateurs et le film est frigorifique. C'est intitul\'e: \textit{Les Amants du glacier}.\\
~~~L\'eontine. O\`u est-ce?\\
~~~Gu\'eridon. Sur les Boulevards. Oh! nous n'irons pas \`a pied. Je vous offre un taxi.\\
~~~L\'eontine. Mazette!\\
\\
Mazette~~~素敵、無気力者\\
\\
~~~Gu\'eridon. Seulement le film ne passe qu'\`a quatre heures. Avant, nous irons nous asseoir \`a quelque terrasse.\\
~~~Bichat. Eh bien, prenez votre temps. Nous, nous filons.\\
~~~L\'eontine. C'est \c{c}a. (Elle embrasse Mariette et serre la main de Gu\'eridon.) Alors \`a tout \`a l'heure. (Elle sort.)\\
~~~Bichat. Disons \`a partir de six heures et demie au caf\'e de la Poste.\\
~~~Gu\'eridon. Entendu. (Il serre la main de Bichat.)\\
~~~Bichat, (\`a Gu\'eridon, avec un sourire complice.) Amusez-vous bien! Au revoir, Mariette.\\
~~~Mariette, (le suivant jusqu'au vestibule.) Au revoir! Embrassez le petit pour moi. (Elle revient et ferme la porte.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 6\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Mariette, Gu\'eridon.\\
~~~Gu\'eridon. Au fond, vous auriez peut-\^etre pr\'ef\'er\'e aller \`a Joinville?\\
~~~Mariette. Pensez-vous! Et puis, mon petit neveu, je vais le voir en semaine, toute seule.\\
~~~Gu\'eridon. Vous pr\'ef\'erez?\\
~~~Mariette. Oui.\\
~~~Gu\'eridon. Pourquoi?\\
~~~Mariette. En semaine, l'autobus est presque vide. On traverse le blois de Vincennes: on a l'impression d'aller tr\`es loin. Je me mets sur la plateforme et je regarde les arbres, les petites all\'ees qui s'enfoncent dans le bois. Avec L\'eontine, on parle tout le temps, on ne voit rien. Et puis, quand je suis seule, vous savez ce que je fais? Je descends au pont de Joinville. J'ai un peu plus \`a marcher, mais je regarde la Marne, les bateaux ... \\
~~~Gu\'eridon. Petite fille! (Il la regarde en souriant.)\\
~~~Mariette. Je vais chercher mon chapeau.\\
~~~Gu\'eridon. Non! Un instant! Je viens d'arriver, moi; et nous avons bien le temps. Tenez, une cigarette! J'ai pris des anglaises pour vous. (Il lui en offre.)\\
~~~Mariette. C'est trop gentil! (Elle prends une cigarette que Gu\'eridon lui allume; ils s'asseoient.)\\
~~~Gu\'eridon, (taquin.) En somme, si vous \^etes contente de rester avec moi, c'est surtout parce que cela vous permettra d'aller seule \`a Joinville.\\
\\
taquin~~~からかって\\
\\
~~~Mariette, (apr\`es un mouvement de protestation, se pr\^etant \`a la plaisanterie.) Oui, Monsieur, uniquement!\\
~~~Gu\'eridon. Non, pas uniquement. Il y a aussi le cin\'ema.\\
~~~Mariette. M\'echant! Vous savez bien que j'aime beaucoup sortir avec vous.\\
~~~Gu\'eridon. Je l'esp\`ere.\\
~~~Mariette. La seule chose qui me retiendrait de le faire, c'est que ... enfin non seulement vous payez pour moi partout o\`u nous allons, mais vous faites toujours des folies. Hier encore, au Moulin de la Galette, cette bo\^ite de bonbons ...\\
