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\begin{document}
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\baselineskip=1cm
{
~~~~~~~~~~~~~~~~~Trois Mois de Prison\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Com\'edie en quatre actes de Charles Vildrac \\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~Personnages\\
Henri Tabaroux, ouvrier aff\^uteur, 28 ans. ~~~MM. Gil Roland.\\
Andr\'e Bichat, employ\'e d'administration~~~Charles Castelain.\\
Tony Gu\'eridon, coll\`egue de Bichat et po\`ete chansonnier, 30 ans.
~~~Pierre Jourdan.\\
Un gardien de prison. Serge Vadis.\\
Premier agent. ~~~Jean Clermont.\\
Deuxi\`eme agent.~~~Serge Vadis.\\
Mariette, femme de Tabaroux, 23 ans.~~~Mmes Denise Bosc.\\
L\'eontine, \'epouse de Bichat, 28 ans.~~~H\'el\`ene Tossy.\\
Madame Colbot, 60 ans.~~~Marguerite Fontanes.\\
Mlle Ang\`eles, 40 ans.~~~Louise Nowa.\\
\\
Cette pi\`ece a \'et\'e repr\'esent\'ee pour la premi\`ere fois \`a
Paris, au Th\'e\^atre Monceau, le 23 f\'evrier 1942.\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Act 1\\
(La sc\`ene repr\'esente un humble int\'erieur, celui des
Tabaroux. La fen\^etre, au fond, grande ouverte, donne
sur la rue, qui est une rue de quartier ouvrier \`a Saint-Ouen.
De sorte qu'on aper\c{c}oit les \'etages sur\'erieurs
de l'immeuble d'en face.)\\
~~~(Table ronde, modeste buffet \`a \'etag\`ere, chaises cann\'ees,
murs \`a peu pr\`es nus.)\\
~~~(Porte d'entr\'ee \`a gauche. A droite, deux portes.
L'une, au fond, est vraisemblablement celle de la
chambre \`a coucher.)\\
~~~(L'autre, au premier plan, demeure ouverte sur un
r\'eduit servant de cuisine.)\\
~~~(Au lever du rideau, Mariette ach\`eve d'\'eplucher des
pommes de terre. Il y a sur la table un panier d'osier
\`a anse et, sur un journal ouvert, des \'epluchures.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 1\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Mariette, (seule.) \\
~~~Mariette, (Elle enveloppe les \'epluchures
dans le journal et les
porte \`a la cuisine ainsi que le panier. Ce faisant, elle
chante lentement et avec d\'electation.)\\
~~~~~Quand le soleil descendra sur la plaine ...\\
~~~~~Nanana, nanana-a ...\\
~~~~~La chanson des bl\'es d'or ...\\
~~~(Elle revient de la cuisine avec un torchon et reprend
tout en essuyant la table.)\\
~~~~~Quand le soleil descendra sur la plaine\\
~~~(Ayant essuy\'e la table, elle se dirige de nouveau vers
la cuisine, son torchon \`a la main, mais s'immobilise en
chemin, r\^eve et au lieu de chanter, d\'eclame doucement
une improvisation en dodelinant de la t\^ete.)\\
~~~~~Quand le soleil descendra sur la plaine\\
~~~~~Le vent, le doux vent du soir\\
~~~~~Lui portera le chanson des bl\'es d'or.\\
~~~(On frappe. Elle tressaille, court \`a la cuisine pour y
d\'eposer son torchon et va ouvrir, \`a gauche. L\'eontine
entre en robe et chapeau d'\'et\'e, portant un sac \`a provision
en toile.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~Mariette, et L\'eontine.\\
~~~Maritte. Oh! L\'eontine! D\'ej\`a? \c{C}a c'est gentil.
(Elles s'embrassent.) Depuis quand \^etes-vous rentr\'es?\\
~~~L\'eontine, (posant son sac sur une chaise.) Avant-hier.
Andr\'e devait \^etre \`a son bureau hier matin.\\
~~~Mariette. Ce que tu as bonne mine! Tu es toute brunie.
Assieds-toi! Andr\'e? Il a bien profit\'e aussi? \\
~~~L\'eontine, (s'asseyant.) Comment
donc! Il a engraiss\'e d'un kilo et demi.\\
~~~Mariette. Et le petit? C'est dommage que vous ne l'ayez
pas emmen\'e.\\
~~~L\'eontine. J'ai \'et\'e le voir hier. Il est magnifique.
L'emmener? \c{C}'aurait \'et\'e de la folie. Qu'est-ce que j'en
aurais fait, l\`a-bas! Il est encore trop petit pour
jouer sur une plage, il n'est pas habitu\'e \`a moi, il
nous aurait paralys\'es. Il \'etait bien mieux \`a Joinville
avec sa nounou qui l'aime beaucoup, qui l'installe
dans le jardin et qui le couche aux heures qu'il faut.
Aller en vacances, \`a l'h\^otel, avec un b\'eb\'e, non!\\
~~~Mariette, (avide.) Alors raconte!
C'\'etait beau? Vous \'etiez bien?\\
~~~L\'eontine, (volubile.) Admirablement! Nous pouvons remercier le
coll\`egue d'Andr\'e qui nous a indiqu\'e cette pension!
C'est s\^urement l'une des meilleures de Saint-Malo.
D'ailleurs elle a ses habitu\'es. Nous \'etions avec des
gens tr\`es bien, qui reviennent tous les ans: un
professeur, sa dame et ses enfants, des employ\'es
au chemin de fer, des commer\c{c}ants de Rennes ...\\
~~~Mariette. Et la mer? Le pays?\\
~~~L\'eontine. Le pays est extraordinaire! Tu as re\c{c}u mes
cartes?\\
~~~Mariette. Oui, merci! Tu vois, elles sont toutes les trois
sur le buffet. (Elle va au buffet o\`u les cartes sont
expos\'ees, sur l'\'etag\`ere, et en prend une colori\'ee.) Alors,
la mer est vraiment de ce bleu-l\`a?\\
~~~L\'eontine. Exactement: quand il fait beau. D'ailleurs, hein,
c'est photographi\'e!\\
~~~Mariette. C'est \`a ne pas croire!\\
~~~L\'eontine. Et quand elle se retire, la mer, tu peux aller \`a
pied sec sur ces rochers, sur ces \^iles. C'est sur l'une
d'elle que Ch\^ateaubriand est enterr\'e. Tu as la carte
du tombeau?\\
~~~Mariette. Oui ... (Un temps.) Quand la mer se retire! Voil\`a
ce que je n'arrive pas \`a me repr\'esenter. On peut
aller au fond?\\
~~~L\'eontine. Ce n'est pas un fond, c'est la plage qui se prolonge,
se d\'ecouvre peut-\^etre d'un kilom\`etre. Andr\'e
t'expliquera, sur ses photos. Et alors, \`a mar\'ee basse,
tu trouves toutes sortes de choses. A propos, ma
petite Mariette! (Elle atteint son sac.) Je t'ai rapport\'e
ce que tu m'as demand\'e.\\
~~~Mariette, (avec une joie d'enfant.) Des
coquillages?\\
~~~L\'eontine, (tenant le sac ferm\'e sur ses genoux.) Des
coquillages. J'en ai ramass\'e des quantit\'es.
Apr\`es j'ai fait un choix pour toi. Il y en a de tr\`es
rares.\\
~~~Mariette. Montre vite!\\
~~~L\'eontine. Attends, gosse que tu es. J'ai voulu te rapporter
autre chose, un souvenir de valeur. Je t'ai achet\'e ...
(Elle tire un paquet de son sac et le d\'efait.) Tu vas
voir \c{c}a, ma petite! J'ai mis les coquillages dedans,
mais le vrai cadeau, le voil\`a: une jardini\`ere bretonne.
Tiens! Je l'ai trouv\'ee \`a Saint-Malo, mais c'est fait
\`a Quimper; c'est du vrai Quimper, estampill\'e.
(Elle pose sur la table une jardini\`ere en fa\"ience de
quimper remplie de coquillages.)\\
~~~Mariette, (\'emerveill\'e.) Oh! (Elle
contemple l'objet, interdite, puis embrasse
L\'eontine.) \'Ecoute, Titine, tu n'es pas raisonnable!
