\documentclass[b5paper,12pt]{article}

%\pagestyle{plain}

%%%%%% TEXT START %%%%%%
\begin{document}
\pagestyle{plain}
\oddsidemargin = 1cm
\baselineskip=1cm
{
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Andr\'e Roussin\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~La Sainte Famille\\
\\
~~~La Sainte Famille a \'et\'e repr\'esent\'ee pour la premi\`ere fois le 10 mai 1946 sur la sc\`ene du Th\'e\^atre Saint-Georges, \`a Paris, avec la distribution suivante;\\
\\
Michel... MM. Robert Murzeau\\
Le P\`ere... L\'eon Walter\\
L'oncle Auguste... Robert Seller\\
Max (10 ans)... Jack Grandjon\\
Bernard (10 ans)... Claude Groell\\
Max (20 ans)... Jean Piat\\
Bernard (20 ans)... Louis Velle\\
L'oncle Mimi... Henri Mairet\\
Un Docteur... Pierre R\'egy\\
Un Journaliste... Robert Durran\\
La Belle-M\`ere... Mmes Marguerote Pierry\\
Simone... Suzet Ma\"is\\
Isabelle... Marcelle Dambremont\\
Ginette... Noelle Foug\`eres\\
Tante Toto... Germaine Grainval\\
Tante Titi... Florence Bri\`ere\\
\\
(D\'ecor de Georges Wakh\'evich)\\
(Mise en sc\`ene de Jean Meyer)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~Personnages\\
Michel\\
Sa Femme (Simone).\\
Sa Ma\^itresse (Isabelle).\\
Son P\`ere.\\
Son Oncle Auguste.\\
Sa Belle-M\`ere.\\
Son Fils L\'egitime Max (\`a 10 ans).\\
Son Fils L\'egitime Max (\`a 20 ans).\\
Son Fils Ill\'egitime Bernard (\`a 10 ans).\\
Son Fils Ill\'egitime Bernard (\`a 20 ans).\\
Sa Derni\`ere Ma\^itresse (Ginette).\\
Son Oncle Mimi (du Havre).\\
Ses Tantes: Toto et Titi.\\
Un M\'edecin.\\
Un Journaliste.\\
\\
~~~Un Salon-antichambre; les deux murs lat\'eraux m\'enageront
sur chaque panneau des entr\'ees invisibles en pancoup\'e.\\
~~~Au premier plan, \`a droite et \`a gauche, deux portes.\\
~~~Au fond, une baie-fen\^etre praticable, \`a gauche.\\
~~~A droite, l'ouverture d'un couloir.\\
\\
\\
antichambre~~~控えの間\\
lat\'eraux~~~側面の\\
m\'enageront~~~・・・の役をする(?)\\
pancoup\'e~~~(建物などの)稜(かど)を切り落としてできた面(?)\\
couloir~~~廊下\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 1\\
(Au lever du rideau la sc\`ene est vide. Un coup de sonnette.
Michel entre pr\'ecipitamment en sc\`ene par la porte
du premier plan gauche et sort au fond \`a droite. Il revient
quelques secondes apr\`es en lisant un t\'el\'egramme. Par la
m\^eme porte de gauche du premier plan, entre alors en
sc\`ene une jeune infirmi\`ere charmante.)\\
\\
sonnette~~~ベル\\
\\
~~~L'infirmi\`ere. C'est le docteur, monsieur?\\
~~~Michel. Non. Toujours pas. C'est un t\'el\'egramme de ma
belle-m\`ere. Son bateau a une avarie \`a Alger. Elle ne
sera l\`a que dans trois jours. "Esp\`ere arriver encore
\`a temps pour naissance." Si elle s'imagine qu'on va
l'attendre! Dans une heure ce sera peut-\^etre fini, vous
ne croyez pas?\\
\\
avarie~~~損害、海損\\
\\
~~~L'infirmi\`ere. Si tout se passe bien c'est probable, monsieur.\\
~~~Michel. Mais enfin pourquoi ce sacr\'e docteur n'est-il pas
d\'ej\`a l\`a?\\
~~~L'infirmi\`ere. N'oubliez pas, monsieur, que depuis hier midi, il
est d\'ej\`a venu deux fois.\\
~~~Michel. Mais justement! Quand le docteur vient c'est le
gosse qui fait le mort et maintenant qu'il se d\'ecide \`a
se montrer c'est le docteur qui n'est pas l\`a! On ne
joue pas \`a cache-cache dans ces moments-l\`a! On peut
na\^itre, on peut mourir, les docteurs s'en moquent:
ils vous laissent seuls! Ils ne sont jamais l\`a! Mais o\`u
sont-ils alors? En ce moment sa place est ici et pas
ailleurs! O\`u croyez-vous qu'il puisse \^etre?\\
~~~L'infirmi\`ere. Aupr\`es d'un autre probablement.\\
~~~Michel. Croyez-vous qu'un autre enfant na\^it \`a Paris, juste
en ce moment?\\
~~~L'infirmi\`ere, (souriant.) J'en ai peur, monsieur!\\
~~~Michel. C'est inadmissible, que voulez-vous! Les docteurs
ne sont pas raisonnables; ils ne peuvent pas \^etre partout
\`a la fois!\\
~~~L'infirmi\`ere. Justement.\\
~~~Michel. Mais c'est ici qu'il devrait \^etre!\\
~~~L'infirmi\`ere. Il ne tardera pas, monsieur. Il m'a dit au
t\'el\'ephone qu'il allat venir tr\`es vite.\\
~~~Michel. Et s'il arrivait maintenant?\\
~~~L'infirmi\`ere. Le docteur?\\
~~~Michel. Non, mon fils!\\
~~~L'infirmi\`ere. Votre "fils", monsieur?\\
~~~Michel. Pourquoi pas? je suis n\'e dans ces conditions-l\`a,
moi, brusquement: ma m\`ere et moi nous avons failli
mourir tous les deux ...\\
~~~L'infirmi\`ere. Vous devriez vous reposer un peu monsieur.\\
~~~Michel. Oui: je dis des b\^etises, n'est-ce pas?\\
~~~L'infirmi\`ere. Non, monsieur, mais vous n'avez pas dormi depuis
quarante-huit heures: vous \^etes nerveux et fatigu\'e.\\
~~~Michel. Ma femme non plus, n'a pas dormi depuis quarante-huit
heures, la malheureuse.\\
~~~L'infirmi\`ere. Oui, mais elle, elle souffre.\\
~~~Michel. Bien s\^ur, oui. Allez vite aupr\`es d'elle, c'est plus
prudent, vous ne croyez pas?\\
~~~L'infirmi\`ere. Il n'y a pas encore de danger, heureusement.
(Elle va vers la porte.)\\
~~~Michel. Dites-moi, mademoiselle, actuellement ... on ne peut
pas encore savoir si ce sera un gar\c{c}on ou une fille,
n'est-ce pas?\\
~~~L'infirmi\`ere. Ah! non monsieur!\\
~~~Michel. Oui, pardon. Bien s\^ur. Mais \`a votre avis, il n'y a
pas plus de chances pour que ce soit un gar\c{c}on?\\
~~~L'infirmi\`ere. Mon Dieu ... Madame Denoyer est assez grosse,
c'est tout ce qu'on peut dire ...\\
~~~Michel. Eh bien oui, c'est \c{c}a: c'est gar\c{c}on. J'ai voulu
un gar\c{c}on, \c{c}a doit avoir une certaine importance, vous
ne croyez pas?\\
~~~L'infirmi\`ere. Je suis mal plac\'ee pour vous renseigner ...\\
~~~Michel. Bien s\^ur, oui. Pardon. Merci mademoiselle. Je crois
qu'on a g\'emi! Allez vite. Moi j'attends le docteur.\\
\\
g\'emi~~~唸る\\
\\
(L'infirmi\`ere entre dans la chambre.)\\
~~~Michel, (seul, tournant en rond, les jambes molles.) Comme c'est plus agr\'eable de venir au monde soi-m\^eme: on ne s'en aper\c{c}oit que trois ou quatre ans apr\`es!... Quelle heure est-il? Dix heures un quart. Cette infirmi\`ere a raison: si je me reposais un peu je serais plus calme.\\
\\
molles~~~mou~~~柔らかい\\
\\
(Il s'assied et se rel\`eve brusquement quelques secondes apr\`es.)\\
Un klaxon, je crois? (Il va \`a la fen\^etre.) Oui, mais ce n'est pas lui. (Redescendant.) Voil\`a une chose ridicule: seules les m\'edecins devraient avoir un klaxon \`a leur auto, comme \c{c}a on saurait quand ils arrivent. Comme les pompiers!---Je vais lui t\'el\'ephoner, moi, \`a ce toubib.\\
\\
toubib~~~医者\\
\\
(Il compse le num\'ero.)\\
Pourvu que l'enfant qu'il est en train de mettre au monde n'ait pas de jumeau. (Se ravisant.) Mais non, je ne peux pas lui t\'el\'ephoner, s'il n'est pas chez lui!\\
\\
~~~jumeau~~~双子\\
\\
(Il raccroche.)
