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{
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Andr\'e Roussin\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~La Sainte Famille\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 3\\
(En sc\`ene, Michel dans un fauteuil.---A c\^ot\'e de lui, debout, un drap sur les \'epaules, l'oncel Auguste.)\\
~~~Auguste. Il y a diff\'erentes sortes de cocus, Michel.---Si je voulais parler de la question d'une fa\c{c}on doctorale, je te dirais: la vari\'et\'e des cocus est infinie. Il y a du cocu dans toutes les familles.\\
~~~Apr\`es la coqueluche, les oreillons, la scarlatine de toutes les enfances, apr\`es les maladies v\'en\'eriennes de l'adolescenece, il existe ce mal sournois r\'eserv\'e \`a l'homme dans la force de l'\^age, mal impr\'evisible pour celui qui va en \^etre frapp\'e, insensible pour celui qui en est frapp\'e. Voil\`a sa caract\'eristique et son originalit\'e.\\
~~~Tel qui sort de chez lui le pied l\'eger, \`a deux heures de l'apr\`es-midi, rentre le soir aussi fr\'etillant; rien n'a chang\'e autour de lui; aucun bouton, aucune rougeur ne pointe sur sa peau; peut-\^etre m\^eme se sent-il ce soir-l\`a, et comme par hasard, plus gai, plus satisfait que de coutume et cependant cette apr\`es-midi m\^eme il a \'et\'e frapp\'e. Il en a peut-\^etre pour deux jours, peut-\^etre pour dix ans avant de le savoir et par cons\'equent avant de chercher un rem\`ede, peut-\^etre aussi ne le d\'ecouvrira-t-il jamais, c'est un cas fr\'equent. Le sujet meurt alors de sa belle mort; il appartient au genre le plus doux, le plus facile \`a vivre et le moins proc\'edurier: le cocu bienheureux.\\
~~~Michel. Tu ne cesseras donc jamais de plaisanter, l'oncle Auguste? Qu'y a-t-il de plus grave et de moins dr\^ole que la souffrance d'une homme qui souffre d'amour?\\
~~~Auguste. Rien. Et c'est pour cela que je ne cesserai s\^urement pas en ce moment de plaisanter. En ce moment moins que jamais, Michel, car j'ai conscience de te livrer l'antidote majeur, le rem\`ede supr\^eme. Froncer le sourcil, c'est pour le cocu l'annonce de longs mois de maladie, Michel, car son mal est un ver tr\`es particulier, un ver susceptible, un ver qui ne r\'esiste pas \`a l'ironie. Pour le cocu qui veut gu\'erir, toutes les belladones du monde ne valent pas un sourire en coin. Voil\`a ce que je voulais te dire.\\
\\
belladones~~~(植)ベラドンナ\\
\\
~~~Michel. Facile \`a dire!\\
~~~Auguste. Tu es cocu, je l'ai \'et\'e. Rassure-toi, nous sommes des millions. Tu vois dans la rue des gens que tu regardes du coin de l'oeil et tu te dis parfois en les croisant: "On n'a pas id\'ee d'avoir une gueule pareille!" Ce n'est pas qu'ils ont mal \`a l'estomac, c'est qu'ils sont cocus et ne le dig\`erent pas. A vingt ans, ils \'etaient charmants, \`a vingt-cinq ou \`a trente, ils ont \'et\'e cocus, \`a quarante ils \'etaient devenus affreux. Par manque de digestion. Simplement par manque de sourire en coin. Moi, tu m'as toujours connu, Michel, tu pr\'etendais que je te faisais peur en faisant le spectre, mais c'\'etait toujours avec moi que tu venais t'amuser, c'\'etait moi qui te faisais des tours de cartes et qui escamotais les lorgnons de ton p\`ere; tu pouvais dire que j'avais une figure de clown, tu pouvais dire que j'avais l'air dingo, mais jusqu'\`a aujourd'hui tu n'as jamais pu penser que j'avais une t\^ete de cocu. R\'eponds-moi: tu le savais?\\
~~~Michel. Non.\\
~~~Auguste. Tu me croiras si tu as mon sang et mes rhumatismes dans les veines: les vrais cocus, les seuls cocus, ce sont les gens qui veulent l'\^etre.\\
~~~Michel. Une formule!\\
~~~Auguste. Paradoxale, j'en conviens; mais strictement conforme \`a la v\'erit\'e.\\
~~~Michel. C'est mon fils qui m'a souffl\'e ma ma\^itresse!\\
~~~Auguste. C'est disgracieux. C'est d\'esagr\'eable. Cela arrive dans les r\^eves. Cela rel\`eve du cauchemar. Il faut se faire une raison. Je peux t'en fournir une excellente: par d\'efinition, un fils est plus jeune que son p\`ere.\\
~~~Michel. Ce n'est pas \`a lui que j'en veux mais \`a Ginette qui \'etait une garce. Les femmes sont des garces!\\
~~~Auguste. Elles sont des garces par d\'efiniton et des garces par exp\'erience. Une fois bien admise cette v\'erit\'e simple, elles sont agr\'eables.\\
~~~Michel. Toi, tu as toujours \'et\'e un coureur!\\
~~~Auguste. J'avais cette r\'eputation dans la famille: j'ai toujours \'et\'e un s\'educteur---c'est tr\`es diff\'erent. J'ai \'et\'e un sujet d'\'etonnement pour tous ceux qui \'etaient plus cocus que moi; je n'\'etais pas beau, je n'avais pas d'argent, je sentais l'alcool, et je ne faisais pas tout peur aux femmes.\\
~~~Michel. Il y en a tout de m\^eme une qui t'a plaqu\'e.\\
~~~Auguste. Il y en a toujours une qui vous plaque---celle que l'on n'a pas plaqu\'ee le premier.\\
~~~Michel. Mais tu as souffert!\\
~~~Auguste. Je l'ai trouv\'ee mauvaise.\\
(Voix \`a l'ext\'erieur: "Demandez Matin-Soir!"\\
~~~Demandez \textit{Matin-Soir}! En ajoutant bout \`a bout les plongeons dans la Seine, les coups de revolver, et les divorces de la journ\'ee, chaque \'edition de \textit{Matin-Soir} contient les noms de cinquante cocus. C'est ce qu'on appelle du fait divers, Michel. Le sort du pays n'en est pas chang\'e.\\
(Entre la belle-m\`ere.)\\
~~~Belle-m\`ere. Michel!\\
~~~Michel. Feu!!!\\
~~~Belle-m\`ere. Quoi: feu?\\
~~~Michel. C'est une fa\c{c}on de me soulager. Ne pouvant pas vous tuer pour de bon, je vous tue dans ma conscience \`a chacune de vos apparitions. Je crie: feu! et pour moi, vous \^etes morte.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous \^etes un gendre d\'elicieux. Tuez-moi si vous voulez dans votre conscience comme vous dites, mais vous le regretterez car je vous apporte une certaine nouvelle.\\
~~~Michel. Je m'attends \`a tout.\\
~~~Belle-m\`ere. Qui est ce monsieur qui sort de son lit?\\
~~~Auguste. Je suis Auguste Denoyer, ch\`ere madame. Enchant\'e de vous conna\^itre.\\
~~~Michel. Mon oncle Auguste.\\
~~~Belle-m\`ere. Ah! je vois. La famille rapplique!\\
\\
rapplique~~~(急いで、不意に)戻る、来る\\
\\
~~~Auguste. Pardon?\\
~~~Belle-m\`ere. Je dis: la famille rapplique! La sainte famille, la c\'el\`ebre famille de Michel! On n'est pas admis pendant vingt ans \`a l'honneur de la conna\^itre et le jour o\`u les choses tournent bien la famille se d\'ecouvre.\\
~~~Michel. L'oncle Auguste n'a jamais compt\'e dans la famille qu'\`a titre exceptionnel.\\
~~~Auguste. Exceptionnel est le mot, ch\`ere madame. A titre d'"excentrique" serait encore plus juste. Je n'ai jamais \'et\'e pour notre sainte famille qu'un sujet de scandale et de d\'esespoir. Ne m'associez pas \`a la rancune que vous pouvez avoir contre elle, ce serait injuste.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous \^etes l'oncle de Michel?\\
~~~Auguste. L'un de ses oncles.\\
~~~Belle-m\`ere. Un fr\`ere de son p\`ere?\\
~~~Auguste. Un fr\`ere honteux de son p\`ere.\\
~~~Belle-m\`ere. Pour qui se prend-il celui-l\`a?\\