~~~Gu\'eridon, (riant.) Des folies! C'est-il que vous vous moquez de moi, ch\`ere Baronne, ou que vous confondez berlingots avec lingots?\\
\\
berlingots~~~飴、童貞、がた馬車\\
lingots~~~地金、インゲン豆の一種\\
\\
~~~Mariette. Tout de m\^eme ...\\
~~~Gu\'eridon. \c{C}a vous d\'epla\^it de me devoir quelques petites plaisirs?\\
~~~Mariette. Non, ce n'est pas cela, mais ...\\
~~~Gu\'eridon. Ne m'emp\^echez pas de vous g\^ater un peu, quand j'en trouve l'occasion, de vous t\'emoigner mon bonheur d'\^etre avec vous!\\
~~~Mariette. Oh! votre bonheur ...\\
~~~Gu\'eridon. Bien s\^ur, mon bonheur, Mariette! Bien s\^ur! Tenez, je vous dois honn\^etement une confidence. J'ai jou\'e la com\'edie, tout \`a l'heure, devant cet excellent Loulou-Blanc; la com\'edie de la fatigue, pour ne pas aller \`a Joinville, pour passer l'apr\`es-midi avec vous.\\
~~~Mariette, (confuse.) Non?\\
~~~Gu\'eridon. C'est comme j'ai l'honneur, ma ch\`ere petite, et rappelez-vous je n'ai accept\'e de rester ici qu'apr\`es m'\^etre assur\'e que vous y restiez avec moi.\\
~~~Mariette. Eh bien, vous en avez de l'astuce!\\
\\
astuce~~~奸計、悪巧み\\
\\
~~~Gu\'eridon, Oui. Je vous avoue que cela me surprend moi-m\^eme. Je suis un gaillard d'une seule pi\`ece et la ruse n'est pas dans ma nature. mais voil\`a tout ce que vous trouvez \`a me dire? Que j'ai de l'astuce! Vous n'\^etes pas un peu touch\'ee?\\
\\
gaillard~~~屈強な男\\
\\
~~~Mariette, (interdite.) Si ...\\
\\
interdite~~~どぎまぎして\\
\\
~~~Gu\'eridon, (minaudant.) Vous ne trouveriez pas \`a l'occasion, vous, le moindre soup\c{c}on d'astuce pour passer quelques heures de camaraderie avec votre ami Tony Gu\'eridon?\\
\\
minaudant~~~作り笑いをする\\
\\
~~~Mariette, (\'eludant la question.) Oh! moi, je ne saurais jamais m'y prendre comme vous!\\
~~~Gu\'eridon. Avec \c{c}a! Si vous aviez bien envie d'\^etre avec moi ... Si je devenais pour vous un peu plus qu'un ami.\\
~~~Mariette. Vous le souhaiteriez varaiment?\\
~~~Gu\'eridon. Mariette! Il est impossible que vous n'ayez pas senti combien vous me plaisez! Quand nous sortons ensemble, que je serre votre bras, que je vous murmure \`a l'oreille toutes sortes de petites b\^etises bien tendres, et que vous souriez sans r\'epondre, est-ce que nous n'avons pas l'air de deux amoureux? Et quand je tiens cette petite main-l\`a dans le m\'etro ou dans l'autobus, vous ne la retirez pas! (Il lui a pris et lui caresse la main.)\\
~~~Mariette, (\'etonn\'ee.) C'est vrai. (Elle d\'egage lentement sa main.) Mais je trouve tout \c{c}a gentil, sans y attacher d'importance! Je me dis que ce sont l\`a vos mani\`eres habituelles, votre fa\c{c}on d'\^etre galant. Je me souviens que ma soeur a dit une fois, bien avant que je vous connaisse, que vous \'etiez entreprenant avec toutes les femmes.\\
