\documentclass[b5paper,12pt]{article}

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\begin{document}
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\oddsidemargin = 1cm
\baselineskip=1cm
{
~~~~~~~~~~~~~Le Tombeau d'Achille\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Com\'edie en 1 acte de Andr\'e Roussin \\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~A Gabriel Arout\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~Personnages\\
Achille Galtier, vieillard robuste, grand bourgeois,
barbe blanche. 84 ans.\\
Adele, sa femme. 81 ans.\\
Georges, 40ans.\\
Un employ\'e des P.T.T., 19 ans.\\
\\
~~~Cette pi\`ece cr\'e\'ee au Th\'e\^atre Charles de Rochefort
a \'et\'e reprise et jou\'ee cent fois au Th\'e\^atre du
Vieux Colombier.\\
\\
~~~D\'ecor: Une petite pi\`ece d'atmosph\`ere tr\`es \'etouffante.
Mobilier cossu et vieillot.\\
~~~Au lever du rideau, un vieux monsieur est \`a
quatre pattes devant un train m\'ecanique qui tourne
en rond.\\
~~~On entend appeler \`a deux reprises: "Achille"
"Achille".\\
~~~Puis, entre une vieille dame, sensiblement du m\^eme
\^age, mais encore vive, malgr\'e son dos vo\^ut\'e et sa
voix chevrotante.\\
\\
\\
~~~Ad\`ele. Achille! tu ne m'entends pas?\\
~~~Achille. Quoi? Oui, je t'entends!\\
~~~Ad\`ele. Je t'appelle!\\
~~~Achille. Eh bien, je te r\'eponds!\\
~~~Ad\`ele. Tu me r\'eponds maintenant et je t'appelle
depuis un quart d'heure.\\
~~~Achille. D'o\`u m'appelais-tu?\\
~~~Ad\`ele. Du cabinet de toilette. Pour ton bouton!\\
~~~Achille. Si tu m'apelles du cabinet de toilette,
comment veux-tu que je t'entende! Tu sais bien
que je suis sourd!\\
~~~Ad\`ele. Laisse ton train un moment.\\
~~~Achille. Pourquoi faire? Au contraire, regarde-le
avec moi: il roule merveilleusement.\\
~~~Ad\`ele. Moi, j'ai des rhumatismes: je n'ai plus
l'\^age \`a me mettre \`a quatre pattes.\\
~~~Achille. Tu es plus jeune que moi! Et puis
tu n'es pas oblig\'ee de te mettre \`a quatre patte pour
le voir marcher.\\
~~~Ad\`ele. Il fait un bruit assommant.\\
~~~Achille. Pas du tout! Il fait le bruit normal
d'un train m\'ecanique.\\
~~~Ad\`ele. Toi, tu ne l'entends pas!\\
~~~Achille. Oui, je l'entends. Pourquoi veux-tu
que je ne l'entends pas?\\
~~~Ad\`ele. Parce que tu es sourd!\\
~~~Achille. Je ne suis pas si sourd que \c{c}a! Si
tu m'appelles du bout de l'appartement, c'est normal
que je n'entende pas, mais j'entends tr\`es bien mon
train.\\
~~~Ad\`ele. Eh bien! arr\^ete-le un moment. Je vais
te mettre de l'alcool sur ton bouton.\\
~~~Achille. Tu feras \c{c}a ce soir, \c{c}a suffira bien.\\
~~~Ad\`ele. Non, maintenant que j'ai tout \`a la main.\\
~~~Achille. Qu'est-ce que tu as \`a la main?\\
~~~Ad\`ele. Tu le vois, un coton et une bouteille
d'alcool.\\
~~~Achille. Qu'est-ce que tu veux en faire?\\
~~~Ad\`ele. Comment? Ce que je veux en faire!
Te soigner, bien s\^ur! L\`eve-toi, ne me laisse pas
comme \c{c}a sur mes jambes.\\
~~~Achille. Assieds-toi! Pourquoi restes-tu debout?\\
~~~Ad\`ele. Il faut toujours que tu discutes.\\
~~~Achille. Je ne discute pas, je te dis de t'asseoir.\\
~~~Ad\`ele. Mais non, je ne peux pas te soigner
un bouton dans le cou en \'etant assise.\\
~~~Achille. Je voudrais bien savoir pourquoi. Assieds-toi,
je te dis!\\
~~~Ad\`ele. Il faut toujours que tu aies raison.\\
~~~Achille. Il faut toujours que tu fasses le contraire de
ce que je te dis de faire. Fais ce que je
dis et tout ira bien. Je te prie de t'asseoir.\\
~~~Ad\`ele. Bon, je m'assieds, on verra bien.\\
~~~Achille. On verra bien quoi? Tu es assise,
c'est tout vu; et \`a partir du moment o\`u tu es assise,
tu n'as plus \`a me dire que je te fais rester debout
avec une bouteille d'alcool et un coton \`a la main.\\
~~~Ad\`ele. Eh bien! voil\`a, je suis assise, ---assise
avec la bouteille et mon coton. Si \c{c}a te fait plaisir?\\
~~~Achille. \c{C}a ne me fait ni chaud ni froid. Seulement,
si tu te l\`eves maintenat, c'est que tu l'auras