\\
Pendant ce temps, mon fils, \`a moi, est peut-\^etre en train de s'\'etouffer avec son cordon! A cet \^age-l\`a, on n'y comprend rien, on touche \`a tout!\\
(Se ravisant encore une fois et reprenant le t\'el\'ephone.)\\
Au fond, qu'est-ce qu'elle en sait, l'infirmi\`ere, si ce docteur n'est pas chez lui!\\
(Il recompose le num\'ero.)\\
~~~Il est capable de se mettre en travers, d'arriver les pieds en avant!.. ---Pas libre!\\
(Il raccroche, se l\`eve, et va \`a la fen\^etre.)\\
~~~Quand on attend une auto particuli\`ere il ne passe que des taxis... Mais quand on attend un taxi!---Maintenant, plus rien.\\
(Il revient au t\'el\'ephone, s'assied et recompose le num\'ero.)\\
~~~C'est vrai que je suis mort de fatigue, moi...---Communique toujours, alors?---Eh bien, je ne le l\^ache plus. Comme \c{c}a, d\`es qu'il raccrochera, je l'aurai.\\
(Il garde l'\'ecouteur \`a l'oreille et commence \`a parler doucement comme s'il s'adressait vraiment au docteur, il somnole d\'ej\`a et s'arr\^etera de parler, tout \`a fait endormi dans son fauteuil.)\\
~~~Je vais lui dire deux mots... "Bonjour docteur... vous \^etes un salaud, docteur... On ne laisse pas ainsi dans l'inqui\'etude un pauvre p\`ere qui ne vous a rien fait... Pour vous naturellement, tous les enfants se ressemblent: ce sont ceux des autres... tandis que celui-l\`a, c'est mon fils... C'est mon fils qui va me consoler de ma vie idiote puisque je ne suis ni marin, ni explorateur... J'ai \'epous\'e Mlle Bernardin pour avoir ce fils... Je ne me suis pas mari\'e par amour proprement dit, je me suis mari\'e par amour paternel... Depuis l'\^age de vingt ans j'ai envie de conna\^itre mon fils... Je dis bien, mon "fils", docteur, mon fils Max. Il s'appellera Max, docteur, si vous voulez bien vous grouiller un peu pour venir le mettre au monde, au lieu de parler au t\'el\'ephone depuis une heure comme vous faites... Oui: un fils!... Une fille ce serait une catastrophe. On n'est jamais vraiment le p\`ere de sa fille: on est le beau-p\`ere de son gendre, c'est tout. Les femmes ne savent jamais qu'adopter tous les points de vue de l'homme qu'elles aiment: \c{c}a ne compte pas. Un fils, on peut le former, on peut le d\'evelopper, le garder de tous les imb\'eciles qui voudraient se charger de son \'education... On peut en faire un homme heureux, n'est-ce pas docteur? C'est un but dans la vie, \c{c}a!... Je n'ai pas fait de d\'ecouvertes, je ne suis pas explorateur, je ne peux pas r\'ealiser une oeuvre d'art: mais je veux r\'eussir un homme heureux, vous comprenez... Et je commence vraiment par le commencement: je le fais!... C'est mon fils, c'est mon enfant \`a moi... Homme heureux... Libre... Mon fils... Heureux comme j'aurais pu \^etre, moi, si ma famille...\\
\\
grouiller~~~ひしめく、うごめく\\
se grouiller~~~急ぐ\\
\\
(Il s'est endormi.)\\
(L'infirmi\`ere entre.)\\
~~~L'infirmi\`ere. On a sonn\'e? (Elle apper\c{c}oit Michel endormi.) Oh!... (Elle lui enl\`eve d\'elicatement l'appareil de la main et le repose.) Dormez charmant jeune homme, qui \^etes si heureux et si impatient d'avoir un fils... Charmant jeune homme qui avez l'air si peu fait pour \^etre p\`ere... ---Vous \^etes n\'e comme va na\^itre votre fils, dans un berceau entour\'e de f\'ees et garni de plumes---charmant jeune homme qui ignorez la vie difficile des autres hommes... et des infirmi\`eres... Charmant petit \'ego\"iste qui n'a voulu qu'une vie ti\`ede et confortable...---Je vous envie dans votre bonheur calme, jeune p\`ere bien install\'e, qui ne vous posez aucune question...\\
~~~Michel, (dormant.) ... Mademoiselle...\\
~~~L'infirmi\`ere. Il m'appelle?\\
~~~Michel. Jolie mademoiselle...\\
~~~L'infirmi\`ere. Je dialogue avec un homme qui r\^eve.---Oui?\\
~~~Michel. C'est bien vous?\\
~~~L'infirmi\`ere. C'est moi.\\
~~~Michel. C'est gentil d'\^etre venue... Ma vie est si triste...\\
~~~L'infirmi\`ere. Quoi?\\
~~~Michel. C'est surtout gentil d'avoir enlev\'e votre voile d'infirmi\`ere...\\
~~~L'infirmi\`ere, (touchant son voile.) Mon voile?\\
~~~Michel. Il vous donnait un air officiel, mais vos yeux ne m'ont pas tromp\'e. Vous \^etes tellement plus jolie sans votre voile... Vous \^etes tellement plus agr\'eable que ma femme...\\
~~~L'infirmi\`ere. Chut!\\
~~~Michel. C'est vrai. Vous pouvez le lui dire de ma part si vous voulez...\\
~~~L'infirmi\`ere. Il ne faut pas dire des choses pareilles.\\
~~~Michel. Je ne les dis pas, je les pense.\\
~~~L'infirmi\`ere. Il ne faut pas le penser non plus.\\
~~~Michel. Vous aussi, vous venez dire: "Il ne faut pas"? Il ne faut jamais rien dans la vie... \textit{Il ne faut pas \^etre} explorateur, \textit{il ne faut pas \^etre} marin, \textit{il ne faut pas} aimer... On passe sa vie \`a apprendre des autres ce qu'il ne faut pas faire pour vivre...---Si je vous avais connue plus t\^ot, c'est vous que j'aurais \'epous\'ee, mademoiselle...\\
~~~L'infirmi\`ere. Chut!\\
~~~Michel. Vous passez votre temps \`a dire: chut!\\
~~~L'infirmi\`ere. C'est mon r\^ole.\\
~~~Michel. Je ne suis pas en train d'accoucher!\\
~~~L'infirmi\`ere. Je vous demande pardon.\\
(Temps.)\\
~~~Michel. Si vous saviez comme j'\'etais triste quand je me suis mari\'e.\\
~~~L'infirmi\`ere. Pourquoi vous \^etes-vous mari\'e?\\
~~~Michel. Parce que j'\'etais triste...\\
~~~L'infirmi\`ere. Je ne comprends pas.\\
~~~Michel. Parce que j'\'etais triste \`a cause d'une autre femme...\\
~~~L'infirmi\`ere. Ah!...\\
~~~Michel. ... et parcce que je voulais avoir un enfant.\\
~~~L'infirmi\`ere. Pour vous consoler?\\
~~~Michel. Oui... Et aussi parce que je voulais \^etre explorateur...\\
~~~L'infirmi\`ere. C'est parce que vous vouliez \^etre explorateur que vous vous \^etes mari\'e?\\
~~~Michel. Non, c'est parce que je ne l'\'etais pas.\\
(On entend un coup de sonnette.)\\
Voil\`a minuit qui sonne.\\
(L'infirmi\`ere sourit et va vers la porte au fond \`a gauche, sur la pointe des pieds.)\\
(Elle revient avec Le Docteur---cinquantaine d'ann\'ees---qui se d\'ebarrasse de son manteau pendant le court dialogue suivant.)\\
~~~Le Docteur. O\`u en sommes-nous?\\
~~~L'infirmi\`ere. Cette fois, je crois que vous ne serez pas venu pour rien, Docteur.\\
~~~Le Docteur. Elle souffre?\\
~~~L'infirmi\`ere. Oui.\\
~~~Le Docteur. J'arrive tard. Je viens d'accoucher une jeune femme et de subir du m\^eme coup une sc\`ene de m\'enage effroyable. Un mari tromp\'e qui a tr\`es mal pris \c{c}a.\\
~~~L'infirmi\`ere. Pauvre mari tromp\'e!\\
~~~Le Docteur. C'\'etait l'enfant d'un autre. Il para\^it qu'il ressemble comme deux gouttes d'eau au meilleur ami du p\`ere.\\
~~~L'infirmi\`ere. C'est gai!\\
~~~Le Docteur, (riant un peu fort.) Ce n'\'etait pas l'avis du dit p\`ere!\\
~~~L'infirmi\`ere. Chut!\\
~~~Le Docteur. Quoi?\\
~~~L'infirmi\`ere. Monsieur Denoyer s'est endormi.\\
~~~Le Docteur. Parfait. Laissez-le dormir. Tromp\'es ou non, les maris sont plut\^ot encombrants qu'autre chose dans ces moments-l\`a. Je n'en veux plus pour ce soir. Nous le r\'eveillerons si nous avons besoin de lui.\\
~~~L'infirmi\`ere. Chut!\\
(Ils passent tous les deux dans la chambre.)\\
(La lumi\`ere baisse et monte deux ou trois fois; on entend une musique, et Michel haletant, dit dans un rythme saccad\'e avec l'angoisse d'un homme qui parle en dormant:)\\
~~~Michel. "Tromp\'e!---Tromp\'e! Tromp\'e!!! Mari tromp\'e!!! L'enfant d'un autre!!! Chut! Chut! Chut! Chut! Les maris sont plut\^ot encombrants! Chut! Chut! Chut! uu-- uu-- uu-- ttt..."\\
(La lumi\`ere revient \`a son point normal, la musique s'arr\^ete lentement...)\\