~~~Auguste. Mon fr\`ere?\\
~~~Belle-m\`ere. Le p\`ere de Michel, oui. On aura vu au vingti\`eme si\`ecle un fils, sa femme et sa belle-m\`ere reni\'es par toute une famille---on l'aura vu!\\
~~~Auguste. On le verra encore, madame.\\
~~~Belle-m\`ere. Et quelle famille, je vous prie? Une famille de petits esprits, de pantalons \'etrois et de binocles, une famille de pimb\^eches confites en d\'evotion, et de vieux retrait\'es sans particule qui se croient du sang bleu dans les veines.\\
\\
pimb\^eches~~~生意気な\\
confites~~~凝固まった、取澄ました\\
\\
~~~Auguste. Une vraie famille bourgeoise, ch\`ere madame. Vous serez toujours au-dessous de la v\'erit\'e \`a mes yeux en poussant au noir mes consanguins et mes collat\'eraux. Pour bien conna\^itre une famille, il faut lui appartenir.\\
~~~Belle-m\`ere. Oh! J'en ai assez entendu parler! Je connais sur le bout des doigts cette famille que je n'ai jamais vue! Vous aussi vous avez un diminutif?\\
~~~Auguste. Je suis le seul qui ait r\'esist\'e. Je m'appelle Auguste et non pas Gu-gusse.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous \^etes un ph\'enom\`ene!\\
~~~Auguste. Je vous l'ai dit en me pr\'esentant, ch\`ere madame. Je m'appelle Auguste et non Gu-gusse; dans notre famille, c'est pr\'ecis\'ement ph\'enom\'enal.\\
~~~Mon fr\`ere Henri---le p\`ere de Michel---ancien colonel de cavalerie, qui, \`a 64 ans, s'appelle Riri, ma soeur a\^in\'ee s'appelle Toto, et sa cadette Titi, nous avons aussi des Coco, des Kiki, des Jojo; un de mes autres fr\`eres, notaire au Havre, sexag\'enaire et p\`ere de quatre enfants mari\'es s'appelle Mimi pour toute la famille. Nous avons aussi un L\'eon qui s'appelle Lonlon. Kiki, K\'ek\'e, Coco, Lonlon, Dodo, Didi, Zaza, Zouzou, Zizi: m\^eme euphoniquement parlant, notre famille est une ruche.\\
~~~On jouait au cerceau jadis avec Titi et Toutou, soixante ans plus tard au cimeti\`ere ce sont encore Titi et Toutou que l'on enterre! On a des traditions ou on n'en a pas.\\
\\
sexag\'enaire~~~60歳代の人\\
ruche~~~蜜蜂の巣箱\\
cerceau~~~たが、輪回し\\
\\
~~~Belle-m\`ere. Et ce sont ces gens-l\`a qui, pendant vingt ans, m'auront tourn\'e le dos comme \`a une femme de mauvaise vie! C'est \`a crever de rire!\\
~~~Auguste. Nous en crevons, madame.\\
~~~Belle-m\`ere. \c{C}a vous pouvez le dire!\\
~~~Michel. Feu!\\
~~~Belle-m\`ere. Quoi? Encore! Vous \^etes insupportable avec vos explosions!\\
~~~Michel. Les consid\'erations sur les dimunutifs de ma famille sont oiseuses. Vous m'avez annonc\'e une nouvelle, ma m\`ere.\\
~~~Belle-m\`ere. Moi?\\
~~~Michel. Vous l'avez oubli\'e?\\
~~~Belle-m\`ere. Ah! C'est vrai! Mais puisque vous ne voulez pas m'entendre, \c{c}a va bien, je n'insiste pas. Je sors.\\
~~~Michel. Je veux bien vous entendre: il y a une heure que je vous \'ecoute! J'attends toujours la nouvelle, c'est tout. Vous avez dit: "Le jour o\`u les choses tournent bien." J'attends. Je suis intrigu\'e. Que se passe-t-il?\\
~~~Belle-m\`ere. Il se passe que l'on parle de votre fils \`a la radio, mon gar\c{c}on!\\
~~~Michel. Mon fils?\\
~~~Belle-m\`ere. Max. Vous n'en avez pas trente-six que je sache!\\
~~~Michel. A la radio?\\
~~~Belle-m\`ere. Oui. J'\'etais dans ma chambre, j'\'ecoutais les informations. Tout d'un coup, le speaker a dit: "Une nouvelle sensationnelle nous est parvenue de New-York cet apr\`es-midi: un jeune fran\c{c}ais de vingt ans, Max Denoyer...\\
~~~Michel. Eh bien?\\
~~~Belle-m\`ere. L\`a-dessus, on a coup\'e.\\
~~~Michel. Comment coup\'e?\\
~~~Belle-m\`ere. Le speaker s'est arr\^et\'e ou l'\'emission a \'et\'e interrompue, je n'en sais rien, moi! Je n'ai rien entendu de plus.\\
~~~Michel. Mais alors, cette nouvelle?\\
~~~Belle-m\`ere. Je ne la connais pas. Je sais qu'on parle de Max \`a New-York, voil\`a!\\
~~~Michel. Oui, eh bien: Feu! Feu!!\\
~~~Belle-m\`ere. Ah! Vous m'assommez avec votre feu!\\
~~~Michel. Vous avez compl\`etement perdu la t\^ete vous et Simone depuis le d\'epart de Max et vous croyez entendre son nom chaque fois que quelqu'un ouvre la bouche.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous n'allez pas me dire que je n'ai pas entendu prononcer clairement le nom de Max Denoyer? Vous qui ne me connaissez pas, monsieur, est-ce que j'ai l'air d'une personne qui entend un nom \`a la place d'un autre devant un appareil de radio?\\
~~~Auguste. Je ne le pense pas, ch\`ere madame.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous voyez!\\
(Voix: "Demandez Matin-Soir! 6me \'edition Matin-Soir! Demandez Matin-Soir!")\\
~~~Tenez, voil\`a le moyen de savoir!\\
~~~Michel. Quoi?\\
~~~Belle-m\`ere. \textit{Matin-Soir}! Courez l'acheter Michel! On y parle s\^urement de Max!\\
~~~Michel. Max est parti pour le Maroc, voulez-vous me dire comment New-York peut annoncer un \'ev\'enement sensationnel \`a son sujet? Je vous r\'ep\`ete que vous faites du r\^eve familial!\\
~~~Belle-m\`ere. Eh bien, j'irai moi-m\^eme!\\
~~~Auguste. Voulez-vous permettre au membre le moins correct d'une famille bien \'elev\'ee de se tranformer en messager, ch\`ere madame?\\
~~~Belle-m\`ere. Ah! vous, au moins cher monsieur, vous \^etes un grand seigneur. Vive la politesse fran\c{c}aise!\\
~~~Auguste. Elle se meurt, madame, mais nous autres, gens mal \'elev\'es, nous la sauvons parfois! Je vole et vous reviens!\\
(Auguste se dirige vers la fen\^etre.)\\
~~~Belle-m\`ere. Mais que faites-vous, mon Dieu?\\
~~~Auguste. J'enjambe, madame.\\
~~~Belle-m\`ere. Mais vous n'allez pas passer par la fen\^etre?\\
~~~Auguste. Pour aller plus vite, madame!\\
~~~Belle-m\`ere. Vous allez vous tuer! C'est affreusement dangereux!\\
~~~Auguste. Mais tellement plus joli!\\
(Il dispara\^it.)\\
~~~Belle-m\`ere. Nous sommes au sixi\`eme! Nous sommes au Moyen Age! Ah! Quelle race! Votre oncle est un chevalier du moyen \^age, mon petit! Je comprends que votre famille absurde l'ait toujours tenu \`a l'\'ecart! Voil\`a un vrai gentilhomme, mieux: voil\`a un homme! C'est un objet rare \`a notre \'epoque!\\
~~~Michel. Ne vous excitez pas, il n'aime que les adolescentes.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous, vous \^etes un mufle! Cet homme vient de se jeter d'un sixi\`eme \'etage pour me plaire, et vous plaisantez? Cet homme vient de se tuer en toute connaissance de cause pour aller me chercher un journal d'une fa\c{c}on "bien fran\c{c}aise", d'une fa\c{c}on un peu... "jolie", un peu... "chic"---par la fen\^etre, et vous osez rire!\\
(Entre Simone.)\\
~~~Simone. Maman! Michel! Vous \^etes l\`a! Savez-vous ce que je viens d'apprendre en tournant le bouton de la radio? Max!!\\
~~~Michel. Eh bien quoi, Max?\\
~~~Belle-m\`ere. Une nouvelle de New-York, n'est-ce pas?\\
~~~Simone. Max vient de gagner le d\'efi a\'erien de San-Francisco: un million de dollars!\\
~~~Belle-m\`ere. Un million de dollars!!! Max a gagn\'e un million de dollars, vous entendez, Michel? Pr\'etendez-vous encore que je suis une Jeanne d'Arc qui entend des voix au hasard? J'en \'etais s\^ure, s\^ure!\\
~~~Simone. Mais c'est une histoire insens\'ee! Max ne nous avait jamais parl\'e de \c{c}a!\\