Si je m'attendais ... !\\
~~~L\'eontine. Est-ce qu'elle te pla\^it? Moi, je trouve \c{c}a
d'un artistique et d'un original! J'en ai rapport\'e une
pour moi.\\
~~~Mariette. Ce que c'est joliment d\'ecor\'e! Les couleurs
chantent sur le fond blanc. Oh! je te remercie!
Et les coquillages! Comme il y en a! Quelle
merveille, celui-l\`a! Et celui-l\`a! Et ce petit bijou!\\
~~~L\'eontine. Vide la jardini\`ere sur la table pour les voir tous!\\
~~~Mariette, (vidant la jardini\`ere.) Oui,
et je les remettrai, elle est faite pour eux!\\
~~~L\'eontine. Non, voyons! Dans une jardini\`ere on met
toujours de la mousse et des fleurs.\\
~~~Mariette. Ah! encore, oui. Et je la mettrai au milieu de
la table ou sur le buffet.\\
~~~L\'eontine. Elle ferait bien sur la table, mais avec un tapis.
Qu'as-tu fait du tapis que t'a donn\'e tante Anna?\\
~~~Mariette. Il est dans la placard de la chambre.\\
~~~L\'eontine. Pourquoi? Il est trou\'e, br\^ul\'e?\\
~~~Mariette. Pas du tout, mais Henri n'aime pas que je le
mette.\\
~~~L\'eontine, (agressive.) Parce que c'est tante Anna qui
te l'a donn\'e?\\
~~~Mariette. Il pr\'etend qu'elle me l'a donn\'e parce qu'elle
n'en voulait plus. Et puis il a ses id\'ees, tu sais.
Il dit que si une table est en bois on doit voir le
bois, ne pas le d\'eguiser ni l'\'etouffer. Dans un sens ...\\
~~~L\'eontine, (l'interrompant, dans un soupir.) Ah! celui-l\`a!
Au fait, je ne t'ai pas demand\'e
de ses nouvelles. Il se porte bien, oui?\\
~~~Mariette, (elle admire les coquillages et continuera au cours des
r\'epliques suivantes.) Oui.\\
~~~L\'eontine. A l'usine \c{c}a va?\\
~~~Mariette. Il faut bien. (Consultant du regard un r\'eveil pos\'e
sur le buffet.) Je pense que tu vas le voir. Il pourrait
\^etre d\'ej\`a l\`a.\\
~~~L\'eontine, (malveillante.) Ah! il pourrait! ...\\
~~~Mariette. Tu sais, avant de sortir de l'usine, il se lave,
change de v\^etements et apr\`es il rentre en se promenant.
Il a besoin de respirer autre chose que la
poussi\`ere d'\'emeri et de limaille.\\
~~~L\'eontine. Il aura des vacances pay\'ees?\\
~~~Mariette. Pas beaucoup. Il y a trop peu de temps qu'il
travaille l\`a. Il aura peut-\^etre huit jours.\\
~~~L\'eontine. Quand?\\
~~~Mariette. En septembre.\\
~~~L\'eontine. Que ferez-vous (geste \'evasif de Mariette). Vous
resterez ici, naturellement.\\
~~~Mariette. On ira tous les jours \`a la p\^eche.\\
~~~L\'eontine. Au pont de Charenton?\\
~~~Mariette. Un peu partout. Nous resterons deux ou trois
jours \`a Juvisy, o\`u la m\`ere d'un camarade d'Henri
peut nous louer une chambre.\\
~~~L\'eontine. A la p\^eche! Des journ\'ees enti\`eres. Ce sera gai
pour toi qui ne p\^eches pas.\\
~~~Mariette. Oh! tu sais, je ne m'ennuie pas, \`a la p\^eche. Je
peux rester des heures assise au bord de l'eau, \`a
regarder.\\
~~~L\'eontine. A regarder quoi?\\
~~~Mariette. Tout. L'eau, les plantes, les arbres, le bateaux
qui passent.\\
~~~L\'eontine. Quelle rigolade!\\
~~~Mariette. Au bord de l'eau, je me sens bien.\\
~~~L\'eontine. Entre nous, je ne comprends pas qu'Henri n'ait
jamais trouv\'e le moyen de t'emmener quleques
jours \`a la mer. Quand je pense que tu ne la connais
pas!\\
~~~Mariette. Voyons, Titine, il ne peut pas! Nous ne
pouvons pas.\\
~~~L\'eontine. Allons donc! Je lui ai dit vingt fois qu'il y a
des billets \`a prix r\'eduit, des trains de plaisir et des
plages tr\`es bon march\'e, surtout en septembre.
Dieppe est \`a trois heures de Paris. Ton mari est
comme tous les ouvriers; il doit gagner autant ou
plus qu'un employ\'e. N'emp\^eche que vous avez
toujours l'air mis\'erables.\\
~~~Marette. Je t'en prie, L\'eontine! Tu me r\'ep\`etes toujours
cela!\\
~~~L\'eontine. Parce que \c{c}a me fait de la peine pour toi,
Mariette. Si vraiment Henri gagne si peu, tout
malin qu'il se pr\'etende, tu pourrais gagner un peu,
toi, comme avant.\\
~~~Mariette. Il ne veut plus. Il dit qu'il y a bien assez d'ouvrage
\`a la maison et que si le petit est mort, c'est parce
que j'\'etais en atelier lorsqu'il est venu au monde.\\
~~~L\'eontine. C'est idiot. Moi aussi je travaillais quand j'ai eu
Raymond. Si ton mari veut que tu restes \`a la maison,
alors qu'il te donne un peu de bien-\^etre! Tu ne
nous \^oteras pas de l'id\'ee, \`a Andr\'e et \`a moi, qu'il
boit au moins le quart de sa paye.\\
~~~Mariette. Mais non, il ne boit pas!\\
~~~L\'eontine. Alors, il doit jouer! Voyons, tu m'as dit
toi-m\^eme ...\\
~~~Mariette, (dressant l'oreille et faisant une brusque diversion)
Oh, j'entends Mme Colbot qui rentre chez elle.
Il faut que je lui montre ma belle jardini\`ere. Tu
permets? Je vais l'appeler.\\
~~~L\'eontine. Si tu veux, mais tu as bien le temps de la lui
montrer.\\
~~~Mariette, (allant \`a la porte, joyeusement.)
J'ai envie de la montrer tout de suite \`a quelqu'un.
Et puis, Mme Colbot sera contente de te voir!
(Elle sort, laissant la porte ouverte, on l'entend apr\`es
un instant.) Venez aussi, mademoiselle Ang\`ele,
venez voir!\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Entrent Mademoiselle Ang\`ele, \\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Madame Colbot, puis Mariette. \\
~~~Mariette, (pr\'esentant Mlle Ang\`ele \`a L\'eontine.) Voil\`a
mon autre voisine de palier, Mademoiselle
Ang\`ele, dont je t'ai d\'ej\`a parl\'e. (A Mlle Ang\`ele.) Ma
soeur L\'eontine, qui revient de la mer. Vous
avez d\'ej\`a vu ses cartes postales.\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele, (saluant.) Madame ...\\
~~~Madame Colbot, (\`a L\'eontine.) Bonjour, madame L\'eontine,
alors vous voil\`a revenue?\\
~~~L\'eontine. Comme vous voyez madame Colbot.\\
~~~Madame Colbot. Pas besoin de vous demander si la sant\'e
est bonne! Vous \^etes resplendissante.\\
~~~L\'eontine. Et vous, madame Colbot, \c{c}a va?\\
~~~Madame Colbot. On se maintient.\\
~~~Mariette, (radieuse.) Regardez! Voil\`a ce que ma soeur m'a
rapport\'e de Saint-Malo!\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Des coquillages.\\
~~~Madame Colbot. Et une jadini\`ere! Eh bien ma petite, vous pouvez
dire que vous l'\^etes, g\^at\'ee. (Mlle Ang\`ele admire.)\\
~~~Mariette. C'est breton.\\
~~~Madame Colbot. Je vois, je vois. C'est du vrai, du pur breton.