bien voulu, et tu ne diras pas que c'est moi qui te
fais tenir debout avec tes rhumatismes.\\
~~~Ad\`ele. Bon; eh bien! je t'attends.\\
~~~Achille. Tu m'attends?\\
~~~Ad\`ele. J'attends que tu te l\`eves.\\
~~~Achille. Pourquoi attends-tu que je me l\`eve?\\
~~~Ad\`ele. Pour me lever aussi et pour soigner
ton bouton.\\
~~~Achille. Tu recommences avec mon bouton!\\
~~~Ad\`ele. Ecoute! Je suis l\`a pour \c{c}a.\\
~~~Achille. Je t'avais dit qu'il pouvait attendre.\\
~~~Ad\`ele. Il n'a pas besoin de m'attendre puisque
je suis l\`a!\\
~~~Achille. Qu'est-ce que tu chantes? Je ne te dis
pas qu'il pouvait t'attendre, je dis qu'il pouvait
attendre.\\
~~~Ad\`ele. Si tu ne sais plus ce que tu dis! Tu
dis qu'il pouvait m'attendre, et puis tu dis le contraire.\\
~~~Achille. Oh! pas t'attendre, toi, encore une
fois! Tais-toi, tiens.\\
~~~Ad\`ele. Alors, veux-tu ou non? Eh bien, tant
pis, tu le feras toi-m\^eme.\\
~~~Achille. Qu'est-ce que je ferai?\\
~~~Ad\`ele. Ton pansement.\\
~~~Achille. Tu ne vas pas appeler "pansement"
toucher un bouton avec un coton imbib\'e d'alcool?\\
~~~Ad\`ele. Appelle-\c{c}a comme tu voudras.\\
~~~Achille. Vous \^etes absurdes, les femmes!\\
~~~Ad\`ele. Nous sommes absurdes, mais il faut
bien que nous soyons l\`a!\\
~~~Achille. Pourquoi faire?\\
~~~Ad\`ele. Pour te faire un pansement, par exemple!\\
~~~Achille. \c{C}a y est! Elle recommence avec son
pansement!\\
~~~Ad\`ele. As-tu un bouton, oui ou non?\\
~~~Achille. J'ai un bouton, et j'ai mis un coton
dessus avec un mouchoir autour de mon cou, voil\`a
tout.\\
~~~Ad\`ele. Eh bien! j'appelle \c{c}a un pansement.\\
~~~Achille. Et allez donc, elle y tient! Tiens,
fais-le une bonne fois, ton "pansement" et qu'on
n'en parle plus!\\
~~~Ad\`ele. Ah! tout de m\^eme!\\
~~~Achille. Quoi! Tout de m\^eme! pourquoi parles-tu
toujours pour ne rien dire?\\
(Il se l\`eve difficilement.)\\
~~~Ad\`ele. Tu vois! \\
~~~Achille. Quoi?\\
~~~Ad\`ele. Toi aussi, tu as des rhumatismes et
tu te l\`eves difficilement.\\
~~~Achille. Je n'ai pas de rhumatismes, j'ai une
sciatique.\\
~~~Ad\`ele. C'est tout comme!\\
~~~Achille. \c{C}a n'a aucun rapport!\\
~~~Ad\`ele. Si tu ne te mettais pas \`a quatre pattes,
\c{c}a vaudrait mieux.\\
~~~Achille. Si je le fais, c'est que je peux le faire.\\
~~~Ad\`ele. Si \c{c}a te fait plaisir de souffrir, mon
pauvre ami!\\
~~~Achille. Occupe-toi donc de tes rhumatismes,
et laisse-moi tranquille avec ma sciatique! (Il se
l\`eve. Il est debout \`a c\^ot\'e d'elle assise.) Allons,
d\'ep\^eche-toi!\\
~~~Ad\`ele. Tu restes debout?\\
~~~Achille. J'attends que tu te l\`eves: tu es assise
dans mon fauteuil!\\
~~~Ad\`ele. Tu vois bien qu'il faut que je me
l\`eve! ...\\
~~~Achille. Tu n'avais qu'\`a t'asseoir dans
ce fauteuil-l\`a! (Il en d\'esigne un autre.) Allons-y!
(Il s'assied.) Et ne me fais pas mal!\\
~~~Ad\`ele. \c{C}a!\\
~~~Achille. Quoi, \c{c}a? Tu as envie de me faire
mal?\\
~~~Ad\`ele. L\`eve la t\^ete un peu. (Elle enl\`eve le
mouchoir qu'Achille porte autour du cou et cherche
le bouton dans la barbe \'epaisse.)\\
~~~Achille. Tu le vois?\\
~~~Ad\`ele. Eh non, je ne le vois pas: il est perdu
au milieu de toute la barbe.\\
~~~Achille. Il n'est pas au milieu, il est dessous!\\
~~~Ad\`ele. C'est pratique, je t'assure!\\
~~~Achille. Il est tr\`es bien plac\'e! Pas pour moi, pour
toi. Je ne vais tout de m\^eme pas commencer
\`a me raser aujourd'hui parce que j'ai un
bouton. (Elle le tamponne.) H\'e! ne tire donc pas
sur mes poils!\\
~~~Ad\`ele. Je ne tire pas sur tes poils, je
tamponne.\\
~~~Achille. Tu tamponnes en tirant, je le sens,
tout de m\^eme! Tu ne vas pas me dire que tu es
meilleur juge que moi?\\
~~~Ad\`ele. Tu le trouves tr\`es bien plac\'e, que
veux-tu?\\
~~~Achille. Je ne peux pas avoir un bouton sur
le nez pour te faire plaisir! Il est l\`a, t\^ache de le
prendre o\`u il est!\\
~~~Ad\`ele. Tu ne diras pas que je t'ai fait mal!
