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{
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Le P\`elerin\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Pi\`ece en un acte de Charles Vildrac \\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~\`a Andr\'e Bacqu\'e\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Personnages\\
Edouard Desavesnes, 50 ans.~~~M. L\'eon Bernard.\\
Madame Veuve Irma Dentin, 52 ans.~~~Mme Catherine Fonteney.\\
Denise Dentin, 17 ans.~~~Mlle Berthe Bovy.\\
Henriette Dentin, 24 ans.~~~Mlle Henriette Nizan.\
\\
(Un int\'erieur bourgeois en province. Au fond, deux fen\^etres garnies de cantonni\`eres et de doubles-rideaux en damas. Devant les fen\^etres, une jardini\`ere o\`u s'alignent des plantes vertes en pots. Portes \`a droite, \`a gauche et au fond \`a droite.)\\
(Buffet, chemin\'ee avec pendule et chandeliers, table ronde recouverte d'un tapis \`a franges, cache-pot et plante grasse sur la table; si\`ege, gu\'eridon.)\\
\\
P\`elerin~~~巡礼者\\
cantonni\`eres~~~飾り紐\\
damas~~~ダマスク、西洋緞子(文様を織り出した紋織物)\\
franges~~~房べり、房飾り\\
cache-pot~~~(植木鉢をはめる)装飾鉢\\
plante grasse~~~葉の厚い植物\\
si\`ege~~~椅子\\
gu\'eridon~~~小型円卓\\
\\
(Cette pi\`ece a \'et\'e repr\'esent\'ee pour la premi\`ere fois \`a Paris, \`a la Com\'edie Fran\c{c}aise, le 14 mai 1926.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 1\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Denise, puis Desavesnes.)\\
(Au lever du rideau, Denise entre par la porte de droite; elle tient un pot \`a eau et va, tout en chantant, arroser les plantes de la jardini\`ere.)\\
~~~Denise, (chantant le cantique connu.)\\
~~~~~Ave Maris stella,\\
~~~~~Dei Mater alma\\
~~~~~Atque semper virgo\\
~~~~~Tra la la la la la.\\
(Poursuivant l'air du cantique, auquel elle adapte tant bien que mal des paroles improvis\'ees:)\\
~~~~~J'ai arros\'e trop vite,\\
~~~~~\c{C}a va couler sur le parquet...\\
(Elle regarde sous la jardini\`ere.)\\
Non.\\
(Elle va arroser la plante grasse, sur la table, \`a petites coups, en chantant lentement.)\\
~~~~~Arlequin marie sa fille!\\
~~~~~Grosse et grasse et bien gentille;\\
~~~~~Il la marie \`a Pierrot,\\
~~~~~Ah! riguinguette!\\
~~~~~Il la marie \`a Pierrot,\\
~~~~~Ah!...\\
(On frappe; elle s'interrompt, pose son pot \`a eau sur le buffet et va ouvrir.)\\
Monsieur?\\
~~~Desaversnes, (entrant.) Bonjour, mademoiselle. Est-ce que Madame Dentin est l\`a?\\
~~~Denise. Elle est sortie, monsieur.\\
~~~Desavesnes, (indiff\'erent.) Ah!\\
(Sans bouger, il examine un moment l'int\'erieur avec une sorte d'avidit\'e \'emue.) Dans combien de temps doit-elle rentrer?\\
~~~Denise. Je ne sais pas, monsieur; au plus tard dans une heure; peut-\^etre avant... Puis-je vous demander...\\
~~~Desavesnes, (son regard s'est arr\^et\'e sur Denise qui recule, un peu interdite.) Je ne me trompe pas: sa fille Henriette?\\
~~~Denise. Non! Sa fille Denise.\\
~~~Desavesnes. Oui, enfin: La plus jeune?\\
~~~Denise. Oui, monsieur.\\
~~~Desavesnes. D\'ej\`a une jeune fille! Eh bien, Denise, je suis ton oncle, ton oncle Edouard Desavesnes.\\
(Il avance jusqu'\`a la table sur laquelle il pose son chapeau.)\\
~~~Denise, (troubl\'ee.) Ah!..\\
~~~Desavesnes, (allant \`a elle.) Permetes que je t'embrasse, ma ni\`ece. (Il l'embrasse.) Tu ne peux pas te souvenir de moi. La derni\`ere fois que nous nous sommes vus, tu avais... deux ans, trois ans... Mais ta maman a d\^u quelquefois te parler de son fr\`ere... brouill\'e avec elle, brouill\'e... avec toute la famille Dentin?\\
\\
brouill\'e~~~かきまぜる、仲違いする\\
\\
~~~Denise, (allant fermer la porte.) Oui...\\
~~~Desavesnes. O\`u est-elle, ta m\`ere?\\
~~~Denise. Elle est chez M. le Cur\'e, avec Henriette, \`a une r\'eunion de l'Association des Dames catholique.\\
~~~Desavesnes. Fichtre! Elle va bien? Ta soeur aussi?\\
~~~Denise. Tr\`es bien... J'ai envie d'aller les chercher, mais \c{c}a m'ennuie de vous laisser la garde de la maison... Notre bonne est partie pour trois jours dans son pays.\\
~~~Desavesnes, (il s'est mis \`a examiner chaque objet avec une \'emotion visible.) Ne va pas chercher ta m\`ere, mon enfant; il faut la laisser \`a ses occupations... J'ai le temps... Je suis venu revoir aussi la maison.\\