~~~Gu\'eridon. Oh! Quelle erreur! Voulez-vous que je vous dise? Eh bien, en g\'en\'eral, ce sont les femmes qui me font de la coquetterie et de la provocation. Je vous jure! Et j'ai horreur de \c{c}a. D\`es qu'une femme se met \`a courir apr\`es moi, elle me devient insupportable; je prends de la distance. Mais naturellement, je me d\'erobe en douceur avec le souci de ne pas blesser ni faire affront. Alors, bien s\^ur, on peut avoir l'impression que c'est moi qui ai commenc\'e.\\
~~~Mariette. Vous devez en conna\^itre, des femmes?\\
~~~Gu\'eridon. Evidemment, j'en ai rencontr\'e quelques-unes.\\
~~~Mariette. De beaucouop plus jolies, de beaucoup plus attrayantes que moi.\\
~~~Gu\'eridon. Erreur, puisque c'est vous qui m'attirez.\\
~~~Mariette. Vous ne me connaissez pas encore bien, alors vous imaginez ...\\
~~~Gu\'eridon, (l'interrompant avec emphase.) Je vous connais plus que vous ne le croyez, Mariette. Et ne peut-on pr\'ef\'erer une fleur \`a toutes les autres, \`a l'instant m\^eme o\`u on l'aper\c{c}oit? (Il observe Mariette, avec la satisfaction du charmeur. Elle demeure un instant songeuse et un petit rire silencieux la secoue.) Pourquoi riez-vous?\\
~~~Mariette. Je pense comme tout est nouveau, inattendu pour moi depuis un mois. J'en suis tout \'etourdie. Je ne sais plus o\`u j'en suis.\\
~~~Gu\'eridon. Vous m'avez d\'ej\`a dit \c{c}a hier en dansant. Et comme hier, je vous r\'ep\`ete: Ne vous en faites pas! Laissez-vous guider! Et vous, dites-moi, vous avez connu, fr\'equent\'e beaucouop d'hommes?\\
~~~Mariette. Fr\'equent\'e comment?\\
~~~Gu\'eridon. Enfin, avez-vous \'et\'e aim\'ee, avez-vous aim\'e plusieurs fois?\\
~~~Mariette. Non. Il n'y a eu que mon mari.\\
~~~Gu\'eridon. Ce n'est pas votre mari.\\
~~~Mariette. Mais si, nous \'etions mari\'es librement: depuis quatre ans.\\
~~~Gu\'eridon, (riant.) On ne peut pas appeler \c{c}a \^etre mari\'e. Pourquoi n'\^etes-vous pas all\'es \`a la mairie!\\
~~~Mariette. Ce n'\'etait pas dans ses id\'ees. Il disait que notre union ne regardait absolument personne d'autre que nous. Il trouvait honteux qu'un homme et une femme demandent au Gouvernement la permission de s'aimer.\\
~~~Gu\'eridon, (p\'edant) Il ne s'agit pas de permission, mais de garantie l\'egale, d'engagements r\'eciproques.\\
\\
p\'edant~~~ポーズを作る、学者ぶる\\
\\
~~~Mariette. On ne garantit pas l'amour et la confiance. Pour \c{c}a, moi, je pensais un peu comme lui!\\
~~~Gu\'eridon, (apitoy\'e.) Bien s\^ur, bien s\^ur! Il vous a fait penser comme lui, pour vous donner l'illusion d'\^etre mari\'ee.\\
~~~Mariette. Ce n'\'etait pas une illusion.\\
~~~Gu\'eridon. Et ... vous avez \'et\'e tr\`es \'epris l'un de l'autre?\\
~~~Mariette, (g\^en\'ee.) Sans \c{c}a nous ne nous serions pas mari\'es.\\
~~~Gu\'eridon. Et maintenant?\\
~~~Mariette. Vous savez bien ...\\
~~~Gu\'eridon. Vous ne l'aimez plus du tout?\\
~~~Mariette. Je le d\'eteste. Je ne lui pardonne pas de m'avoir tromp\'ee.\\
~~~Gu\'eridon. Ah! Il ne se contentait pas de boire, d'\^etre brutal et grossier, il vous trompait?\\