L\`a, ton mouchoir maintenant.\\
~~~Achille. Je le ferai moi-m\^eme.\\
~~~Ad\`ele. Laisse donc. Reste assis. Laisse-moi
faire. L\`eve la t\^ete. Voil\`a.\\
~~~Achille. Merci.\\
~~~Ad\`ele. Attends! L'\'epingle!\\
~~~Achille. Vas-y doucement avec celle-l\`a.\\
~~~Ad\`ele. Je ne te pique pas?\\
~~~Achille. Non. A\"ie!\\
~~~Ad\`ele. Qu'est-ce qu'il y a?\\
~~~Achille. Tu le demandes?\\
~~~Ad\`ele. Je t'ai piqu\'e? Tu m'as dit non?\\
~~~Achille. Je t'ai dit non d'abord, et ensuite tu
m'as piqu\'e!\\
~~~Ad\`ele. Attends! Je vais recommencer.\\
~~~Achille. Ne dis donc pas de sottises, veux-tu?\\
~~~Ad\`ele. Quoi? Tu ne veux pas que je ferme
cette \'epingle?\\
~~~Achille. Non!\\
~~~Ad\`ele. Tu ne vas pas rester comme \c{c}a avec
une \'epingle ouverte dans le cou?\\
~~~Achille. Laisse-moi tranquille!--- A\"ie!\\
~~~Ad\`ele. Quoi? Je ne t'ai pas touch\'e.\\
~~~Achille. C'est moi qui me suis piqu\'e le doigt,
tu ne comprends pas?\\
~~~Ad\`ele. Evidemment! Tu trembles.\\
~~~Achille. Je tremble! Je tremble! Laisse donc
donc \c{c}a.\\
~~~Ad\`ele. Ferme-la toi-m\^eme alors!\\
(Il essaie en vain de fermer l'\'epingle tout
seul, et soudain, \'eclatant:)\\
~~~Achille. Veux-tu ne pas me laisser comme \c{c}a
la t\^ete en l'air, s'il te pla\^it?\\
~~~Ad\`ele. Alors, laisse-moi faire sans t'agiter.\\
~~~Achille. Ne me pique pas une deuxi\`eme fois!\\
~~~Ad\`ele. Est-ce ma faute si je n'y vois rien?\\
~~~Achille. Mets tes lunettes!\\
~~~Ad\`ele. Ne bouge plus! Je ne te pique pas
cette fois?\\
~~~Achille. Ne pose donc pas de question. Ferme-la.\\
~~~Ad\`ele. Tu as une fa\c{c}on de me parler!\\
~~~Achille. Je te dis de la fermer, c'est tout.\\
~~~Ad\`ele. L\`a!\\
~~~Achille. Elle est ferm\'ee?\\
~~~Ad\`ele. Oui.\\
~~~Achille. Eh bien! Tu en fais des histoires
pour une \'epingle!\\
(Temps.)\\
~~~Ad\`ele. Ben ... et le coton?\\
~~~Achille. Quoi, le coton?\\
~~~Ad\`ele. Pourquoi est-ce que je l'ais dans la
main?\\
~~~Achille. C'est \`a moi que tu le demandes? Tu
l'as oubli\'e?\\
~~~Ad\`ele. Aussi, qu'est-ce que tu veux, on ne
peut jamais faire les choses tranquillement avec
toi! Tu t'\'enerves, tu cries, tu trembles!\\
~~~Achille. Quoi! tu oublies de laisser le coton
sous le mouchoir et tu me le reproches.! C'est un
peu raide!\\
~~~Ad\`ele. Recommen\c{c}ons, que veux-tu?\\
~~~Achille. Ah non, par exemple!\\
~~~Ad\`ele. Et si ton bouton devient un flegmon!\\
~~~Achille. On verra bien!\\
~~~Ad\`ele. \c{C}a peut \^etre mortel!\\
~~~Achille. Ah! Tais-toi donc!\\
~~~Ad\`ele. Ce n'est pas une r\'eponse!\\
~~~Achille. C'est la meilleure. Allez, hop, fini.
