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{
~~~~~~~~~~~~~Le Moulin de la Galette\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Troisi\`eme Acte\\
\\
(Une heure apr\`es le second acte.  La nuit est 
compl\`etement venue.  Lumi\`eres de Montmarte au 
dehors.)\\
(Isabelle et Auguste sont dans la position o\`u 
nous les avons laiss\'es.  Mais, comme ils n'ont pas 
pris la peine d'allumer, on les devine plus qu'on 
ne les voit dans la p\'enombre.)\\
(Un long silence, pendant lequel on entrevoit, \`a 
la lueur de l'allumette qu'elle craque pour fumer, 
le petit visage inquiet d'Isabelle qui regarede Auguste.  
Celui-ci est immobile sur sa chaise, un peu tass\'e, 
avec des yeux sans expression.)\\
~~~Auguste, (sans impatience particuli\`ere, c'est une
phrase qu'il a peut-\^etre r\'ep\'et\'ee dix fois pendant 
cette heure.)  Mais qu'est-ce qu'ils foutent?\\
(Isabelle allume une cigarette, s'installe dans 
son fauteuil.  Soudain, elle frissonne, se l\`eve, 
ferme la fen\^etre, revient s'asseoir.)\\
(On frappe \`a la porte.)\\
(Auguste se l\`eve brusquement et pousse un cri 
de d\'elivrance.)\\
~~~Auguste.  Enfin!  Adieu, Isabelle!\\
~~~Isabelle.  Tu ne m'embrasses pas?\\
~~~Auguste.  Si.   Tout \`a l'heure.  Devant eux.\\
~~~Isabelle.  Devant eux?\\
~~~Auguste.  Oui.  Tu devrais comprendre ... Maintenant, 
j'ai besoin de tout mon courage.\\
~~~Isabelle, (suppliante.)  Mais tu vas leur raconter 
mon histoire?\\
~~~Auguste, (s\`echement.)  Non.\\
~~~Isabelle, (pressante.)  Elle te sauverait.  Tu n'as 
donc pas envie d'\^etre sauv\'e?\\
~~~Auguste, (sans r\'epondre.)  C'est trop compliqu\'e.\\
(On frappe de nouveau, avec plus de force et 
d'insistance cette fois.)\\
~~~Isabelle.  Rappelle-toi:  je t'ai jur\'e sur ma vie!\\
~~~Auguste, (se for\c{c}ant \`a sourire.)  Je sais bien.  
Sans quoi! ... Voil\`a mes derniers trente-sept francs.  
Je m'excuse de \c{c}a aussi.  Mais vraiment, je ne 
pouvais pas pr\'evoir.  Charlot s'occupera de toi.\\
~~~Isabelle, (avec une indiff\'erence profonde.)  Oh!  
moi ...\\
~~~Auguste.  Et donne ta main.  Vite.  Pour notre 
derni\`ere seconde de bonheur.\\
(Ils se prennent la main.)\\
~~~Isabelle.  Je t'aimerai toujours.\\
~~~Auguste, (s\`echement.)  Allume!  Je veux voir la 
gueule qu'a la justice.  Notre Justice!\\
(Quand elle a \'eclair\'e la pi\`ece au maximum, 
il ouvre la porte.  Sophie est sur le seuil.  Elle 
est en petite robe du soir, peu d\'ecollet\'ee, mais 
tr\`es chic.  Petit bol\'ero ou cape l\'eg\`ere.  Elle est 
souriant et para\^it tr\`es gaie.  Auguste recule \`a 
sa vue et Isabelle r\'eprime un geste de surprise 
et de consternation.)\\
~~~Sophie, (ga\^iment.)  Bonsoir, mon cousin.\\
~~~Auguste, (avec un effort terrible.)  Bonsoir!\\
~~~Sophie, (sur le m\^eme ton.)  Ma cousine!\\
~~~Isabelle, (qui se ressaisit plus vite, gracieusement.)  
Bonsoir.\\
~~~Sophie, (plus ga\^iment encore.)  Eh bien!  vous 
ne me faites pas entrer?  Vous ne me dites pas 
de m'asseoir?\\
~~~Isabelle.  Si, si, je vous en prie, asseyez-vous!\\
(Sophie s'assied tr\`es mondaine en visite.)\\
~~~Auguste, (bien b\^etement.)  Euh!  Comment allez-vous?\\
~~~Sophie.  Tr\`es bien, merci.\\
(Regardant autour d'elle.)\\
Mazette!  que de fleurs!\\
~~~Augsute, (se mettant devant.)  Euh! ... Une 
admiratrice \`a moi! ... Une folle!\\
~~~Sophie.  Une folle qui a bon go\^ut!\\
~~~Auguste.  Oh!\\
~~~Sophie.  Vous ne vous asseyez pas? ... Je ne 
vais pas m'en aller tout de suite, vous savez!\\
~~~Auguste.  Ah!  alors bon.\\
(Il s'assied.  Isabelle non.  Silence.  Balbutiant:)\\
Euh ... pour une surprise, c'est une surprise!\\
~~~Sophie.  J'esp\`ere bien que non.\\
~~~Auguste, (ahuri.)  Ah!  vous esp\'erez que non?\\
~~~Sophie.  Isabelle ne vous a donc pas pr\'evenu?\\
(S'excusant.)\\
Je vous appelle Isabelle, n'est-ce pas, c'est 
entendu?\\
~~~Isabelle.  Bien s\^ur!\\
~~~Auguste.  Pr\'evenu de quoi?\\
~~~Sophie.  Comment?  Elle ne vous a pas dit que 
nous nous \'etions rencontr\'ees cet apr\`es-midi faubourg 
Saint-Honor\'e?\\
(Elle fait un signe d'intelligence \`a Isabelle 
qu'Auguste ne remarque pas.)\\
~~~Isabelle, (interloqu\'ee.)  Non, je ne le lui ai pas dit.\\
~~~Auguste, (en mani\`ere d'excuse.)  Nous avions des 
tas de choses \`a nous raconter.\\
~~~Sophie.  Je compreds tr\`es bien ... Seulement je 
l'avais pr\'evenue que je viendrais vous voir ... N'est-ce 
pas, Isabelle?\\
~~~Isabelle, (surprise, mais jouant le jeu h\^ativement.)  