~~~Michel. Qu'est-ce que c'est, je vous prie, que le "d\'efi a\'erien de San-Francisco"?\\
~~~Belle-m\`ere. C'est vrai au fait: qu'est-ce que c'est que \c{c}a?\\
(Appara\^it Auguste dans son drap.)\\
~~~Auguste, (il porte une casquette de facteur.) Coucou!\\
~~~Tous, (un cri.) Ah!!\\
~~~Auguste. C'est moi.\\
~~~Belle-m\`ere. Au secours! Un revenant! Le spectre de votre oncle!\\
~~~Auguste. Voici \textit{Matin-Soir}, ch\`ere madame.\\
~~~Belle-m\`ere. Il ram\`ene \textit{Matin-Soir} des enfers! C'est affreux! Au secours!\\
~~~Michel. Vous allez la fermer un peu, oui?\\
~~~Belle-m\`ere. Je la ferme.\\
~~~Simone. Ecoute, Michel, sois poli avec maman!\\
~~~Belle-m\`ere. C'est vrai d'abord: soyez poli avec moi! Vous profitez de mon trouble et de la r\'esurrection de votre oncle Lazare pour me brutaliser.\\
~~~Auguste. Je m'appelle Auguste.\\
~~~Belle-m\`ere. Mais vous \^etes bien mort?\\
~~~Auguste. Depuis sept ans, oui madame.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous \^etes mort jeune!\\
~~~Auguste. Encore assez. Mais c'est un plaisir, croyez-moi.\\
~~~Belle-m\`ere, (pas convaincue du tout.) Oui? Nous verrons \c{c}a plus tard!\\
~~~Simone. Que dit le journal?\\
~~~Auguste. Regardez le titre seulement, vous serez vite fix\'es: votre fils est le h\'eros du jour, madame. Je vous en prie. (Il lui donne le journal.) Et permettez-moi de prendre cong\'e.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous ne restez pas?\\
~~~Auguste. Je pr\'evois un assaut prochain de la famille ainsi que vous l'annonciez tout \`a l'heure, madame. Je veux voir \c{c}a du haut de la cage d'escalier.\\
(Il sort.)\\
~~~Belle-m\`ere. A bient\^ot, j'esp\`ere!\\
~~~Simone. C'est bien \c{c}a! (Elle lit:) "Un jeune Fran\c{c}ais \^ag\'e de 20 ans, Max Denoyer, accomplit le plus grand exploit a\'eronautique r\'eussi \`a ce jour. Il couvre sans escale la distance Casablanca---San-Fransisco \`a la moyenne de 3000 km. \`a l'heure, r\'ealisant ainsi la plus formidable performance tent\'ee jusqu'\`a ce jour. Max Denoyer, h\'eros fran\c{c}ais \^ag\'e de 20 ans, est l'objet d'une ovation sans pr\'ec\'edent sur le sol am\'ericain. Il remporte par son exploit le c\'el\`ebre D.A.S.F. qui avait d\'ej\`a tent\'e, mais sans succ\`es, un grand nombre d'as de l'aviation. Il a touch\'e imm\'ediatement \`a son arriv\'ee la prime de un million de dollars offerte comme on le sait par la C.C.P.A.Q.G. \`a l'homme qui le premier viendrait d'un seul \'elan, d'Afrique jusqu'\`a la grande cit\'e am\'ericaine.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous entendez \c{c}a Michel? Est-ce que je suis une Jeanne d'Arc encore une fois? Un million de dollars! L'Am\'erique en fi\`evre! Pourvu qu'on ne lui casse pas un bras en le portant en triomphe. Ces gens-l\`a sont si expansifs quand ils s'y mettent! Donne-moi la suite Simone, je veux tout savoir. (Elle lui arrache le journal.) (Cherchant l'endroit o\`u elle doit lire.)---Heu..."C.C.P.A.Q."...---Oh! ces Am\'ericains, avec leurs initiales! Ah! voici! (Elle lit.) "Comment le jeune Max Denoyer entreprit son raid prodigieux. C'est \`a l'insu de tous que Max Denoyer a r\'ealis\'e son exploit. Sa famille elle-m\^eme n'\'etait nullement au courant..."---On parle de nous!\\
~~~Michel. Je me demande comment les journaux savent que nous n'\'etions pas au courant: personne n'est venu nous interviewer que je sache!\\
~~~Belle-m\^ere. Mais c'est Max qui l'a dit l\`a-bas et l'Am\'erique a c\^abl\'e.\\
~~~Simone. La suite, la suite...\\
~~~Belle-m\^ere. D'ailleurs on va venir nous interviewer s\^urement.\\
~~~Michel. Ah, j'esp\`ere que non, par exemple!\\
~~~Belle-m\`ere. Vous n'allez pas \^etre fier de votre fils? J'esp\`ere bien que les journalistes vont venir, au contraire! Je veux les voir. Je leur d\'eclarerai: "A trois ans, Max disait d\'ej\`a \`a son p\`ere: "Papa, je veux traverser l'Atlantique \`a 3000 kilom\`etres \`a l'heure", \`a trois ans et demi le petit Max ne pouvait pas voir un avion sans s'\'ecrier...\\
~~~Simone. Ne discute donc pas, maman!\\
~~~Michel. Comment: ne discute pas! Je dis que je ne recevrai pas un seul journaliste ici,---je vais pr\'evenir le concierge!\\
(Il va sortir.)\\
(Entre, venant de la chambre, Auguste.)\\
~~~Auguste, (avec un chapeau haut de forme.) Coucou!\\
~~~Tous, (un cri.) Ah!\\
~~~Belle-m\^ere. Comment sortez-vous de cette chambre?\\
~~~Auguste. Je me suis tromp\'e de cloison. J'\'etais dans la cage d'escalier, j'ai fait tout le tour de l'immeuble sans m'en rendre compte: j'ai abouti de ce c\^ot\'e-l\`a.\\
~~~Belle-m\`ere. Toujours \`a travers les murs?\\
~~~Auguste. Michel, je t'annonce l'arriv\'ee pr\'evue.\\
~~~Simone. Les journalistes?\\
~~~Belle-m\`ere. Bravo!\\
~~~Michel. Je n'en veux pas!\\
~~~Auguste. Non: la famille!\\
~~~Simone. Ici?\\
~~~Belle-m\`ere. Qu'est-ce que j'avais dit?\\
~~~Michel. Qui?\\
~~~Auguste. Ton p\`ere, flanqu\'e de Toto et de Titi.\\
~~~Michel. Tante Toto et tante Titi? Avec papa?\\
~~~Auguste. Et Mimi, oui!\\
~~~Michel. L'oncle Mimi, du Havre?\\
~~~Auguste. Le notaire lui-m\^eme. Les repr\'esentants les plus ingambes de la famille se bousculent dans l'escalier.\\
\\
ingambes~~~達者な、身ごなしの軽い\\
\\
~~~Belle-m\`ere. Eux ici! Quel manque de dignit\'e! C'est toute la bourgeoisie!\\
~~~Simone. Eh bien moi au moins, ils ne me verront pas. Au revoir.\\
(Elle sort.)\\
~~~Belle-m\`ere. Moi, oui! Je les attends depuis vignt ans!\\
~~~Michel. Vole, l'oncle Auguste, passe \`a travers les murs, arr\^ete-les s'il est encore temps et s'il est trop tard, bondis chez le concierge et fais interdire l'entr\'ee aux journalistes!\\
~~~Auguste. Pour la famille, c'est trop tard: elle d\'eferle! Je vais m'occuper de la presse et bousculer les agents de police! \c{C}a me rappelle les bagarres du quartier latin, c'est le plus beau jour de ma mort!\\
(Il saute par la fen\^etre.)\\
~~~Belle-m\`ere. \c{C}a y est: il se tue encore! C'est un malade ce gar\c{c}on-l\`a! Il va se casser quelque chose!\\
(Entrent, p\^ele-m\^ele et pr\'ecipitamment le p\`ere, l'oncle Mimi, du Havre, les deux vieilles filles Toto et Titi; tous ont \`a la main "Matin-Soir".)\\
~~~Le p\`ere. Michel, mon fils, dans mes bras!\\
~~~Mimi. Bravo mon petit, c'est un grand jour pour la famille...\\
~~~Toto. Et nous sommes fi\`eres, tr\`es fi\`eres de toi...\\
~~~Titi. Et de ton petit Maxou.\\
~~~Toto. Il y a longtemps certainement qu'il avait cette id\'ee en t\^ete?\\
~~~Titi. Quel \^age a-t-il exactement? Il en parlait depuis des ann\'ees? A qui resemble-t-il le plus?\\
~~~Toto. C'est un tr\`es beau gar\c{c}on, n'est-ce pas? Vous \^etes tr\`es fiers aussi naturellement? Est-ce qu'il \'etait fianc\'e d\'ej\`a?\\
~~~Belle-m\`ere. Je solicite l'honneur de conna\^itre les personnes qui envahissent mon appartement!\\
~~~Le p\`ere. Ch\`ere Madame, c'est nous qui sommes honor\'es de pouvoir vous apporter nos compliments les plus sinc\`eres.\\
~~~Mimi. Vous devez \'eprouvez, Madame, un orgueil et une joie l\'egitime devant l'exploit d'un petit-fils...\\