Parlons d'autre chose.\\
~~~Ad\`ele. Je t'assure que ce mouchoir n'est pas
assez propore, Achille, et que c'est imprudent ...\\
~~~Achille. Imprudent ou non, c'est fini! Allez
hop! ... Envoie-moi cette bouteille d'alcool en l'air.\\
~~~Ad\`ele. Comme tu y vas, toi! Je vais la
remettre \`a sa place. (Elle sort.).\\
~~~Achille. Depuis soixante ans, elle me casse
ainsi les oreilles. Ad\`ele! Ad\`ele! Elle n'entend jamais
quand je l'appelle. Elle est \`a c\^ot\'e, mais elle n'entend
rien. Ad\`ele!!!!\\
(Elle revient.)\\
~~~Ad\`ele. Quoi?\\
~~~Achille. Tu ne m'entends pas?\\
~~~Ad\`ele. Non.\\
~~~Achille. Tu es sourde, toi aussi?\\
~~~Ad\`ele. Peut-\^etre.\\
~~~Achille. Le t\'el\'ephone?\\
~~~Ad\`ele. Eh bien?\\
~~~Achille. On va venir le r\'eparer?\\
~~~Ad\`ele. Je l'esp\`ere.\\
~~~Achille. Tu l'`esp\`eres!\\
~~~Ad\`ele. C'est la seule r\'eponse que je puisse te
faire. On a dit \`a la femme de chambre que quelqu'un
viendrait ce matin.\\
~~~Achille. Tu es s\^ure qu'on a dit ce matin?\\
~~~Ad\`ele. Je ne suis s\^ure de rien. C'est ce qu'elle
m'a r\'epondu.\\
~~~Achille. Ce que disent les femmes de chambre!\\
~~~Ad\`ele. Demande-le lui toi-m\^eme, tu verras.\\
~~~Achille. Je verrai quoi? Elle me r\'epondra la
m\^eme chose; \c{c}a ne sert \`a rien.\\
(On sonne.)\\
~~~Ad\`ele. Tiens, le voil\`a peut-\^etre?\\
~~~Achille. Pourquoi?\\
~~~Ad\`ele. On a sonn\'e.\\
~~~Achille. On a sonn\'e? O\`u as-tu pris \c{c}a?\\
~~~Ad\`ele. Je l'ai entendu, que veux-tu!\\
~~~Achille. Tu as entendu sonner? Tu as l'oreille
fine!\\
(On frappe.)\\
~~~Ad\`ele. On frappe.\\
~~~Achille. On frappe? Entrez! (Entre un homme
de 40 ans environ.) Tiens! Georges! Entre, mon
petit. Quelle bonne nouvelle nous vaut ta viste?\\
~~~Georges. Bonjour, mon Oncle!\\
~~~Achille. Toujours superbe, Georges!\\
~~~Georges. Bonjour ma Tante.\\
~~~Achille. Tu viens nous annoncer que tu as
encore fait un enfant \`a ta femme? (Il tousse en
riant.)\\
~~~Georges. H\'elas, non, mon Oncle. Je viens vous
annoncer la mort de Maman.\\
~~~Ad\`ele. Quoi? Tu entends, Achille?\\
~~~Achille. Hein! Quoi? Qu'est-ce que tu veux,
toi? Prends un fauteuil. Assieds-toi aussi, Georges.
Comment va ta m\`ere? Toujours le coeur un peu
patraque? Fais attention \`a mes rails.\\
~~~Ad\`ele. La pauvre Jeanne est morte, Achille.\\
~~~Achille. Mais laisse donc parler ... ---Qu'est-ce
que tu dis? Ce n'est pas vrai!?\\
~~~Georges. Eh oui! mon Oncle, c'est la triste
nouvelle que je venais vous annoncer.\\
~~~Achille. Mais quand? Comment?\\
~~~Georges. Cette nuit. Une embolie.\\
~~~Ad\`ele (prenant un si\`ege apr\`es avoir fait signe \`a
Georges de s'asseoir.) Pauvre Jeanne!\\
~~~Achille. Oh! mon pauvre petit! Eh bien, moi
qui t'ai re\c{c}u en plaisantant! J'\'etais \`a cent lieues
de me douter ... Mais pourquoi n'avez-vous pas t\'el\'ephon\'e?
Ah! bien s\^ur, il est coup\'e cet idiot-l\`a!
Vous avez essay\'e ...\\
~~~Georges. Quand j'ai vu qu'il n'y avait pas
moyen de vous joindre, j'ai fait un saut rapidement
ce matin.\\
~~~Achille. Tu as tr\`es bien fait, mon petit.\\
~~~Ad\`ele. Pauvre Jeanne! Elle n'a pas souffert?\\
~~~Achille (fort et la main en cornet derri\`ere l'oreille
pour bien entendre la r\'eponse). Elle n'a pas
souffert?\\
~~~Georges. Elle est morte en dormant.\\
~~~Achille. Allons! Tant mieux! ---Ta pauvre
m\`ere, mon petit Georges, c'\'etait une ma\^itresse femme.\\
~~~Georges. C'est bien triste, oui.\\
~~~Achille. Jeanne! La petite Jeanne! Je la
revois toujours le jour de ses fian\c{c}ailles avec mon
fr\`ere. Ton p\`ere avait vingt ans et Jeanne dix-sept!
Nous \'etions all\'es tous les trois, lui, Ad\`ele et moi
chez les amis o\`u les fian\c{c}ailles devaient \^etre
annonc\'ees officiellemnt; nous \'etions mari\'es depuis
dix-huit mois, avec Ad\`ele; nos parents \'etaient l\`a
aussi, naturellement ... Jeanne, ta m\`ere, portait un
chapeau de paille relev\'e sur le devant avec un gros
ruban bleu \`a pois blancs, je me rappelle. Je me
suis toujours souvenu de ce chapeau-l\`a. Je lui en ai
reparl\'e souvent. Il lui allait \`a ravir. Elle \'etait
ravissante. J'\'etais tr\`es fier de ma future belle-soeur.
Tu te rappelles, Ad\`ele? Et elle avait une fa\c{c}on de
devenir rouge, Jeanne! Elle \'etait tout de suite
comme une pivoine. Alors, tu imagines, ce jour-l\`a!
(Il rit \`a ce souvenir, et brusquement revient \`a
l'heure pr\'esente.) Pauvre Jeanne!\\
~~~Ad\`ele. Elle n'a pas souffert, c'est une consolation.