(Michel se d\'etend doucement.)\\
~~~Michel, (les yeux toujours ferm\'es.) "Tromp\'e"?... "Tromp\'e"... Qu'est-ce que \c{c}a veut dire? Quelle heure est-il d'abord?---Dix heures vingt. C'est bien \c{c}a, je ne dors pas. J'ai tout entendu: "Les maris sont plut\^ot encombrant"... "L'enfant d'un autre"... "Chut! Chut! Chut!" C'\'etait ma femme qui disait chut? Elle est toujours en train de dire "chut" ou "il ne faut pas", celle-l\`a! Mais aujourd'hui il y a une raison de dire "Chut", n'est-ce pas?---"Qu'il ne sache surtout pas que l'enfant n'est pas de lui!" C'est bien \c{c}a?---On a ouvert la porte... Et elle disait "Chut!" pour que je n'entende pas tout? N'est-ce pas???---Eh bien c'est quand m\^eme heureux que j'aie eu des oreilles puisque j'\'etais aveugle et que je n'avais rien vu! Mais rien alors! Depuis huit mois, comme un cr\'etin, j'attendais la naissance de cet enfant et pendant ce temps on se payait ma t\^ete!---Mon fils, mon fameux fils, c'\'etait celui... ---Mais de qui, au fait?---Depuis huit mois que nous sommes mari\'es, je ne vois pas... Depuis huit mois... Mais... ? mais cette avance d'un mois ne m'avait m\^eme pas ouvert les yeux? (Il ouvre les yeux tout grands.)---C'\'E-TAIT-A-VANT!\\
(Brusquement calme et \`a mi-voix:)\\
~~~Mademoiselle Bernardin... Vous m'avez \'epous\'e PARCE QUE!... Oh... je revois maintenant la pr\'ecipitation de madame votre m\`ere et aussi cette nuit de 4 ao\^ut qui fut celle de nos noces... O d\'ecouverte succulente! Vous \'etiez enceinte, mademoiselle Bernardin que j'\'epousais les yeux ferm\'es parce que vous \'etiez ravie \`a l'id\'ee d'\^etre m\`ere le plus t\^ot possible!...\\
(Entre le docteur qui se dirige vers son pardessus.)\\
~~~Ah! vous voil\`a, vous! Vous \^etes complice dans le coup, naturellement! C'est le m\'etier qui veut \c{c}a? Ces dames viennent me faire leurs confidences et je sais qui est neuf fois sur dix le vrai p\`ere du gosse que je mets au monde. N'est-ce pas?---Alors, allons-y: \`a vous d'accoucher, si j'ose dire; je vous \'ecoute. Il n'y a pas de domestique et pas de famille sur l'\'etage. Je viens de recevoir un t\'el\'egramme de ma belle-m\`ere. Son bateau a une avarie \`a Alger. Elle ne sera l\`a que dans trois jours, c'est une chance!---Allons-y, docteur! A vous la parole!\\
(Le docteur a pris une bo\^ite dans son manteau et il revient ver la chambre, sans pr\^eter la moindre attention naturellement \`a Michel qui n'est pas devant lui \`a l'\'etat de vivant.)\\
~~~Vous m'entendez, nom de Dieu! Je vous parle!!!\\
(Le docteur a un regard vers le fauteuil et il s'\'eloigne sur la pointe des pieds.)\\
~~~Quoi? Qu'est-ce que vous regardez dans ce fauteuil? Je suis l\`a, vous ne me voyez pas?\\
(Le doctoeur est rentr\'e dans la chambre.)\\
~~~\c{C}a c'est fort!---Qu'est-ce que je suis ici? Si je ne suis pas le p\`ere, je suis le mari tout de m\^eme!\\
(Il ouvre la porte de la chambre. L'infirmi\`ere surgit devant lui sans son voile.)\\
~~~Michel. Mademoiselle...\\
~~~L'infirmi\`ere. Vous pensez \`a moi?\\
~~~Michel. Ils sont complices n'est-ce pas? Mais pas vous? Vous n'allez pas me dire que vous aussi vous le saviez, que vous aussi vous trouvez \c{c}a dr\^ole?\\
(Elle se d\'etourne et rentre dans la chambre.)\\
~~~Pourquoi partez-vous? Vous aussi?---Elle aussi! Et moi qui la croyais charmante avec ces yeux de souris: c'est une chauve-souris, une taupe, une garce encore, bonne \`a se faire faire un enfant dans tous les coins, comme toutes les femmes! \c{C}a joue de la prunelle, de l'\'epaule, de la fesse, \c{c}a joue de tout pour en arriver toujours l\`a! Apr\`es on trouve en vitesse un imb\'ecile qui endosse le coup!...\\
(Il s'est retourn\'e: l'infirmi\`ere vient d'appara\^itre dans un autre angle.)\\
~~~Mademoiselle?... Vous \^etes l\`a? Vous n'\^etes pas avec eux?\\
~~~L'infirmi\`ere. Je suis toujours l\`a.\\
~~~Michel. Ah! Je pensais bien que vous ne pouviez pas \^etre leur complice... J'allais injustement vous confondre avec eux. J'allais presque vous injurier, vous!\\
~~~L'infirmi\`ere. O! Ma bague est tomb\'ee.\\
(Elle se baisse et dispara\^it.)\\
~~~Michel. Comme M\'elisande... Vous l'avez retrouv\'ee? C'est votre bague de fian\c{c}ailles? Vous \^etes fianc\'ee? jolie mademoiselle? Vous ne me l'aviez pas dit. Vous \^etes vraiment fianc\'ee? Avec un jeune homme que vous aimez? Pourquoi ne me r\'epondez-vous pas? Vous \^etes tomb\'ee dans le bassin en cherchant votre bague?\\
(L'infirmi\`ere est rentr\'ee en sc\`ene juste derri\`ere lui par le c\^ot\'e du d\'ecor. Elle dit tout pr\`es de lui:)\\
~~~L'infirmi\`ere. Je suis l\`a.\\
~~~Michel, (se retournant, ravi.) Vous \^etes l\`a... Vous \^etes toujours l\`a! Et partout \`a la fois! C'est cette bague-l\`a que vous aviez laiss\'ee tomber?\\
~~~L'infirmi\`ere. Elle est un peu trop grande pour mon doigt. C'\'etait une bague de ma soeur.\\
~~~Michel. Votre soeur est morte?\\
~~~L'infirmi\`ere. Elle m'avait remis cette bague avant d'entrer dans la rivi\`ere pour se baigner.\\
~~~Michel. Elle n'est jamais revenue?\\
~~~L'infirmi\`ere. La rivi\`ere l'a emport\'ee.\\
~~~Michel. Comme Oph\'elie!\\
~~~L'infirmi\`ere. C'\'etait mon amie d'enfance...\\
~~~Michel. C'est joli de pouvoir dire cela de sa soeur. Elle vous ressemblait?\\
~~~L'infirmi\`ere. Nous \'etions jumelles. Elle s'appelait R\'egine.\\
~~~Michel. Et vous?\\
~~~L'infirmi\`ere. Isabelle. Elle m'appelait Hirondelle.\\
~~~Michel. Hirondell... Depuis trois jours o\`u je vous regarde vous promener dans la maison, je vous voyais mal. J'avais bien remarqu\'e cette cicatrice minuscule au bord de ce sourcil, la veine qui marque votre tempe gauche d'un trait plus bleu, mais vous restiez floue. Quelque chose vous arr\^etait dans cette promenade qui vous rapprochait de moi. Et maintenant un \'ecran est tomb\'e, un verre s'est bris\'e, qui t'a d\'elivr\'ee, Isabelle! Ton voile a disparu. Tu a perdu ton caract\`ere officiel d'infimi\`ere et tu m'es apparue partout. En quelques secondes je n'ai plus vu que toi: \`a droite, \`a gauche, ici, l\`a... Tu n'avais qu'un seul mot \`a la bouche et tout enti\`ere tu n'\'etais qu'une phrase: "Je suis ici avec mon sourire et mes yeux gris chat".---Hirondelle! C'est par une fen\^etre ouverte que tu viens d'entrer dans ma vie! Tout s'\'eclaire! Je ne vais m\^eme pas chercher \`a savoir qui est le p\`ere de mon enfant!\\
~~~Isabelle. Tu n'as plus d'enfant?\\
~~~Michel. Ma femme accouche, mais moi je n'attends plus rien de ce c\^ot\'e-l\`a. Depuis trois jours, ma vie ne tenait pas \`a un fil, mais \`a cette porte. Tu sais tout maintenant: mon fils n'est pas de moi. Cette porte n'a plus \`a s'ouvrir. Elle est mur\'ee! Et moi je retrouve la libert\'e! Nous allons \^etre heureux, Isabelle! C'\'etait de mon fils que j'attendais le bonheur, et \`a l'instant o\`u ce fils dispara\^it de ma vie, c'est toi qui nais! Je suis libre, Isabelle! Je retrouve mes vingt ans! On n'est pas b\^ete au point de sacrifier l'amour, et c'est lui pourtant que j'avais rel\'egu\'e!\\
~~~Isabelle. Elle t'avait fait tellement souffrir?\\
~~~Michel. Qui?\\
~~~Isabelle. La femme que tu avais aim\'ee?\\
~~~Michel. Je l'aimais.\\
~~~Isabelle. Elle aussi?\\
~~~Michel. Oui.\\
~~~Isabelle. Qu'est-ce qui vous a s\'epar\'es?\\
~~~Michel. Mon p\`ere, un de mes oncles, une cousine, toute ma famille s'en est m\^el\'ee. Les familles n'aiment pas les actrices.\\
~~~Isabelle. C'\'etait une actrice que tu aimais?\\
~~~Michel. Oui.\\
~~~Isabelle. A quinze ans, je voulais \^etre actrice.\\
~~~Michel. C'est vrai?\\