Je peux m\^eme vous dire que c'est un genre tr\`es
appr\'eci\'e. J'ai \'et\'e en service, il y a bien longtemps
mon Dieu, chez des patrons qui avaient \`a peu pr\`es
la m\^eme.\\
~~~L\'eontine. Vous savez, il n'y en a pas deux qui soient
exactement pareilles. C'est ce qui fait leur prix.\\
~~~Madame Colbot. Je sais, ma petite dame. Je dis \`a peu pr\`es.
Eux autres, ils l'avaient achet\'ee \`a Royan, o\`u nous sommes
all\'es trois ann\'ees de suite. C'est vous dire. Ah!
Royan! (Elle se laisse tomber sur une chaise en
soupirant.)\\
~~~Mariette. Elle est belle, dites, mademoiselle Ang\`ele?\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Vous parlez! Et qu'est-ce qu'on
fait avec?\\
~~~L\'eontine. Voyons, Mademoiselle! Une jardini\`ere!\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. C'est pour mettre des l\'egumes?\\
~~~Mariette. Non, des fleurs! Des fleurs! (Elle court au buffet
et prend des tasses sur l'\'etag\`ere.) Vous allez boire
un peu de caf\'e froid, par cette chaleur. J'en ai de
tout fait.\\
~~~Madame Colbot. Non, nous ne faisons qu'entrer et sortir.\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele, (timide, est rest\'ee debout.)
Nous ne voulons pas vous d\'eranger ...\\
~~~Mariette. Si, Si! Pour f\^eter ma belle jardini\`ere; et mes
coquillages, oh! regardez-les, mes coquillages!\\
(Elle va \`a la cuisine.)\\
~~~L\'eontine, (\`a Ang\`ele qui se penche sur les coquillages.)
Asseyez-vous donc, Mademoiselle! Vous connaissez la mer?\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Oui, Madame. J'y suis all\'ee quand
j'\'etais toute petite fille,
\`a Berck, dans une colonie de vancances.
J'en ai ramass\'e, des coquillages. On en faisait des
colliers, on en garnissait des couvercles de bo\^ites.
Ils n'\'etaient pas aussi jolis que ceux-ci.\\
~~~L'\'eontine, (confidentielle et enjou\'ee, d\'esignant Mariette d'un
geste vers la cuisine.) Il faudra
lui apprendre cela. Quelle enfant! Elle
m'a demand\'e de lui rapporter des coquillages,
comme \`a mon petit gar\c{c}on qui a deux ans!\\
~~~Madame Colbot. Lui, alors,
il est trop petit pour jouer avec. Il
voudra les fourrer dans sa bouche.\\
~~~Mariette, (revenant avec le caf\'e.) Je
sais ce que je mettrai dans ma jardini\`ere: des
oignons de jacinthes.\\
~~~Madame Colbot. Ce n'est pas la saison.\\
~~~L\'eontine. Et puis, voyons, ce n'est pas des fleurs naturelles
qu'il faut. Tu ne pourras t'en payer assez pour
que ce soit bien garni et surtout, tu ne pourras
pas les renouveler. Laisse-moi faire, je t'offrirai ce
qu'il faut. J'irai ces jours-ci au magasin. Je prendrai
de la mousse et des fleurs, pour ma jardini\`ere et
pour la tienne.\\
~~~Mariette. Des violettes?\\
~~~L\'eontine. Non, \c{c}a ne garnit pas assez. Il en faudrait des
quantit\'es. Et puis, autant varier les couleurs.
Ne t'inqui\`ete pas, ce sera tr\`es bien.\\
~~~Madame Colbot. Il est certain que dans le monde, o\`u il y a
toujours
une jardini\`ere au milieu de la table pour les grands
d\^iners, on met des fleurs naturelles, mais on ne
leur demande pas de faire plus de la soir\'ee.\\
~~~Madamoiselle Ang\`eles. J'ai
deux roses artificielles que m'a faites une
amie; vous les avez vues madame Colbot; eh bien,
je les ai depuis trois ans.\\
~~~L\'eontine. A notre h\^otel, \`a Saint-Malo, il y avait toujours
sur les tables des fleurs splendides. Des gla\"ieuls,
des oeillets ...\\
~~~Mariette. Oui, parle-nous de Saint-Malo! Tu n'en as
encore presque rien dit!\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Vous vous \^etes baign\'ee, Madame?\\
~~~L\'eontine. Oui, une fois. L'eau \'etait d'un glac\'e! \c{C}a ne
m'a pas donn\'e envie de recommencer. Voil\`a l'inconv\'enient de
prendre ses vacances en juillet; la mer
est encore trop froide. Mon mari, lui, s'est baign\'e
plusieurs fois, mais apr\`es, je le frictionnais et lui
faisais prendre un grog.\\
~~~Mariette. Sans vous baigner, vous pouviez rester assis
devant la mer?\\
~~~L\'eontine. \'Evidemment. Alors, l\`a, au soleil, on avait souvent
trop chaud. Et puis, tu sais, en dehors de la
plage, ce n'\'etait pas les distractions qui manquaient.\\
~~~Madame Colbot. Je pense bien!\\
~~~L\'eontine. Saint-Malo, c'est compl\`etement entour\'e de
remparts, c'est ramass\'e, alors, de loin, \c{c}a peut sembler
petit. N'emp\^eche que c'est une vraie ville, avec des
rues noires de monde, des magasins, des restaurants,
des caf\'es comme \`a Paris sur les boulevards. Oh!
nous avons men\'e la bonne vie, je vous assure!
Sans parler de la nourriture \`a l'h\^otel qui \'etait presque
trop abondante, comme je l'ai \'ecrit \`a Mariette:
poisson et viande \`a tous les repas, cidre et beurre
\`a discr\'etion, et, vous savez, d'une qualit\'e extra.
D'autre part, je disais \`a mon mari: en vacances,
il ne faut pas compter; on fera des \'economies
cet hiver. Alors, tous les jours, \`a midi et \`a sept
heures, on s'offrait l'ap\'eritif-concert.\\
~~~Mariette. Devant la mer?\\
~~~L\'eontine. Non. Les plus beaux caf\'es sont \`a l'int\'erieur de
la ville, au pied des remparts; c'est tr\`es intime,
tr\`es abrit\'e. Le soir, nous allions au cin\'ema ou au
Casino. J'adorais voir jouer aux petits chevaux.
J'y ai m\^eme risqu\'e trois fois cent sous. Je les ai
perdus, je n'ai pas insist\'e. Mon principe, c'est qu'on
ne doit continuer jouer que si l'on gagne.\\
~~~Madame Colbot. C'est ce que j'aurais bien d\^u faire \`a Royan,
o\`u j'ai perdu en une soir\'ee presque tout mon mois
que je venais de toucher.\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Mon Dieu!\\
~~~L\'eontine. Quelle folie!\\
~~~Madame Colbot. Ma pauvre dame, j'en aurais pleur\'e!\\
~~~Mariette. Le Casino, il est aussi dans la ville?\\
~~~L\'eontine. Mais non, voyons! Tu l'as vu sur la premi\`ere
carte que je t'ai envoy\'ee. (elle va prendre la carte
sur le buffet.) Tiens!\\
~~~Mariette. Ah! oui, c'est vrai.\\
~~~L\'eontine. Il domine la plage, sur une esplanade. C'est
magnifique le soir, tout illumin\'e. L\`a-bas, c'est
Param\'e. Beaucoup moins chic que Saint-Malo.\\
~~~Mariette. Dans un film, j'ai vu des amoureux qui se
promenaient sur une plage au clair de lune. Il y
avait une grande tra\^in\'ee de lumi\`ere sur la mer et
l'on voyait l'\'ecume blanche qui s'\'etalait et mourait
doucement sur le sable.\\
~~~L\'eontine. Nous avons vu \c{c}a exactement, il y a eu huit
jours hier.\\
~~~Mariette. Dis donc, tout pr\`es de l'eau est-ce que le sable
n'est pas trop mou?\\
~~~L\'eontine. Mais non!\\
~~~Ang\`ele. Il est ferme, il est lisse et doux, m\^eme sous
l'eau.\\
~~~L\'eontine. On peut aller dessus \`a bicyclette.\\
~~~Mariette. Et les coquillages, ils sont dans le sable? Il faut
creuser pour les avoir?\\
~~~L\'eontine. Ah! celle-l\`a, avec ses coquillages!\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Pas besoin de creuser,
on les trouve en se promenant. La mer les d\'epose sur le sable.\\
~~~Mariette. Oh! ce doit \^etre merveilleux! On se prom\`ene
au long de cette immensit\'e bleue, sur le sable frais,
et voil\`a qu'on trouve \`a ses pieds ce beau-l\`a, comme
une broche de nacre, et celui-l\`a qui est comme un
p\'etale de rose blanche! C'est vrai, dites? Et un
peu plus loin, voil\`a qu'on aper\c{c}oit ce merveilleux
petit escargot jaune, et celui-l\`a en marbre blanc,
avec sa petite veine rose, regardez! Des bijoux,
de vrais bijoux, finement travaill\'es.\\
~~~L\'eontine. Tu pourras te faire un collier avec.\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele, (\`a Mariette.) Oui, avec
les petits blancs, les plus minces,
comme celui-l\`a. Il faut les percer, je vous montrerai.\\
~~~Mariette. Oh! oui, et je vous en donnerai. Nous
partagerons. Pour le moment, je les remets tous dans
la jardini\`ere.\\
~~~Madame Colbot, (se levant.) Ce n'est pas tout \c{c}a.