~~~Mariette. Il ne buvait pas. L\`a-dessus, L\'eontine et Andr\'e se trompent. Et il ne m'a jamais brutalis\'ee. Il s'emporte, il a des violences de langage, des col\`eres d'orgueil, \c{c}a oui.\\
~~~Gu\'eridon. Mais il vous trompait?\\
~~~Mariette, (assombrie.) Je n'ai pas voulu dire qu'il me trompait avec une autre, mais qu'il m'a menti, tromp\'e sur ce qu'il gagnait. Il m'a toujours laiss\'e croire qu'il ne recevait qu'un salaire de manoeuvre; et quand je suis all\'ee \`a l'usine chercher sa derni\`ere paye, on m'a remis presque le double de ce que je m'attendais \`a toucher. J'ai cru qu'il y avait erreur, mais le caissier m'a dit que c'\'etait la paye habituelle d'Henri, celle de toutes les semaines depuis qu'il \'etait dans l'usine.\\
~~~Gu\'eridon. Et vous ne vous \'etiez jamais dout\'ee de rien?\\
~~~Mariette. Je croyais qu'il gardait seulement pour lui un peu d'argent de poche. Tout de m\^eme, je m'\'etonnais parfois de le voir gagner si peu! Un ouvrier comme lui! Vous savez c'est un homme qui sait tout faire et qui est tout le contraire d'un paresseux. Mais il s'irritait quand je le questionnais. Il disait que si je n'avais pas confiance en lui, je n'avais qu'\`a m'en aller.\\
~~~Gu\'eridon. Bravo! C'est ce que vous avez fait!\\
~~~Mariette, (am\`ere.) J'avais confiance en lui. C'est surtout pour \c{c}a que je lui en veux.\\
~~~Gu\'eridon. Qu'en faisait-il de son argent? S'il ne buvait pas, il jouait, ou il avait une liaison, voyons.\\
~~~Mariette. C'est ce que disent L\'eontine et Andr\'e. (La gorge serr\'ee.) Je ne peux tout de m\^eme pas le croire.\\
~~~Gu\'eridon, (l'enla\c{c}ant \`a l'\'epaule.) Allons, mon petit, \c{c}a ne doit plus vous \'emouvoir puisque c'est fini! Vous ne l'aimez plus!\\
~~~Mariette, (volontairement.) Non! (Un temps.) Et puis ce qu'il m'a fait! Cette jardini\`ere. Je lui ai dit et r\'ep\'et\'e comme j'\'etais heureuse de l'avoir! Il s'en est fichu pas mal! Et les coquillages! Ce qu'ils pouvaient repr\'esenter pour moi!\\
\\
Il s'en est fichu pas mal!~~~不明\\
\\
~~~Gu\'eridon, (intrigu\'e.) Qu'est-ce qu'ils repr\'esentaient pour vous?\\
~~~Mariette. Eh bien! la mer. Les merveilles, les bijoux de la mer. Vous allez peut-\^etre vous moquer de moi, je m'imaginais d\'ej\`a les avoir ramass\'es moi-m\^eme, en marchant dans l'\'ecume. Et puis j'aurais aim\'e les regarder un \`a un, de tout pr\`es. je ne peux pas vous expliquer.\\
~~~Gu\'eridon. Quelle petite gosse vous \^etes!\\
~~~Mariette. Vous me trouvez b\^ete?\\
~~~Gu\'eridon. Mais non, c'est gentil comme tout! Ecoutez, enfant ch\'erie, ne les pleurez plus, vos coquillages. Je vais vous faire exp\'edier les m\^emes. Je saurai demain o\`u votre soeur les a achet\'es.\\
\\
exp\'edier~~~送る、発送する\\
\\
~~~Mariette, (riant.) Elle ne les a pas achet\'es!\\
~~~Gu\'eridon. Si. Elle les a achet\'es pour vous et pour son moutard. Je les ai vus ici. Il y avait deux petits filets verts, identiques, remplis de coquillages et chaque filet portait l'\'etiquette d'un bazar de Saint-Malo.\\