Oui, oui.\\
~~~Sophie, (\`a Auguste.)  C'est votre faute.  Vous 
m'\^etes tellement sympathique.\\
~~~Auguste, (tr\`es g\^en\'e.)  Moi?\\
~~~Sophie, (tr\`es gentille.)  Oui, vous.\\
~~~Auguste, (horriblement g\^en\'e.)  Je ne sais pas 
si vous avez raison.\\
~~~Sophie.  Je vous trouve si gai, si gentil!\\
~~~Auguste.  Il y a longtemps que vous avez vu 
Olivier?\\
~~~Sophi, (de plus en plus ga\^iment.)  Quelle dr\^ole 
de question? ... Vous oubliez que c'est mon mari.  
Un dr\^ole de mari, je le reconnais.  Mais enfin, 
c'est mon mari tout de m\^eme.  Je ne reste jamais 
tr\`es longtemps sans le voir.\\
~~~Isabelle.  Auguste veut sans doute savoir 
si vous l'avez vu ce soir?\\
~~~Sophie, (curiosit\'e toute naturelle.)  Pourquoi?\\
~~~Isabelle, (improvisant brillamment.)  Auguste se 
demande si Olivier vous a parl\'e de la visite qu'il 
lui a faite?\\
~~~Sophie.  Ah non!  non!  Mais il m'en parlera 
s\^urement quand je le verrai.\\
~~~Auguste, (constern\'e.)  Ah!  vous ne l'avez pas 
vu?\\
~~~Sophie.  On dirait que vous le regrettez?\\
~~~Auguste, (profond\'ement.)  Ah oui!  je le regrette.  
\c{C}a, je le regrette!\\
~~~Sophie.  Il m'a t\'el\'ephon\'e pourtant chez le 
coiffeur.\\
~~~Auguste et Isabelle, (ensemble, avec un regain 
d'espoir.)  A quelle heure?\\
~~~Sophie, (surprise de cette unanimit\'e et de ce ton 
passionn\'e.)  Vous \^etes dr\^oles ... Je ne sais pas, moi, 
vers six heures et demie.\\
~~~Isabelle, (\`a Auguste.)  A quelle heure l'as-tu vu, 
toi?\\
~~~Auguste, (d\'ecourag\'e.)  Apr\`es.  Malheureusement, 
apr\`es.\\
~~~Isabelle.  Ah!\\
~~~Sophie, (toujours sourainte.)  Pourquoi 
malheureusement?\\
~~~Auguste, (vague.)  On vous dira.\\
~~~Sophie.  C'\'etait un curieux coup de t\'el\'ephone.\\
(Elle fixe Isabelle.)\\
Tr\`es curieux.\\
~~~Isabelle, (inqui\`ete.)  Ah!  vraiment?\\
~~~Auguse, (nerveux.)  Mais on ne vous a pas 
t\'el\'ephon\'e depuis?  On ne vous a rien dit?\\
~~~Sophie, (souriante.)  Qui aurait t\'el\'ephon\'e?  Que 
voulez-vous qu'on me dise?\\
~~~Auguste, (sans r\'epondre.)  Vous ne deviez pas 
d\^iner avec Olivier?\\
~~~Sophie, (sans regarder Isabelle.)  Non.  Nous 
allons nous retrouver au bal des Mancini \`a onze 
heures.  Il devait d\^iner dans sa gar\c{c}onni\`ere.\\
~~~Auguste.  Ah! ah!\\
~~~Sophie.  Cette gar\c{c}onni\`ere que je paie!\\
(Avec amertume, mais toujours souriante.)\\
Il faut vous dire que notre cher Olivier est \`a 
son pire en ce moment.\\
~~~Auguste, (\`a qui cette phrase enl\`eve quelques 
remords.)  Vraiment?\\
~~~Sophie.  Il est d'une m\'echancet\'e inimaginable.\\
~~~Auguste, (sinc\`ere.)  \c{C}a me fait du bien de vous 
entendre dire \c{c}a.\\
(Sophie le regarde surprise.)\\
~~~Isabelle, (vivement.)  Ne faites pas attention.\\
(Elle d\'esigne la bouteille de cognac.)\\
Il a un peu trop bu ce soir!\\
~~~Sophie, (souriante.)  Ce n'est pas moi qui 
pourrais le lui reprocher.\\
~~~Auguste, (passionn\'ement.)  Alors, il est d'une 
m\'echancet\'e?\\
~~~Sophie, (les dents serr\'ees)  Inimaginable.  
Et il n'y a que moi qui pourrais le punir.  
Malheureusement, je n'en ai pas la force.  Ce que je me 
d\'ego\^ute! ... Donnez-moi un verre!\\
 ~~~Auguste, (se pr\'ecipitant pour ob\'eir.)  Mais 
 certainement.\\
 ~~~Sophie.  Dire que sans moi il ne pourrais 
 presque plus rien contre personne.\\
(Elle regarde fixement Isabelle.  Isabelle soutient 
son regard.  Auguste passe entre elles pour 
apporter le verre.)\\
~~~Sophie, (se d\'etournant pour dire \`a Auguste.)  