Je ne m'ennuie pas, Mesdames,
mais il faut que j'aille mettre ma soupe sur
le feu.\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Moi, je me sauve aussi.\\
~~~Mariette, (\`a Mme Colbot.) J'avais quelque
chose \`a vous demander, madame
Colbot, et je ne me rappelle plus quoi. Voyons, j'y
pensais quand L\'eontine est arriv\'ee. Ah! oui!
comment est-ce au juste, la chanson que vous
chantez, vous savez, celle qui commence par (elle
chante):\\
~~~~~\textit{Quand le soleil descendra sur la plaine}\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele.\\
~~~~~\textit{La Chandon des bl\'es d'or.}\\
~~~L\'eontine. Ce n'est pas comme \c{c}a, les paroles.\\
~~~Madame Colbot, (chantant.)\\
~~~~~\textit{Mignonne, quand le soir descendra sur la terre.}\\
C'est le soir qui descend, ma petite, et pas le
soleil.\\
~~~Mariette, (d\'e\c{c}ue.) Ah!\\
~~~Madame Colbot. Et il descend sur la terre, pas sur la plaine.\\
~~~Mariette. Moi, je pr\'ef\`ere sur la plaine.\\
~~~L\'eontine. C'est bien du pareil au m\^eme.\\
~~~Mariette, (\`a Mme Colbot.) Ah! je ne trouve pas. Et la suite,
comment est-ce,
madame Colbot. Reprenez le tout, dites?\\
~~~Madame Colbot, (elle chante et successivement L\'eontine et
Mariette chantent avec elle.)\\
~~~~~\textit{Mignonne, quand le soir descnedra sur la terre}\\
~~~~~\textit{Et que le rossignol viendra chanter encor,}\\
~~~~~\textit{Quand le vent soufflera sur la verte bruy\`ere,}\\
~~~~~\textit{Nous irons \'ecouter la chanson des bl\'es d'or.} (bis).\\
(La porte s'ouvre et Tabaroux para\^it. Il fourre sa
clef dans sa poche, pousse la porte derri\`ere lui et reste
sur place, hochant lentement la t\^ete et fron\c{c}ant les
sourcils. A la fa\c{c}on dont il consid\`ere les quatre femmes,
on ne sait s'il est courrouc\'e ou s'il feint de l'\^etre par
plaisanterie. Elles, d'abord, se mettent \`a rire, puis,
devant l'attitude de Tabaroux, leur voix se fige rapidement dans
la g\^ene et l'inqui\'etude.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~Les M\^emes, Tabaroux. \\
~~~Madame Colbot, (enjou\'ee.) Bonsoir, monsieur Tabaroux;
vous voyez, la maison est envahie.\\
~~~Tabaroux, (taciturne.) Je vois. (Il accroche son
chapeau \`a une pat\`ere pr\`es de la porte.)\\
~~~Mariette, (allant \`a lui.) Eh bien! Henri, bonsoir, qu'est-ce que tu
as?\\
~~~Tabaroux. Rien, je constate qu'on ne s'ennuie pas, ici!\\
~~~L\'eontine. Nous n'avons aucune raison de nous ennuyer!
Et vous, Henri? D'abord vous pourriez nous dire bonjour.\\
~~~Tabaroux, (bourru.) Bonsoir. Je vous croyais \`a Saint-Malo,
vous!\\
~~~Mariette. Elle est rentr\'ee avant-hier, et regarde ce qu'elle
m'a apport\'e. Cette belle jardini\`ere toute remplie
de coquillages. Les coquillages, c'est moi qui les
avais demand\'es, mais la jardini\`ere, quelle surprise!
J'\'etais si contente que j'ai appel\'e Mme Colbot et
Mlle Ang\`ele pour leur faire admirer mes cadeaux.
(Pendant qu'elle parle, Tabaroux s'est avanc\'e vers la
table, consid\`ere la jardini\`ere avec une sorte d'hostilit\'e,
puis s'en d\'etourne, allume une cigarette et va s'accouder
\`a la barre d'appui de la fen\^etre, tournant ainsi le dos
\`a la compagnie. Mariette, le suit des yeux, navr\'ee.)\\
~~~L\'eontine, (\`a mi-voix.) Toujours aimable.\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Et maintenant, il est temps de partir.\\
~~~Madame Colbot. Oui. (Avec intention.) Je crois m\^eme
que nous sommes rest\'ees un peu trop longtemps. Au revoir,
Mesdames.\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Au revoir, Mesdames.\\
~~~L\'eontine, (se levant.) Au revoir, Mesdames. D'ailleurs, moi
aussi, je m'en vais. J'\'etais rest\'ee pour voir M. Tabaroux,
mais ...\\
~~~Tabaroux, (se retournant.) Dr\^ole d'id\'ee!\\
~~~Marette. Henri, qu'est-ce que tu as?\\
~~~L\'eontine. En effet! Dr\^ole d'id\'ee! Quand on conna\^it vos
charmantes mani\`eres.\\
~~~Tabaroux, (se retournant tout \`a fait.) Quoi, mes charmantes
mani\`eres? Je peux bien
ne pas \^etre en train de batifoler comme vous
autres!\\
~~~L\'eontine. De batifoler!\\
~~~Mariette. Henri!\\
~~~Madame Colbot, (qui est rest\'ee pr\`es de la porte
avec Mlle Ang\`ele.) Dites donc, monsieur Tabaroux, est-ce
que j'ai l'air d'une femme qui batifole? Et Mlle Ang\`ele ...\\
~~~Tabaroux, (marchant sur elle et criant.) Je
croyais que vous partiez.\\
(Mademoiselle Ang\`ele ouvre la porte et se sauve.)\\
Allez, allez, ma bonne dame, je vous en prie!\\
~~~Madame Cobot, (sortant.) Vous sentez la
boisson! (Tabaroux fait claquer
la porte sur elle.)\\
~~~Mariette, (\`a L\'eontine.) Pars, Titine!\\
~~~L\'eontine. Ah! oui! (Elle prend son sac, puis, \`a Tabaroux.)
Vous n'\^etes pas dans un \'etat normal. Ce n'est pas
possible. Vous avez bu.\\
~~~Tabaroux. Bien s\^ur, que j'ai bu. Par cette chaleur et apr\`es
avoir su\'e tout l'eau de mon corps.\\
~~~L\'eontine. J'en \'etais s\^ure, et \c{c}a explique bien des
choses.\\
~~~Tabaroux. Hein?\\
~~~Mariette. Ce n'est pas parce qu'il a bu qu'il est comme \c{c}a.\\
~~~Tabaroux. Foutre non! Elle a raison; elle me conna\^it.\\
~~~Mariette. Tu n'en es pas plus excusable.\\
~~~Tabaroux. Ce serait plut\^ot parce que j'\'etais comme \c{c}a
que j'ai bu un verre. Mais vous venez de dire, L\'eontine:
\c{C}a explique bien des choses. Exprimez-vous donc
clairement, je vous en prie!\\
~~~Mariette, (\`a L\'eontine.) Ne lui r\'eponds pas! Vous
n'allez pas commencer, tous les deux.\\
~~~L\'eontine. Ne crains rien, je m'en vais. Au revoir Mariette.