\\
moutard~~~ちびども\\
filets~~~網\\
\\
~~~Mariette. L\'eontine ne les a as ramass\'es?\\
~~~Gu\'eridon. Elle n'en aurait jamais trouiv\'e d'aussi jolis. Ceux qu'on vend sur les plages, les nacr\'es, ce sont les p\^echeurs qui les trouvent dans les filets qu'ils tra\^inent au fond de la mer.\\
nacr\'es~~~真珠のような光沢のある\\
\\
~~~Mariette, (cachant mal sa d\'eception.) Elle m'avait dit qu'elle les avait ramass\'es.\\
~~~Gu\'eridon. J'ai gaff\'e. Mme Titine a voulu vous \'epater. Gardez \c{c}a pour vous. Notez qu'entre nous, je trouve bien plus chic de sa part de vous avoir achet\'e des coquillages de qualit\'e que d'avoir ramass\'e n'importe quels bigorneaux sur la plage.\\
\\
gaff\'e~~~へまをやる\\
\'epater~~~びっくりさせる\\
bigorneaux~~~(貝)タマキビ、巻貝の総称\\
\\
~~~Mariette, (sans conviction.) Peut-\^etre.\\
~~~Gu\'eridon. Seulement ceux que je vous donnerai, vous ne devrez pas savoir d'o\`u ils viendront. Je trouverai quelque chose. Je les tiendrai du p\`ere No\"el.\\
~~~Mariette. Je ne veux pas que vous m'en donniez; d'abord qu'est-ce que j'en ferais? Je n'ai plus de chez moi.\\
~~~Gu\'eridon. Vous en aurez un t\^ot ou tard.\\
~~~Mariette, (soupirant.) Je l'esp\`ere.\\
~~~Gu\'eridon. Parlons un peu s\'erieusement, ma petite Mariette. Confiez-vous \`a moi comme \`a votre meilleur ami, que je suis! Que je suis! O\`u en \^etes-vous? Quels sont vos projets?\\
~~~Mariette. Je ne peux gu\`ere en faire avant d'avoir trouv\'e du travail.\\
~~~Gu\'eridon. Mais ... Tabaroux sait que vous avez r\'esolu de le quitter?\\
~~~Mariette. Pas encore.\\
~~~Gu\'eridon. Il y a longtemps que vous auriez d\^u le lui \'ecrire, voyons!\\
~~~Mariette. Je pr\'ef\`ere le lui dire. J'irai \`a Fresnes samedi prochain.\\
~~~Gu\'eridon. Quelle id\'ee! C'est plus facile et moins p\'enible d'\'ecrire ces choses-l\`a que de les dire!\\
~~~Mariette. Pas pour moi et pas avec lui. Et puis \`a la prison, ils ouvrent les lettres.\\
~~~Gu\'eridon. Qu'est-ce que \c{c}a peut vous faire?\\
~~~Mariette, (\'etonn\'ee.) Voyons! \c{C}a m'emp\^eche, \c{c}a m'interdit de lui \'ecrire des choses qui ne regardent personne que lui, qui sont contre lui. Je lui en veux, mais je n'irais pas le dire au directeur de la prison, pas plus que je ne l'ai dit que juge.\\
~~~Gu\'eridon. Eh bien, vous \^etes magnanime! Et quand vous lui annoncerez \c{c}a, s'il vous r\'epond qu'il veut vous garder, qu'il vous gardras de gr\'e ou de force?\\
\\
magnanime~~~寛大な\\
de gr\'e~~~進んで\\
\\
~~~Mariette. Il ne le fera pas. M\^eme s'il me regrette, il ne le fera pas. (Un temps.)\\
~~~Gu\'eridon. ... Ce qui m'\'etonne, c'est que, d\'ej\`a, vous soyez all\'ee le voir en prison.\\
~~~Mariette. J'y suis all\'ee, oui. L\'eontine et Andr\'e ne voulaient pas. Ils \'etaient furieux. Moi, j'ai pens\'e que si je n'allais pas le voir personne d'autre n'irait.\\
~~~Gu\'eridon. Et alors cette visite?\\