~~~Denise. Il y a d\'ej\`a plus d'une heure qu'elles sont parties mais la r\'eunion peut durer encore assez longtemps.\\
~~~Desavesnes. Voil\`a un tapis de table qui est bien sombre. J'avais gard\'e la vision d'un tapis en toile cir\'ee, \`a carreaux rouges et blancs; un tapis du temps de mon enfance. Je faisais mes devoirs dessus. Entre deux multiplications, je tra\c{c}ais des rosaces \`a l'encre, dans les carreaux rouges. Je les effa\c{c}ais apr\`es avec ma manche... en crachant. (Il rit et Denise sourit par contenance.) Tiens! le buffet occupe la place du piano. Et le piano, o\`u est-il?\\
\\
rosaces~~~薔薇模様\\
par contenance~~~上辺を取り繕って\\
\\
~~~Denise. Nous l'avons pr\^et\'e au patronage, pour les matin\'ees.\\
\\
patronage~~~青少年クラブ\\
\\
~~~Desavesnes. Ah! il y a aussi un patronage, maintenant? Le cur\'e actuel se remue. Il est jeune?\\
\\
se remue~~~se remuer~~~奔走する、努力する\\
\\
~~~Denise. Quarante, quarante-cinq ans.\\
~~~Desavesnes. Je ne reverrai donc pas le vieux piano. Tant pis... (Il s'approche de la chemin\'ee.) La pendule! Mon Dieu! La pendule de grand'm\`ere! Et elle marche! Est-ce qu'elle s'\'etrangle toujours avant de sonner?\\
~~~Denise, (riant.) Oui! Vous avez de la m\'emoire!\\
~~~Desavesnes. Denise, je suis n\'e ici; j'y ai v\'ecu jusqu'\`a vingt ans. Quand j'\'etais petit, ma place \`a table \'etait ici; maman \'etait l\`a, mon p\`ere l\`a; ta m\`ere en face de moi. On nous s\'eparait pendant les repas parce que nous nous taquinions. Je lui jetais de la mie de pain dans son verre; elle la rep\^echait avec le manche de sa fourchette et me l'envoyait dans mon assiette. J'essayais, bien entendu, de la lui rendre; \c{c}a finissait par des cris. Nous ne nous sommes jamais bien entendus, ta m\`ere et moi. Elle a toujours \'et\'e une personne plut\^ot... s\'erieuse. (Un silence.) Ces vieille chaises! (Il empoigne \`a deux mains un dossier.) Je me balan\c{c}ais desues, \`a table, et je me faisais gronder.\\
\\
mie~~~(パンの)身(柔らかい方)\\
gronder~~~唸る、叱る\\
\\
~~~Denise, (spontan\'ement.) Moi aussi.\\
~~~Desavesnes, (la regardant.) Tu ressembles \`a ta grand'm\`ere Desavesnes.\\
~~~Denise. M\`ere le dit aussi... Mais asseyez-vous donc, mon oncle... Otez votre pardessus.\\
~~~Desavesnes, (il \^ote son pardessus et le pose sur une chaise.) Avant de m'asseoir, je voudrais bien regarder tout.\\
(Il va \`a l'une des fen\^etres, soul\`eve le rideau, regarde.)\\
~~~Denise, (timidement, apr\`es l'avoir observ\'e un instant.) Vous n'avez peut-\^etre pas d\'ejeun\'e? (elle attend un moment la r\'eponse qui ne vient pas.) Mon oncle, vous devez avoir besoin de prendre...\\
~~~Desavesnes, (se retournant brusqument et l'interrompant.) D\'ejeun\'e? Si, si, j'ai d\'ejeun\'e; merci, je n'ai besoin de rien. Excuse-moi, mon enfant, je retrouvais la rue et les maisons d'en face... Ils ont peint en marron le grand portail bleu de la m\`ere Vigne; mais il y a toujours la glycine qui passe par-dessus.\\
\\
glycine~~~藤\\
\\
~~~Denise, (allant voir, pr\`es de lui, \`a la fen\^etre.) Je n'avais jamais remarqu\'e ces branches de glycine.\\
~~~Desavesnes. Tu crois cela? Sans doute, \`a ton \^age, aurais-je dit ce que tu viens de dire. C'est seulement plus tard, quand tu voudras puiser dans ta m\'emoire, que tu d\'ecouvriras tout ce qu'elle aura conserv\'e, malgr\'e toi. Qui habite maintenant la maison de la m\`ere Vigne? Elle avait des enfants.\\
~~~Denise. C'est un v\'et\'erinaire qui est l\`a. Je crois qu'il a achet\'e la maison.\\
\\
v\'et\'erinaire~~~獣医\\
\\
~~~Desavesnes. Pauvre m\`ere Vigne! Elle m'appelait pour me faire go\^uter son cidre.\\
~~~Denise. Vraiment, mon oncle, vous ne voulez rien prendre?\\
~~~Desavesnes. Non, vraiment.\\
~~~Denise. Pourtant, vous avez d\^u arriver de Paris par le train d'une heure et demie?\\
~~~Desavesnes. Par le train de... en effet, une heure et demie. J'ai d\'ejeun\'e dans le train. Tu dois te demander ce qui m'am\`ene? Oh! c'est simple: j'ai voulu faire un p\`elerinage ici; un rapide p\`elerinage. Je vais quitter la France et, comme je ne suis pas jeune, il se peut que je n'y revienne jamais; je n'ai pas pu r\'esister \`a l'envie de revoir le pays avant de partir et cette maison et ce qui me reste de famille... Comprends-tu?\\
~~~Denise, (impressionn\'ee.) Oui!\\