(Elles s'embrassent.)\\
~~~Tabaroux. Pardon. Un instant. Je n'aime pas les chatouilles
ni les demi-mots. \c{C}a explique bien des choses?
Quelles choses?\\
~~~L\'eontine, (rageuse.) Vous le savez aussi bien que moi! \c{C}a
explique votre continuelle pur\'ee, votre manque de tout
bien-\^etre; \c{c}a explique aussi que vous ne puissiez
pas, comme nous, aller \`a la mer, que Mariette n'ait
pas un chapeau \`a se mettre, que ...\\
~~~Mariette. Tais-toi!\\
~~~L\'eontine. Oui, je me tais. J'en ai assez dit pour me faire
comprendre.\\
~~~Tabaroux, (apr\`es l'avoir condis\'er\'ee, sur un ton apitoy\'e.)
Pauvre gourde! Vilain petit poison. (Avec \'eclat.) Et
maintenant, ouste! Assez de musique. Allez
rejoundre le mod\`ele des \'epoux et des gratte-papier.
Il doit vous attendre \`a la terrasse de votre petit
caf\'e de la Poste, votre D\'ed\'e, votre Loulou-Blanc,
car il ne boit pas son pernod sans vous.\\
~~~L\'eontine, (sortant.) Vous \^etes un ignble personnage. Ma
pauvre Mariette, je te plains!\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 7\\
~~~~~~~~Tabaroux et Mariette.\\
~~~(Tabaroux va lentement \`a la fen\^etre ouvrete et, de
nouveau s'y accoude, tandis que Mariette, reniflant ses
larmes, d\'ebarrasse h\^ativement la table, portant \`a la
cuisine tasses et cafeti\`ere. Lorsqu'elle revient, elle se
mouche, Tabaroux se retourne.)\\
~~~Tabaroux. Pauvre Mariette! Ta soeur te dit qu'elle te plaint,
et te voil\`a deux fois \`a plaindre.\\
~~~Mariette. Oui, je suis \`a plaindre.\\
~~~Tabaroux. Il n'y a pas si longtemps. Quand je suis arriv\'e,
tu avais plut\^ot le sourire.\\
~~~Mariette. Pour ne plus l'avoir, il m'a suffit de te voir
entrer avec ton air de catastrophe.\\
~~~Tabaroux. Je sais. Il aurait fallu faire l'amus\'e, le guilleret,
le gentil monsieur. \c{C}a m'est impossible \`a moi,
ces singeries-l\`a, tu comprends? Demande plut\^ot \`a
un gla\c{c}on de faire la blague de l'eau chaude.\\
~~~Mariette. Tu pouvais simplement \^etre poli.\\
~~~Tabaroux. C'est \c{c}a! C'est ce que je viens de dire! Il fallait
\^etre poli. C'est \'ecrit en t\^ete du r\`eglement. Il faut
\^etre poli, plein de salutations, de sourires et de
"comment allez-vous!" Prendre le ton, la temp\'erature et
l'alignement, encaisser tout en s'excusant,
avaler toutes les couleuvres et, si elles ne passent
pas, les ravaler.\\
~~~Comme si ce n'\'etait pas assez de serrer les dents
et les fesses \`a l'usine, toute la journ\'ee, d'\^etre oblig\'e
de me cracher dessus pour me faire reluire! Il
faudrait encore que je sois poli chez moi? Ah non!
ici, plus de grimaces. Je suis comme je suis. Est-ce
que tu sais ce que je faisais pendant que tu sirotais
du caf\'e avec ta soeur ch\'erie, avec tout l'\'etage?\\
~~~Mariette. Oui, tu sirotais l'ap\'eritif avec tout l'atelier.\\
~~~Tabaroux. Non! Tout seul. Je me suis sauv\'e des autres.
Et s'il a fallu que j'avale un verre, c'\'etait pour essayer
de m'\^oter le go\^ut amer. J'en avais gros sur l'estomac,
tu entends? Ah! l\`a l\`a! (Il s'assied, les yeux
au sol.)\\
~~~Mariette, (soupirant.) Que t'est-il encore arriv\'e?\\
~~~Tabaroux. Rien de pire qu'hier et que toujours. Je supporte
mal, tr\`es mal, de plus en plus mal, de travailler sous
l'oeuil du flic.\\
~~~Mariette. Il fallait rester chez Mourillon.\\
~~~Tabaroux. C'\'etait pareil. (Un silence; Mariette remet sur
l'\'etag\`ere les cartes postales rest\'ees sur la table, puis elle
place la jardini\`ere sur le buffet. Elle vaque \`a ses occupations,
feignant de ne pas s'int\'eresser au r\'ecit de Tabaroux.)\\
~~~Tant\^ot, pendant la pose, \`a la cantine, j'\'etais
en train de r\'ep\'eter \`a des copains ce que tout le monde
sait: que le travail pourrait \^etre un plaisir, un moyen
d'exercer son adresse et son intelligence, de montrer
aux autres et de se prouver \`a soi-m\^eme de quoi on
est capable; et qu'au lieu de \c{c}a, les trois quarts du
temps, c'est d\'ego\^ut, abrutissement, courbature et
compagnie. Ils \'etaient sept ou huit \`a m'\'ecouter.
Voil\`a le flic, enfin notre esp\`ece de contrema\^itre, qui
se faufile, attrape un ou deux mots de ce que je
disais et me crie comme \c{c}a que je ferais mieux de
me taire, et que si je veux faire un meeting, je peux
louer la salle Wagram. J'ai \'et\'e poli. Je ne lui ai
pas r\'epondu. D'autant que je ne ferai jamais \`a un
flic l'honneur de discuter avec lui.\\
~~~Bon, le travail reprend, je me colle \`a ma meule,
j'aff\^ute, j'aff\^ute dix, vingt fers de raboteuse; je me
d\'ep\^eche pour que les copains qui sont aux pi\`eces
ne risquent pas de rester en panne. Il y en a un,
je n'attends m\^eme pas qu'il vienne le chercher, son
outil; je cours le lui porter. Il me remercie; il veut
m'offrir une prise. Je lui dis que je n'en use pas.
Toc, le flic fait son entr\'ee, me vise du fond de
l'atelier, bondit et m'en raconte comme si je me
baguenaudais depuis une heure. Ah, alors tant pis,
je ne suis pas poli, je lui dis merde en m'en allant.
L'autre, le gars \`a la tabati\`ere, engueul\'e aussi, a
pr\'ef\'er\'e lui expliquer la chose. N'emp\^eche qu'\`a
l'heure de la sortie, j'ai \'et\'e appel\'e \`a la direction.
L\`a, re-flic, flic en chef. Ce monsieur me dit quoi?
Que je ne suis pas consciencieux! Que je distrais
les autres.\\
~~~Mariette, (involontairement sur un ton boudeur.)
Tu t'es d\'efendu?\\
~~~Tabaroux. Inutile. Je suis rest\'e poli. J'ai \'ecout\'e, fixant mon
bonhomme dans les yeux, \c{c}a l'a g\^en\'e. Regarder
les gens en face, c'est pas son genre. Il a eu fini
plus vite ... Pas consciencieux! Sur l'instant, \c{c}a
m'a fait rigoler. C'est seulement en m'en allant
que je me suis senti insult\'e, empoisonn\'e.\\
~~~Mariette. Ce n'\'etait pas une raison pour empoisonner les
autres.\\
~~~Tabaroux. Comment? J'encaisse une injure pour conserver
ma place, j'ai du d\'ego\^ut jusqu'au ras du gosier,
j'ai besoin d'\^etre seul, de me sentir chez moi, je
rentre et voil\`a qu'ici l'on chante et l'on m'accueille
en se foutant de moi! Voil\`a qu'il y a de la visite,
et quelle visite! Apr\`es le flic de l'usine, le flic de la
famille. Et c'est moi qui suis d\'erangeant? Si encore
j'avais \'et\'e pr\'evenu, je serais rentr\'e une heure plus
tard.\\
~~~Mariette. Le flic de la famille! Justement L\'eontine a \'et\'e
on ne peut plus gentille. A peine de retour, elle
vient me voir; elle vient nous voir. Elle me rapporte
une tr\`es jolie chose que tu n'as m\^eme pas l'air de
regarder, sans compter qu'elle s'est mise l\`a-bas, \`a
chercher pour moi, les plus beaux coquillages.\\
~~~Tabaroux, (plant\'e devant le buffet.) Je crois bien!