Merci.\\
(Auguste verse \`a boire.)\\
~~~Auguste.  Comme \c{c}a?\\
~~~Sophie.  Comme pour vous.\\
~~~Auguste.  Ah!  alors.\\
(Il remplit le verre.  Sophie le vide d'un trait.)\\
~~~Sophie.  Auguste?\\
~~~Auguste.  Oui.\\
~~~Sophie.  Je voudrais que vous vous en alliez, 
mon petit Auguste!\\
~~~Auguste, (\'etonn\'e.)  Moi?\\
~~~Isabelle, (en s'effor\c{c}ant de sourire.)  Pourquoi 
voulez-vous qu'Auguste s'en aille?\\
~~~Sophie.  J'ai \`a vous parler, Isabelle.\\
~~~Isabelle.  A moi?\\
~~~Sophie.  Vous savez de quoi?\\
~~~Isabelle.  Ma foi, non!\\
~~~Sophie.  C'est la suite de notre conversatoin de 
cet apr\`es-midi.\\
~~~Isabelle, (tr\`es mondaine.)  Je ne vois pas.\\
~~~Sophie.  Remarquez que je peux tr\`es bien tous 
raconter \`a Auguste.\\
~~~Auguste.  Eh ben!  alors ...\\
~~~Sophie, (\`a Isabelle.)  Qu'en pensez-vous?\\
~~~Isabelle.  C'est-\`a-dire? ...\\
~~~Sophie, (l'interrompant.)  Vous \^etes de mon avis, 
n'est-ce pas?  On ab\^imerait tout en lui racontant.\\
~~~Auguste.  Ab\^imer quoi?\\
~~~Sophie.  Des histoires de femme!  Vous ne pouvez pas comprendre.\\
~~~Isabelle.  Notre cousine a raison.  Il vaut peut-\^etre 
mieux que tu t'en ailles ...\\
~~~Augsute.  Bon.\\
(Il se dirige vers la chambre.)\\
~~~Sophie.  Ah non!  pas l\`a!\\
(Souriant.)\\
Rappelez-vous:  on entend tout dans cette maison.\\
~~~Auguste. Vous voulez que je descende?\\
~~~Sophie.  S'il vous pla\^it.\\
~~~Auguste.  Je ne me le ferai pas dire deux fois!\\
~~~Isabelle.  Remonte dans cinq minutes!\\
~~~Auguste.  Entendu.\\
(Il fait derri\`ere Sophie un geste \`a Isabelle pour 
lui imposer silence et sort.)\\
(Silence insupportable.)\\
~~~Sophie.  Et moi qui vous admirais tant.\\
(Isabelle s'est retourn\'ee brusquement et regarde 
Sophie fixement sans r\'epondre.)\\
Je ne vous juge pas ... nous ne sommes rien ...\\
(Silence d'Isabelle.  Sophie, sans se laisser 
impressionner par ce mutisme, continue.)\\
La passion d'Olivier vous a amus\'ee.  Et vous vous 
\^etes crue plus forte que lui.\\
(Avec un singulier orgueil conjugal.)\\
Il est tr\`es fort!  Tr\`es!  Il avait pr\'evu le moment 
exact de votre d\'efaillance ... Il m'avait demand\'e:  
"O\`u serez-vous entre six et sept?  J'aurai peut-\^etre 
quelque chose \`a vous dire!"  Il vous a quitt\'ee 
vers six heures vingt, n'est-ce pas?  A six heures 
vingt-cinq, il me t\'el\'ephonait chez mon coiffeur pour 
m'apprendre la bonne nouvelle.  Il para\^it que je 
l'avais agac\'e avec votre amour.\\
~~~Isabelle, (avec une joie sauvage.)  Je suis contente!  
Contente que tout ait \'et\'e vraiment horrible 
jusqu'\`a la fin.\\
~~~Sophie.  Vous \^etes contente?\\
~~~Isabelle.  Oui.  Je veux \^etre punie.  Je dois \^etre 
punie.\\
~~~Sophie.  Vous le serez malheureusement.  Et ce 
ne sera peut-\^etre pas juste.\\
~~~Isabelle.  Ah non!  pas votre indulgence!  Je 
ne peux pas supporter votre \'epouvantable indulgence.\\
~~~Sophie.  Je ne suis pas indulgente.  J'ai appris 
\`a voir les choses comme elles sont.\\
(Elle boit.)\\
~~~~Isabelle.  J'avais tellement esp\'er\'e que vous 
seriez odieuse.\\
~~~Sophie.  Excusez-moi.  J'apprendrai.  Mais j'ai 
peur de manquer de conviction ... Parce que, pour 
moi, vous savez ... vous ou une autre ...\\
~~~Isabelle, (ferm\'ee.)  En effet!\\
~~~Sophie.  D'ailleurs, tout est arriv\'e par ma faute.  
C'est moi qui ai insist\'e pour venir \`a ce d\'ejeuner.  
J'avais tellement entendu parler de votre ga\^it\'e, de 
votre courage devant l'infortune.\\
(Petit rire.  Sur un autre ton.)\\
Vous avez tout de m\^eme r\'esist\'e trois semaines.  
Olivier ne devait pas en revenir.\\
(Elle sort une cigarette.)\\
~~~Isabelle, (violemment.)  Ne me parlez pas tout 
le temps de lui.\\
~~~Sophie.  Nous ne sommes pas dans une situation 
qui nous permette d'avoir beaucoup de tact.\\
~~~Isabelle.  Encore moins que vous ne croyez!\\
~~~Sophie, (avec une jalousie inattendue.)  Je sais.  