~~~Titi. ... Qui fait claquer ainsi \`a l'\'etranger notre drapeau national.\\
~~~Le P\`ere. Titi, laisse-moi parler.\\
~~~Toto. J'allais dire la m\^eme chose: C'est en effet un orgueil pour le drapeau de claquer ainsi \`a l'\'etranger.\\
~~~Mimi. Nous pouvons \^etre heureux...\\
~~~Titi. Paris n'a que le nom de Max Denoyer dans la bouche...\\
~~~Toto. Et c'est un orgueil d'avoir Paris dans la bouche lorsque...\\
~~~Le P\`ere. Mes enfants, je crois que nous n'avons pas de phrases \`a faire. Nous sommes tous ici, grands parents, oncles ou tantes de Max. F\'eliciter Michel et madame c'est nous f\'eliciter nous-m\^emes; nous ne pouvons d\'ecemment d\'epasser certaines limites. Mon petit, tu as fait beaucoup d'erreurs dans ta vie...\\
~~~Titi. Tu nous as souvent donn\'e beaucouop de soucis...\\
~~~Toto. Car nous t'aimions bien, Michou...\\
~~~Toto et Titi. Mais nous avons tant pri\'e pour toi que le ciel nous a entendues.\\
~~~Le P\`ere. C'est moi qui parle, Toto!\\
~~~Toto. Mais \'ecoute, Riri, c'est Titi qui parle tout le temps!\\
~~~Titi. Riri, \c{c}a n'est pas vrai! C'est Toto qui parle en m\^eme temps que moi.\\
~~~Le P\`ere. Je vous prie de vous taire: c'est moi qui suis chef de famille! Et d'abord je vous ai dit cent fois de ne pas m'appeler Riri quand nous n'\'etions pas seuls.\\
~~~Titi. Pour moi tu es toujours le petit Riri qui jouait au soldat avec un sabre de bois.\\
~~~Le P\`ere. C'est possible, mais depuis j'ai \'et\'e colonel.\\
~~~Titi. Je sais bien, Riri, tu as fait une carri\`ere superbe.\\
~~~Toto. Tu as \'et\'e le seul vrai militaire de la famille.\\
~~~Belle-m\`ere. Me serait-il permis de placer un mot?\\
~~~Le P\`ere. Ch\`ere Madame, je n'en citerai qu'un qui a l'avantage d'\^etre historique: "Il n'y a plus de Pyr\'en\'ees".\\
~~~Belle-m\`ere. Il y a vingt ans vous en disiez un autre moins historique mais aussi connu: "Tout est rompu, mon gendre"---sous une autre forme".\\
~~~Mimi. C'est une formule litt\'eraire.\\
~~~Le P\`ere. Ch\`ere madame, il existe pour toutes les vrais familles un patrimoine de r\'eputation est d'honorabilit\'e qu'il est parfois dur pour un p\`ere de pr\'eserver. Son devoir est alors de ne pas reculer devant les sacrifices les plus cruels, mais quand vient le jour o\`u l'action d'\'eclat rach\`ete les fautes, c'est alors un devoir national de montrer au pays une famille enti\`erement unie. La famille, c'est l'union.\\
~~~Mimi. Max porte le nom des Denoyer...\\
~~~Belle-m\`ere. Max porte le nom de Denoyer depuis vingt ans et c'est aujourd'hui que vous vous en apercevez! La famille jusqu'ici \'etait pour lui et nous un dos tourn\'e. La r\'eussite et peut-\^etre aussi un petit million de dollars ont provoqu\'e une volte-face et la famille nous montre aujourd'hui son sourire. Alors parlons de la famille. La famille, c'est une girouette, on sait quel vent la fait tourner!\\
~~~Titi. La famille n'est pas une girouette. La famille, c'est un toit.\\
~~~Toto. La famille c'est un jardin, avec de bonnes et de mauvaises herbes.\\
~~~Mimi. La famille c'est une entit\'e juridique.\\
~~~Michel. La famille c'est la famille! Vous \^etes l\`a: qu'est-ce que vous voulez?\\
~~~Le P\`ere. Il m'est p\'enible de constater l'incompr\'ehension d'un geste spontan\'e de d\'esint\'eressement et de te voir, toi, Michel, user d'un ton qui n'est pas celui d'un fils. Tu connais aujourd'hui cette joie d'un p\`ere qui peut \^etre fier de son enfant...\\
~~~Michel. Fier! Voil\`a le mot! Voil\`a tous les mots dits. Il faut \^etre "fier", il faut qu'un fils, qu'un parent, vous donne une raison d'\^etre fier, de pouvoir cambrer le jarret et relever la gueule---alors tout est bien, tout est dans l'ordre! Nous pouvons \^etre fiers de Max, nous! Max nous ressemble? Max est un Denoyer?\\
~~~Titi. Mais oui! D'ailleurs les Denoyer \'etaient alli\'es aux Chastorin par la grand-m\`ere Revizon...\\
~~~Mimi. C'est vrai! Et les Chastorin ont eu aussi sous le second Empire un fils tr\`es c\'el\`ebre.\\
~~~Le P\`ere. Sans parler des Chastorin, les Denoyer en ligne directe ont eu maintes occasions de compter parmi les leurs des \^ames d'\'elite. Par ma m\`ere et par la famille Cheronzac nous \'etions aussi alli\'es des Raymont et tu sais je pense que chez les Raymonot...\\
~~~Toto. Mais Riri, les Raymonot, les Gaston Raymonot \'etaient bien cousins des Baluzat? Et Jeanne Baluzat \'etait c\'el\`ebre chez les Raymonot; tu te rappelles bien, \`a cause de...\\
~~~Le P\^ere. Tu n'as pas de doute je pense, Michel, sur la parent\'e de coeur qui existe entre Max et nous. Son exploit l'inscrit notre ligne directe.\\
~~~Michel. Max te ressemble? Il me ressemble?\\
~~~Toto. Sur le b\'elinogramme, c'est frappant.\\
~~~Mimi. Oh! \c{c}a, pour un Denoyer, c'est un Denoyer!\\
~~~La Belle-m\`ere. Je ris!\\
~~~Michel. Eh bien, tenez-vous bien tous, toi, papa, l'oncle Mimi, tante Toto et tante Titi, tenez-vous bien et pr\'eparez-vous \`a rapporter au reste de la famille une nouvelle qui la tranquillisera sur la qualit\'e de ses globules rouges: Max n'est pas mon fils!\\
(Tonnerres, \'eclairs, grosse caisse.)\\
Voil\`a ce qu'on appelle un coup de tonerre!\\
~~~Toto. Quoi?\\
~~~Titi. Comment?\\
~~~Mimi. Pla\^it-il?\\
~~~Michel. Vous avez entendu?\\
~~~Le P\`ere. Non, je n'entends pas. Je ne veux pas entendre. Je ne comprends pas.\\
~~~Michel. Je dis que Max n'est pas mon fils!\\
~~~Le P\`ere. C'est une plaisanterie d'un go\^ut d\'eplorable et inadmissible dans une r\'eunion familiale, Michel. Tes tantes sont des jeunes filles, tu devrais t'en souvenir. Max porte ton nom, le mien, il donne en ce moment \`a ce nom une aur\'eole nationale.\\
~~~Mimi. Mondiale m\^eme...\\
~~~Le P\`ere. Et tu vas insinuer...\\
~~~Michel. Je n'insinue pas, j'affirme! Je crie, je hurle la v\'erit\'e \`a qui veut et ne veut pas l'entendre. Max est le fils de Gerbal l'explorateur, Max n'a ni votre sang, ni le mien dans les veines, Max est un h\'eros dont la gloire ne vous touche pas, ni vous, ni moi!\\
~~~Vous et moi nous ne sommes rien! Une famille bourgeoise comme cent autres! Nous sommes des nullit\'es, des z\'eros, des z\'eros bien habill\'es avec ou sans mouchtache, mais tous sans un brin de g\'enie, sans une once de grandeur. Regardons-nous en face pour une fois! Des singes de l'honneur, du courage et de la dignit\'e! Voil\`a ce que nous sommes! Pas une famille comme la n\^otre o\`u l'on ne v\'en\`ere Jeanne d'Arc, mais o\`u l'on ne soit pr\^et cependant \`a renier ses amiti\'es le jour qu'elles peuvent devenir compromettantes; chaque m\`ere voudrait en son fils un Napol\'eon, mais elle pleure et supplie ce fils de ne pas sortir dans la rue pour se m\^eler un soir \`a une manifestation; l'orgueil de chaque famille r\'eclame un grand homme, mais un grand homme sans \^ame, sans \'eclat, un grand homme gentil, en pantoufles, qui ne risque pas de prendre froid ou d'attraper un mauvais coup---Familles, qui faites profession de croire \`a la saintet\'e, quelle id\'ee vous en faites-vous, vous qui ne voulez jamais renoncer \`a rien?\\