C'est soign\'e comme installage!
Elle avait d\'ej\`a envoy\'e des cartes postales triomphantes!
Voyez donc! Voil\`a o\`u nous passons nos
vacances, nous autres. Au Casino de Saint-Malo.
Une existence de r\^eve! Nous sommes des mariols!
Non, mais visez-moi ces lieux enchanteurs, ce
rendez-vous des \'el\'egances! Et avec \c{c}a, des andouillettes
et des homards au petit d\'ejeuner du matin.
Voil\`a o\`u conduisent l'application, l'ordre, l'\'economie et
la gratification suppl\'ementaire qu'a re\c{c}u
au jour de l'an mon Loulou Blanc. Que ceci vous
\'eblouisse et vous serve d'exemple!\\
~~~Mariette, (d'une voix alt\'er\'ee.) Tout ce que
pourra faire ma soeur, tu le verras
toujours en mal. Je ne sais, moi, si elle a tellement
voulu nous \'eblouir et se faire valoir en m'envoyant
des cartes postales, mais j'ai \'et\'e heureuse de les
recevoir parce qu'elles sont jolies, et je suis ravie
d'avoir une jardini\`ere.\\
~~~Tabaroux. Et tu as \'et\'e touch\'ee de l'intention.\\
~~~Mariette. Parfaitement.\\
~~~Tabaroux. D'autant plus que c'est bien la premi\`ere fois que
tu re\c{c}ois de Mme L\'eontine Bichat autre chose que
des conseils.\\
~~~Mariette. \c{C}a prouve qu'au fond elle est plus g\'en\'ereuse
que tu ne le crois.\\
~~~Tabaroux. \c{C}a prouve, innocente brebis, qu'elle n'a pas
r\'esist\'e au besoin de se faire envier, d'abord, de te
plaindre et de te consoler ensuite, et surtout de
donner une le\c{c}on au nomm\'e Tabaroux Henri. (Il se
d\'esigne, l'index sur la poitrine.)\\
~~~Mariette, (exc\'ed\'ee.) Ah! que tu es m\'echant!\\
~~~Tabaroux. Mais non, je la connais: Envoyons des cartes
postales, rapportons un cadeau impressionnant
\`a cette malheureuse cr\'eature qui n'a jamais pu aller
plus loin que Pontoise. Comme elle doit avoir le
noir et le tracassin de nous savoir \`a la mer! A la mer
que son miteux de mari n'a jamais trouv\'e le
moyen de lui faire voir!\\
~~~Mariette. Pour que tu sois tellement s\^ur que l'on puisse
penser cela, il faut que tu le penses un peu toi-m\^eme.\\
~~~Tabaroux. Sans blague!\\
~~~Mariette. Que tu sois d\'epit\'e, bless\'e dans ton
amour-propre. Oui, oui. Moi, je te connais aussi, peut-\^etre.\\
~~~Tabaroux. Mais tonnerre de Dieu, si j'avais voulu m'arranger
pour que nous y allions \`a la mer, est-ce que tu
crois que je n'aurais pas pu?\\
~~~Mariette. Oui, et c'est justement ce qu'on peut te reprocher.\\
~~~Tabaroux. Mais je n'ai pas voulu, mais je ne veux pas!
Jouer \`a l'\'evad\'e pendant quinze jours, \c{c}a ne m'int\'eresse
pas plus qu'un tour de chevaux de bois. \c{C}a
me donnerait un suppl\'ement de cafard pour toute
l'ann\'ee. Je ne suis pas comme le serin de ma
grand'm\`ere, qu'on laissait sortir de sa cage tous les
mois. Il allait se percher sur le fronton de l'armoire
\`a glace. Il s'imaginait qu'il explorait le Caucase et
il rentrait tout heureux dans sa cage. Il ne lui
manquait que d'avoir rapport\'e des cartes postales.
(Un temps.)\\
~~~Moi, j'ai plus d'ambition, tu comprends, Mariette,
plus d'ambition, pour toi, comme pour moi.\\
~~~Mariette. Jusqu'\`a pr\'esent, ton ambition ...\\
~~~Tabaroux. Jusqu'\`a pr\'esent, oui, je suis boucl\'e. Je n'ai pas
trouv\'e la porte de sortie. Mais je te prie de croire
que je m'en occupe!\\
~~~Mariette, (inqui\`ete.) Tu vas encore changer de place?\\
~~~Tabaroux. Oui. De place et d'existence. Oh! pas demain matin, mais peut-\^etre plus t\^ot que tu ne crois.\\
~~~Mariette, (soupirant.) Je ne crois rien, je ne demande qu'\`a voir.\\
~~~Tabaroux. C'est alors que Madame de Saint-Malo pourra dire: \c{c}a explique bien des choses. (Un temps, puis avec un regain de col\`ere.) Comme si je n'en avais pas assez entendu aujourd'hui! Ah! la poison, ce qu'elle a pu m'envoyer encore! Je lui interdis de remettre les pieds ici, tu entends?\\
~~~Mariette. Elle ne doit pas en avoir tr\`es envie.\\
~~~Tabaroux, (devant le buffet.) Et d'abord qu'elle garde donc pour elle ses petits souvenirs de voyage. Moi, je les assez vus. (Il rassemble les trois cartes postales et les d\'echire.)\\
~~~Mariette, (se pr\'ecipitant trop tard.) Oh! Mauvais que tu es! C'est \`a moi qu'elles \'etaient adress\'ees.\\
~~~Tabaroux. Evidemment: pour mieux bl\^amer l'homme. (D\'esignant la jardini\`ere.) C'est comme ce machin-l\`a. Crois-tu que je vais pouvoir supporter de l'avoir tout le temps sous les yeux?\\
~~~Mariette, (apeur\'ee.) Pourquoi pas?\\
~~~Tabaroux. C'est la pr\'esence m\^eme de L\'eontine! Sa provocation, son j\'esuitisme et son insolence.\\
~~~Mariette. Non et non!\\
~~~Tabaroux. Si et si! En tout cas, fourre \c{c}a dans le placard de la cuisine si tu y tiens, moi je ne veux plus le voir!\\
~~~Mariette, (ardente.) Non, Henri. Cette jardini\`ere restera l\`a, sur le buffet. Je la garnirai de fleurs, et elle transformera toute la pi\`ece! Pour une fois que j'ai quelque chose qui suis femme, moi qui n'ai jamais pu orner, embellir un peu mon chez-moi!\\
~~~Tabaroux. Voil\`a! Continue! C'est exactement ce qu'elle a voulu, ta garce de soeur; qu'il y ait enfin ici, gr\^ace \`a elle, un article de luxe, un pot de fleurs d\'ecor\'e! Que tu puisses pour une fois "orner ta chaumi\`ere".\\
~~~Mariette. \c{C}a m'est \'egal, ce que ma soeur voulait. Je n'ai pas ton orgueil.\\
~~~Tabaroux. Je te croyais un peu plus fi\`ere.\\
~~~Mariette, (but\'ee.) Je mettrai des fleurs dans ma jardini\`ere, et ma jardini\`ere sur le buffet. Mes coquillages, je les mettrai ...\\
~~~Tabaroux, (criant.) Enl\`eve-moi \c{c}a de l\`a, ou j'en fais des morceaux!\\
~~~Mariette, (s'\'elan\c{c}ant et prenant la jardini\`ere.) C'est bon, je vais la mettre \`a l'abri! J'y tiens trop. Mais quand je serai seule ici, \`a coudre, \`a \'eplucher, \`a faire la cuisine, c'est-\`a-dire \`a peu pr\`es toute la journ\'ee, eh bien je la garnirai de fleurs artificielles qu'on va me donner, et je la mettrai sur le buffet, pour moi toute seule! Cette jardini\`ere, elle remplacera ...\\
~~~Tabaroux, (l'interrompant.) C'est ce que nous allons voir, ma mignonne. (Il arrache la jardini\`ere des mains de Mariette et court \`a la fen\^etre.) Tu pourras toujours descendre pour aller ramasser les morceaux.\\