C'est \`a cause de vous qu'il n'est pas sorti pendant 
ces trois semaines!  Pour attendre vos coups de 
t\'el\'ephone.\\
(Elle allume sa cigarette.  Silence d'Isabelle.)\\
Vous m'\'ecoutez?\\
~~~Isabelle.  Je vous \'ecoute.\\
~~~Sophie, (agressive.)  C'est la premi\`ere fois qu'il 
s'impose une corv\'e pareille.  Il devait tenir joliment 
\`a vous.\\
~~~Isabelle.  Je ne crois pas.\\
~~~Sophie.  Pas de modestie entre nous.  Vous lui 
plaisiez \'enorm\'ement.\\
(Avec un doute insolent)\\
Il est possible que vous lui plaisiez encore.\\
~~~Isabelle.  Non.\\
~~~Sophie.  Si, si.  Surtout apr\`es les remords que 
vous avez eus.  Olivier m'a dit que vous sanglotiez.  
Vous pensez!  Vos larmes ont s\^urement \'et\'e le 
meilleur moment de sa journ\'ee.\\
~~~Isabelle.  Et vous l'aimez?\\
~~~Sophie, (se levant.)  Je ne pense pas que cela 
vous regarde.  Et, d'ailleurs, vous le connaissiez aussi.  
Et \c{c}a n'a rien emp\^ech\'e.\\
~~~Isabelle, (avec un rien d'agressivit\'e.)  Sophie ... 
Je vous appelle Sophie, n'est-ce pas?\\
~~~Sophie.  C'est tellement plus simple.\\
~~~Isabelle.  Je ne peux pas croire que vous soyez 
seulement venue pour m'insulter.\\
~~~Sophie.  J'aurais tr\`es bien pu, c'est dans mon 
caract\`ere.  J'y ai m\^eme pens\'e.\\
~~~Isabelle.  Alors?\\
~~~Sophie.  J'ai renonc\'e.\\
~~~Isabelle, (lassitude immense.)  Pourquoi?\\
(Geste qui veut dire:  "Faites donc!")\\
~~~Sophie, (avec un petit geste.)  Parce que vos 
larmes ont \'et\'e aussi le meilleur moment de ma 
journ\'ee \`a moi.\\
~~~Isabelle.  Vraiment?\\
~~~Sophie.  Je me suis dit:  si elle sanglote, y 
a du bon.\\
~~~Isabelle.  Ah!\\
~~~Sophie.  Je connais Olivier:  ces vingt jours 
sans sortir, ce petit attendrissement sur vos larmes ...
Il n'a pas de remords, mais s'il se mettait \`a avoir 
des regrets.\\
~~~Isabelle.  Vous \^etes trop aimable ...\\
~~~Sophie.  Je ne veux pas de \c{c}a.  Acceptez-vous de 
quitter Paris tout de suite?\\
~~~Isabelle.  Nous ne pouvons pas partir.\\
~~~Sophie, (qui redevient tr\`es agressive.)  Qu'est-ce 
qui pourrait vous en emp\^echer?\\
~~~Isabelle.  On ne nous laissera pas partir.\\
~~~Sophie.  "On"!  Olivier?\\
~~~Isablle.  Naturellement, non.\\
~~~Sophie.  Qui, alors?\\
~~~Isabelle.  Je ne peux pas vous dire.\\
~~~Sophie.  Attention, Isabelle.  En pleurant, vous 
avez \'et\'e tr\`es polie.  Je vous en remercie.  Mais maintenant 
les simagr\'ees ne suffisent plus.  Si vous avez eu une heure 
de folie, comme vous dites, vous 
autres, prouvez-le, partez tout de suite.\\
~~~Isabelle.  Je voudrais.  Je ne peux pas.\\
~~~Sophie.  J'arrangerai les choses.\\
~~~Isabelle.  Pas celle-l\`a!\\
~~~Sophie.  Et vous n'avez pas de raisons \`a me 
donner?\\
~~~Isabelle.  A vous, non.\\
~~~Sophie.  Olivier est \`a moi.  Si vous vous 
incrustez, je vais devenir tr\`es d\'eplaisante.\\
~~~Isabelle.  Oh \c{c}a!  je suis capable de l'\^etre aussi.\\
~~~Sophie.  On l'oublie un peu parce que je 
m'\'enerve trop, mais les torts ne sont pas de mon 
c\^ot\'e.  Pour la derni\`ere fois, voulez-vous quitter Paris?\\
~~~Isabelle, (calme.)  Non.\\
~~~Sophie.  Mazette!  En une heure, il vous a plu 
\`a ce point-l\`a?\\
~~~Isabelle.  Non, mais maintenant je ne peux 
m\^eme  plus le d\'etester.\\
~~~Sophie.  C'est dr\^ole.  Moi, si je ne l'avais pas 
aim\'e ... aim\'e ... je n'aurais pas pu le supporter 
cinq minutes.\\
~~~Isabelle.  Voil\`a qui devrait vous rassurer.\\
~~~Sophie, (durement.)  Seulement, parce que je 
l'adore, je suis pr\^ete \`a tout pour le garder.  Absolument 
\`a tout.  M\^eme aux choses les plus bizarres.\\
(Souriante.)\\
A votre place, j'aurais peur:  les gens qui boivent 
ont beaucoup d'imagination.\\
(Silence.  Comme si sa phrase l'avait rappel\'ee 
\`a son devoir, elle va se verser \`a boire.)\\
~~~Isabelle.  M\^eme si je pouvais, comment partir?\\
~~~Sophie, (radoucie, se retournant vers Isabelle.)  Ma 
soeur vit au Maroc, \`a Tanger.  Elle vous donnera 
les moyen d'ouvrir l\`a-bas le petit bar de vos r\^eves.\\
(Elle boit.)\\
~~~Isabelle.  Je ne peux rien accepter de vous.\\
~~~Sophie.  En effet, mais votre mari?\\
~~~Isabelle.  Auguste encore moins.\\
~~~Sophie.  Encore moins?\\
~~~Isabelle.  Supposons qu'un jour il apprenne ...\\
~~~Sophie.  Rien \`a craindre.  Vous ne vous \^etes pas 
demand\'e pourquoi j'avais invent\'e cette histoire du 
faubourg Saint-Honor\'e?\\
~~~Isabelle.  Si.\\
~~~Sophie, (souriante.)  Ma ch\`ere, nous ne nous 
sommes pas quitt\'ees cet apr\`es-midi.  Je vous ai 
emmen\'ee prendre le th\'e et tra\^in\'ee chez ma couturi\`ere.  