~~~Isabelle. Ma famille n'a pas voulu.\\
~~~Michel. Ta m\`ere?\\
~~~Isabelle. Mon p\`ere.\\
~~~Michel. Tes oncles?\\
~~~Isabelle. Ma tante. Tout le monde s'y est mis.\\
~~~Michel. Ils avaient peur que tu te perdes?\\
~~~Isabelle. Ils disaient que ma nature \'etait dandereuse.\\
~~~Michel. Pour le th\'e\^atre?\\
~~~Isabelle. Et le th\'e\^atre dangereux pour ma nature.\\
~~~Michel. Et ils ont trouv\'e que les salles de garde d'h\^opital \'etaient une atmosph\`ere plus convenable! Ils ont pr\'ef\'er\'e te savoir pench\'ee, la nuit, sur le lit de femmes en couches! Jouer Juliette ou M\'elisande, c'\'etait ta perte; avoir dans le coeur et sur les l\`evres quelques-unes des plus pures paroles que les hommes puissent prononcer, cela leur paraissait coupable---mais offrir \`a ta jeunesse et \`a tes mains de jeune fillle les r\'ecipients infects de toute une m\'edecine, voil\`a qui les tranquillisait! Voil\`a qui leur donnait le sentiment du devoir accompli envers toi!\\
~~~Isabelle. C'\'etait ma famille... Les familles n'aiment pas les actrices, tu viens de le dire.\\
~~~Michel. Elles n'aiment pas les actrices, elles n'aiment pas l'amour, elles n'aiment pas les explorateurs, elles n'aiment rien!\\
~~~Isabelle. C'est vrai! Tu voulais \^etre explorateur?\\
~~~Michel. Je voulais \^etre explorateur ou saint.\\
~~~Isabelle. Moi aussi.\\
~~~Michel. Quoi?\\
~~~Isabelle. Je voulais \^etre sainte ou actrice.\\
~~~Michel. Eh bien tu es infirmi\`ere et moi je suis mari\'e: nous \'etions faits pour nous rencontrer! Tu es l\`a, nous nous aimons, personne ne compte plus: Je ne suis plus mari\'e, et tu n'es plus infirmi\`ere. Notre vie est \`a nous! Les autres n'ont plus qu'\`a tourner autour de notre amour: Ma femme, son fils, et sa m\`ere. Celle-l\`a, tu ne la connais pas encore: un gendarme. Elle ne sera ici qu'apr\`es-demain. Voici le t\'el\'egramme que j'ai re\c{c}u tout \`a l'heure. Entre nous \c{c}a vaut mieux car elle \'etait capable, telle que je la connais, de tout faire avorter: la naissance de son petit-fils dans cette pi\`ece-l\`a et notre bonheur dans celle-ci.\\
(On entend une voix.)\\
~~~La voix. Michel!\\
~~~Michel. On m'a appel\'e?\\
~~~La voix. Michel!!\\
~~~Michel. Mais c'est elle!\\
~~~La voix. C'est moi, Michel, venez!\\
~~~Michel. Elle? Mais que voulait dire son t\'el\'egramme, alors?\\
~~~Isabelle. C'est ta belle-m\`ere?\\
~~~Michel. Le gendarme, oui, la femme \`a barbe!\\
~~~Isabelle. Je n'en vais?\\
~~~Michel. Oh, plus maintenant, je l'attends de pied ferme.\\
~~~Isabelle. Tu crois?\\
~~~Michel. Je t'aime.\\
(Entre la belle-m\`ere, comme un torrent.)\\
~~~Belle-m\`ere. J'\'etais coinc\'ee dans l'ascenseur!!! Bonjour, mon petit! Qu'est-ce que j'apprends?!\\
~~~Michel. Avez-vous remarqu\'e une chose, ma m\`ere? Vous n'arrivez jamais sans cette phrase: "Qu'est-ce que j'apprends?"\\
~~~Belle-m\`ere. Evidemment! Si je n'avais pas appris cela je ne serais pas revenue si vite.\\
~~~Michel. Vous m'avez t\'el\'egraphi\'e d'Alger que vous ne seriez ici qu'apr\`es demain. Pourquoi me donner ainsi de fausses joies?\\
~~~Belle-m\`ere. Et vous, galopin? Vous en faites de belles, tous les deux! Embrassez-moi vite! (A Isabelle.) Et vous aussi!---Alors c'est bien vrai?\\
~~~Michel. Quoi?\\
~~~Belle-m\`ere, (ravie.) Vous vous plaisez? Vous commencez une belle aventure?\\
~~~Michel. Pardon?\\
~~~Isabelle. Comment?\\
~~~Belle-m\`ere. C'est bien \c{c}a, Michel?\\
~~~Michel. Nous y songions, oui... justement...\\
~~~Belle-m\`ere. Mais c'est parfait!\\
~~~Michel. \c{C}a vous fait plaisir?\\
~~~Belle-m\`ere. Moi! Je suis ravie! C'est pour cela que je suis rentr\'ee en h\^ate!\\
~~~Michel. Mais votre bateau?\\
~~~Belle-m\`ere. Les bateaux ont toujous des avaries. Mais moi je ne les attends pas. Quand je veux partir, je pars sans bateau, voil\`a tout.\\
\\
avaries~~~(船、積荷などの)損傷\\
\\
~~~Michel. Je ne savais pas que vous nagiez si bien.\\
~~~Belle-m\`ere. Je suis tremp\'ee!\\
~~~Michel. Vous \^etes vraiment revenue \`a la nage?\\
~~~Belle-m\`ere, (s'\'eventant.) Je veux dire que j'ai chaud.\\
~~~Michel. Ah, bon.\\
~~~Belle-m\`ere. En voil\`a une surprise, mon Michel!\\
~~~Michel. Ah, oui, comme surprise c'est assez r\'eussi!\\
~~~Belle-m\`ere. Je parle de votre amour!\\
~~~Michel. Ah! je croyais que vous parliez de mon enfant!\\
~~~Belle-m\`ere. Ah, je croyais que vous pensiez que je parlais de mon arriv\'ee.\\
~~~Michel. On va trouver le moyen de se compredre, vous allez voir.---Mais votre fille? Que dites-vous d'elle? Et que croyez-vous que je pense que vous me direz d'elle?\\
~~~Belle-m\`ere. Ma fille? C'est curieux cette manie des gendres de nous parler de nos filles. Comme si nos filles nous int\'eressaient! Mais voyons, mon petit, vous savez bien qu'il n'y a que vous qui comptiez!\\
~~~Michel. Vous \^etes bien bonne...\\
~~~Belle-m\`ere. Nos filles ne comprennent jamais rien---ce sont les gendres qui comptent pour les m\`eres!\\
~~~Michel. J'aime \`a vous l'entendre dire... Tout cela est charmant, mais... Il y a quelque chose de chang\'e! Vous n'\^etes plus la femme \`a barbe? Vous cessez d'\^etre pour moi le gendarme de la famille! Alors vraiment, vous trouvez tout \`a fait normal que je remplace votre d\'elicieuse fille par mademoiselle?\\
~~~Belle-m\`ere. Je trouve \c{c}a tellement gentil cette idylle sous son toit \`a l'instant m\^eme o\`u elle accouche!\\
~~~Michel. Ah \c{c}a, vous \^etes une vieille folle, avouez-le une bonne fois!\\
~~~Belle-m\`ere. Moi, mon petit! Mais je suis la folie m\^eme! Je ne sais pas pourquoi vous vous \^etes toujours obstin\'e \`a voir en moi une femme v\'en\'erable!\\
~~~Michel. A vous dire vrai, je voyais surtout un dragon!\\
~~~Belle-m\`ere. Mais non, voyons! Je suis la complicit\'e avant tout!---Et d'abord laissez-moi vous dire que je n'ai jamais \'et\'e dupe de Simone qui ressemble \`a son p\`ere, ce qui est tout dire! C'est une petite enfant qui n'est pas m\'echante mais qui n'a rien invent\'e!\\
\\
complicit\'e~~~共犯\\
\\
~~~Michel. Ecoutez, tout cela est un peu bouleversant. J'ai vraiment l'impression qu'il se passe quelque chose d'anormal.\\
~~~Belle-m\`ere. D'anormal?\\
~~~Michel. Tenez, ma m\`ere, permettez-moi de vous dire une chose. Jusqu'ici vous m'avez toujours impressionn\'e, mais j'ai r\^ev\'e---non pas une fois, mais mille fois---d'une geste magnifique que je n'ai jamais pu faire mais qui m'a toujours br\^ul\'e les mains cependant.\\
~~~Belle-m\`ere. Vraiment? Quoi?\\
~~~Michel (Il fait le geste de lui flanquer une formidable claque sur le derri\`ere.) ... Je n'ose pas le dire, ma m\`ere. (Et son bras retombe.)\\
~~~Belle-m\`ere, (enchant\'ee.) Mais tout de suite, mon petit, si \c{c}a vous amuse!!!\\
~~~Michel. Hein?\\
~~~Belle-m\`ere. Allez-y!\\
~~~Michel. Je n'ose plus. \c{C}a me tenait quand vous aviez votre air digne.\\
~~~Belle-m\`ere. Quand \c{c}a vous dira, ne vous g\^enez absolument pas, je serai ravie.\\
~~~Michel. Oui, eh bien: je dors!\\
~~~Belle-m\`ere. Quoi?\\
~~~Michel. Je dois dormir!\\
~~~Belle-m\`ere. Pourquoi?\\
~~~Michel. Je trouve quand m\^eme tout cela un peu extraordinaire! Je r\^eve!\\
~~~Belle-m\`ere. Vous finirez par me le faire croire, mon petit: moi je trouve tout parfaitement naturel.\\
(Elle a dit cela en se retournant, Michel en profite pour lui envoyer une formidable claque sur les fesses.)\\
~~~Belle-m\`ere, (ravie.) Vous m'avez eue, petit coquin!\\
~~~Michel. Je vous ai eue, ma m\`ere!\\
~~~Belle-m\`ere. Faruseur, va!\\
(Ils rient.)\\
~~~Michel. Et maintenant deux mots. Vous ne m'aviez pas dit \c{c}a, dites donc?\\