~~~Mariette, (atterr\'ee.) Henri, je te pr\'eviens que si tu fais cela ... Oh! ne le fais pas, Henri!\\
~~~ atterr\'ee~~~仰天して\\
~~~Tabaroux. Tiens, il y a justement un flic en bas, un vrai, un professionnel. (H\'elant.) Eh, le flic, attrape! (Il l\^ache la jardini\`ere que l'on entend se briser sur le trottoir; on per\c{c}oit quelques cris et la voix d'un gamin qui clame d'une fen\^etre voisine: "Faites chauffer la colle!" Tabaroux se retourne lentement avec un grand soupir.)\\
~~~H\'elant~~~呼びかける\\
~~~jardini\`ere~~~植木箱\\
~~~ Faites chauffer la colle~~~物が割れる時に言う言葉\\
~~~Mariette, (courant vers la fen\^etre.) Tu es fou! On a cri\'e.\\
~~~Tabaroux, (apais\'e, la repoussant doucement.) N'y va pas. Il arrivera ce qu'il arrivera. C'est idiot, mais \c{c}a m'a tout de m\^eme soulag\'e.\\
~~~Mariette, (s'effondre sur une chaise et sanglote.) Je te d\'eteste ... C'est fini ... Et mes coquillages!\\
~~~s'effondre~~~崩れる\\
~~~Tabaroux, (m\'editatif.) Oui. (Il va s'adosser au buffet.) Il ne faut pas mettre un homme au d\'efi. (On frappe vivemnt.) Va ouvrir, ce doit \^etre le flic!\\
(Mariette va ouvrir. L\'eontine appara\^it; derri\`ere elle se pressent Mme Colbot et Mlle Ang\`ele.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 7\\
~~~(Les m\^eme, L\'eontine, Madame Colbot, Mademoiselle Ang\`ele.)\\
~~~Mariette. Ah! C'est toi!\\
~~~L\'eontine, (sur le seuil.) Qu'est-ce qu'il a fait?\\
~~~Tabaroux. Encore vous? Voulez-vous me foutre le camp?\\
~~~L\'eontine, (\`a Mariette.) J'\'etais chez Mme Colbot. Je n'ai pas voulu m'en aller tout de suite. J'\'etais trop inqui\`ete. Qu'est-ce qu'il a lanc\'e par la fen\^etre?\\
~~~Tabaroux. Votre l\'egumier de charit\'e. Vos coquillages de consolation.\\
~~~Mariette, (la gorge serr\'ee.) La jardini\`ere, les coquillages. Parce que j'\'etais contente de les avoir et que c'est toi qui me les avais donn\'es.\\
~~~Madame Colbot. Qu'est-ce que je vous ai dit!\\
~~~L\'eontine. Oh! (A Tabaroux.) Vous \^etes un monstre! Vous \^etes ...\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele, (l'interrompant.) Voil\`a un agent! \'Ecartez-vous, madame Colbot.\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 8\\
~~~(Les m\^emes, un Agent, puis un Second Agent.)\\
~~~L'Agent, (surgissant furieux) Alors qu'est-ce qui se passe l\`a-dedans? Il y a un fou? (A Tabaroux.) C'est vous qui venez de lancer une potiche par la fen\^etre? (Tabaroux opine de la t\^ete.) C'est un vrai miracle si vous ne m'avez pas tu\'e. \c{C}a m'a ras\'e la visi\`ere avant de m'\'ecraser le pied.\\
\\
potiche~~~陶磁器花瓶\\
opine~~~意見を述べる、発言する\\
visi\`ere~~~(学生帽などの)ひさし\\
~~~Tabaroux. Mais non, c'est tomb\'e devant vous, \`a un m\`etre au moins! Sur le pied vous n'avez re\c{c}u qu'un \'eclat. Je ne voulais pas vous atteindre! De toute fa\c{c}on vous ne risquiez rien. La vaisselle ne peut tuer personne. C'est plus cassant qu'une t\^ete.\\
~~~L'Agent, (outr\'e.) C'est tout ce que vous trouvez \`a dire? Ah! mon bonhomme ...\\
~~~L\'eontine. Monsieur l'Agent, il est ivre ...\\
~~~Tabaroux, (tranchant.) Non!\\
\\
tranchant~~~ずばりと\\
\\
~~~L\'eontine, (fr\'emissante et volubile.) Ce qu'il a jet\'e par la fen\^etre, monsieur l'Agent, c'est une jardini\`ere remplie de coquillages. (Pleurnichant.) Une jardini\`ere de Quimper, un objet de valeur que je venais d'apporter \`a ma pauvre soeur, qui vit avec cet individu! Il arrive les yeux hagards, la langue p\^ateuse, me traite de tous les noms, me jette \`a la porte, et voil\`a.\\
\\
Pleurnichant~~~わけもなく泣く\\
hagard~~~獰猛な\\
p\^ateuse~~~捏粉のような、ねばねばした\\
\\
~~~L'Agent, (\`a Tabaroux.) Et qu'est-ce que vous avez dit avant de lancer cet ustensile, hein? Qu'est-ce que vous avez cri\'e? Vous croyez peut-\^etre que je n'ai pas entendu?\\
\\
ustensile~~~道具\\
\\
~~~Tabaroux. Si je vous ai cri\'e quelque chose, c'etait pour que vous l'entendiez.\\
~~~L'Agent. Dites donc, vous allez cesser de cr\^aner? ... J'ai parfaitement entendu que vous m'insultiez. Vous avez cri\'e: "Eh! le flic". Je n'ai pas compris la suite, mais ...\\
~~~Mariette, (vivement.) Je crois qu'il a dit: Prenez-garde!\\
~~~Tabaroux. Ne mens pas, mon petit, et n'essaie pas de me faire mentir. J'ai dit: "Attrape".\\
\\
Attrape~~~ざまをみろ\\
\\
~~~L'Agent. Quoi?\\
~~~Tabaroux, (articulant.) J'ai dit: Eh! le flic, attrape!\\
~~~L'Agent. Ah! mais \c{c}a devient tout \`a fait s\'erieux, votre petite histoire ... (Le second agent, \'ecartant les femmes mass\'ees \`a la porte.) \\
~~~Le Second Agent. Allons, s'il vous pla\^it! (A son coll\`egue.) Qu'est-ce que c'est? J'ai vu de monde en bas ...\\
~~~Le premier Agent. Tu arrives bien. Nous allons embarquer ce citoyen. A la suite d'une querelle de famille, il a balanc\'e par la fen\^etre un cache-pot en porcelaine et comme je passais juste \`a ce moment-l\`a, il m'a vis\'e avec en m'injuriant. Je l'ai \'echapp\'e belle! J'ai pris \c{c}a sur le pied. (Tabaroux va prendre son chapeau.)\\
~~~Le Second Agent. Allons-y, enlevons. (Les deux agents empoignent Tabaroux.)\\
~~~Tabaroux. Ne vous excitez pas, je ne vais pas m'envoler.\\
~~~Mariette, (tremblante.) Est-ce qu'il faut que j'aille avec lui?\\
~~~Le Premier Agent, (apr\`es r\'eflexion.) Non. si l'on a besoin de vous, on vous convoquera au commissariat ou chez le juge d'instruction.\\
~~~Tabaroux. Ne t'inqui\`ete pas, Mariette.\\
~~~Le Second Agent. Vous voil\`a tranquille pour quelque temps.\\
~~~L\'eontine, (\`a Mme Colbot.) A quelque chose malheur est bon.\\
~~~Tabaroux, (\`a la porte.) Un instant, laissez-moi \'ecrire un mot pour que ma femme puisse toucher ma paye samedi.\\
~~~Le Premier Agent. Vous \'ecrirez au D\'epot. Vous aurez le temps. Allez, ouste. (Ils sortent.)\\
~~~L\'eontine, (criant dans l'embrasure de la porte.) Ne vous inqui\'etez donc pas de Mariette! Elle a une soeur, Dieu merci! (Mariette s'assied, comme prostr\'ee.)\\
\\
prostr\'ee~~~虚脱の\\
\\
~~~Madame Colbot. Vous pensez! Et nous aussi, nous sommes l\`a, dites, mademoiselle Ang\`ele?\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele, (tremblante.) Bien s\^ur!\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 9\\