Et j'ai des t\'emoins!  D'ailleurs, pourquoi irais-je 
inventer \c{c}a?\\
(Silence et immobilit\'e d'Isabelle qui r\'efl\'echit.)\\
Ne me remerciez pas.  Je traville pour moi aussi.\\
Si Auguste ne sait rien, tout le plaisir d'Olivier 
sera g\^ach\'e.\\
~~~Isabelle, (avec force.)  Non.  Il ne faut pas qu'on
croie que j'ai pass\'e l'apr\`es-midi avec vous.\\
~~~Sophie.  Pourquoi?\\
~~~Isabelle, (avec la m\^eme force.)  Il faut qu'il soit 
bien \'etabli que je suis all\'ee rue Campagne-Premi\`ere.\\
~~~Sophie.  Vous tenez \`a ce qu'on sache que je 
suis tromp\'ee.\\
~~~Isabelle.  D'aillleurs, quelqu'un m'a vue l\`a-bas, 
quelqu'un le dira.\\
~~~Sohpie, (insolente.)  A qui?  Qui voulez-vous que 
\c{c}a int\'eresse?\\
~~~Isabelle.  Et s'il ne le dit pas, moi, je le dirai.\\
~~~Sophie, (cinglante.)  Vous en \^etes si fi\`ere?\\
~~~Isabelle.  Il faudra bien que je le dise.\\
~~~Sophie, (court silence.)  Je ne compreds pas.  
(Lentement.)  Il y a autre chose?\\
~~~Isabelle, (vivement.)  Je vous assure que non!\\
~~~Sophie, (reconstruisant l'histoire.)  Vous voulez 
prot\'eger quelqu'un.  C'est visible.\\
~~~Isabelle, (protestation un peu angoiss\'ee.)  Moi!\\
~~~Sophie.  Et ce quelqu'un doit \^etre Auguste.\\
~~~Isabelle.  Mais c'est absurde!\\
~~~Sophie.  Pourquoi avez-vous eu l'air terrifi\'e 
tous les deux quand je sius entr\'ee!  Tous les deux!  
Vous, je comprends.  Mais lui?\\
~~~Isabelle.  Terrifi\'e?  Nous n'avions pas l'air 
terrifi\'e!\\
~~~Sophie.  Pourquoi ne peut-il pas accepter la 
proposition que je vous ai faite?  Et pourquoi lui 
surtout?\\
(Isabelle dont angoisse ne cesse de cro\^itre 
se d\'
etourne.)\\
Pourquoi m'avez-vous demand\'e dix fois ... dix fois, 
si j'avais vu Olivier ce soir?\\
(Un cri.)\\
Ils se sont battus!\\
(Silence d'Isabelle.)\\
A cause de vous!  Parce que vous n'avez pas su 
vous garder?  Ils se sont battus, n'est-ce pas?\\
~~~Isabelle, (qui tient \`a \'etablir l'alibi.)  Auguste 
\'etait fou.  Un moment de jalousie!\\
~~~Sophie.  Mais il ne lui a pas fait de mal?  Il 
n'a pas os\'e?\\
(Silence d'Isabelle.)\\
Prenez bien garde!  Esp\'erez que non!  Esp\'erez 
de toues vos forces.  Parce que vous le paieriez si 
cher!  Mais si cher.  Je vous ai dit que je n'\'etais 
pas gentille.\\
(Soudainement avec angoisse.)\\
Il n'est pas en danger?\\
~~~Isabelle.  Je ne sais pas.\\
~~~Sophie, (un cri de douleur.)  Oh non!  Non!  
qu'il vive!  Prenez-le!  Tout m'est \'egal!  Prenez-le!  
Mais qu'il vive!  Qu'il vive!\\
(Elle sort dans un grand mouvement.)\\
~~~Auguste, (entrant.)  Pourquoi est-elle dans cet 
\'etat?\\
~~~Isabelle.  Elle nous offrait de l'argent pour 
ouvrir un bar \`a Tanger.  J'ai d\^u avoir un mot malheureux ... 
Comment aurait-on pu croire qu'elle 
l'aimait \`a ce point-l\`a!\\
~~~Auguste, (geste vague.)  Ah \c{c}\`a!  j'avoue ...\\
~~~Isabelle.  Elle est folle de lui.\\
~~~Auguste.  Malheureusement! ...\\
~~~Isabelle, (avec angoisse.)  Elle est capable de se 
tuer.\\
~~~Auguste.  Ah!  ne me dis pas \c{c}a.\\
~~~Isabelle.  Tu sais tr\`es bien qu'elle en est 
capable.\\
~~~Auguste.  C'est un massacre!\\
~~~Isabelle.  Dire que nous n'avions pas pens\'e 
\`a elle!\\
~~~Auguste.  Non.\\
~~~Isabelle, (sur un ton singulier.)  Ni toi!  ni moi!\\
~~~Aguste.  Tu sais, nous la connaissions \`a peine.\\
(On frappe \`a la porte.)\\
~~~Auguste.  Cette fois ...\\
~~~Isabelle, (\`a voix basse et suppliante.)  Auguste!\\
~~~Auguste.  Ah!  on ne va pas encore se dire 
adieu.  On finirait pas avoir l'air idiot.\\
~~~Isabelle, (sur le m\^eme ton.)  Dis-leur que je suis 
coupable et que tu t'es veng\'e.\\
~~~Auguste.  Non.\\
~~~Isabelle, (avec d\'efi.)  Je t'y forcerai!\\
~~~Auguste.  Je ne crois pas.\\
(Il ouvre la porte.  Charlot est sur le seuil.  