Mourir en dormant---pr\^ete comme elle
l'\'etait---c'est encore le mieux. Elle sera all\'ee tout
droit au Paradis, elle, on en est bien s\^ure.\\
~~~Georges. Oh! oui, pauvre Maman!\\
~~~Achille. Mais dis-donc quel \^age avait-elle, ta
m\`ere? Je m'y perds, moi.\\
~~~Georges. Soixante-dix-neuf.\\
~~~Achille (la main derri\`ere l'oreille.) Combien?\\
~~~Georges et Ad\`ele (ensemble.) Soixante-dix-neuf!!!\\
~~~Achille. H\'e!\\
~~~Georges. H\'e oui!\\
~~~Achille. Mais quel \^age as-tu donc, toi, Ad\`ele?
Tu as quatre-vingt-un, alors?\\
~~~Ad\`ele. Eh oui, mon pauvre ami.\\
~~~Achille. Et moi, quatre-vingt-quatre! C'est \c{c}a,
oui. (Il fait entendre un sifflement.) Mazette, dis-donc,
\c{c}a file!\\
(On sonne, Ad\`ele se l\`eve.)\\
~~~Georges. Mon oncle, je suis venu en m\^eme
temps, vous poser une question un peu d\'elicate soulev\'ee
par la mort de Maman.\\
~~~Achille (la main en cornet). Comment dis-tu?\\
~~~Ad\`ele. Approche-toi, Georges, ton oncle est
sourd d'une oreille.\\
(Elle lui indique la chaise qu'elle vient
de quitter.)\\
~~~Achille. Tu lui dis que je suis sourd, je parie!\\
~~~Georges (plus haut). Je disais qu'en venant
vous apprendre cette triste nouvelle, je venais aussi
vous poser une question au sujet ...\\
~~~Ad\`ele (qui a ouvert la porte.) Qu'est-ce que
c'est? Ah! Achille ... C'est ... Oh! c'est contrariant!
C'est pour le t\'el\'ephone ...\\
~~~Achille (qui comprend mal). Quoi? Il n'y a
personne? Eh bien: tant pis!\\
~~~Ad\`ele. Non: le t\'e-l\'e-phone.\\
~~~Achille. Ah! oui: le t\'el\'ephone. Qu'il entre!\\
~~~Ad\`ele. Maintenant?\\
~~~Achille. Mais oui, maintenant! \c{C}a ne te g\^ene
pas, mon petit? Il faut qu'on r\'epare l'appareil. Tu
vois, si on avait fait \c{c}a hier, nous aurions su plus
t\^ot la mort de ta m\`ere. (A l'employ\'e.) C'\'etait hier
qu'on devait venir arranger ce t\'el\'ephone. Vous voyez
ce qui arrive:---attention de ne pas marcher sur
mes rails---je perds ma belle-soeur et on ne peut
pas me l'apprendre tout de suite parce que votre
appareil est d\'etraqu\'e. Qu'est-ce qu'il a ? Voulez-vous
me le dire?\\
~~~L'employ\'e. Je vais voir, Monsieur.\\
~~~Achille. Regardez. Et puis, il doit y avoir
quelque chose de bouch\'e dans l'\'ecouteur, parce que
lorsqu'on me t\'el\'ephone je perds un mot sur deux,
c'est assomanat. Voyez \c{c}a sans faire de bruit.\\
~~~L'employ\'e. Oui, Monsieur.\\
~~~Achille. Ce ne sera pas long?\\
~~~L'empoloy\'e. Je ne pense pas, Monsieur.\\
~~~Achille. Voyez. Et puis qu'on entende, surtout!
Sinon, ce n'est pas la peine d'avoir un t\'el\'ephone.
Excuse-moi, mon petit. Et ma sciatique me fait mal,
nom d'un chien! Tu verras \c{c}a plus tard, pas rigolo!
Naturellement j'ai un m\'edecin qui n'y compred rien
du tout! Ils sont tous plus b\^etes et plus nuls les
uns que les autres! Enfin! Alors? tu disais? (A
l'employ\'e.) Quand vous aurez vu ce qu'il y a, vous
me direz combien de temps durera \`a peu pr\`es la
r\'eparation.\\
~~~L'employ\'e. Oh! cinq minutes, Monsieur.\\
~~~Achille. Vous avez d\'ej\`a vu?\\
~~~L'employ\'e. Oui, Monsieur. C'est pas terrible,
c'est un fil qui a saut\'e.\\
~~~Achille. Ah! il est \'epatant, ce gamin-l\`a! Quel
\^age as-tu?\\
~~~L'employ\'e. Moi? Dix-neuf ans, Monsieur.\\
~~~Achille. Combien?\\
~~~L'employ\'e. Dix-neuf ans.\\
~~~Achille. Il a l'oeuil vif hein? Alors? Tu me
disais Georges?\\
~~~Georges. Oui, mon Oncle. Il y a une question
embarrassante que pose la mort de Maman. Il n'y
a plus de place dans le caveau des R\'egal.\\
~~~Achille. Plus de place?\\
~~~Georges. Non.\\
~~~Achille. Et alors?\\
~~~Georges. Alors, je venais voir avec vous si l'on
pouvait placer le corps de Maman dans votre caveau.
D'autant plus que Papa y est enterr\'e; il m'a sembl\'e
naturel ...\\
~~~Achille (apr\`es courte r\'eflexion). Chez nous?