~~~~~L\'eontine, Madame Colbot, Mademoiselle Ang\`ele, Mariette.\\
~~~L\'eontine, (debout, appuie contre elle, la t\^ete de Mariette et la caresse.) Voulez-vous fermer la porte, mademoiselle Ang\`ele? (Ang\`ele s'empresse de fermer la porte et rejoint Mme Colbot et L\'eontine aupr\`es de Mariette.)\\
~~~Madame Colbot. Quelle histoire! Eh bien, le voil\`a dans de beaux draps!\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Qu'est-ce qu'il lui a pris? Moi, je ne l'avais jamais vu comme \c{c}a. Il a toujours \'et\'e aimable avec moi. Evidemment, on sentait un caract\`ere bizarre, mais tout de m\^eme ...\\
~~~L\'eontine. Mademoiselle, vous ne le connaissiez pas. Il vient de vous montrer le fond de sa vraie nature! Et l'on ne m'\^otera pas de l'id\'ee que c'est parce qu'il avait bu.\\
~~~Mariette, (avec un peu d'irritation.) Non, je te dis!\\
~~~L\'eontine. Alors c'est un fou. Pour faire ce qu'il a fait et s'en vanter, c'est un fou doubl\'e d'une brute. A moins qu'il n'ait eu d\'ej\`a des d\'em\'el\'es avec la police. On ne sait jamais ...\\
~~~Mariette, (sombre.) Ecoute, L\'eontine, tais-toi, laisse-le, il est assez puni!\\
~~~Madame Colbot. Il va voir ce que \c{c}a va lui co\^uter.\\
~~~L\'eontine. Enfin, ma petite Mariette, comment \c{c}a s'est-il pass\'e? A propos de quoi en est-il arriv\'e l\`a? (Mariette se tait.) Tu penses bien qu'apr\`es cette sortie, nous avons essay\'e d'\'ecouter \`a la porte. Nous \'etions trop boulevers\'ees. Mais on n'entendait rien. Il y avait des gosses qui braillaient \`a c\^ot\'e.\\
\\
braillaient~~~わめく、高い声で話す\\
\\
~~~Madame Colbot. Et, comme j'ai dit \`a Madame L\'eontine, \`a cette heure-ci, des gens passent dans l'escalier; \c{c}a va faire mauvais effet si nous restons l\`a.\\
~~~L\'eontine, (\`a Mariette.) Alors raconte?\\
~~~Mariette. Non. Pas maintenant. Je voudrais \^etre je ne sais o\`u, ne plus penser \`a rien.\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. Ecoutez, je la comprends. Elle est toute boulevers\'ee.\\
~~~L\'eontine. Bon, bon, mon petit chat. Tu as raison. N'en parlons plus.\\
~~~Madame Colbot, (\`a L\'eontine.) Voulez-vous que nous vous laissions?\\
~~~L\'eontine. Oui. Laissez-la un peu seule avec moi, que nous prenions des d\'ecisions.\\
~~~Mademoiselle Ang\`ele. C'est cela.\\
~~~Mariette, (se levant.) Je voudrais ne pas rester ici. Pas ce soir.\\
~~~L\'eontine. Penses-tu que je t'y laisserais! Je voulais justement te d\'ecider \`a venir \`a la maison.\\
~~~Madame Colbot. Ce serait vraiment le mieux pour elle.\\
~~~L\'eontine, (\`a Mariette, avec autorit\'e.) Et tu sais, ce n'est pas seulement pour ce soir que je t'emm\*ene chez nous, mais pour tout le temps o\`u Tabaroux ... (A Mme Colbot.) Mon petit beau-fr\`ere est au r\'egiment, sa chambre est libre.\\
~~~Mariette. Non, L\'eontine, tu es bien gentille, mais ...\\
~~~L\'eontine. Mais quoi? ...\\
~~~Madame Colbot, (discr\`ete.) Venez, mademoiselle Ang\`ele. Nous nous verrons avant que vous partiez, madame Tabaroux.\\
~~~Mariette. Oui.\\
~~~L\'eontine, (les reconduisant.) C'est cela, \`a tout \`a l'heure. (Elles sortent et L\'eontine referme la porte.)\\
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 10\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~L\'eontine, Mariette.\\
~~~L\'eontine. Alors Mariette? Tu vas t'installer chez nous.\\
~~~Mariette. Je veux bien y aller ce soir et y rester pour la nuit. Mais justement parce qu'Henri s'est fait arr\^eter, je ne veux pas abandonner ma maison.\\
~~~L\'eontine. Tu l'abandonneras mois que si tu partais en vacances, car tu purras y passer de temps en temps.\\
~~~Mariette. De temps en temps? Mais ils vont peut-\^etre rel\^acher Henri demain ou apr\`es-demain.\\
~~~L\'eontine. Qu'est-ce que tu racontes l\`a, ma ch\'erie. Voyons il faut d'abord qu'il passe en jugement! Ce ne sera peut-\^etre qu'au bout d'une semaine, ou davantage.\\
~~~Mariette. Et apr\`es?\\
~~~L\'eontine. Apr\`es, je ne sais pas; mais le moins qu'on puisse faire, il me semble, ce sera de lui coller un bon mois de prison. Pense donc qu'il a voulu assomer un agent!\\
~~~Mariette. Ah!\\
~~~L\'eontine. Il n'en mourra pas. Et, soit dit sans m\'echancet\'e, il ne l'aura pas vol\'e! \c{C}a peut lui faire beaucoup de bien ... Tu ne vas tout de m\^eme pas le plaindre, Mariette!\\
~~~Mariette, (se raidissant.) Non, je ne veux pas le plaindre. Il ne faut pas que je le plaigne ... Il savait bien comme j'\'etais heureuse d'avoir cette jardini\`ere! Et les coquillages, donc! (Plaintive.) Les coquillages ... Et aussi les cartes.\\
~~~L\'eontine. Mes cartes de Saint-Malo? Il les a jet\'ees aussi?\\
~~~Mariette. Il les a d\'echir\'ees: Tiens ... (Elle montre les morceaux \'eparpill\'es sur le sol.)\\
~~~L\'eontine. Ah! Mariette, Mariette, je me demande ce qui a pu t'attacher \`a un \^etre pareil. Ah! oui, je t'emm\`ene et nous te garderons ... le plus longtemps possible. Voyons, pour ce soir, emporte seulement l'indispensable. Nous reviendrons demain.\\
~~~Mariette. Il y a ma soupe sur le feu.\\
~~~L\'eontine. Tu vas la donner \`a Mlle Ang\`ele, ta soupe, et prendre ce qu'il te faut pour la nuit. Nous mettrons \c{c}a dans mon sac. Le sac de la jardini\`ere!\\
~~~Mariette. Et si, demain matin j'\'etais appel\'ee chez le commissaire? Si l'on venait, de la police?\\
~~~L\'eontine. Nous allons donner mon adresse \`a la concierge. Tu as bien le droit de ne pas \^etre ici. Tu es libre, toi.\\
~~~Mariette. Je ne voudrais pas avoir l'air de m'\^etre sauv\'ee.\\
~~~L\'eontine. Tu ne te sauves pas, puisque tu dis o\`u tu es. Il est naturel et m\^eme tout \`a fait convenable que tu sois recueillie par ta soeur et ton beau-fr\`ere. On verra que tu es d'une excellente famille.
(Mariette se dirigeant vers la porte du fond \`a droite, \'ecarte une chaise et ramasse sur le sol un coquillage qui est tomb\'e lorsque Tabaroux s'est empar\'e de la jardini\`ere. Elle le consid\`ere, navr\'ee.) Mais va donc!\\
~~~Mariette. De tous mes coquillages, voil\`a ce qu'il me reste!\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau.)\\






}
\end{document}