~~~Acceptez-le: les h\'eros et les saints ne sont pas \`a notre mesure, ils ne sortiront jamais de nos corps tendres, il leur faut des ventres plus robustes! Et renoncez \`a ce Dieu qui vous tombait du ciel: Max n'est pas mon fils!\\
~~~Belle-m\`ere. Par contre il est mon petit-fils \`a moi! Il para\^it que chez les gens que l'on refuse de recevoir en famille et \`a qui l'on tourne le dos pendant vingt ans, il existe aussi quelquefois les belles vertus de notre race.\\
~~~Le P\`ere. Max porte notre nom sur les registres de l'\'etat civil. Jusqu'\`a preuve de contraire il est ton fils et appartient \`a la famille.\\
~~~Michel. Une preuve? Voil\`a une lettre de son p\`ere, une lettre vieille de vingt ans, adress\'ee \`a Simone---elle ne contient pas une preuve, elle en contient dix! Ma femme \'etait enceinte quand je l'ai \'epous\'ee!\\
~~~Le P\`ere. Assez de b\^etise et de grossi\`eret\'es, Michel!---Si un f\^acheux hasard a mis entre tes mains une lettre scandaleuse il faut d\'echirer cette lettre!\\
~~~Michel. Oui, faire l'autruche comme toujours!\\
~~~Le P\`ere. La famille, c'est l'ordre et l'honneur: ton fils officiel reste ton fils, puisqu'il est glorieux.\\
~~~Belle-m\`ere. Et propri\'etaire d'un million de dollars!\\
~~~Mimi. La famille c'est la logique: un fils reconnu n'est pas un fils non reconnu.\\
~~~Belle-m\`ere. Vravo, Mimi!\\
~~~Toto. On parle tr\`es vite: qu'est-ce qu'on dit?\\
~~~Titi. On dit que la famille c'est bien connu.\\
~~~Toto. Bien connu que c'est un jardin?\\
~~~Titi. Je ne sais pas.\\
~~~Le P\`ere. Quelles sont tes intentions?\\
~~~Michel. Rire! Eclater de rire!\\
~~~Toto. Michou est un bon vivant.\\
~~~Le P\`ere. Tais-toi, Toto!\\
(Entre Auguste.)\\
~~~Auguste, (avec un k\'epi de colonel.) Coucou!\\
~~~Tous, (un cris.) Ah!\\
~~~Toto et Titi. Ah! mon Dieu, Auguste, le damn\'e! Viens, Toto! Viens, Titi!\\
(Elles s'enfuient affol\'ees.)\\
~~~Auguste. R\'eunion de famille, je vois. Bonjour Mimi, bonjour Riri!\\
~~~Le P\`ere. Auguste, je suis ton a\^in\'e, je te prie de m'appeler autrement que Riri!\\
~~~Auguste. Oui mon g\'en\'eral.\\
~~~Le P\`ere. Je suis colonel.\\
~~~Auguste. Je sais, mais je te flatte.\\
~~~Le P\`ere. Tu m'as encore pris un k\'epi! Je t'ai dit cent fois que mes uniformes n'\'etaient pas des accessoires de panoplie! Rends-moi ce k\'epi imm\'ediatement!\\
~~~Auguste. Je ne le ferai plus Riri.\\
(Il le lui rend.)\\
~~~La pluie est tomb\'ee au bon moment, les journalistes se sont dispers\'es mais la lutte a \'et\'e dure, j'en ai pourtant aper\c{c}u un qui se faufilait dans le monte-charge, prenez garde!\\
(Surgit \`a droite un journaliste hirsute et d\'echir\'e.)\\
~~~Le journaliste. Je suis dans la famille du h\'eros, n'est-ce pas?\\
~~~Belle-m\`ere, (l'attire \`a droite.) Voil\`a, oui! c'est moi! La famille c'est moi!\\
~~~Mimi, (l'attire \`a gauche.) C'est nous! La famille c'est nous! Nous sommes les Denoyer!\\
~~~Michel. Sortez! Rien ne vous autorise \`a p\'en\'etrer chez moi par le monte-charge!\\
~~~Le journaliste. Si monsieur! L'information!\\
~~~Michel. Je me moque de l'information!\\
(Il le bouscule vers la sortie.)\\
~~~Belle-m\`ere. Moi je veux parler \`a la presse!\\
~~~Mimi. Les Denoyer parleront aussi! Nous sommes des Denoyer.\\
~~~Auguste. Moi je veux prendre des photographies!\\
(Ils sortent.)\\
~~~Michel. Tu ne vas pas faire entendre \`a la presse la voix du chef de famille?\\
~~~Le P\`ere. J'ai \`a te parler.\\
~~~Michel. Longtemps?\\
~~~Le P\`ere. Le temps de dire deux ou trois choses qui ont leur importance. Tu es press\'e?\\
~~~Michel. Non, non, je t'\'ecoute, papa. Je suis ton fils d\'evou\'e.\\
~~~Le P\`ere. Qu'est-ce que tu me reproches, Michel?\\
~~~Michel. Moi?\\
~~~Le P\`ere. Tu viens de laisser \'echapper les accents d'une rancune profonde et longtemps contenue. Je ne savais pas que tant de haine \'etait accumul\'ee dans ton coeur. Qu'est-ce que tu me reproches?\\
~~~Michel. Mais rien du tout, mon pauvre papa. Que veux-tu que je te reproche? Nous ne parlons pas tout \`a fait la m\^eme langue d'abord et c'est bien la promi\`ere fois que tu abordes une conversation avec moi sur le ton d'un homme qui parle \`a un autre homme. Toute ma vie je n'ai \'et\'e en face de toi qu'un deuxi\`eme classe au garde-\`a-vous devant son colonel.\\
~~~Le P\`ere. C'est cela que tu me reproches?\\
~~~Michel. Je te r\'ep\`ete qu'il n'y a pas de discussion possible entre un colonel et un soldat. Un soldat n'adresse pas de reproches \`a son colonel. Tu es ce que tu es, je suis ce que je suis et nous sommes tr\`es bien tous les deux. Que veux-tu dire de plus? C'est la promi\`ere fois que tu m'adresses la parole en me posant une question. Tu ne m'as jamais donn\'e que des ordres. Tu n'as jamais \'et\'e mon p\`ere que sur le registre de l'\'etat civil!\\
~~~Le P\`ere. Tu ne crois pas si bien dire, Michel. C'est cela que je venais t'apprendre.\\
~~~Michel. Quoi?\\
~~~Le P\`ere. Je n'ai plus de raisons aujourd'hui de te taire la v\'erit\'e...\\
~~~Michel. Je n'ose pas plaisanter sur cette formule classique...\\
~~~Le P\`ere. ...Et toutes de te la r\'ev\'eler puisque tu tiens \`a faire publiquement \'etat des v\'eritables origines de ton propre fils.\\
~~~Michel. Tu ne vas tout de m\^eme pas me dire que tu n'es pas mon p\`ere?\\
~~~Le P\`ere. Oui. Je te le dis, Michel.\\
~~~Michel. Maman!... Ma sainte m\`ere!...\\
~~~Le P\`ere. Ta m\`ere est devenue une sainte femme plus tard. A vingt-trois ans elle \'etait une jeune personne qui s'ennuyait en garnison \`a Lons-le Saulnier. Je reconnais que la vie n'y \'etait pas gaie. Ta m\`ere aimait rire, danser, \'ecouter des concerts...\\
~~~Michel. Un lieutenant qui dansait mieux que toi l'a s\'eduite?\\
~~~Le P\`ere. Non. Un beau soir elle s'est enfuie. Je suis rest\'e un mois sans nouvelles. Elle est revenue aussi naturellement qu'elle \'etait partie en me damandant de la pardonner.\\
~~~Michel. Je ne savais pas que tu avais eu ce geste-l\`a.\\
~~~Le P\`ere. Je l'aimais. Avant d'\^etre colonel j'ai \'et\'e lieutenant. D'ailleurs il est plus facile pour un militaire que pour un civil de pardonner \`a sa femme. Il change de garnison tout simplement. Un m\'enage rompu \`a Lons-le-Saulnier est un m\'enage impeccable \`a Romorantin. Tous les militaires savent cela.\\
~~~Michel. Tu t'es battu en duel avec ton camarade?\\
~~~Le P\`ere. Ce n'\'etait pas un officier, c'\'etait un t\'enor de passage au Casino.\\
~~~Michel. Un t\'enor?\\
~~~Le P\`ere. Et tu es n\'e huit mois apr\`es le retour de ta m\`ere.\\
~~~Michel. Je suis le fils d'un t\'enor?\\
~~~Le P\`ere. Qui n'est pas revenu pour se battre en duel, je n'ai pas besoin de te le dire. Un pleutre, un l\^ache, un cabotin Don Juan, qui abandonna ta m\`ere \`a son propre sort apr\`es lui avoir fait un enfant.\\
~~~Michel. Tu as pardonn\'e \`a maman en sachant que j'allais na\^itre et que je n'\'etais pas ton fils?\\