~~~Belle-m\`ere. Quoi?\\
~~~Michel. Que la vierge jet\'ee dans mes bras par vos soins, le 4 ao\^ut dernier, \'etait quelque peu enceinte.\\
~~~Belle-m\`ere. Mon petit, je ne vous ai parl\'e de ce d\'etail parce qu'il aurait pu arr\^eter votre projet de mariage.\\
~~~Michel. D\'elicieux! Alors vous avouez?\\
~~~Belle-m\`ere. Quoi?\\
~~~Michel. Qu'elle \'etait enceinte?\\
~~~Belle-m\`ere, (avec l\'eg\`eret\'e.) Nous l'avons cru. On ne sait jamais exactement au d\'ebut. Mais nous l'avons cru.\\
~~~Michel. Vous convenez que c'est une trahison?\\
~~~Belle-m\`ere. Si peu! Et d'ailleurs ce gar\c{c}on \'etait charmant.\\
~~~Michel. Il est mort?\\
~~~Belle-m\`ere. Non, mais je parle de lui au pass\'e, parce qu'enfin cela nous ram\`ene tout de m\^eme \`a juin dernier.\\
~~~Michel. Mais pourquoi n'avez-vous pas mari\'e votre fille \`a ce monsieur qui avait abus\'e d'elle?\\
~~~Belle-m\`ere. Il n'avait pas abus\'e d'elle!\\
~~~Michel. Ils \'etaient d'accord?\\
~~~Belle-m\`ere. Tout ce qu'il y a de plus d'accord.\\
~~~Michel. Vous \^etes compl\`etement amorale, ma m\`ere!\\
~~~Belle-m\`ere. Moi? Mais pas du tout! Je ne savais rien! Je ne surveillais pas Simone \`a cette \'epoque, elle faisait tout ce qu'elle voulait. Nous n'\'etions jamais ensemble! C'est seulement lorsqu'elle a cru qu'elle attendait un enfant que je ne l'ai plus quitt\'ee! C'est \`a ce moment-l\`a qu'une fille doit avoir l'air d'\^etre tenue en mains par sa m\`ere. Parce qu'il faut faire vite! On a tout juste trois mois devant soi pour trouver un mari! Et encore en \'etant adroite!\\
~~~Michel. Charmant! Cela n'explique pas pourquoi vous n'avez pas mari\'e Simone avec ce gar\c{c}on!\\
~~~Belle-m\`ere. Parce qu'il n'a pas voulu.\\
~~~Michel. Ben, et moi, dites donc?\\
~~~Belle-m\`ere. Vous oui!\\
~~~Michel. Oui?\\
~~~Belle-m\`ere. Et avouez que vous \'etiez ravi de l'\'epouser!\\
~~~Michel. La premi\`ere fois que nous nous sommes rencontr\'es, je lui ai demand\'e si elle serait heureuse d'\^etre m\`ere. Elle m'a r\'epondu oui avec enthousiasme.\\
~~~Belle-m\`ere. Eh bien, reconnaissez que c'\'etait normal.\\
~~~Michel, (une seconde interdit.) Oui... Une seconde.---Que voulez-vous boire, ma m\`ere?\\
~~~Belle-m\`ere. Un Pernod sec.\\
~~~Michel. Je n'en ai pas.\\
~~~Belle-m\`ere. Alors tant pis. Tout le reste est de l'eau!\\
~~~Michel. Nous avons quatre mots \`a nous dire. Asseyons-nous.\\
~~~Belle-m\`ere. Volontier.\\
~~~Isabelle. Je vous laisse...\\
~~~Michel. Mais non, mon amour, restez avec nous, tout cela vous int\'eresse.\\
~~~Belle-m\`ere. En ce qui me concerne, je serais ravie aussi que vous restiez.\\
~~~Michel. Asseyez-vous \`a c\^ot\'e de moi.\\
~~~Belle-m\`ere. Comment vous appelez-vous, ma petite?\\
~~~Isabelle. Isabelle.\\
~~~Belle-m\`ere. Quel joli nom! Elle est charmante vous savez, Michel.\\
~~~Michel. Mes questions seront pr\'ecises. Attendez-vous de moi que j'endosse la paternit\'e de cet enfant?\\
~~~Belle-m\`ere. Mais bien s\^ur. D'ailleurs vous ne pouvez pas y \'echapper! Le mari est pr\'esum\'e p\`ere des enfants. C'est la loi. Sur ce chapitre je connais mon code.\\
~~~Michel. Je veux dire...\\
~~~Belle-m\`ere. Quoi? Ah! dites mon petit, et exprimez-vous clairement parce que votre attitude commernce \`a m'agacer! Il y a dix minutes vous \'etiez charmant, vous aviez l'air tr\`es attach\'e \`a mademoiselle, vous me parliez gentiment, vous me donniez des t\'emoignages de sympathie, maintenant vous biaisez...\\
~~~Michel. Je biaise?\\
~~~Belle-m\`ere. Vous voulez biaiser, je vous vois venir! Vous faites des restrictions, vous me posez des questions. Est-ce que vous avez \`a me poser des questions, s'il vous pla\^it! Vous \^etes le mari de ma fille, donc le p\`ere de son enfant. Je voudrais savoir ce qui peut vous g\^ener dans cet \'etat de choses. Vous vouliez un enfant \`a \'elever, vous l'aurez!\\
~~~Michel. Je l'aurai, mais il n'aura pas mes doigts!\\
~~~Belle-m\`ere. Vos doigts?\\
~~~Michel. Mon pouce et mon petit doigt! Ce ne seront pas les miens! Il n'aura pas mes cheveux. Il n'aura pas mon nez. Il n'aura absolument pas envie d'\^etre explorateur.\\
~~~Belle-m\`ere. Que me chantez-vous l\`a, Michel? Vous vouliez que votre fils ait envie d'\^etre explorateur? Vous me rappelez mon mari: sous pr\'etexte qu'il avait un peu gratt\'e du violon dans sa jeunesse il voulait que son fils soit un virtuose. Pendant nos fian\c{c}ailles il ne me parlait que de \c{c}a et quand j'ai attendu Simone il me tra\^inait au concert quatre fois par semaine sous pr\'etexte de m'impressionner. Tous les violonistes du monde, je les ai entendus pendant ces neuf mois de ma grossesse. Chaque fois que mon enfant remuait j'avais l'impression de recevoir non pas un coup de pied mais un coup d'archet, il me semblait que j'avais un violon dans le ventre. Finalement, j'avais Simone, qui n'a jamais pu faire de diff\'erence entre une ronde point\'ee et une double croche.\\
\\
archet~~~弓(ヴァイオリンなどの)\\
\\
~~~Michel. Je ne sais pas si vous avez attendu un violon pendant neuf mois, ma m\`ere, mais je sais que moi, j'ai attendu un enfant qui serait le mien. Moi, dans la vie je ne fais rien...\\
~~~Belle-m\`ere. \c{C}a, je suis pay\'ee pour le savoir! Depuis votre mariage je suis beaucoup plus votre banque que votre belle-m\`ere.\\
~~~Michel. Vous m'avez accept\'e sans argent et sans situation.\\
~~~Belle-m\`ere. Il fallait bien!\\
~~~Michel. Comme vous dites. Je m'en aper\c{c}ois aujourd'hui. Mais si je ne fais rien dans la vie c'est au prix de durs sacrifices et de d\'ebats dramatiques avec moi-m\^eme. J'ai souffert de trop de choses, comprenez-vous? Je me suis cherch\'e pendant des ann\'ees et c'est par une sinc\'erit\'e rare que je me suis reconnu moi-m\^eme bon \`a rien.\\
~~~Belle-m\`ere. Je vous r\'ep\`ete que je suis au courant.\\
~~~Michel. Et un jour, j'ai compris que je pouvais tout de m\^eme me r\'ealiser, faire une oeuvre: mon enfant!\\
~~~Belle-m\`ere. Vous \^etes un artiste! Mais dans ces conditions-l\`a vous \^etes nombreux!\\
~~~Michel. Permettez...\\
(Un cri dans la coulisse.)\\
~~~Belle-m\`ere. Ah! elle a cri\'e. Si vous n'y vous pas d'incov\'enient je ne boirai pas un ap\'eritif avec mon gendre et sa ma\^itresse au moment o\`u ma fille accouche, \c{c}a ne s'est jamais vu!---Mais au fait: on n'a rien bu!\\
(Elle passe dans la chambre.)\\
~~~Michel. Tu vois que c'est une garce! Ecoute-moi: nous partons!\\
(Il l'am\`ene \`a l'avant-sc\`ene. Ils sont debout, le bras droit en l'air, un peu comme deux personnages sur une affiche de tourisme.)\\
~~~Isabelle. O\`u \c{c}a?\\
~~~Michel. Je ne sais pas. Droit devant nous. Nous sautons sur une valise. Nous sommes debout sur une valise. Nous nous donnons la main. Nous fermons les yeux. La valise s'envole; elle traverse les murs, elle traverse la ville, elle traverse la mer... Nous sommes libres, nous sommes loin, nous sommes heureux, Isabelle!... Je t'aime comme \`a vingt ans quand je r\^evais \`a l'amour!\\
~~~Isabelle. Moi je t'aime sans penser que nous sommes en voyage.\\
~~~Michel. Avoue pourtant que c'est un bonheur de se sentir loin de tous ceux que l'on n'a pas aim\'es. Se trouver dans un pays neuf et n'y conna\^itre qu'une seule personne, et que cette personne soit la seule qui compte pour vous sur la terre! N'est-ce pas beau, Isabelle?\\
~~~Isabelle. C'est le r\^eve.\\
(La belle-m\`ere revenant.)\\
~~~Belle-m\`ere. Fausse alerte. Mais l'enfant se pr\'esente bien. Ce docteur a des mains de f\'ee. O\`u en \^etes-vous Michel?\\