Il a la t\^ete entour\'ee de pansements qui lui 
donne l'air d'un prince hindou, ou d'une momie 
dans ses bandelettes.  Il porte un costume tr\`es 
\'el\'egant, tr\`es semblable \`a celui qu'avait Olivier 
au premier acte.  Il hoche la t\^ete longuement en 
regardant ses amis avant de dire:)\\
~~~Charlot.  Eh ben!  mes enfants, en voil\`a 
une histoire!\\
~~~Auguste.  Comment, toi aussi?\\
~~~Charlot.  Moi aussi? ... L'homme au 
presse-papier, c'est moi!\\
~~~Augsute, (d\'ebordant de tendresse.)  Oh!  Mon 
vieux, mon cher vieux!\\
~~~Isabelle.  Laissez-moi vous embrasser!\\
~~~Charlot, (tiraill\'e de l'un \`a l'autre.)  Ah!  on 
m'aime bien ici; il n'y a pas \`a dire, on m'aime bien.\\
~~~Auguste, (fou de joie.)  On t'adore!  (Il crie.)  
Je ne suis plus un assassin!  Je ne suis plus un 
assassin!\\
~~~Isabelle.  Mon petit Charlot!\\
~~~Auguste, (inquiet.)  C'est bien toi qui as tout 
re\c{c}u?\\
~~~Charlot, (formel.)  Ah \c{c}\`a!  tout!\\
~~~Auguste.  Je n'ai pas tap\'e sur quelqu'un 
d'autre?\\
~~~Charlot.  Non.  Non.  Il n'y en a eu que pour 
moi!\\
~~~Auguste.  \c{C}\`a alors ... On peut dire que tu es 
un ami!\\
~~~Charlot.  On peut.\\
~~~Isabelle. Un verre de cognac?\\
~~~Charlot, (\`a Isabelle.)  Non, merci.  Mais Auguste 
a eu de la veine que j'aie le cr\^ane solide!\\
~~~Auguste, (d\'ej\`a optimiste et d\'esinvolte.)  Pas de 
cervelle.  Rien que de l'os!\\
~~~Charlot, (cr\^anant pour Isabelle.)  Si \c{c}'avait \'et\'e 
une canne, para\^it que je l'aurais cass\'ee!\\
~~~Isabelle, (exagerant l'admiration.)  Ainsi, voyez ...\\
~~~Charlot.  D'ailleurs, le presse-papier, je l'ai 
caboss\'e.\\
~~~Isabelle.  Caboss\'e!\\
~~~Charlot.  H\'e non!  je blague!\\
~~~Isabelle.  Il blague!\\
~~~Auguste, (\`a Isabelle, avec admiration.)  Il blague!  
Je l'adore, cet homme-l\`a!\\
~~~Charlot.  Maintenant, tu pourrais peut-\^etre 
m'expliquer:  pourquoi le presse-papier?\\
~~~Auguste.  Je n'avais que \c{c}a sous la main.\\
~~~Charlot.  Pas du tout.  L'encrier pouvait tr\`es 
bien faire l'affaire.  Et il \'etait beaucoup moins 
lourd.\\
~~~Auguste.  Je n'ai pas r\'efl\'echi.\\
~~~Charlot.  Tu aurais d\^u!\\
~~~Isabelle, (\`a Auguste.)  En tout cas, j'avais raison, 
tu vois:  les blessures au cr\^ane, on en meurt 
ou ce n'est rien du tout.\\
~~~Charlot, (pinc\'e.)  Rien du tout!\\
~~~Isabelle.  Je veux dire:  Dieu merci!  ce n'est 
pas trop grave.\\
~~~Charlot.  Pas trop grave?! ... Je ne suis quand 
m\^eme pas tr\`es solide sur mes jambes.\\
~~~Isabelle.  Mais o\`u avons-nous la t\^ete?  Asseyez-vous!\\
~~~Auguste.  Pas sur le fauteuil!  Tu vas te casser 
la gueule!\\
~~~Charlot.  Dans mon \'etat, ce serait vraiment 
de luxe!\\(Il s'assied.)\\
~~~Auguste.  Tu ne m'en veux pas?\\
~~~Charlot.  H\'e non!  Je sais bien que ce n'est pas 
ta faute si tu m'as assassin\'e.\\
(Il lui tend la main.  Auguste lui tend la 
main gauche.)\\
Tu pourrais au moins me tendre la main droite?\\
~~~Auguste, (piteusement.)  Tu me l'as mordue!\\
~~~Chalot.  Oh!  Je suis d\'esol\'e.  Mais aussi, tu 
n'avais pas besoin de taper si fort.\\
~~~Auguste.  H\'e si!  pour t'assommer.\\
~~~Charlot.  \c{C}a faisait "bong" dans ma t\^ete!\\
~~~Augsute, (\`a Isabelle.)  Je t'avais bien dit que \c{c}a 
faisait "bong"!\\
~~~Charlot.  Faut que je sois franc:  sur le 
moment, je t'en ai voulu!\\
~~~Isabelle.  Je vous comprends.\\
~~~Charlot.  J'ai vraiment failli mourir sans savoir 
pourquoi.\\
~~~Agusute.  Ben oui ...\\
~~~Charlot.  Surtout quand je t'ai reconnu!  Je 
me disais:  "Il est idiot!  qu'est-ce qu'il a \`a me 
taper sur la t\^ete?"\\
~~~Auguste, (humblement.)  Je te prenais pour 
Olivier.\\
~~~Charlot, (se r\'evoltant soudain.)  Pour Olivier?  