~~~Le P\`ere. Je m'\'etais mari\'e pour fonder une famille avec la femme que j'aimais. Je n'aimais qu'une femme et c'\'etait d'elle que je voulais mes enfants.\\
~~~Michel. \c{C}a comen\c{c}ait mal.\\
~~~Le P\`ere. Tu l'as dit! Mais je t'ai accept\'e et j'ai repris ta m\`ere pour que ma famille existe et soit dans l'ordre. Tu as quatre fr\`eres et soeurs, ne l'oublie pas---et ceux-l\`a sont de moi! Si l'on cassait tout chaque fois qu'un enfant a \'et\'e fait \`a votre femme par un autre, il n'y aurait pas de famille qui r\'esisterait \`a trois g\'en\'erations. Or, nous en connaissons qui datent des croisades! Voil\`a ce que j'avais \`a te dire. Une seule chose compte; vivre dans la dignit\'e et dans l'honneur. Or, il n'y a pas d\'esohonneur pour un mari \`a voir sa femme lui pr\'ef\'erer un bell\^atre; il y a d\'eshonneur pour elle, c'est tout. Il y a preuve que les femmes ont des moments d'imb\'ecillit\'e. C'est tout.\\
~~~Michel. Et si l'homme qu'elle choisit est le contraire d'un bell\^atre? Tu le trouveras bon aussi?\\
~~~Le P\`ere. J'aimerais mieux donner mon nom \`a six b\^atards virils et dignes de vivre qu'avoir un fils \`a moi qui serait un voyou ou un incapable. J'ai toujours \'et\'e dur avec toi, Michel, parce que tu \'etais justement celui que j'aurais voulu magnifique! Comme je t'aurais serr\'e sur mon coeur, mon pauvre Michel, si tu avais \'et\'e ce que j'appelle un homme, toi qui justement n'\'etait pas mon fils! Quelle revanche sur celui qui t'avait mis au monde de penser: "Ce gar\c{c}on courageux, cet impeccable cavalier, ce brillant sujet que cet autre a engendr\'e puis abandonn\'e, c'est \`a ma famille qu'il appartient, c'est ma famille qu'il honore, et qui va peut-\^etre se destinguer gr\^ace \`a lui." Malheureusment tu n'as pas \'et\'e cet homme-l\`a. J'ai pens\'e un moment que tu aurais peut-\^etre une belle voix...---M\^eme pas. Tu chantes faux.---Pour tout h\'eritage artistique, ton p\`ere t\'enor ne t'a l\'egu\'e qu'une toquade d'adolescent pour une actrice. C'est peu.---Tu es un vell\'eitaire sans audace, un r\^evasseur de conqu\^etes coloniales qui n'a rien su faire de mieux que d'\'epouser dans la m\'etropole une jeune fille d\'ej\`a enceinte.\\
~~~Michel. C'est pour m'assassiner que tu me dis tout cela? Sais-tu ce que c'est que le coeur d'un homme sans armes, toi qui as la chance d'\^etre n\'e fort.\\
~~~Le P\`ere. Je sais que tu as la chance, toi, d'avoir dans ces conditions ce fils dont je te parle, ce fils courageux, audacieux et entreprenant qui couvre de gloire notre nom. Tu viens crier \`a tous qu'il n'est pas ton fils. Moi je dis: tant mieux! S'il \'etait de toi il n'aurait pas ces vertus-l\`a. Il serait lamentable. Moi je tiens \`a Max comme \`a mon petit-fils, Michel, parce que, gr\^ace \`a lui, notre famille rayonne, notre famille s'\'eclaire, gr\^ace \`a lui, tu existes et j'existe; tous, tes soeurs, les miennes, mes fr\`eres, nous nous sentons soudain solidaires. Remercie donc celui qui a fait \`a ta femme cet enfant-l\`a, grand nigaud! Ce sont des jeunesses vigoureuses comme celle de ce gar\c{c}on qui font la grandeur d'un pays!\\
~~~Michel. Allons-y! Le couplet patriotique! Tu ne voudrais pas que je chante la \textit{Marsellaise} pour donner \`a l'\'ev\'enement toute sa grandeur? Si j'avais la voix de mon p\`ere je te ferais ce plaisir.\\
~~~Le P\`ere. Assez de b\^etises. Je t'ai dit ce que j'avais \`a te dire. Je compte sur toi pour arranger les choses avec ta belle-m\`ere. Il ne doit plus y avoir de foss\'e entre nous. C'est la famille qui parle. Il faut l'\'ecouter. Jamais plus qu'aujourd'hui tu n'as \'et\'e mon fils, tu le vois... Embrasse-moi mon petit. (Michel, contraint, lui tend son front. Baiser du p\`ere.) Maintenant je vais voir ce journaliste parce que ton oncle, tel que je le connais, doit lui raconter des histoires de notaire! Pauvre Mimi!\\
(Il sort.)\\
(Rest\'e seul, Michel r\'efl\'echit, puis tente de chanter une note, essayant le timbre de sa voix. Il n'en est pas satisfait.)\\
(Il recommence.)\\
(Entre Auguste.)\\
~~~Auguste. Coucou!\\
(Michel est stopp\'e dans son exercice qui se termine par un cri.)\\
~~~Auguste, (avec un chapeau tyrolien.) Tu as mal \`a la gorge?\\
~~~Michel. Sait-tu ce que je viens d'apprendre, l'oncle Auguste?\\
~~~Auguste. Parle, mon gros.\\
~~~Michel. Je suis le fils d'un t\'enor.\\
~~~Auguste. C'est emb\^etant. Qu'est-ce que tu dis?\\
~~~Michel. C'est papa qui vient de tout me raconter.\\
~~~Auguste. Evidemment... sur ce chapitre il faut lui faire confiance.\\
~~~Michel. Tu aurais cru \c{c}a, toi?\\
~~~Auguste. De sa part j'en suis surpris.\\
~~~Michel. Non, de la mienne. Tu aurais pens\'e que j'\'etais le fils d'un t\'enor?\\
~~~Auguste. A premi\`ere vue, non; mais d\'eguis\'e en \textit{Werther} peut-\^etre...\\
~~~Michel. Comprends-tu ce que cette r\'ev\'elation signifie pour moi, l'oncle Auguste?\\
~~~Auguste. Tu as l'air catastroph\'e!\\
~~~Michel. Je ne suis plus ton neveu, l'oncle Auguste! Je ne fais plus partie de la ruche! Tout ce que je savais de moi, c'\'etait \`a vous que je le devais. Je suis faible, je suis un rat\'e, mais je n'\'etais pas seul jusqu'ici dans ma mis\`ere. Je savais de qui je la tenais, j'en avais une explication. Je disais un jour \`a Bernard: "On d\'eteste ses parents pour les d\'efauts qu'ils vous ont l\'egu\'es"---oui!---mais ils sont l\`a au moins! on peut leur en vouloir! Toi aussi tu es un rat\'e et un bon \`a rien, l'oncle Auguste; je savais que nous \'etions deux dans la famille! Et tu me disais---rappelle-toi---que si tu \'etais une t\^ete folle et un petit cerveau, tu le tenais du fameux oncle Coco qui s'\'etait amus\'e \`a sauter d'un arbre dans la voiture de Mac-Mahon, le jour d'un d\'efil\'e pr\'esidentiel. Nous \'etions trois, l'oncle Auguste! et trois qui avions quitt\'e la maison de notre p\`ere \`a dix-neuf ans pour suivre une actrice que nous aimions!\\
\\
ruche~~~蜜蜂の巣箱\\
\\
~~~Auguste. C'est vrai. la mienne s'appelait "Jojo-la-Fum\'ee".\\
~~~Michel. Moi, maintenant, je suis le fils d'un t\'enor, comprends-tu ce que cela veut dire? Je suis un enfant trouv\'e, je suis n\'e dans une valise, je suis seul au monde, l'oncle Auguste, avec le souvenir d'une m\`ere dont je n'ai pas connu la vie profonde et le sang d'un p\`ere qui n'a pas voulu me voir na\^itre! Je n'ai qu'un reflet de moi sur la terre, c'est mon fils, mon vrai fils, Bernard, qui fait lui aussi des r\^eves de grandeur et qui ne sera jamais comme moi qu'un pauvre bougre, un rat\'e au d\'epart, plein de bonnes intentions et sans l'ombre de d\'efense! La vie n'est pas assez dure d\'ej\`a, et cruelle, quand on a des appuis partout, il aura fallu qu'\`a moi elle ne laisse pas une b\'equille, pas un morceau de bois pour garder mon \'equilibre! Papa a raison, l'oncle Auguste: la famille poss\`ede une force bien \`a elle...\\