Mais mon petit, nous sommes pleins aussi.\\
~~~Georges. Ah! oui, Maman m'a dit souvent
cependant ...\\
~~~Achille. Ta m\`ere avait un d\'efaut terrible, elle
qui poss\'edait toutes les qualit\'es: elle n'envisageait
jamais qu'elle devrait mourir un jour. Nous en avons
parl\'e dix fois de cette histoire de caveau. Elle le
savait tr\`es bien qu'il n'y avait plus de place chez les
R\'egal. Elle me l'avait dit. J'avais agit\'e la question
avec elle, et je lui avais conseill\'e \`a plusieurs reprises
de faire faire des r\'eductions de corps. Une des derni\`eres
fois que nous nous sommese vues, je le lui avais
rappel\'e encore. Je lui disais en plaisantant: "Vous
verrez, Jeanne, vous serez coinc\'ee!" Eh bien, \c{c}a
y est, elle s'est laiss\'ee coincer!\\
~~~Georges. C'\'etait peut-\^etre \`a moi de m'occuper
de tout cela, \'evidemment, mais aujourd'hui ...\\
~~~Achille. Aujourd'hui, tu te trouves dans la
situation des gens qui ne veulent pas pr\'evoir les
choses. C'\'etait fatal!\\
~~~Ad\`ele. Comment se fait-il qu'il n'y ait plus de
place dans le caveau des R\'egal?\\
~~~Georges. A la mort de ma grand-m\`ere R\'egal,
il y avait encore quatre places.\\
~~~Achille. Eh bien! il y a eu tant de morts que
\c{c}a depuis chez les R\'egal?\\
~~~Georges. J'ai compt\'e ce matin: ma tante Elizabeth,
puis Gustave, puis le petit Henri et mon
oncle Edouard. \c{C}a fait quatre.\\
~~~Achille (un petit temps). Eh bien, mais le
petit Henri ... (Il s'arr\^ete, n'ach\`eve pas sa pens\'ee
mais exprime d'un geste qu'il y aurait peut-\^etre
moyen de le mettre en travers ou dans un coin quelconque.)
(Petit tems, puis) Ecoute, mon petit, je
vais te dire. Chez nous, il y a encore deux places
mais elles sont r\'eserv\'ees depuis longtemps: ce sont
les n\^otres. Pour ta tante et pour moi! Je l'avais
assez dit \`a ta m\`ere; je pensais qu'elle se serait finallement
arrang\'ee de son c\^ot\'e.\\
~~~Georges. Elle ne l'a pas fait, mon oncle.\\
~~~Achille. Je le sais bien: elle ne voulait pas
y penser. R\'esultat: le jour o\`u on meurt, on ne sait
plus o\`u vous mettre.\\
~~~L'employ\'e (qui a trafiqu\'e pendant tout ce temps-l\`a).
Allo? Le central? Oui, j'entends, merci.
Notez: le 7.834 ligne 4---Merci.\\
~~~Achille. \c{C}a y est?\\
~~~L'employ\'e. C'est arrang\'e, Monsieur.\\
~~~Achille. L'\'ecouteur aussi?\\
~~~L'employ\'e. On entend tr\`es bien, Monsieur.\\
~~~Achille. Esp\'erons que j'entendrai aussi. Attention
aux wagons, ne marchez pas dessus! Qu'est-ce
que je vous dois?\\
~~~L'employ\'e. Les r\'eparations sont gratuites, Monsieur.\\
~~~Achille. Comment?\\
~~~L'employ\'e. Je dis que les r\'eparatoins sont gratuites.\\
~~~Chilles. Ah bon. Merci alors. Au revoir,
mon ami. (Petit salut amical de la main.)\\
~~~L'employ\'e. De rien. (En partant.) Et merci
quand m\^eme! Vieux shnok! \\
(Il est sorti.)\\
~~~Ad\`ele. Il te dit merci, Achille.\\
~~~Achille. Quoi! Pourquoi me dit-il merci?\\
~~~Ad\`ele. Tu ne lui as pas donn\'e de pourboire.\\
~~~Achille. Je ne lui ai pas donn\'e de pourvoire?
Alors pourquoi me dit-il merci?\\
~~~Ad\`ele. Pour te le faire remarquer.\\
~~~Achille. Que veux-tu que j'y fasse, moi? Je
n'ai pas de monnaie, d'abord. Et puis ils nous emb\^etent!
tous, avec leurs pourboires! On fait des
\'etrennes \`a la Compagnie, le 1er Janvier, c'est bien
pour quelque chose! qu'il aille se faire foutre, tiens!
Et ils ont le toupet de vous le faire remarquer, encore!
Heureusement pour lui, je ne l'avais pas entendu.
Je lui aurais donn\'e une le\c{c}on de politesse,
moi, \`a ce gamain-l\`a! Qu'est-ce que tu dis de \c{c}a,
Georges? Elle est bien bonne, par exmemple!\\
(Georges g\^en\'e, ne dit rien.)\\
~~~Ad\`ele. Alors, Achille?\\
~~~Achille. Quoi?\\
~~~Ad\`ele. Que faut-il faire pour cette pauvre
Jeanne?\\
~~~Achille. Oui. Et bien, je me le demande, mon
pauvre petit. Je te dis: chez nous il n'y a que deux
places, et elles sont retenues! Si ta tante meurt
demain, ou moi, o\`u nous mettra-t-on?\\
~~~Ad\`ele. On a peut-\^etre un peu de temps tout
de m\^eme pour se retourner.\\
~~~Achille. Qu'est-ce que tu appelles "te retourner",
toi? Faire constuire un autre caveau? Comme
tu y vas! \c{C}a vaut une fortune en ce moment! Mon
seul d\'esir, mon petit, c'est de reposer quand je serai
mort, \`a c\^ot\'e de ta tante. N'est-ce pas Ad\`ele? On
ne va tout de m\^eme pas nous s\'eparer \`a ce moment-l\`a,
nous deux?\\
~~~Ad\`ele. Tu sais, \`a ce moment-l\`a!\\
~~~Achille. A ce moment-l\`a, moi, je veux que
nous soyions ensemble et pour une fois, sans
discussion possible!\\
~~~Ad\`ele. Je sais bien, mais Jeanne alors?\\
~~~Achille. Tu veux aller au d\'epositoire, toi?