Moi, tu as pu me prendre pour Olivier?\\
~~~Auguste.  D'o\`u j'\'etais je ne voyais que 
le haut de ton cr\^ane et ton costume.\\
~~~Charlot.  Ah!  nom de Dieu, \c{c}a y est ... le 
costume ... J'avais remarqu\'e le sien l'autre jour, 
dans l'escalier.  J'ai voulu me faire faire le m\^eme.  
Une fi\`ere id\'ee que j'ai eue l\`a.\\
~~~Isabelle et Auguste.  Ah oui!\\
~~~Charlot.  D'autant plus qu'il m'avait d\'ej\`a 
engueul\'e avant que tu m'asommes!  Monsieur n'aime 
pas qu'on le copie.\\
~~~Auguste.  Allons bon!\\
~~~Charlot.  J'admets que tu aies pu \^etre tromp\'e 
par le costume!  Mais que diable!  Je suis beaucoup 
plus petit que lui.\\
~~~Auguste.  Tu \'etais assis!\\
~~~Charlot.  Il me semble pourtant que m\^eme 
assis! ...\\
~~~Auguste, (l'interrompant.)  Tu \'etais vautr\'e!\\
~~~Charlot.  Oh!  vautr\'e.  Vous l'entendez, Isabelle?\\
(Petit geste impartial d'Isabelle.)\\
~~~Isabelle, (\`a Auguste.)  Tu pourrais peut-\^etre 
ajouter que tu \'etais ivre mort.\\
~~~Charlot.  D\'ej\`a avant?\\
~~~Auguste.  Avant, pendant et apr\`es.\\
~~~Charlot.  Tout s'explique.\\
~~~Auguste.  D'autant que tu \'etais vautr\'e \`a c\^ot\'e 
du t\'el\'ephone.  Alors qu'Olivier venait pr\'ecis\'ement 
de t\'el\'ephoner.  Et d'ailleurs, o\`u \'etait-il pass\'e, 
celui-l\`a?\\  
~~~Charlot.  Dans la pi\`ece \`a c\^ot\'e.\\
~~~Auguste.  Si vite?\\
~~~Charlot.  On l'appelait.  Remarque que j'avais 
vaguement imagin\'e ce qui s'\'etait pass\'e.  Seulement, 
j'\'etais d\'ej\`a \`a Marmottan.\\
~~~Isabelle.  Mais qui est-ce qui vous y a men\'e?\\
~~~Charlot.  Le gar\c{c}on de bureau, Lucien:  Il ne 
fera jamais rien, ce gar\c{c}on-l\`a!\\
~~~Auguste.  Jamais.\\
~~~Isabelle, (faussement d\'etach\'ee.)  Et Olivier?  
Que faisait Olivier?\\
~~~Charlot.  Olivier a \'et\'e parfait.  Comme d'habitude.  
Il se tordait.\\
~~~Isabelle.  J'entends son rire.\\
~~~Charlot.  Alors, tu comprends?  Quand les 
internes m'ont eu raccommod\'e, j'ai d'abord essay\'e 
de dire que je m'\'etais cogn\'e.  \c{C}a n'a pas pris!\\
~~~Auguste, (sentencieux.)  Faut pas demander 
l'impossible.\\
~~~Charlot.  D'autant plus qu'ils \'etaient formels:  
si j'avais rendu l'\^ame---comme on dit vulgairement---tu 
\'etais fabriqu\'e.  C'\'etait les travaux forc\'es, 
que \c{c}a me plaise ou non! ... C'est pour \c{c}a que je 
te conseillais de foutre le camp.\\
~~~Isabelle.  Et alors, quand vous disiez que vous 
alliez essayer d'arranger les choses ...\\
~~~Charlot, (expliquant.)  \c{C}a signifiait que j'allais 
essayer de ne pas me laisser glisser, de tenir bon 
la rampe.  Je l'ai tenue, tu vois ...\\
(Isabelle l'embrasse tr\`es fort sans rien dire.)\\
~~~Auguste.  Sacr\'e Charlot!\\
~~~Charlot.  En plus de tous les emb\^etements, 
fallait encore que je me fasse du souci pour toi!\\
~~~Auguste, (\`a Isabelle sinc\`erement.)  Je l'adore!\\
~~~Isabelle, (\`a Charlot.)  C'est vrai qu'il vous adore.\\
~~~Auguste.  La preuve, c'est \`a toi que j'avais 
pens\'e pour t'occuper d'Isabelle, en cas de malheur ... \\
~~~Charlot.  Ah!  \c{c}a, c'est bien.  Ah!  \c{c}a, c'est 
chic.  Merci ...\\
~~~Auguste.  La moindre des choses!\\
~~~Isabelle, (tendrement \`a Charlot.)  Je voudrais 
tellement vous prover notre reconnaissance.\\
~~~Auguste, (l\'eg\`erement.)  Avec trente-sept francs, 
ce ne sera pas facile.\\
~~~Charlot.  Tu n'as que trente-sept francs?\\
~~~Auguste.  Ne parlons pas de \c{c}a ... Apr\`es ce 
que tu as d\'ej\`a fait pour moi.\\
(Il d\'esigne le cr\^ane de Charlot.)\\
~~~Charlot.  \c{C}a n'a aucun rapport!\\
~~~Isabelle, (avec une esp\`ece de f\'ebrilit\'e.)  Charlot, 
vous ne souffrez pas trop de la t\^ete?\\
~~~Charlot.  Au contraire.  Il para\^it m\^eme que je 
n'aurai plus jamais de migraines.\\
~~~Auguste.  Dis-moi merci!\\
~~~Isabelle.  Alors, vous savez ce qui serait 
gentil?\\
~~~Charlot.  Quoi?\\
~~~Isabelle.  Allons tous les trois dans une bo\^ite!\\
~~~Charlot.  Quelle bonne id\'ee!\\
~~~Auguste.  Bravo!\\
~~~Isabelle, (dont la fi\`evre augmente.)  Nous venons 
tout de m\^eme d'\'echapper \`a une catastrophe.  