~~~Mariette. D\'es que je lui ai fait des reproches et pos\'e des questions, il est remont\'e sur ses grands chevaux. Il m'a trait\'ee de pauvre moustique.\\
~~~Gu\'eridon. Charmant!\\
~~~Mariette. Il m'a dit: j'allais te donner des explications, pauvre moustique; mais puisque tu en as d\'ej\`a trouv\'e toi-m\^eme, eh bien, tu ne sauras rien du tout. (Pr\^ete \`a pleurer.) Et il a eu le toupet de me dire que, s'il faisait de la prison, s'\'etait ma faute.\\
\\
toupet~~~厚かましさ\\
\\
~~~Gu\'eridon. Mariette! ma ch\`ere petite enfant, oubliez tout cela. (Emphatique.) Je ne peux pas voir vos beaux yeux s'embrumer de tristesse! Si j'ai r\'eveill\'e en vous ces mauvais souvenirs c'\'etait avec l'espoir de vous en d\'elivrer. Il fallait bien que je sache s'il m'\'etait vraiment possible de vous secourir, de r\'econforter votre petit coeur, d'y faire fleurir les joies les plus douces, vous comprenez?\\
\\
embrumer~~~霧で包む\\
\\
~~~Mariette, (souriant.) Oui.\\
~~~Gu\'eridon, (pressant.) Laissez-moi vous dorloter, laissez-moi vous aimer. Vous n'avez certainement pas id\'ee de ce que peut \^etre la tendresse d'un homme pour une femme.\\
~~~Mariette, (avec m\'elancolie.) Oh si ...\\
~~~Gu\'eridon. Non, Mariette. Vous ne savez pas ce que c'est qu'un homme qui conna\^it la femme, en po\`ete et en psychologue, qui sait r\'epondre \`a toutes les exigences de la sensibilit\'e f\'eminine. Vous n'avez jamais \'et\'e combl\'ee d'\'egards, de petits soins, de pr\'evenances.\\
\\
combl\'ee~~~埋める、いっぱいにする\\
pr\'evenances~~~心づかい\\
\\
~~~Mariette. Qu'en savez-vous?\\
~~~Gu\'eridon. Je le vois bien \`a votre surprise, \`a votre joyeuse confusion, ma petite ch\'erie, lorsque j'observe avec vous la plus \'el\'ementaire des galanteries! Dites! Laissez-moi vous aimer! Laissez-moi tenter de faire de vous une petite Mariette heureuse! Je parie que j'y r\'eussis! (Il baise la main de Mariette avec insistance.)\\
~~~Mariette. O\`u cela nous m\`enera-t-il?\\
~~~Gu\'eridon. Aussi loin que nous le voudrons, Mariette, aussi loin que vous le voudrez. Pouvons-nous raisonnablement parler d'avenir avant d'avoir tent\'e l'exp\'erience du bonheur? Je vous demande une confiance que vous pourriez plus mal placer, je vous l'assure, que vous avez, une fois d\'ej\`a, beaucoup plus mal plac\'ee.\\
~~~Mazriette. Pour ce qui est du pass\'e, de mon pass\'e, ne m'en parlez pas, je vous prie. Il ne vous est pas si facile de le comprendre.\\
~~~Gu\'eridon, (l'arr\^etant.) Oui, vous avez raison! Vous avez mille fois raison! Je vous demande pardon. Un pass\'e aussi proche, aussi p\'enible, je ne vous en parlerai plus. Je ne me permettrai pas de le juger. Eh! j'ai manqu\'e de tact! Savez-vous ce que \c{c}a prouve? Que je suis amoureux. Un amoureux n'a plus de contr\^ole sur soi-m\^eme. Vous ne m'en voulez pas?\\
~~~Mariette. Non. Vous \^etes tr\`es gentil. Tr\`es bon. Je vais penser tout le temps maintenant \`a ce que vous m'avez dit.\\
~~~Gu\'eridon. C'est notre secret, dites?\\
~~~Mariette. Bien s\^ur.\\