~~~Desavesnes, (apr\`es un grand soupir.) D\`es ma descente du train, je me suis aper\c{c}u qu'il faut faire appel \`a tout son courage pour affronter tant de souvenirs... Cette jardini\`ere n'y \'etait pas, de mon temps. C'est nouveau?\\
\\
faire appel \`a~~~の助けを求める\\
\\
~~~Denise. Moi, je l'ai toujours connue.\\
~~~Desavesnes. Ma m\`ere mettait ses g\'eraniums \`a la fen\^etre et leur faisait passer l'hiver dans le cellier... (Un silence.) Je suis heureux, Denise, de n'avoir trouv\'e que toi en arrivant ici. Non pas que j'appr\'ehende de voir ta maman; ne va pas croire cela. Il est vrai que depuis son mariage, nous n'avons jamais pu nous voir sans nous disputer. Mais apr\`es tant d'ann\'ees, les querelles sont mortes et j'aurai plaisir \`a l'embrasser. Je voulais dire seulement qu'il est pr\'ecieux pour moi de pouvoir, en entrant ici, m'abandonner un peu \`a mes impressions, sans leur donner d'autres t\'emois qu'une charmante petite ni\`ece qui ne fait pas partie de mes souvenir et qui grandit ici comme j'y ai grandi moi-m\^eme. Il faut te dire que tout \`a l'heure, avant de frapper \`a la porte, j'ai d\^u attendre, parce que j'avais la gorge trop serr\'ee. J'ai fait quelques pas devant la maison. Mais de t'entendre chanter si ga\^iment, \c{c}a m'a d\'etendu d'un seul coup.\\
~~~Denise, (confuse.) Oh! Je chantais des b\^etises.\\
~~~Desavesne, (protestant.) Des b\^etises? Tu chantais "Arlequin marie sa fille".\\
~~~Denise, (de m\^eme, riant.) Oh!\\
~~~Desavesnes. C'est une tr\`es jolie chanson... (soudain grave): Dis-moi: Qui occupe maintenant cette chambre, la chambre de mes parents?\\
(Il d\'esigne la porte du fond \`a droite.)\\
~~~Denise. C'est m\`ere.\\
(Apr\`es un instant de recueillement, Desavesnes va r\'esolument \`a la porte. Il en tourne doucement le bouton; \`a ce moment, Denise l'a rejoint.)\\
~~~Desavesnes, (\`a mi-voix.) Tout seul, tu permets?\\
~~~Denise, (s'\'ecartant vivement.) Oh! pardon.\\
(Desavesnes entre, laissant la porte ouverte. Denise va au buffet, l'ouvre et y range le pot \`a eau qui lui a servi \`a arroser. Puis elle va chercher le pardessus et le chapeau que Desavesnes a pos\'e sur la table et va les accrocher \`a un porte-manteau en avant, \`a gauche. Elle va ensuite \`a la fen\^etre du fond remettre en place un rideau que Desavesnes a tir\'e. Son jeu, lent, est coup\'e d'instants d'attente immobile o\`u elle regarde vers la chambre. A la fin, comme elle quitte la fen\^etre et revient en avant, Desavesnes appara\^it pleurant, la main devant les yeux. Il tire la porte sur lui et va jusqu'\`a la table. Il s'effondre sur une chaise en sanglotant. Denise se tient non loin de lui, debout, gauche, atterr\'ee.)\\
~~~Denise, (d'une voix \'etrangl\'ee.) Mon oncle... Vous avez de la peine...\\
~~~Desavesne, (se tamponnant les yeux avec son mouchoir.) Ah! Cela soulage... Je te demande pardon, mon enfant... Non, ce n'est pas ce qu'on peut appler de la peine; car c'est bon aussi... C'est peut-\^etre cela que je suis venu chercher. (Il regarde fixement devant lui.) Rien, absolument rien de cette chambre n'est chang\'e. \c{C}a \'et\'e comme si, d'un seul coup, trente ann\'ees de ma vie \'etaient abolies. Je me suis tout de suite accoud\'e au pied du lit comme j'en avais l'habitude... J'ai regard\'e l'armoire \`a glace et j'ai entendu la voix de maman: "Va me chercher une serviette, dans l'armoir", et je n'ai pas eu besoin de l'ouvrir, l'armoire, pour entendre le grincement de sa porte... Avant que mon p\`ere mour\^ut, j'allais l\`a, presque tous les soirs, lui faire la lecture, le livre pos\'e sur la petite table; j'avais \`a peu pr\`es ton \^age... (S'animant et souriant.) Et quelques ann\'ees apr\`es, quand je rentrais, pass\'e minuit, apr\`es avoir bu et blagu\'e en fumant des pipes avec quelques dadais de mon esp\`ece, avant de monter me coucher, je passais toujours par ici pour voir si maman dormait; elle aimait me savoir rentr\'e. Je laissais ma lumi\`ere ici pour qu'elle ne p\^ut voir l'heure \`a cette pendule noire qui est sur sa commode. J'ouvrais doucement la porte et je disais tout bas: "Tu dors?" Elle me r\'epondait presque toujours; je venais probablement de la r\'eveiller. Alors j'allais l'embrasser... elle disait: "Comme tu as fum\'e! Il doit \^etre bien tard!" Je lui donnais l'heure en trichant. Et il arrivait que le lendemain elle me d\^it en se retenant de rire: "Monstre! Tu m'as dit qu'il \'etait onze heures, et tu n'\'etais pas dans ta chambre que j'entendais sonner minuit!"\\