Moi, non! Je veux \^etre dans mon caveau avec mon
p\`ere, ma m\`ere, mon fr\`ere et toi. Je veux aller te
rejoindre.\\
~~~Ad\`ele. Ben, dis donc, tu m'enterres la premi\`ere!\\
~~~Achille. Dans le cas o\`u je ne mourrai pas
avant toi, naturellement.\\
~~~Georges. Ecoutez, mon oncle, dans ces conditions-l\`a ...\\
~~~Achille. Comprends dans quelle situation je
me trouve, mon petit!\\
~~~Georges. Je pensais qu'il y aurait peut-\^etre
moyen d'inhumer Maman quelque temps dans votre
caveau, puis s'occuper tout de suite de faire faire des
r\'eductions dans le tombeau des R\'egal et d'y transf\'erer
ensuite le corps de Maman.\\
~~~Ad\`ele. Mais oui, Achille, c'est une tr\`es bonne
id\'ee! Provisoirement!\\
~~~Achille. Mais ils ne sont pas morts depuis si
longtemps chez les R\'egal! On ne fait pas des r\'eductions
comme \c{c}a, vous savez. Ce n'est pas si
facile!\\
~~~Georges. Si vous \'etiez d'accord pour cette
solution, je rechercherais aussit\^ot les actes de d\'ec\`es
et l'on s'en occuperait au plus vite.\\
~~~Achille (apr\`es r\'eflexion et h\'esitation). Remarque
bien, mon petit, que je n'ai nullement l'intention
de mourir, mais il faut que cette affaire soit r\'egl\'ee
dans les trois mois.\\
~~~Gerorges. Je m'en chargerai tout de suite, mon
Oncle.\\
~~~Achille. Remarque aussi que c'est tr\`es volontiers---sauf
la question de place---que j'ouvrirais
notre caveau \`a ta m\`ere. J'en suis tr\`es heureux. Ce
que je veux, c'est l'assurance pour ta tante et pour
moi de ne pas \^etre ... \`a la rue! Ceci dit, la place de
ta m\`ere est \'evidemment chez nous avec ton p\`ere.
Je vais te chercher les papiers de la concession. Il
ne sera pas dit que j'aurais laiss\'e la femme de mon
fr\`ere dans cette situation-l\`a. Mais avoue qu'il y a
de sa faute aussi!\\
~~~Georges. Pauvre Maman!\\
~~~Achille. Bien s\^ure, pauvre Jeanne! Mais elle
ne voulait pas mourir aussi! \c{C}a arrive pourtant!\\
(Il passe dans la pi\`ece voisine.)\\
~~~Georges. Il n'est pas commode, l'oncle Achille!\\
~~~Ad\`ele. Ah! Vois-tu, Georges, la vieillesse!\\
~~~Georges. Toujours son chemin de fer?\\
~~~Ad\`ele. Oui. Et il ne faut surtout pas le contrarier
l\`a-dessus. Mon pauvre Georges, nous irons
chez ta m\`ere cet apr\`es-midi. Ce matin, ce sera un
peu court, n'est-ce pas?\\
~~~Georges. Certainement, ma tante.\\
(Revient Achille.)\\
~~~Achille. Mais dis-donc, Georges, j'y pense,
les Montaignon?\\
~~~Georges. Oui?\\
~~~Achille. Par le second mariage de Charles,
ta m\`ere \'etait alli\'ee au premier degr\'e avec
les Montaignon?\\
~~~Georges. En effet ...\\
~~~Achille. Hector Montaigon a fait construire
un tombeau il y a un an. \c{C}a, j'en suis s\^ur! Je
l'ai rencontr\'e au mariage ... Heu ... \`a l'enterrement
de Lachaux derni\`erement, et il m'en a parl\'e. Il m'a
dit: "J'ai de la place pour quinze!" Je suis s\^ur
qu'il accepterait tr\`es volontiers le corps de ta m\`ere,
mon petit, en attendant le transfert.\\
~~~Ad\`ele. Tu crois? Chez les Montaignon?\\
~~~Achille. Mais j'en suis s\^ur! Hector est un
camarade de classe \`a moi ... Si je lui dis que nous
sommes complets chez nous, je suis bien certain
qu'il acceptera. Une seconde, tiens. Je lui t\'el\'ephone,
tu vas voir. \c{C}a va \^etre r\'egl\'e en cinq sec.\\
~~~Georges. Peut-\^etre vaudrait-il mieux que j'aille
alors lui rendre visite?\\
~~~Achille. Bien s\^ur, mais je vais lui demander la
chose moi-m\^eme d'abord. J'ai son num\'ero, tu vas
voir. \c{C}a va aller tout seul. (Il t\'el\'ephone.) Allo?