~~~Gu\'eridon. C'est bon d'avoir un secret tous les deux. (Mariette, songe.) A quoi pensez-vous?\\
~~~Mariette. A rien.\\
~~~Gu\'eridon. Si, vous \^etes assombrie, brusquement. Qu'y a-t-il?\\
~~~Mariette. Je pensais que vous \^etes quelqu'un d'instruit, un po\`ete, que vous avez une situation, tandis que moi ...\\
~~~Gu\'eridon, (protestant.) Oh!\\
~~~Mariette, (poursuivant.) J'ai quitt\'e l'\'ecole \`a treize ans pour entrer en apprentissage comme brocheuse et depuis ...\\
\\
brocheuse~~~ブロケード職工\\
\\
~~~Gu\'eridon. Depuis, vous \^etes devenue une petite femme adorable, vous avez un attrait, un charme tout ce qu'il y a de personnel, si, si, je vous jure. Il y a en vous une esp\`ece de puret\'e ... Vous \^etes une Muse. Je ne saurais mieux dire: pour un po\`ete, vous \^etes le type m\^eme de la Muse.\\
\\
attrait~~~魅力\\
\\
~~~Mariette. La Muse, qu'est-ce que c'est au juste?\\
~~~Gu\'eridon. C'est l'inspiratrice, celle que l'on chante et pour qui l'on chante, celle dont un seul baiser a le pouvoir de provoquer, d'exalter le g\'enie du po\`ete. Tenez, place du Th\'e\^atre-Fran\c{c}ais, il y a une admirable statue d'Alfred de Musset. Il est accabl\'e, malade, et vous voyez sa Muse qui se penche sur lui pour le r\'econforter, pour lui donner envie, non plus de vomir l'existence, mais de la chanter. Je vous montrerai \c{c}a. Et puis, dites donc, ma petite Mariette, ne croyez pas que vous allez redevenir une ouvri\`ere brocheuse. (Myst\'erieux.) Je sais des choses! On fait, dans cette maison, des projets qui vous concernent.\\
~~~Mariette, (avec un \'etonnement mal feint.) Des projets?\\
~~~Gu\'eridon. Ecoutez, je veux que vous appreniez par moi ce que votre soeur et Bichat ne veulent pas vous dire encore et qu'ils m'ont confi\'e. Il y a quelques mois Titine et Andr\'e ont fait un h\'eritage.\\
~~~Mariette, (surprise.) Un h\'eritage? Vous \^etes s\^ur?\\
~~~Gu\'eridon. Oui, d'un parent de Bichat, un oncle, un cousin, je ne sais plus. Il leur revient une somme assez importante, puisqu'elle permet \`a Titine d'envisager l'ouverture d'un petit magasin, dans ce quartier; il s'agit d'un commerce de parfumerie, d'articles de toilette. Elle a d\'ej\`a travaill\'e l\`a-dedans.\\
~~~Mariette. Oui.\\
~~~Gu\'eridon. Alors, \^o Mariette, elle va vous demander de tenir ce magasin avec elle. Vous le tiendriez m\^eme toute seule, quand vous seriez au courant, ce qui permettrait \`a Titine de s'occuper de son gosse. Elle le reprendrait avec elle, vous sasissez?\\
~~~Mariette. Oui.\\
~~~Gu\'eridon. Vous ne trouvez pas \c{c}a \'epatant?\\
~~~Mariette. Oh! si ...\\