\\
dadais~~~間抜けな若者\\
trichant~~~インチキをする\\
\\
~~~Denise, (s'asseyant.) Vous rentriez \`a minuit?\\
~~~Desavesnes. Quelquefois plus tard. En \'et\'e, il nous arrivait d'aller en bande \`a la p\^eche, \`a Loch\`eres. On se baignait \`a la fin de la journ\'ee et l'on soupait l\`a-bas, \`a l'auberge pr\`es du pont, tu sais?\\
~~~Denise. Non, je ne connais pas Loch\`eres.\\
~~~Desavesnes, (s'exclamant.) Tu ne connais pas Loch\`eres?\\
~~~Denise. J'ai des amis qui y vont et qui m'en ont parl\'e. Je sais que c'est tr\`es joli; mais il y a un bal et m\`ere trouve que...\\
~~~Desavesnes, (l'interrompant.) Tu ne connais pas Loch\`eres! Comment est-ce possible? C'est \`a huit kilom\`etres d'ici par une route adorable. Mais il faut y aller, Denise; c'est tr\`es beau! Bien s\^ur qu'il y a un bal le dimanche! Mais tu peux aller \`a Loch\`eres en semaine. D'ailleurs, si les filles de ton \^age ne dansent pas, qui donc dansera?\\
~~~Denise. Nous n'allons presque jamais \`a la campagne. M\`ere et Henriette n'aiment pas marcher.\\
~~~Desavesnes. Vas-y seule! Ta m\`ere ne le voudrait pas? (Denise fait un signe n\'egatif. Un silence.) ...Oui, nous soupions \`a l'auberge; nous en sortions vers les onze heures, l\'egers comme au matin, si heureux de faire crier sous nos souliers, dans le grand silence, le sable de la route, de ne pas encore nous quitter, d'avoir cette bonne marche \`a faire. Arriv\'es sur le plateau, nous prenions un chemin de traverse dans les bl\'es. Les cris-cris chantaient jusqu'\`a l'horizon. Le ciel \'etait tellement cribl\'e d'astres, que cela te donnait une sorte de vertige. Tu te sentais en plein Univers. Mais tu te demandais comment les \'etoiles filantes pouvaient passer dans tout \c{c}a... Chacun chantait sa chanson; ah! la nuit sentait bon! On aurait voulu qu'elle ne fin\^it jamais...\\
\\
cris-cris~~~コオロギ\\
cribl\'e~~~穴を開ける\\
\'etoiles filantes~~~流れ星\\
\\
~~~Denise. Est-ce que m\`ere allait avec vous?\\
~~~Desavesnes. Tr\`es rarement. Elle donnait d\'ej\`a dans les "Enfants de Marie..."\\
(Un silence.)\\
~~~Denise, (pensive.) J'aurais bien voulu avoir un fr\`ere qui rentre \`a minuit. (Desavesnes \'eclate de rire.) Il m'aurait peut-\^etre emmen\'ee \`a Loch\`eres.\\
~~~Desavesnes. Dire que j'aurais pu t'y conduire, si le destin avait bien voulu que je fusse un peu plus effectivement ton oncle! Ah! nous aurions fait des excursions ensemble... Et l'\'etang des Clayes, tu le connais? C'est tout pr\`es.\\
\\
\'etang~~~池\\
\\
~~~Denise. Oui, nous y allons quelquefois; nous y sommes all\'ees le mois dernier avec le Patronage.\\
~~~Desavesnes. Y a-t-il toujours, au bord de l'eau, la petite maison et le jardin de M. Blin?\\
~~~Denise. Oui, ce sont des vanniers qui l'habitent. Maman s'\'etonne toujours qu'il se soit trouv\'e des gens pour habiter cette maison apr\`es que ce M. Blin s'est noy\'e l\`a, un soir, au bout de son jardin, dans un acc\`es de folie.\\
~~~Desavesnes. Mais non, pas dans un acc\`es de folie!\\
~~~Denise. Mais si, maman nous l'a toujours dit.\\
~~~Desavesnes, (se levant.) Il ne s'est pas noy\'e dans un acc\`es de folie. La vraie histoire est trop simple et trop belle pour les gens. Ils n'en ont jamais lu de semblabes dans les faits divers de leur journal; elle d\'epassait leur entendement, ils l'ont refus\'ee. Le p\`ere Blin, je l'ai connu et la m\`ere Blin aussi. C'\'etaient de tendres vieilles gens qui avaient adopt\'e une petite fille. M. Blin n'aurait pas fait de mal \`a une mouche. Il ne mangeait pas de viande et il buvait de l'eau pan\'ee. Il adorait sa petite fille et la g\^atait tant qu'il pouvaiat. Mais voil\`a qu'un jour, elle fut si insupportable qu'il fut oblig\'e de la gronder; de la gronder comme M. Blin pouvait gronder; enfin, de contrarier un de ses caprices. La petite coquine pleura, bouda et alla se coucher sans avoir voulu manger sa soupe au lait, ce qui, d\'ej\`a, bouleversa M. Blin. Tous les soirs, quand elle \'etait