Je voudrais parler \`a Monsieur Galtier! ... Heu ... \`a
Monsieur Montaignon. De la part de Monsieur Galtier ...
C'est \c{c}a ... Achille Galtier ... C'est \c{c}a. (\`a Georges.)
Il a une sciatique dix fois plus forte que la
mienne; il est chez lui, tu vas voir ... ---Allo Hector?
---Achille!---Comment vas-tu? Eh bien tristement,
mon cher, tristement ... (tr\`es fort une 3e foi) triste-ment!!!!
Tu as appris la nouvelle? Cette nuit,
oui. Non, en dormant. Dis-moi, mon cher Hector,
c'est \`a son sujet que je te t\'el\'ephone, justement. Son
fils Georges, que tu connais bien, est \`a mes c\^ot\'es, et
nous sommes tr\`es emb\^et\'es ... enfin, tr\`es embarrass\'es
parce que mon tombeau \`a moi est plein, et d'autre
part, chez les R\'egal, on est pr\'ecis\'ement en train de
faire des r\'eductions de corps ... Ce sera l'affaire
d'une ou deux semaines peut-\^etre ... Oui, alors c'est
au titre de chef de famille que je m'adresse \`a toi.
Tu m'as dit il y a quelque temps que tu \'etais au
large, enfin, je veux dire ... que tu avais un caveau
nouvellement construit ... J'ai pens\'e que ma belle-soeur
Jeanne \'etait pour vous une alli\'ee directe et
que tu voudrais bien accepter que l'inhumation---tr\`es
provisoire, je le r\'ep\`ete---ait lieu dans le caveau
de ta famille ... (Silence pendant lequel il fait signe
de la t\^ete assez joyeusement que la r\'eponse est
affirmative.) Eh bien, mon cher Hector, je te remercie
au nom de tous les miens; je savais en
m'adressant \`a toi que je pouvais compter sur notre
vieille et fid\`ele amiti\'e et sur tous les liens qui rapprochent
nos familles ... H\'e oui! ce sont de p\'enibles
moments (r\'ep\'etant tr\`es fort) "De p\'enibles moments!!!"
C'est notre lot \`a nous qui restons---nous
voyons mourir les autres ... (il fait entendre un petit
rire moqueur.) Eh bien, entendu,
il passera te voir aujourd'hui m\^eme. Au revoir,
Hector, merci. (Il raccroche.) C'est d'accord. Tout
est parfait.---C'\'etait le plus simple. Tu n'as qu'\`a
passer le voir dans la journ\'ee, il tient les papiers
n\'ecessaires \`a ta disposition.\\
~~~Georges. Merci, mon oncle.\\
~~~Achille. Je te l'ai d\'ej\`a dit et je te le r\'ep\`ete,
je l'aurais fait tr\`es volontiers, mais du moment qu'il
y a tant de place l\`a-bas, c'\'etait plus simple.---Je
lui ai dit "une ou deux semaines" pour faciliter
les choses, mais une fois qu'on y est ... Tu t\^acheras
tout de m\^eme de faire faire au plus t\^ot le n\'ecessaire
hein?\\
~~~Georges. C'est entendu, mon oncle. J'irai le
voir cet apr\`es-midi.\\
~~~Achille. Ah! oui, pauvre ch\`ere Jeanne! Et
voil\`a ... Je la revois avec son chapeau de paille---c'\'etait
hier---, aujourd'hui elle est morte et nous
lui cherchons un tombeau ... Nous sommes peu de
chose!\\
~~~Georges. Je vous dis au revoir, ma tante.\\
~~~Ad\`ele. Nous irons vous voir cet
apr\`es-midi.---n'est-ce pas, Achille?\\
~~~Achille. Quoi?\\
~~~Ad\`ele. Nous irons cet apr\`es-midi.\\
~~~Achille. O\`u \c{c}a?\\
~~~Ad\`ele. Eh bien! chez Jeanne.\\
~~~Achille. Pourquoi faire? (Et devant la stup\'efaction
des autres:) Elle est folle! Tu as des rhumatismes,
tu ne peux pas bouger! et tu veux aller
te promener!\\
~~~Ad\`ele. Pas me promener! Chez Jeanne!\\
~~~Achille (expliquant avec douceur et mauvaise foi).
J'aimerais bien, naturellement, pouvoir aller prier
au pied de son lit de mort, mais mon petit, tu
m'excuseras; tu nous excuseras tous les deux!
Nous sommes clou\'es! Quand on tra\^ine la patte comme
les deux pauvres vieux que nous sommes, on reste
chez soi! Tu le comprends?\\
~~~Georges. Soignez-vous bien, mon oncle.\\
~~~Achille. Tu feras dire une messe de ma part
pour ta pauvre maman et tu embrasseras bien ta
femme pour nous deux. Au revoir, mon petit, je te laisse
aller.\\
~~~Ad\`ele. Je t'accompagne, Georges. (Ils sortent.)\\
~~~Achille (haussant les \'epaules en la regardant). Il
faut toujours qu'elle trotte celle-l\`a! (Temps.) En
voil\`a une histoire! Comme si on allait coucher toute
une ville dans son lit! (Avisant son train, il se remet
\`a quatre pattes.) Ah! o\`u en sommes-nous, ici? (Il
met le train en marche et le regarde tourner pendant
que le rideau tombe.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau)\\



}
\end{document}