~~~Gu\'eridon. Vous aurez votre soeur pour patronne. Vous finirez par tenir \`a peu pr\`es seule votre petite boutique parfum\'ee. Il s'agit d'un commerce agr\'eable, presque enti\`erement consacr\'e \`a la coquetterie, \`a la toilette f\'eminine. Et alors, et alors, je viendrai bavarder avec vous, apr\`es le bureau. Je vous aiderai \`a faire votre vitrine. C'est un travail de po\`ete. J'alignerai comme des vers, comme des couplets, les b\^atons de rouge, les bo\^ites \`a poudre, les savons, les dentifrices! (Mariette amus\'ee \'eclate de rire.) Et puis, dites, au fond du magasin, ou audessus, vous aurez un petit chez-vous. (Il la serre de pr\`es.) Un petit chez-vous qui finira, qui sait? par devenir un petit chez-nous ... C'est l\`a que je vous chanterai mes chansons. Vous les conna\^itrez avant tout le monde ... (Elle le regarde un peu troubl\'ee, puis baisse la t\^ete. Il l'embrasse dans les cheveux, sur la tempe, sans qu'elle s'en d\'efende.) Vous voyez, je disais tout \`a l'heure qu'il ne fallait pas parler d'avenir, et j'en parle tout de m\^eme. C'est plus fort que moi. Mais n'oubliez pas que j'ai promis \`a Andr\'e le plus grand secret sur tout cela.\\
~~~Mariette. Si vous le lui avez promis, ce que vous faites n'est pas tr\`es bien.\\
~~~Gu\'eridon. Si, mon petit chat, c'est tr\`es bien parce que j'ai confiance en vous, parce que, vous sentant inqui\`ete, incertaine du lendemain, je ne pouvais pas ne pas vous rassurer. Et puis cela nous rapproche un peu plus l'un de l'autre. Mariette! Regardez-moi! (Elle l\`eve un instant son regard en souriant, il l'attire \`a lui et tente de l'embrasser. Elle se d\'erobe et se l\`eve.)\\
~~~Mariette, (avec fermet\'e.) Non. Il ne faut pas.\\
~~~Gu\'eridon, (la poursuivant.) Si! Mariette!\\
~~~Mariette, (se d\'egageant.) Non. Pas encore.\\
~~~Gu\'eridon, (suppliant.) Pourquoi?\\
~~~Mariette. Parce que mon mari ne sait pas encore que je le quitte. C'est seulement quand je le lui aurai dit que je serai libre. Pour lui dire cela comme il faut, comme je veux, il ne faut pas que j'aie \'et\'e d\'ej\`a embrass\'ee par un autre, par vous. N'allez pas vous imaginer que si vous m'embrassiez aujourd'hui, votre baiser serait effac\'e dans huit jours.\\
~~~Gu\'eridon. D\'ecid\'ement, vous \^etes quelqu'un! Ah! vous \^etes \'epatante. Je suis tout \'emu de l'importance que vous donnez \`a ce premier baiser! Moi non plus, allez, je ne l'aurais pas oubli\'e de si t\^ot! Et comme votre scrupule est chic! dans son exag\'eration m\^eme.\\
~~~Mariette. Ce n'est pas un scrupule. Chacun fait selon sa nature.\\
~~~Gu\'eridon, (la tenant aux \'epaules.) Il n'y a pas deux comme vous! Ah! si vous ne voulez pas que je vous embrasse quand m\^eme sauvez-vous! Courez vite chercher votre chapeau. Il ne sera pas dit que vous aurez fait appel en vain \`a la noblesse de mes sentiments. Je pensais vous faire danser, vous tenir dans mes bras comme hier soir. Nous aurions mis un disque, une valse; mais non! Pas maintenant; ce soir, avec les autres. Vite, Mariette, mettez votre chapeau, allons voir \textit{Les amants du Glacier}! (Il la suit des yeux tandis qu'elle sort en riant.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau.)\\



















}
\end{document}