couch\'ee, elle appelait son p\`ere adoptif pour lui dire bonsoir. Ce soir-l\`a, le pauvre vieux attendit cet appel avec une v\'eritable angoisse, tant il \'etait malheureux d'avoir grond\'e cette petite. Mais il attendit en vain. Alors il alla lui demander dans sa chambre de faire la paix et de l'embrasser. Elle se tourna vers le mur sans r\'epondre et s'endormit. C'\'etait au cr\'epuscule. Il pleurait \`a cause de sa petite fille; mais il avait eu beaucoup de malheurs dans sa vie, et peut-\^etre que cette peine qu'il avait en r\'eveilla d'autres, toutes les autres. Son jardin, tu l'as vu, aboutit \`a l'\'etang o\`u il se jeta, de d\'esespoir, avant que sa femme ait pu l'en emp\^echer.\\
\\
contrarier~~~妨げる、邪魔する\\
bouda~~~ふくれる、むくれる\\
\\
~~~Denise. Mon Dieu!\\
~~~Desavesnes. C'est elle qui m'a tout rancont\'e. Mais les gens d'ici n'ont jamais voulu croire que M. Blin s'\'etait noy\'e parce que sa petite fille n'avait pas voulu lui dire bonsoir. \c{C}a les faisait rire.\\
(Il se rassied.)\\
~~~Denise, (songeuse.) Je comprends si bien cela! Puisque le jour tombait, puisque l'eau \'etait l\`a par malheur... Oh! bien s\^ur, le lendemain, il ne l'airait pas fait!\\
~~~Desavesnes, (s'\'emerveillant.) Tu viens de dire ce: "Oh! bien s\^ur" exactement comme ta grand'm\`ere! (Il la regarde et Denise lui sourit.) Denise, nous devons nous ressembler un peu, car nous tenons tous les deux de ma m\`ere. (Denise a un acc\`es de rire muet, aussit\^ot r\'eprim\'e.) Pourquoi ris-tu?\\
\\
r\'eprim\'e~~~抑える\\
\\
~~~Denise. Pour rien... Pardon, mon oncle; une pens\'ee saugrenue...\\
\\
saugrenue~~~突飛な、風変りな\\
\\
~~~Desavesnes. Dis-moi?\\
~~~Denise. Non...\\
~~~Desavesnes. C'est parce que je t'ai dit que je tenais de maman? Oh! je sais bien que je ne tiens pas tout d'elle. Je ne lui dois que ce que j'ai de meilleur, que le peu qui vaille...\\
~~~Denise, (f\^ach\'e.) Non, ce n'est pas pour cela!\\
~~~Desavesnes. C'est l'id\'ee de ressembler \`a un bonhomme comme moi, qui te fait rire?\\
~~~Denise, (protestant.) Oh! ne croyez pas cela, mon oncle!\\
~~~Desavesnes, (riant.) Mais si, je le crois!\\
~~~Denise. C'est tout autre chose: quand vous m'avez dit que nous devions nous ressembler, je me suis rappel\'e un mot de m\`ere et c'est lui qui m'a fait rire; mais ce ne serait pas gentil de vous le r\'ep\'eter...\\
~~~Desavesnes. Te voil\`a pourtant forc\'ee de le faire, sans cela je vais croire que c'est tr\`es grave.\\
~~~Denise, (apr\`es un moment d'h\'esitation.) Je suis tr\`es rieuse et quand je me mets \`a rire aux \'eclats, m\`ere me dit...\\
(Elle sourit, confuse.)\\
~~~Desavesnes. Que dit-elle?\\
~~~Denise. "Ne ris pas comme \c{c}a, c'est aga\c{c}ant, tu me fais penser \`a mon fr\`ere."\\
~~~Desavesnes, (riant.) Ce n'est que cela? Tu ne m'apprends rien. Ta m\`ere m'a dit elle-m\^eme assez de fois que mon rire l'aga\c{c}ait. (Avec une pointe de m\'elancolie.) Et je te sais gr\'e de cette occasion que tu lui donnes de penser \`a moi.\\
~~~Denise. Vous voyez, vous \^etes f\^ach\'e.\\
~~~Desavesnes. Pas du tout, mon enfant... Est-ce qu'elle parle de moi souvent?\\
~~~Denise, (circonspecte.) Non... rarement... C'est de p\`ere qu'elle nous entretient le plus volotiers. Elle ne manque pas une occasion de nous le donner en exemple.\\
\\
circonspecte~~~用心深い\\
\\
~~~Desavesnes. Je comprends cela: Dentin \'etait un homme pieux. (Un silence.) Et toi, Denise, es-tu pieuse?\\
~~~Denise. Maman trouve que je ne le suis pas assez. Il est vrai qu'\`a c\^ot\'e de ma soeur, je n'ai pas l'air d'avoir de religion. Je ne sais pas ce qui retient Henriette d'entrer au couvent.\\
~~~Desavesnes. C'est \`a ce point? Ainsi je crois comprendre qu'Henriette est une Dentin. Pour toi, je suis s\^ur que tu es une Desavesnes.\\
~~~Denise. On le dit...\\
~~~Desavesnes, (apr\`es l'avoir observ\'ee.) Comme je suis heureux de conna\^itre ma petite ni\`ece qui a les yeux, les trais et la voix de maman! Tu dois certainement lui ressembler d'autre mani\`ere et tu peux t'en louer et t'en r\'ejouir! Je ne sais si ta m\`ere a jamais bien compris maman, qui avait un caract\`ere oppos\'e au sien et beaucoup plus jeune. Mais questionne sur la famille des vieilles gens d'ici: ils te diront quel \^etre exquis, quel coeur d'\'elite \'etait Madame Desavesnes.\\