~~~Michel. Nous sommes sur une valise ma m\`ere, laissez-nous tranquilles!\\
~~~Belle-m\`ere. Je veux bien vous croire, mais soyez poli. Et o\`u allez-vous sur votre valise?\\
~~~Michel. Nous partons. Nous sommes libres, nous sommes heureux!\\
~~~Belle-m\`ere. Vous \^etes charmants. Mais faites-moi le plaisir de descendre une seconde de votre paquebot. Vous voulez vraiment partir?\\
~~~Michel. Oui.\\
~~~Belle-m\`ere. Vous voulez divorcer?\\
~~~Michel. Est-ce bien utile? D'ailleurs ce serait long. Nous serons partis avant. Notre valise va vite!\\
~~~Belle-m\`ere. Et avec quoi partirez-vous?\\
~~~Michel. Avec qui voulez-vous dire?\\
~~~Belle-m\`ere. Non: avec quoi. Avec quel argent? En avez-vous?\\
~~~Michel. Non.\\
~~~Belle-m\`ere. Les voyages co\^utent cher dans les compagnies de navigation que debout sur une valise je vous pr\'eviens. Parlons net: vous n'avez pas un sou, Michel, et pas de situation. Vous faites vaguement ce qu'on appelle de la publicit\'e, mais autant vaut ne pas parler de vos revenus de ce c\^ot\'e-l\`a. \c{C}a me co\^ute cher mais vous \^etes le mari de ma fille et je ne veux pas de ce d\'epart. Donc vous resterez. Je vous garde. Faites ce que vous voulez avec mademoiselle, je n'entre pas dans ces d\'etails, mais je ne veux pas que vous quittiez la maison. J'ai des principes. Voil\`a ce que j'avais encore \`a vous dire. Maintenant remettez votre valise o\`u elle \'etait. Je retourne vers la chair de ma chair.\\
(Elle va dans la chambre.)\\
~~~Isabelle. Eh bien, Michel?\\
~~~Michel. Tu vois ce que c'est que la vie? On part, on est parti... et voil\`a.\\
~~~Isabelle. Je disais: "C'est le r\^eve!"\\
~~~Michel. Et c'\'etait un r\^eve. Nous voil\`a bien r\'eveill\'es.\\
~~~Isabelle. Mais pourquoi partir pour \^etre heureux, Michel? Tu avais raison c'est une id\'ee de la vingti\`eme ann\'ee, pas autre chose. Notre bonheur est l\`a, entre nous, \`a port\'ee de nos mains.\\
~~~Michel. Tu l'accepterais, celui-l\`a?\\
~~~Isabelle. Je n'ai qu'\`a me baisser et \`a ouvrir les mains Michel; je n'ai qu'\`a me mettre \`a genoux si tu veux te pencher sur moi.\\
~~~Michel. Oui, mon amour, tu as raison. Notre bonheur est l\`a, identique, et personne n'y pourra toucher. Je te demande pardon de mes id\'ees un peu folles. Mais tu comprends... C'est ce go\^ut de l'exploration que j'ai toujours eu!\\
~~~Isabelle. Je t'aime parce que tu es un explorateur qui ne part jamais.\\
~~~Michel. C'est vrai?\\
~~~Isabelle. Je t'aime justement parce que tu restes.\\
~~~Michel. Alors nous restons?\\
~~~Isabelle. Oui.\\
~~~Michel. Et nous nous aimons?\\
~~~Isabelle. Oui!\\
~~~Michel. Une id\'ee!\\
~~~Isabelle. Quoi?\\
~~~Michel. Tu n'en attends pas toi?\\
~~~Isabelle. Quoi donc?\\
~~~Michel. D'enfant?\\
~~~Isabelle. Je suis vierge.\\
~~~Michel. Mon amour! On va en avoir un!\\
~~~Isabelle. Nous?\\
~~~Michel. Toi et moi oui! (Un cri.) Oh, je te demande pardon!\\
~~~Isabelle. Pourquoi?\\
~~~Michel. Ce cri. \c{C}a n'est pas fait pour t'encourager.\\
~~~Isabelle. J'ai l'habitude.\\
~~~Michel. C'est vrai. Il na\^itra quand d'apr\`es toi?\\
~~~Isabelle. Comment?\\
~~~Michel. Le n\^otre. Toi qui as l'habitude...\\
~~~Isabelle. Michel!\\
~~~Michel. On l'appellera Ernest!\\
~~~Isabelle. Pourquoi?\\
~~~Michel. C'est un joli nom.\\
~~~Isabelle. Et s'il n'a pas ton pouce et ton petit doigt?\\
~~~Michel. Il les aura! Et tu verras, ce sera un type extraordinaire! Tout ce que j'ai rat\'e---entends-moi bien---je veux que lui le r\'eussisse.\\
~~~Isabelle. Qu'est-ce que tu as rat\'e mon ch\'eri?\\
~~~Michel. Moi? Tout! On m'a tout fait rater. J'avais des possibilit\'es \'enormes: on m'a tout fait rater; je ne m'en cosole pas! J'aurais pu \^etre marin, eh bien je ne le serai jamais parce que mon p\`ere \'etait officier de cavalerie et qu'il avait l'esprit de corps tr\`es d\'evelopp\'e. Marin et explorateur, naturellement---je ne le suis pas non plus parce que ma tante D\'ed\'e qui ne quittait jamais la maison me tricotait des cache-nez toute la journ\'ee et me couvrait de p\`elerines d\`es que j'ouvrais une fen\^etre.\\
~~~Isabelle. Tu t'enrhumes souvent?\\
~~~Michel. Tout le temps. Et \c{c}a n'est pas avec un nez d\'elicat que l'on passe six mois dans les glaces du P\^ole.\\
~~~Isabelle. Il fallait explorer l'Afrique!\\
~~~Michel. Non; parce que j'ai peur!\\
~~~Isabelle. Des lions?\\
~~~Michel. De tout! J'ai peur des b\^etes, j'ai peur du moindre bruit; j'ai peur de la nuit; tout me fait peur, parce que mon oncle Auguste, qui \'etait le m\'edium de la famille, se cachait derri\`ere toutes les portes quand j'\'etais petit et faisait le spectre en poussant des cris.\\
~~~Isabelle. C'est affreux.\\
~~~Michel. Ce sont les petites choses. Mais sache que pendant douze ans j'ai d\^u me confesser deux fois par semaine, que tous les jours mon p\`ere disait en ouvrant son journal: "Si j'\'etais au pouvoir \c{c}a ne se passerait pas comme \c{c}a";---apprends que lorsque je lui adressais la parole, je devais me tenir \`a six pas de lui, les talons joints et les petits doigts sur la couture de ma culotte, qu'il m'\'etait interdit de parler \`a table et de lire d'autres revues que la \textit{France militaire}. R\'esultat de cet ensemble, j'ai quitt\'e la maison, je suis tomb\'e amoureux fou d'une actrice, je suis parti avec elle, j'ai voulu l'\'epouser, ma famille nous a s\'epar\'es et m'a ramen\'e au bercail; je suis reparti, mon actrice n'a plus voulu de moi; j'ai essay\'e des affaires ridicules o\`u je n'ai fait que des b\^etises pour tomber en fin de compte dans la publicit\'e et je suis devenu le mari de Mlle Bernardin parce qu'elle n'\'etait pas \`a la mendicit\'e et semblait accepter avec une certaine joie la perspective d'avoir un enfant.---Voil\`a ma vie. Mais ce qui est grave c'est que mon p\`ere qui vit de ses bonnes petites rentes et les jambes en cerceau de c\^ot\'e de P\'erigueux, ne s'est jamais dout\'e qu'il avait pour fils un marin possible, et ma tante Jeanne n'a jamais pens\'e que son neveu \'etait un explorateur-n\'e. Et ce couillon d'Auguste qui doit continuer \`a faire le spectre derri\`ere les portes ne sait pas lui non plus, que gr\^ace \`a ses hurlements je ne peux pas rester seul une minute dans une pi\`ece obscure!\\
~~~Isabelle. Je comprends, mon pauvre ch\'eri.\\
~~~Une voix, (une forte voix d'homme.) Michel!\\
~~~Michel. La voix de mon p\`ere!\\
~~~La voix. Michel!!\\
~~~Michel. C'est lui! Mon Dieu! Cache-toi l\`a...\\
(Isabelle se cache.)\\
~~~Le p\`ere, (entrant.) Tu pourrais venir quand je t'appelle!\\
~~~Michel. Je venais, papa!\\
~~~Le p\`ere. J'ai deux mots \`a te dire au sujet de ce que tu racontes.\\
~~~Michel. Assieds-toi papa.\\
~~~Le p\`ere. Je ne suis pas ici pour longtemps. Je n'ai approuv\'e ni tes extravagances ridicules de jeune homme, ni ton mariage qui n'\'etait pas du genre que je souhaitais pour toi. Tu trouveras bon que je ne m'asseye pas dans une maison appartenant \`a quelqu'un que je ne salue pas.\\
~~~Michel. Ma belle-m\`ere est une femme parfaitement respectable...\\
~~~Le p\`ere. Autour de nous les personnes respectables ne portent pas de cheveux rouges. Passons. Tu viens de t'\'elever une fois de plus contre ta famille, mon cher, et en des termes que je n'accepte pas. Je te r\'eplique ceci; tu voulais \^etre marin: tu n'as jamais \'et\'e class\'e au-dessus de l'avant-dernier en calcul alg\'ebrique...\\
~~~Michel. Pardon!\\
~~~Le p\`ere. Jamais!\\
~~~Michel. Une fois!\\