~~~Auguste. La force de la famille, Michel, c'est de garder parmi les hopocrisies, les drames \'etouff\'es et les crimes tus, une vertu comique. Dans la n\^otre, nous nous d\'etestons tous plus ou moins depuis quarante ans, mais depuis quarante ils continuent tous \`a me faire rigoler. C'est peut-\^etre la seule forme familiale de l'amour, mais elle est efficace: on ne d\'eteste jamais tout \`a fait ceux qui, quoi qu'ils fassent, ont toujours un c\^ot\'e marrant.\\
~~~Michel. Moi ils ne me feront plus rire. Il n'y a plus de complicit\'e entre eux et moi. Si l'on rit volontiers de sa propre famille, celles des autres ne sont jamais qu'odieuses et sinistres. Sinistres \`a mourir.\\
~~~Auguste. Je suis habitu\'e \`a tes d\'esespoirs, Michel, et au go\^ut que tu as pour la mort. C'est toujours moi qui arrive pour te rendre \`a la vie.\\
~~~Michel. Je ne suis plus \`a l'\^age o\`u les tours d'escamotage tranforment une douleur en \'eclats de rire. Il n'y a pas d'illusionniste pour mon cas, l'oncle Auguste. Ne te fatigue pas.\\
~~~Auguste. Tu devrais pourtant commencer \`a me conna\^itre. Je suis justement \`a deux doigts de ton \'eclat de rire. Je l'entends d\'ej\`a; mais promets-moi quand m\^eme une certaine discr\'etion. J'ai un tour dans mon sac.\\
~~~Michel. Vas-y toujours. On verra apr\`es.\\
~~~Auguste. C'\'etait moi, Michel. Le t\'enor de ta m\`ere, c'\'etait moi.\\
~~~Michel. ???\\
~~~Auguste. Ne t'\'etonne pas si tu chantes faux.\\
~~~Michel, (riant.) Tu te paies ma t\^ete?\\
~~~Auguste. Je t'avais annonc\'e un \'eclat de rire. C'\'etait moi, Michel. L'homme qu'elle a retrouv\'e le soir de sa fugue, c'\'etait son beau-fr\`ere. Ton p\`ere n'a jamais connu que la version du t\'enor. Quand ta m\`ere a su qu'elle allait avoir un enfant et qu'elle a ouvert les yeux sur ce beau-fr\`ere un peu trop incertain pour une vie familiale, elle a \'et\'e prise de panique. Elle est revenue aux pieds de son \'epoux, implorant son pardon pour cause de t\'enor. Ce que ce cher Riri n'eut pas accept\'e de moi, il l'accorda volontiers \`a l'inconnu qui---croyait-il---abandonnait sa femme. Voil\`a l'histoire, mon petit; crois-en ton vrai p\`ere. Tu peux relever la t\^ete et sourire \`a ta sainte famille. Tu n'as jamais eu tant de raisons d'avoir des rhumatismes et le foie en compte. Tu es dans la ligne directe cette fois des h\'epatiques et des dingos de la famille. L'oncle Coco te serre la main par-dessus la cal\`eche de Mac-Mahon.\\
~~~Voix, (\`a l'ext\'erieur.) "Demandez "Matin-Soir"!---Derni\`ere \'edition "Matin-Soir"!---Sen-sa-tion-nel!"\\
~~~Auguste. \textit{Matin-Soir} a tir\'e une derni\`ere \'edition sur les r\'ev\'elations de Mimi et de ta belle-m\`ere. Toute la famille retrouve en Max le portrait d'anc\^etres imaginaires, c'est admirable.\\
(Entre Simone.)\\
~~~Simone. Michel! O\`u est maman? C'est \'epouvantable! Max!\\
~~~Michel. Quoi Max? Il n'a plus travers\'e l'Atlantique \`a 6000 kilom\`ertres \`a l'heure? La moyenne est tomb\'ee?\\
~~~Voix. \textit{Demandez} "Matin-Soir"! Sen-sa-tion-nel! Escroquerie!... Scandale sans pr\'ec\'edent... "Matin-Soir"! Derni\`ere \'edition sp\'eciale!"\\
~~~Auguste. Je vole aux nouvelles.\\
~~~Guguste. Je vole aux nouvelles.\\
(Il file par la fen\^etre.)\\
~~~Simone. Max me tuera! Il nous tuera tous! La radio annonce...\\
(Entre la belle-m\`ere avec "Matin-Soir".)\\
~~~Belle-m\`ere. Simone, ma ch\'erie!\\
~~~Simone. C'est affreux!\\
~~~Belle-m\`ere. \c{C}a ne peut pas \^etre vrai!\\
~~~Michel. Donnez-moi ce journal!\\
(Il l'arrache et lit:)\\
~~~"Max Denoyer: le plus grand escroc des temps modernes. Moins d'une heure apr\`es la pseudo victoire du faux h\'eros la supercherie est d\'ecouverte. Max Denoyer s'\'etait cach\'e dans l'avion du c\'el\`ebre aviateur Gardet; il avait ligot\'e celui-ci dans son appareil \`a quelques minutes de vol de San-Francisco et s'\'etait annonc\'e \`a l'arriv\'ee comme vainqueur du troph\'ee. Ayant touch\'e avait d\'ej\`a enlev\'e aux applaudissements de la foule la c\'el\`ebre vedette Myriam Keats. La police est \`a la recherche du jeune escroc num\'ero un Max Denoyer et de sa malheureuse victime. Indignation de l'Am\'erique. Jamais l'Am\'erique n'a connu de fi\`evre comparable..."\\
~~~Belle-m\`ere. C'est un scandale! Les journaux ne savent pas ce qu'ils racontent. Je leur dirai que je suis sa grand-m\`ere et que Max \'etait incapable d'une action pareille!\\
~~~Simone. Max est un fou!\\
~~~Michel. Gerbal \'etait un aventurier, ma m\`ere, vous ne direz plus le contraire aujourd'hui!\\
~~~Belle-m\`ere. Si vous aviez mieux \'elev\'e cet enfant, un scandale pareil n'arriverait pas!\\
~~~Michel. C'est moi le coupable maintenant?\\
~~~Belle-m\`ere. Ne criez pas comme \c{c}a! Vous voyez bien que Simone est \'evanouie!\\
~~~Simone. Non, je ne suis pas \'evanouie! Mais maman a raison: si tu n'avais pas laiss\'e Max prendre de d\'eplorables habitudes, jouer aux courses, courir les filles...\\
~~~Michel. Moi? Moi? Moi?\\
(Entrent Toto et Titi suivies du p\`ere et de Mimi.)\\
~~~Toto. C'est une scandale!\\
~~~Titi. C'est scandaleux!\\
~~~Toto. C'est sacndaleux!\\
~~~Titi. C'est un scandale!\\
~~~Le P\`ere. Voil\`a o\`u m\`enent les alliances douteuses!\\
~~~Mimi. C'est un deuil national!\\
~~~Le P\`ere. Tu ne nieras pas, Michel, qu'il y a l\`a de quoi \'emouvoir le coeur d'une famille respectable.\\
~~~Simone. Qui se permet de parler, ici?\\
~~~Belle-m\`ere. Pendant vingt ans nous n'avons pas eu l'honneur de vous conna\^itre.\\
~~~Le P\`ere. La famille, c'est l'ordre et l'honneur, je ne permettrai pas qu'un enfant b\^atard puisse ternir notre nom par des agissements scandaleux!\\
\\
ternir~~~(名誉などを)穢す\\
\\
~~~Toto. C'est scandaleux!\\
~~~Titi. C'est un scandale!\\
~~~Toto. C'est un scandale!\\
~~~Titi. C'est scandaleux!\\
~~~Mimi. Les facteurs \'etant diff\'erents, toute la question est chang\'ee: la famille c'est la logique.\\
~~~Le P\`ere. Tais-toi, Mimi! La famille c'est l'union. Il ne peut y avoir d'union dans le scandale. Tu as une lettre, Michel, qui prouve que Max n'est pas ton fils, c'est maintenant un devoir d'en faire \'etat. Rappelle-toi notre conversation tout \`a l'heure.\\
~~~Titi. La famille c'est un toit...\\
~~~Toto. La famille c'est un jardin; il y a souvent plus de mauvaises herbes que de bonnes.\\
~~~Le P\`ere. Je savais bien qu'un jour j'aurais \`a supporter le poids d'un mariage que je n'avais pas approuv\'e. Michel, tu dois \`a l'honneur de ton nom de rendre publique la lettre d\'enonciatrice.\\
~~~Belle-m\`ere. On ne peut pas renier un fils l\'egitime! La loi est formelle!\\
~~~Simone. Michel n'a pas \`a ajouter \`a son nom un second scandale!\\
~~~Le P\`ere. Michel est mon fils!\\
~~~Simone. Michel est mon mari!\\
~~~Toto et Titi. Michou est notre neveu.\\
~~~Mimi. Michel est mon filleul.\\
~~~Le P\`ere. Nous tra\^inerons Michel et sa lettre devant les tribunaux, je ferai casser son mariage! Il ne sera pas dit qu'un fils de ma famille a provoqu\'e un scandale international! Je ferai toute la lumi\`ere sur ses v\'eritables origines!\\
~~~Belle-m\`ere. Nous vous aiderons!\\
(On entend hurler la foule)\\