~~~Denise. Je ne sais presque rien d'elle, n'ayant connu que grand'm\`ere Dentin. Il para\^it qu'elle \'etait tr\`es gaie et tr\`es alerte?\\
~~~Desavesnes, (avec chaleur.) Elle \'etait vivante, Denise, elle \'etait vivante! Elle abordait chaque \^etre, chaque chose, chaque spectacle, chaque circonstance avec un \'elan spontan\'e, sans rien r\'eserver d'elle-m\^eme. Je ne l'ai jamais vue indiff\'erente \`a quoi que ce f\^ut; elle prenait sa part de tout; r\'ejouie ou attendrie, indign\'ee ou enthousiaste et conservant toujours---ce qui est rare---une extraordinaire libert\'e de jugement. Elle \'etait vraiment incapable de s'en tenir aux notions apprises, aux arr\^ets du monde; elle ne pouvait que suivre son inclination naturelle qui, par bonheur, lui faisait toujours prendre le parti le plus sens\'e, le plus g\'en\'ereux. Il y avait chez elle un m\'elange d'esprit---ou plut\^ot d'espi\`eglerie---de bravoure et d'ing\'enuit\'e, avec lequel elle e\^ut, je crois, d\'esarm\'e des assassins ou des voleurs s'il s'en f\^ut introduit ici. Elle a d'ailleurs souvent d\'esarm\'e les sots, ce qui est sans doute encore plus difficile. Il va de soi qu'elle d\'eroutait et parfois, m\^eme, scandalisait les gens d'ici, tous ces cloportes, toutes ces larves! (Il rit et Denise l'imite.) La meilleure amie de maman, c'\'etait notre vieille bonne, Fernande, une paysanne, veuve d'un b\^ucheron et l'une des femmes les plus sens\'ees que j'ai connues. Fernande! Je la vois toujours portant avec moi l'\'enorme panier de provisions quand nous allions passer un dimanche au Moulin-Blanc ou dans les bois.\\
\\
bravoure~~~勇気\\
d\'eroutait~~~当惑させる\\
cloportes~~~ワラジ虫\\
larves~~~幼虫、下等な人間、虫けら\\
b\^ucheron~~~樵(きこり)\\
\\
~~~Denise. Ma grand'm\`ere Desavesnes, elle, devait conna\^itre Loch\`eres?\\
~~~Desavesnes. Comment donc, si elle connaissait Loch\`eres! C'est elle qui m'y a conduit enfant et m'a fait prendre mon premier bain dans la rivi\`ere! Elle-m\^eme s'est baign\'ee \`a Loch\`eres!\\
~~~Denise. Vraiment!\\
~~~Desavesnes. Oui, et cette... originalit\'e fut tr\`es s\'ev\`erement jug\'ee par les dames d'ici qui n'avaient jamais pris, dans toute leur vie, qu'un ou deux bains de baignoire, pour une circonstance grave. (Denise rit aux \'eclats.) C'est ma m\`ere qui m'a appris le nom de toutes les fleurs des champs et me les a fait aimer. As-tu connu le jardin attenant \`a la scierie?\\
\\
attenant~~~隣接した\\
scierie~~~製材所、石切り工場\\
\\
~~~Denise. Oui. Maintenant, c'est un chantier.\\
\\
chantier~~~建設現場\\
\\
~~~Desavesnes. C'\'etait le jardin de maman. Elle y passait tout le temps qu'elle pouvait; et bien souvent, le dimanche, au lieu d'aller \`a la messe, elle allait arroser ses fleurs; elle disait que la pr\'esence de Dieu \'etait pour elle plus manifeste dans un jardin qu'\`a l'\'eglise et qu'aimer et soigner les fleurs, c'\'etait une fa\c{c}on de rendre gr\^ace \`a leur Cr\'eateur.\\
~~~Denise, (impressionn\'ee.) Ah! elle disait cela!... Moi j'ai souvent pens\'e que la plus belle \'eglise ce serait en for\^et, sous des grands arbres habit\'es par les oiseaux et dont les branches laisseraient, par endroits, voir le ciel.\\
~~~Desavesnes. Bravo! Et la meilleure fa\c{c}on d'y adorer l'\'Eternel serait d'\'ecouter les oiseaux et de contempler les arbres.\\
(Un silence.)\\
~~~Denise, (s'arrachant \`a ses r\'eflexions.) M\`ere et Henriette tardent bien.\\
~~~Desavesnes. Je ne suis pas press\'e. Je ne reprends mon train que dans une heure et demie...\\
~~~Denise. Vous partirez si vite, mon oncle? Vous ne d\^inerez pas avec nous?\\
~~~Desavesnes. Non, mon enfant: impossible.\\
~~~Denise. Et... vous ne reviendrez plus?\\
~~~Desavesnes, (troubl\'e.) Je ne sais pas... Peut-\^etre que non... Sait-on jamais?\\
(Un silence.)\\
~~~Denise. Comme c'est triste que vous ayez \'et\'e f\^ach\'e avec m\`ere!\\
~~~Desavesnes. Comment m'imaginais-tu, les rares fois o\`u tu pensais que tu avais un oncle?\\
~~~Denise, (souriant.) Oh! pas du tout comme vous \^etes.\\
~~~Desavesnes. Comment? Tu peux bien me le dire: nous sommes arriv\'es tout de suite, presque, \`a parler comme de vieux amis.\\