~~~Le p\`ere. Tu as \'et\'e une fois deuxi\`eme, c'est exact. Le fait \'etait si extraordinaire qu'il a motiv\'e une enqu\^ete et l'on s'est aper\c{c}u que tu poss\'edais sur un livre que n'avaient pas tes camarades la solution du probl\`eme pos\'e. Tu \'etais donc nul en calcul alg\'ebrique; tu \'etais \'egalement nul en g\'eographie. N'accuse donc pas ta pauvre tante D\'ed\'e qui n'est malheureusement plus l\`a pour se d\'efendre. Tu \'etais nul en g\'eographie et en botanique, ce ne sont pas des qualit\'es suffisantes pour tenter des explorations, et les cache-nez que ma soeur te tricotait avec amour ne sont pour rien dans cette soi-disant vocation manqu\'ee.\\
~~~Michel. Je n'\'etais pas fort, mais il fallait me donner le go\^ut de la g\'eographie!\\
~~~Le p\`ere. On n'acquiert pas le go\^ut de la g\'eographie! On a le go\^ut du cheval du commandement, on a le go\^ut de la charge et de la victoire, mais on ne go\^ute pas la g\'eographie: on l'apprend!\\
~~~Michel. Et l'oncle Auguste, tu lui trouves une excuse?\\
~~~Le p\`ere. Tu es un galopin qui n'a jamais pu d\'ecrocher autre chose que le prix de gymnastique et comme dans ma famille nous n'avons pas l'habitude d'entrer \`a l'Ecole des moniteurs de Joinville, tu es toi, mon fils cette \'epave dont je ne me tiens pas pour responsable.\\
~~~Michel. Mais Auguste? Parle d'Auguste!\\
~~~Le p\`ere. Mon fr\`ere a toujours \'et\'e dingo, je n'y peux rien.\\
\\
dingo~~~気が狂った、(オーストラリアの野生の犬)ディンゴ\\
\\
(On entend des cris bizarres et appara\^it une forme sous un drap.)\\
(Michel a fait un \'ecart \'enorme.)\\
~~~L'apparition. Coucou! Qui est l\`a? C'est l'esprit de C\'esar!---Qui \'etait C\'esar?~~~Un empereur romain!---Et que dit C\'esar?---C\'esar dit: "Bonjour!"\\
(Auguste appara\^it tout guilleret dans son drap, avec un casque romain sur la t\^ete.)\\
\\
guilleret~~~快活な\\
\\
~~~Michel, (explosant.) Voil\`a ce que j'entendais derri\`ere toutes les portes!!!\\
~~~Le p\`ere. Auguste, veut-tu sortir, je te prie!\\
~~~Auguste. Les morts entrent et sortent quand cela leur pla\^it. Par d\'efinition on met rarement un courant d'air \`a la porte. Or je ne suis qu'un courant d'air. Et je te prie moi, de ne pas parler \`a C\'esar sur ce ton-l\`a. S'il le prend mal il te fera saisir par ses gardes et tu n'en m\`eneras pas large!\\
~~~Le p\`ere. Moi saisi par des gardes? N'oublie pas que je commandais un r\'egiment de cavalerie!\\
~~~Auguste. Oui, mon colonel, mais C\'esar \'etait g\'en\'eral!\\
~~~Le p\`ere. Nous ne sommes pas ici pour plaisanter, Auguste!\\
~~~Auguste. Tu n'as jamais su plaisanter de ta vie, mon cher Riri!\\
~~~Le p\`ere. Toi tu n'as jamais \'et\'e foutu de faire autre chose. Ta vie de d\'esordre et de folies est l\`a pour en t\'emoigner. Et je te prie de m'appeler Henri.\\
~~~Auguste. Ma vie a \'et\'e une suite d'actions g\'en\'ereuses et d\'esint\'eress\'ees, mon cher Riri; tu verras \c{c}a au jugement dernier quand le petit J\'esus nous appellera tous les deux. D'ailleurs il me l'a d\'ej\`a dit.\\
~~~Le p\`ere. Ta vie n'a \'et\'e qu'un d\'efi \`a l'ordre et aux bonnes r\`egles. Tu n'as m\^eme jamais pu t'habiller comme tout le monde. Tu as toujours eu l'air d'un globe-trotter ou d'un braconnier. Si encore tu avais \'et\'e inoffensif! Mais tu n'as eu de sympathie que pour des esprits subversifs, les hors-la-loi et les rat\'es.\\
~~~Auguste. Mais je suis un rat\'e moi-m\^eme!\\
~~~Le p\`ere. Et tu t'en vantes!\\
~~~Auguste. Tout le monde ne peut pas \^etre un rat\'e r\'eussi! J'ai port\'e le genre \`a une certaine hauteur. D'autre part tu as raison: je n'ai jamais pu supporter un col et une cravate, c'est une question d'\'epiderme. Console-toi en pensant que j'\'etais un mod\`ele de charit\'e chr\'etienne. C'est l'apanage de ceux qu'on apelle des rat\'es.\\
~~~Le p\`ere. Ne d\'eforme pas je te prie des mots sacr\'es que tu ne devrais pas avoir l'audace de prononcer! C'est parce qu'il y a dans toutes les familles une t\^ete br\^ul\'ee de ton esp\`ece que s'\'eteignent peu \`a peu le respect et les bonnes traditions!\\
~~~Auguste. C'est parce qu'il y a dans toutes les familles de solennels abrutis comme toi que les jeunes gens quittent la maison paternelle!\\
~~~Le p\`ere. Je te r\'ep\`ete que je suis ton fr\`ere a\^in\'e, Auguste!\\
~~~Auguste. Tes arguments sont faibles mais invariables: tu me disais d\'ej\`a \c{c}a quand j'avais huit ans.\\
~~~Le p\`ere. Sans ton influence pernicieuse, notre soeur Kiki n'aurait jamais divorc\'e!\\
\\
pernicieuse~~~有害な\\
\\
~~~Auguste. Kiki est heureuse avec son nouveau mari et gr\^ace \`a ton influence g\'en\'ereuse et d\'esint\'eress\'ee elle avait \'epous\'e un imb\'ecile qu'elle d\'etestait!\\
~~~P\`ere. Je suis habitu\'e au commandement, je veux de l'ordre!\\
~~~Auguste. Mon colonel, votre famille est en d\'eroute! Faites donner la garde: Coucou!\\
~~~Le p\`ere. Je te romprai les os \`a coups de canne, Auguste!\\
(Il marche sur lui.)\\
~~~Auguste. Tu peux y venir: je suis un fant\^ome! Hi hi hi!\\
(Ils sortent \`a la poursuite l'un de l'autre.)\\
~~~Michel, (allant chercher Isabelle.) Tu vois! Tu vois la famille! Mon amour ayons du courage. Soyons heureux. Construisons-nous un bonheur \`a c\^ot\'e de toute cette mis\`ere. On n'a pas le droit de mettre un \^etre au monde pour qu'il y soit malheureux. J'ai mon plan. Ecoute. J'aurai donc deux enfants. Ici (il montre la porte de la chambre) mon fils l\'egitime---qui n'est pas le mien---\`a qui je vais donner tous les bon principes que j'ai re\c{c}u. Comme il doit \^etre l'enfant d'un bell\^atre quelconque, il n'aura aucune possiblit\'e de r\'eaction: ce sera un parfait fils de famille, correct et bien \'elev\'e, qui \`a dix ans portera un costume marin et qui \'epousera \`a vingt, une demoiselle Bernardin quelconque.---Et avec toi mon fils \`a moi, qui sera mon meilleur ami, qui sera compris et aim\'e, libre et heureux!---Et tu verras, il aura toute ma jeunesse, ma joie initiale de vivre! Il sera un h\'eros de l'air, un explorateur qui \'etonnera le monde; il r\'ealisera tout ce que j'ai r\^ev\'e et que moi je n'ai pas pu faire!---Nous l'appelerons Baptiste!\\
~~~Isabelle. Tu avais dit Ernest?\\
~~~Michel. Ah! bon, alors: Bernard!\\
~~~Isabelle. Bernard?\\
~~~Michel. Bernard!---Embrasse-moi!\\
(Il ouvre les bras. Entre la belle-m\`ere.)\\
~~~Belle-m\`ere. Un gar\c{c}on!!! C'est un gar\c{c}on, Michel! Et votre portrait!\\
~~~Michel. Mon portrait? On dit toujours \c{c}a au p\`ere et Dieu sait que dans certains cas se n'est pas si heureux!\\
~~~Belle-m\`ere. Mais c'est vrai: front moyen, nez moyen, bouche moyenne, je vous assure!\\
~~~Michel. Il n'a rien dit en arrivant?\\
~~~Belle-m\`ere. Ce n'\'etait pas tr\`es articul\'e, mais il avait l'air d'en avoir gros sur le coeur.\\
~~~Michel, (criant.) Il gueule?\\
~~~Belle-m\`ere, (criant.) Encore assez, oui.\\
~~~Michel, (criant.) Et Simone?\\
~~~Belle-m\`ere, (criant.) Elle aussi.\\
~~~Michel, (criant.) Et vous aussi!\\
~~~Belle-m\`ere. Moi aussi, vous aussi! Nous gueulons tous! Une naissance, quoi!\\
~~~Michel, (se retournant vers Isabelle qui s'est \'eclips\'ee vers la droite.) ...Tu permets...\\
(Il s'aper\c{c}oit qu'elle a disparu.)\\
~~~Belle-m\`ere. Alors, Michel, vous ne voulez pas le voir?\\
~~~Michel. A vous dire vrai, je ne commencerai \`a le regarder que vers sa neuvi\`eme ou dixi\`eme ann\'ee. A partir de cette \'epoque, j'en ferai un fils de famille mod\`ele, mais jusque-l\`a, cet enfant ne comptera pas beaucoup pour moi.\\
~~~Belle-m\`ere. Comme il vous plaira, mon petit! Attendons. Attendons neuf ou dix ans. Nous y serons vite allez!\\