~~~Mon Dieu! La foule! On nous siffle! On nous cospue!\\
\\
cospue~~~罵倒する\\
\\
~~~Simone. C'est abominable! Je ne veux pas entendre \c{c}a!\\
(Elle s'enfuit.)\\
~~~Belle-m\`ere. Ma ch\'erie, ma ch\'erie, ne va pas t'\'evanouir toute seule!\\
(Elle sort avec elle \`a droite.)\\
(La foule.)\\
~~~Mimi. C'est une \'emeute! C'est une r\'evolution! C'est un 89!\\
~~~Toto. On va nous guillotiner!\\
~~~Titi. On m'a toujours dit que je ressemblais \`a Marie-Antoinette: ils vont me reconna\^itre!\\
~~~Le P\`ere. La situation est grave. Courage, mes enfants, je connais les foules! Suivez-moi! A la cave! En avant marche!---Pas de gymnastique!\\
~~~Toto. Heureusement que Riri est l\`a pour commander. Vite!\\
~~~Le P\`ere. Je prends la t\^ete de la colonne!\\
(Ils sortent derri\`ere lui.)\\
(Michel est seul.)\\
(Entre la belle-m\`ere.)\\
~~~Belle-m\`ere. Donnez-moi vite le journal!\\
~~~Michel. Ce que j'ai lu ne vous suffit pas?\\
~~~Belle-m\`ere. Ce n'est pas pour le lire, c'est pour \'eventer Simone! \c{C}a vous est \'egal qu'elle ait besoin d'\^etre \'event\'ee? Dieu que les hommes sont \'ego\"istes!\\
(Elle sort.)\\
~~~Le P\`ere, (reparassant.) Mais nous reviendrons!\\
(Il sort.)\\
~~~Belle-m\`ere, (revenant.) C'est \c{c}a, on vous attend! Alors lui, l'archiduc, je ne peux pas le supporter!\\
~~~Michel. Mais foutez donc le camp une bonne fois!\\
~~~Belle-m\`ere. Mais dites donc, grossier personnage, je ne peux plus venir chercher un journal pour \'eventer ma fille, le jour o\`u mon petit-fils provoque un scandale qui soul\`eve toute l'Am\'erique? Quand aurai-je le droit de me promener \`a ma guise dans mon appartement?\\
(Elle sort.)\\
~~~Michel. Mais qu'est-ce que j'ai fait au ciel?\\
(Entre, au fond, Bernard, en polytechnicien.)\\
~~~Bernard. Papa?\\
~~~Michel. Qui est l\`a? Quoi?\\
~~~Bernard. C'est moi.\\
~~~Michel. Bernard? Qu'est-ce que c'est que cette tenue?\\
~~~Bernard. C'est l'uniforme du Polytechnique.\\
~~~Michel. Je vois. C'est bien pour \c{c}a que je te demande ce que tu fiches l\`a-dedans, toi qui n'a jamais pu passer ton bachot.\\
~~~Bernard. C'\'etait pour me faire photographier.\\
~~~Michel. Tu voulais te faire photographier en polytechnicien? Pourquoi faire?\\
~~~Bernard. J'avais pens\'e que \c{c}a ferait plaisir \`a maman.\\
~~~Michel. Alors l\`a permets-moi de rigoler! Tu deviens idiot maintenant?\\
~~~Bernard. Mais je ne me suis pas fait photographier.\\
~~~Michel. C'est encore heureux.\\
~~~Bernard. J'ai rencontr\'e en allant chez le photographe une amie \`a moi, une personne que j'ai connue un soir dans un bal de Montmartre.\\
~~~Michel. Tu passes tes soir\'ees dans les bals de Montmartre?\\
~~~Bernard. C'est une femme... enfin...\\
~~~Michel. Quoi? C'est une grue?\\
\\
grue~~~鶴、売春婦\\
\\
~~~Bernard. Oh non! C'est... c'est une n\'egresse, papa.\\
~~~Michel. Tu danses avec des n\'egresses, toi?\\
~~~Bernard. Une ou deux fois.\\
~~~Michel. Et alors?\\
~~~Bernard. Alors elle m'a reconnu tout \`a l'heure dans la rue. Moi aussi. Et elle m'a dit que... que c'\'etait moi...\\
~~~Michel. Eh bien, accouche!\\
\\
accouche~~~白状する\\
\\
~~~Bernard. Voil\`a oui, elle m'a dit que nous allions avoir un enfant.\\
~~~Michel. Quoi?\\
~~~Bernard. Elle m'a dit que c'\'etait moi le p\`ere.\\
~~~Michel. Le p\`ere?\\
~~~Bernard. Oui.\\
~~~Michel. Alors toi, tout ce que tu trouves \`a faire dans la vie c'est d'aller danser dans les bals douteux, et venir me raconter que tu as fait un enfant \`a une n\'egresse?\\
~~~Bernard. Je ne l'ai pas fait expr\`es.\\
~~~Michel. Et que tu ne l'as pas fait expr\`es! Sors, Bernard! Cours m'enlever cet uniforme qui te va comme des manchettes \`a un cochon; rentre \`a la maison et fais-moi le plaisir de t'enfermer dans ta chambre jusqu'\`a ce que je vienne te retrouver, tu m'as compris?\\
(Il l'a pouss\'e dehors.)\\
(Auguste appara\^it.)\\
~~~Auguste, (avec une couronne de fleurs sur la t\^ete.) Coucou!\\
~~~Michel. Ah! toi, l'oncle Auguste, ne fais plus le Jocrisse ou \c{c}a va barder!\\
\\
barder~~~鎧をつける、険悪になる\\
\\
~~~Auguste. Tu as l'air nerveux.\\
~~~Michel. Je le suis! Je suis tr\`es nerveux, figure-toi! J'ai six personnes de ma famille qui m'ont hurl\'e dans les oreilles toute la journ\'ee, et j'ai deux fils: l'un d'eux m'a souffl\'e ma ma\^itresse et toute la police de l'Am\'erique est en ce moment \`a sa poursuite pour une escroquerie sans pr\'ec\'edent; ma femme est \'evanouie dans la chambre \`a c\^ot\'e, avec ma belle-m\`ere qui l'\'evente et tourne dans cette maison comme une toupie; mon p\`ere, un oncle et deux de mes tantes sont enferm\'es dans la cave par peur des repr\'esailles de la foule! L\`a-dessus, j'apprends \`a cinq minutes d'intervalle que je suis le fils d'un t\'enor puis en fin de compte le fils de mon oncle! Quant \`a Bernard, il se d\'eguise en polytechinicien et vient m'annoncer, la bouche en coeur, qu'il a fait un enfant \`a une n\'egresse: pour aujourd'hui c'est complet! La famille est servie!\\
~~~Auguste. Il y a l\`a un grand diable de n\`egre qui a l'air de vouloir te dire deux mots.\\
~~~Michel. Quoi?\\
(Michel a bondi sur le tiroir d'une table et brandit un revolver.)\\
~~~Le premier qui entre je le descends!\\
~~~Toto et Titi. Nous voil\`a! L'alerte est finie!\\
(Michel tire en l'air un coup de feu. Cris, d\'esarroi: Toto, Titi, le p\`ere et Mimi qui \'etaient entr\'es aussi s'enfuient pr\'ecipitamment dans une panique g\'en\'erale.)\\
~~~Le P\`ere. Nous en reparlerons! Cette histoire n'est pas finie!\\
~~~Auguste. Le n\`egre aussi a sorti un revolver; je vais lui parler dans le tuyau de l'oreille.\\
(Il sort.)\\
~~~Belle-m\`ere, (entrant.) C'est une \'emeute? On va nous assassiner?\\
~~~Michel. Feu!!!\\
~~~Belle-m\`ere. Ah! (Un cri et elle s'enfuit.) Au secours! Police-Secours!\\
(Michel redescend apr\`es avoir pos\'e le revolver. Il s'assied accabl\'e et n'en pouvant plus dans son fauteuil, rejette la t\^ete en arri\`ere et ferme les yeux.)\\
(La lumi\`ere chancelle plusieurs fois, puis revient \`a son niveau normal.)\\
(La porte de la chambre s'ouvre. Entre l'infirmi\`ere du premier acte qui s'approche de Michel et \`a mi-voix:)\\
~~~L'infirmi\`ere. Monsieur...\\
~~~Michel. Plus de famille, plus de famille...\\
~~~L'infirmi\`ere. Monsieur...\\
~~~Michel. Isabelle... O\`u es-tu?\\
~~~L'infirmi\`ere. Monsieur r\'eveillez-vous...\\
~~~Michel. Oui? Quoi? Isab... !\\
~~~L'infirmi\`ere. Monsieur! Vous en avez deux!\\
~~~Michel. J'en ai deux? Deux quoi?\\
~~~L'infirmi\`ere. Deux jumeaux!\\
~~~Michel. J'ai deux?...\\
~~~L'infirmi\`ere. Oui! Une belle famille en perspective! Tout s'est tr\`es bien pass\'e! Le docteur est encore l\`a.\\
~~~Michel. Mais...\\
(Pendant trois secondes Michel reprend conscience. Un instant il a envie de dire un mot \`a "Isabelle!", puis il se ravise:)\\
~~~J'ai deux fils?\\
~~~L'infirmi\`ere. Oui monsieur! Superbes!\\
~~~Michel, (comiquement effar\'e.) Oh! Oh!...\\
(Il rentre dans la chambre.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau)\\












}
\end{document}