~~~Denise, (riant.) Je vous croyais un homme terrible, violent, sans coeur, une sorte de monstre, enfin. C'est une habitude d'enfant que j'avais, de vous imaginer ainsi, parce que vous \'etiez brouill\'e avec maman, avec mes oncles Dentin...\\
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brouill\'e~~~かき混ぜる、混乱させる\\
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~~~Desavesnes. Diable!\\
~~~Denise. Si je vous dis cela, mon oncle, vous comprenez bien que c'est pour me moquer de moi-m\^eme et parce que je me rends compte de ce que tout cela avait d'absurde et d'oppos\'e \`a la v\'erit\'e.\\
~~~Desavesnes, (songeur.) Violent, oui, il se peut que je sois violent, col\'erique. (Un silence.) Denise!\\
~~~Denise. Mon oncle?\\
~~~Desavesnes, (se levant, avec \'emotion.) Denise, je serais heureux si, partant d'ici, j'emportais la conviction d'avoir \'eveill\'e chez toi... un peu de sympathie... le sentiment que nous sommes, toi et moi, des \^etres de m\^eme esp\`ece... enfin si tu sentais comme moi que nous pourrions, que nous aurions pu devenir tr\`es camarades, tous les deux... Je serais heureux si ces quelques moments inattendus, inesp\'er\'es pass\'es avec toi rendaient sans importance et sans effet tout ce que tu as pu entendre d\'ebiter sur mon compte. Je sais bien que je vais partir... le temps...\\
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d\'ebiter~~~話す、挽き割りにする、流す、供給する\\
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~~~Denise. Cela sera ainsi, mon oncle, vous pouvez en \^etre s\^ur! Je n'aurais jamais os\'e vous le dire, mais cela serai ainsi! Je sens que je n'oublierai jamais tout ce que vous m'avez racont\'e sur ma grand'm\`ere et sur vous...\\
~~~Desavesnes. Sur moi... Si tu \'etais un peu plus \^ag\'ee, je te raconterais... On ne sait presque rien de moi ici... Enfin! Merci, ma petite Denise. Il aurait pu se faire que depuis la mort de Dentin, j'aie \'et\'e pour toi comme un p\`ere et un ami. Cela m'est un peu amer \`a penser; mais il m'est bon de le penser et de le dire devant toi.\\
(Un silence.)\\
~~~Denise. Dans quel pays allez-vous?\\
~~~Desavesnes. En Orient. Aux Indes. (Un silence.) Je t'\'ecrirai; je vous \'ecrirai; vous saurez toujours mon adresse. Il faudra m'\'ecrire, Denise. J'aimerai tant savoir ce que tu deviens.\\
~~~Denise. Oui, mon oncle.\\
~~~Desavesnes. Il faut vivre, mon petit. La plupart des gens d'ici ne vivent pas et n'aiment pas la vie. Ils attendent la mort derri\`ere leur fen\^etre ferm\'ee en disant du mal de leurs voisins. Ils sont incapables de v\'eritable joie, de v\'eritable amour... Ils font \`a Dieu l'affront de le prier sans arr\^et, comme des mendiants ou des peureux, alors qu'ils m\'econnaissent tout ce qui est beau et grand, tout ce qui, vraiment, porte la marque de Dieu! (Il allume une cigarette.) Tu permets que je fume?\\
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peureux~~~臆病な\\
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~~~Denise. Je vous en prie, mon oncle.\\
~~~Desavesnes. Prends bien garde, mon enfant, de rester vivante et toujours en \'eveil; ne va pas te laisser enliser dans cette existence qu'on m\`ene ici... Dire qu'il y a en France des centaines de petites villes comme celle-ci qui n'ont pour raison d'\^etre que leur h\^otel du \textit{Touring-Club}, leurs deux \'etudes de notaires et leur bureau de l'Enregistrement... \`a part qu'elles sont devenues de silencieux hospices o\`u les retrait\'es et les rentiers d'une r\'egion viennent mourir. \\
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enliser~~~(泥などに)嵌り込ませる\\
notaire~~~公証人\\
retrait\'e~~~退職した人\\
rentier~~~年金生活者\\
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~~~Denise, (riant.) Mon oncle! Vous exag\'erez.\\
~~~Desavesnes, (riant aussi.) Tu crois? Je le souhaite. Mais je souhaite aussi de tout mon coeur que tu n'ailles pas \'epouser quelque fils de boutiquier d'ici qui t'enterrera dans sa boutique.\\
~~~Denise. Il n'en est pas question! J'ai encore le temps d'y penser. En tout cas, je ne me laisserai pas enterrer!\\
~~~Desavesnes. J'aimerais mieux te voir \'epouser un campagnard! J'ai connu de ces petits gars qui tenaient une ferme et qui n'\'etaient pas n'importe qui: instruits, intelligents, ayant le go\^ut de l'ind\'ependance et de l'entreprise. La vie des champs, voil\`a une vraie belle vie, sans un trou, gonfl\'ee comme une voile au vent. On s'y attache, on s'y d\'epense \`a plaisir. \c{C}a te plairait-il?\\