(Ils s'asseyent tous les deux. Un temps. De neuf ou dix ans.)\\
(Entre Simone, venant de la chambre et poussant devant elle Max, un enfant de dix ans.)\\
~~~Simone. Michel, je t'am\`ene Max qui avait \'et\'e avant-dernier en g\'eographie il y a un mois et qui revient aujourd'hui avec une place de dernier.\\
~~~Michel. Sans trop de difficult\'e, Max?\\
~~~Max. J'ai fait de mon mieux.\\
~~~Michel. Tu t'en fous compl\`etement, n'est-ce pas?\\
~~~Max. Je ne peux pas te dire que \c{c}a m'ennuie---\c{c}a m'est \'egal!\\
~~~Simone. Nous t'avons dit cent fois de ne pas tutoyer ton p\`ere.\\
~~~Max. J'peux pas.\\
~~~Simone. Force-toi.\\
~~~Max. Vous, je veux---pas lui.\\
~~~Simone. Lui! Et tu le laisses dire! Et c'est tout ce que tu trouves pour le f\'eliciter de sa place de g\'eographie?\\
~~~Michel. Max, mon vieux, c'est tr\`es joli d'\^etre dernier, mais il faut que tu comprennes que ce n'est pas le meilleure place. (Max rit.) Pourquoi ris-tu?\\
~~~Max. Parce que tu es dr\^ole!\\
~~~Simone. Voil\`a!\\
~~~Michel. Ah! mais pardon: d'abord, que faites-vous tous l\`a?---Vous, ma m\`ere, que faites-vous ici, je vous prie? Et toi? (\`a sa femme). Je parle \`a Max; nous sommes entre hommes; nous n'avons pas besoin de femmes. Foutez-moi le camp!\\
~~~Simone. C'est \c{c}a parle comme un charretier devant cet enfant.\\
~~~Belle-m\`ere. Ce petit sera bien \'elev\'e!\\
(Entre le docteur.)\\
(Elles sortent.)\\
(Michel reste seul avec Max.)\\
~~~Michel. Regarde-moi un peu, toi.\\
(Puis il va lui-m\^eme se regarder \`a une glace.)\\
~~~Max. Qu'est-ce que tu regardes?\\
~~~Michel. Rien.\\
~~~Max. Tu te trouves beau?\\
~~~Michel. Quoi?\\
~~~Max. Tu as mal aux oreilles?\\
~~~Michel. Non.\\
~~~Max. Alors, tu m'entends?\\
~~~Michel. Oui.\\
~~~Max. Alors, pourquoi me fais-tu r\'ep\'eter?\\
~~~Michel. Je ne sais pas.\\
~~~Max. Alors tu ne sais pas ce que tu dis?\\
~~~Michel. Je te prie d'\^etre poli, hein, Max?\\
~~~Max. Je ne suis pas impoli, je parle avec toi tout simplement.\\
~~~Michel. Oui, eh bien, parle-moi autrement.\\
~~~Max. Je ne peux pas te parler comme \c{c}a? Tu n'es pas mon professeur?\\
~~~Michel. Non.\\
~~~Max. Alors \`a quoi sert que tu ne sois pas mon professeur si je dois te parler comme \`a lui?\\
~~~Michel. Comment?\\
~~~Max. A quatre pas. Avec les petits doigts sur la couture de ma culotte.\\
~~~Michel. Bon, mais tu ne m'expliques pas pourquoi tu es dernier!\\
~~~Max. Parce que je n'aime pas la g\'eographie.\\
~~~Michel. Mais mon petit, on n'a pas besoin d'aimer la g\'eographie!\\
~~~Max. Pourquoi? J'aime bien me battre, je pourrais aimer la g\'eographie?\\
~~~Michel. Mais non, on a le go\^ut de commandement, de la bagarre, si tu veux, mais on ne go\^ute pas la g\'eographie: on l'apprend.\\
~~~Max. Tu la savais toi quand tu \'etais petit?\\
~~~Michel. Oui.\\
~~~Max. Tu la sais toujours?\\
~~~Michel. Oui.\\
~~~Max. Tu sais toutes les villes o\`u passe la Marne par exemple?\\
~~~Michel, (vacillant.) Dis donc, c'est moi qui ai \'et\'e dernier en g\'eographie ou toi?\\
~~~Max. Je suis premier en calcul.\\
~~~Michel. Je sais.\\
~~~Max. Je suis toujours premier en calcul. C'est facile le calcul. Tu verras, je serai toujours le premier.\\
~~~Michel. Tu crois?\\
~~~Max. C'est rien du tout. Je comprends tout de suite. Tu \'etais aussi toujours premier en calcul?\\
~~~Michel. ...Souvent, oui...\\
~~~Max. Alors, je tiens \c{c}a de toi.\\
~~~Michel. Heu... probablement...\\
~~~Max. Aux billes aussi je gagne toujours. Tu ne sais pas pourquoi? Les miennes sont truqu\'ees.\\
~~~Michel. Truqu\'ees?\\
~~~Max. J'en ai qui sont truqu\'ees. Alors, je fais sembland de prendre celles dont les autres se servent et c'est avec les miennes que je joue. Elles sont plus lourdes.\\
~~~Michel. Alors?\\
~~~Max. Alors, je gagne! C'est rigolo, hein? Et personne n'y voit rien.\\
(Michel se l\`eve et va encore se regarder \`a une glace apr\`es avoir \'etudi\'e la physionomie de l'enfant.)\\
Tu as un bouton?\\
~~~Michel. Hein?\\
~~~Max. Tu regardes si tu as un bouton qui pousse?\\
~~~Michel. Dis-moi, Max, tu t'es quelquefois demand\'e ce que tu feras quand tu seras grand?\\
~~~Max. Je serai aviateur!\\
~~~Michel. Aviateur?\\
~~~Max. Oui, et j'aurai des chevaux de courses.\\
~~~Michel. Tiens!\\
~~~Max. Comme \c{c}a, je serai s\^ur de gagner.\\
~~~Michel. Pourquoi?\\
~~~Max. Parce que je jouerai mes chevaux!\\
~~~Michel. J'esp\`ere bien que tu ne feras pas avec tes chevaux comme avec tes billes!\\
~~~Max. Pourquoi pas?\\
~~~Michel. Mais parce que c'est tr\`es mal! C'est du vol!\\
~~~Max. Puisque je serai aviateur!\\
(Simone, entrant, furieuse.)\\
~~~Simone. Max, viens un peu ici! J'ai deux mots \`a te dire!\\
~~~Max. Tu en diras plus que \c{c}a, je suis tranquille.\\
(Elle l'emm\`ene.)\\
(Isabelle entre, \`a droite, avec un enfant de neuf ans, exactement oppos\'e phisiquement \`a Max.)\\
~~~Isabelle. Justement il est seul! Nous sommes bien tristes, n'est-ce pas, Bernard? Oui, nous venons d'\^etre dernier en calcul. Dis bonjour Bernard.\\
~~~Bernard. Bonjour, p\`ere.\\
~~~Michel. Et en g\'eographie?\\
~~~Isabelle. Eh bien voil\`a... avant-dernier.\\
~~~Michel. C'est un record.\\
~~~Isabelle. Nous sommes tr\`es tristes, n'est-ce pas, Bernard?\\
~~~Bernard. Oui.\\
~~~Michel. Ah! ne pleure pas surtout Bernard!\\
~~~Bernard. Non, p\`ere.\\
~~~Michel. J'ai d\'ej\`a dit de ne pas avoir l'air d'\^etre devant ton professeur quand tu me parles, Bernard.\\
~~~Bernard. Oui, p\`ere.\\
~~~Michel. Et de ne pas m'appeler "p\`ere".\\
~~~Bernard. Oui, p\`ere.\\
~~~Michel. Tu entends?\\
~~~Bernard. Oui.\\
~~~Michel. Tu pourrais trouver une moyenne et r\'epondre "oui papa", par exemple. Hein?---Dis-moi, Bernard, c'est tr\`es ennuyeux tout \c{c}a. pourquoi es-tu dernier en g\'eographie?\\
~~~Bernard. Parce que je ne la sais pas.\\
~~~Michel. Il faut l'apprendre.\\
~~~Bernard. \c{C}a m'ennuie.\\
~~~Michel. Il faut te forcer. La g\'eographie n'a jamais amus\'e personne. On a le go\^ut de la charge, du commandement. On ne go\^ute pas la g\'eographie: on l'apprend!\\
~~~Bernard. Oui.\\
~~~Michel. Qu'est-ce que tu feras quand tu seras grand, Bernard?\\
~~~Bernard. Je serai sage.\\
~~~Michel. Oui. C'est tr\`es bien, mais qu'est-ce que tu feras? Tu seras marin? Tu seras explorateur?\\
~~~Bernard. Oh! non!\\
~~~Michel. Pourquoi?\\
~~~Bernard. Je serai bourgeois.\\
~~~Michel. Bourgeois?\\
~~~Bernard. Je vivrai \`a la maison.\\
~~~Michel. Tu es mou, Bernard, tu es mou; il faut te secouer!\\
~~~Bernard. Oui, p\`ere.\\
~~~Michel. Dis-moi: si un de tes camarades trichait en jouant aux billes, que ferais-tu?\\
~~~Bernard. Je ne lui parlerais plus. Ce serait un vilain voleur.\\
~~~Michel. Bien s\^ur...\\
~~~Isabelle. Voil\`a. Eh bien, nous allons faire une petite promenade jusqu'au parc, n'est-ce pas, Bernard?\\
~~~Bernard. Oui, m\`ere.\\
~~~Isabelle. Dis au revoir.\\
~~~Bernard. Au revoir, p\`ere.\\
~~~Michel. Au revoir, Bernard.\\
(Ils sortent.)\\
(Simone entrant.)\\
~~~Simone. Et voil\`a. Connais-tu son dernier tour? Il a mis du poil \`a gratter dans ton pyjama et de l'eau de javel dans le lait pour voir si \c{c}a nous ab\^imerait l'estomac!\\
~~~Michel. Oh! assez! Va-t-en! Va-t-en et ne hurle plus!\\
~~~Simone. C'est tout ce que tu sais dire, \c{c}a?\\
(Elle sort en claquant la porte.)\\
(Michel passe sa main sur ses yeux, ext\'enu\'e. Quand il rouvre les yeux, Bernard et Max sont en face de lui, dos au public. Il les consid\`ere tour \`a tour avec effarement.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau)\\
\\














}
\end{document}