~~~Denise. Oui, peut-\^etre; je n'y avais jamais pens\'e.\\
~~~Desavesnes. A quoi d'autre avais-tu pens\'e? Quelle esp\`ece de mari as-tu jamais r\^ev\'e d'avoir?\\
~~~Denise. Moi, j'aimerais \'epouser un acteur. \\
~~~Desavesnea, (avec int\'er\^et.) Un acteur.\\
~~~Denise. Oui, un jeune acteur faisant partie d'une troupe comme il en passe ici quelquefois. Ce doit \^etre une vie si agr\'eable. On voyage par toute la France, on descend \`a l'h\^otel; on d\^ine au restaurant tous ensemble. On ne doit rencontrer partout que des sympathies...\\
~~~Desavesnes, (riant.) D\'ecid\'ement, tu es bien une Desavesnes! Mais que ferais-tu, toi, dans la troupe? Ton mari ne gagnerait peut-\^etre pas assez pour t'emmener avec lui.\\
~~~Denise, (\'etonn\'ee.) Ah?\\
~~~Desavesnes. C'est praobable.\\
~~~Denise. Je trouverais bien quelque chose \`a faire. Et puis ce me serait \'egal que nous ne soyons pas tr\`es riches. Je ferais r\'eciter ses r\^oles \`a mon mari et pr\'eparerais ses costumes.\\
~~~Desavesnes. Que dit ta m\`ere de cette id\'ee-l\`a?\\
~~~Denise. Oh! je ne lui en ai jamais parl\'e!\\
~~~Desavesnes. Tu as vu jouer des troupes de passage, ici?\\
~~~Denise. Oui, une fois. On donnait \textit{Les Enfants d'Edouard}. C'\'etait bien. Mais Dieu que c'\'etait triste!\\
(Un silence.)\\
~~~Desavesnes. Si tu pouvais aller un peu \`a Paris!\\
~~~Denise. Voil\`a ce que je voudrais!\\
~~~Desavesnes. Il y a tant de choses que tu pourrais conna\^itre, que tu es digne de conna\^itre... Ce serait ton horizon \'elargi, d'un seul coup; et toutes sortes de d\'ecouvertes, d'\'etonnements, d'enthousiasmes... Les livres, le th\'e\^atre, la musique... Ah! la musique! les beaux concerts! Quel enrichissement! Tu ne peux savoir... Mais n'as-tu pas un cousin Dentin, \`a Paris?\\
~~~Denise. Oui; il est venu nous voir il y a deux ans. Il a une fille un peu plus jeune que moi.\\
~~~Desavesnes. Qu'est-ce qu'il fait, ce cousin?\\
~~~Denise. Je ne sais pas au juste; du commerce, de la commission.\\
~~~Desavesnes. Essaye donc d'aller passer chez lui quelques mois pour commencer, pour sortir d'ici!\\
~~~Denise. C'est difficile.\\
~~~Desavesnes. Si tu te proposes cela comme un but, tu y parviendras, f\^ut-ce dans six mois, dans un an! Tu as une petite cousine, c'est avec elle qu'il te faut \'etablir des liens.\\
~~~Denise. Nous n'avons fait jusqu'ici qu'\'echanger des cartes postales au nouvel an.\\
~~~Desavesnes. Eh bien, voil\`a! Fais collection de cartes postales: Prends-toi de passion pour les monuments de la capitale. Cela pourra tr\`es bien finir par un voyage. Ta petite cousine ne te refusera pas d'\'echanger r\'eguli\`erement des vues de la r\'egion---il y en a de jolies---contre des vues de Paris. Tous ce qu'il arrive de plus important dans la vie commence par des b\^etises comme \c{c}a.\\
~~~Denise, (joyeuse.) Je vais le faire!\\
~~~Desavesnes, (avec \'elan.) Ah! si tu vas \`a Paris, tu me l'\'ecriras, n'est-ce pas? Tu me donneras l'adresse de ton cousin et je te promets que tu sauras par moi ce qu'il faut voir, lire, entrendre, conna\^itre, \`a Paris. Tu voudras bien n'est-ce pas?\\
~~~Denise. Oui, mon oncle! J'en serai tr\`es heureuse.\\
~~~Desavesnes. Et moi, donc! Puisque je n'ai pas pu te conduire \`a Loch\`eres, je te guiderai de loin, pas \`a pas, dans Paris; oh! de tr\`es loin, h\'elas. Mais je verrai, du moins par la pens\'ee, ma petite ni\`ece Denise suivant mon itin\'eraire et arr\^etant longuement sur les gens et sur toutes choses un regard jamais \'emouss\'e, jamais rassasi\'e, le regard m\^eme de sa grand'm\`ere Desavesnes. Qui sait, Denise, si nous ne continuerons pas alors, dans nos lettres, le bavardage d'aujourd'hui, comme deux vieux complices?\\
~~~Denise, (elle a \'ecout\'e avidement Desavesnes, en appourvant de la t\^ete, et se tourne brusquement vers les fen\^etres.) Voil\`a m\`ere et Henriette: Je les entends.\\
(Desavesnes se l\`eve, Denise va ouvrir la porte \`a Madame Dentin et \`a Henriette qui entrent.)\\
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}
\end{document}