Il me semble que nous ne serons jamais aussi gais que 
ce soir ... Profitons-en!\\
~~~Auguste.  Moi, je suis d\'ecid\'e \`a en profiter au 
maximum.\\
~~~Charlot, (\`a Auguste.)  Pour un meurtrier, je te 
trouve un peu d\'etendu.\\
~~~Auguste.  Mets-toi \`a ma place.\\
~~~Charlot.  J'en ai un peu assez de me mettre 
\`a la place des autres.\\
(Ils sont sur le point de sortir.)\\
~~~Auguste, (soudainement, un long murmure.)  Oooooh!\\
~~~Charlot.  C'est toi qui as fait \c{c}a?\\
~~~Auguste, (\`a Charolt.)  Dis donc, dis donc, tu es 
un cochon!\\
~~~Charolt.  Moi?\\
~~~Auguste.  Oui, toi.  Tu as \'et\'e assez gentil au 
moment du presse-papier ...\\
~~~Charlot.  Il me semble.\\
~~~Auguste.  Et m\^eme apr\`es.  Mais avant?\\
~~~Charlot.  Avant?\\
~~~Auguste.  Le coup de t\'el\'ephone de Ragopian, 
tu l'avais entendu, toi aussi?\\
~~~Charlot, (humble \`a son tour.)  Je m'excuse!\\
~~~Auguste.  Ainsi, toi, mon meilleur ami, tu as 
entendu sans protester Olivier dire:  "Dis donc ... 
Ragopian ... notre pari ... \`a propos de ma cousine ... 
\c{c}a marche ... tu peux pr\'eparer tes vingt mille 
francs."\\
~~~Charlot.  Je pensais \`a mon garage.\\
~~~Isabelle.  Et il a \'et\'e assez puni!  Ne 
parlons plus de \c{c}a ...\\
~~~Auguste.  Tu l'as laiss\'e dire:  "Leur amour ... 
ils vont voir ce que je vais en laisser de leur 
amour! ..."\\
~~~Charlot.  Je savais bien qu'il se vantait.  Et 
qu'il ne s'occupait pas du tout d'Isabelle.\\
~~~Auguste.  Ah!  vraiment?\\
~~~Charlot.  Pas du tout.  Et j'avais de bonnes 
raisons pour le savoir.\\
~~~Auguste.  Tiens!  tiens!\\
~~~Charlot.  Mais oui.  La premi\`ere chose qu'il 
m'avait annonc\'ee, en entrant, c'\'etait:  "Ah!  mon 
vieux, vous avez de la veine, vous avez devant 
vous un homme admirablement dispos\'e.  Il y avait 
une idiote qui me faisait droguer depuis vingt 
jours ... "\\
~~~Isabelle, (un cri.)  Charlot!\\
~~~Auguste.  Depuis vingt jours?\\
~~~Charlot,(interloqu\'e, les regarde tous les deux et 
continue.)  "Vingt jours sans sortir le soir, \`a 
attendre ses coups de t\'el\'ephone ..."\\
~~~Auguste, (encourageant.)  Eh bien!  continue.\\
~~~Charlot.  Eh ben! ... "Elle est tout de m\^eme 
venue cet apr\`es-midi.  Et je vous prie de croire que 
j'en ai profit\'e ..."  Tu vois bien qu'il ne s'occupe 
pas d'Isabelle!\\
~~~Auguste, (sourdement.)  Je regrette de t'avoir 
rat\'e.\\
~~~Charlot.  Qu'est-ce que tu dis?\\
~~~Auguste, (sans \'elever la voix.)  Je suis navr\'e 
que tu vives!\\
~~~Charlot, (\`a Isabelle, livide et silencieuse.)  Mais 
enfin, l'idiote, ce n'\'etait tout de m\^eme pas 
vous?\\
(Avec angoisse, apr\`es un long temps.)\\
Je vous demande tellement pardon.  Mais je 
n'aurais jamais pu m'imaginer ... Ah!  pas une 
seconde! ... Je vous croyais tellement honn\^ete, 
vous m'excuserez!\\
~~~Isabelle, (d'une dr\^ole de voix.)  Moi aussi, je 
me croyais honn\^ete!\\
~~~Auguste.  Et moi donc!  Pauvre imb\'ecile!\\
~~~Isabelle, (tr\`es simplement.)  J'avais bien pens\'e \`a 
me tuer.  Tu n'aurais jamais rien su.  Mais j'ai 
esp\'er\'e \^etre encore heureuse avec toi; je me suis 
dit que \c{c}a s'arrangerait.  \c{C}a ne s'est pas arrang\'e.  
\c{C}a ne s'arrange jamais.\\
~~~Auguste.  Non.\\
~~~Isabelle.  Veux-tu que je m'en aille tout de 
suite?\\
~~~Auguste, (avec violence.)  S'en aller!  s'en 
aller!  C'est tout ce qu'elles savent dire!\\
~~~Charlot.  Ce serait peut-\^etre mieux.  Demain 
tu seras plus calme.\\
~~~Auguste.  Ah!  toi, je te conseille de te ta\^ire.  
Apr\`es ce que tu as fait ici.  Mais monsieur s'en 
fout!  Monsieur trouverait tr\`es bien qu'elle s'en 
aille!  Eh bien!  elle ne s'en ira pas!\\
(Il hurle.)\\
Je te jure qu'elle ne s'en ira pas!  Du moins 
pas avant que je le lui ordonne.  Ce serait trop 
simple!  On brise la vie d'un type et puis on dit:  
"Veux-tu que je m'en aille tout de suite!"\\
(Lamentablement.)\\
Pourquoi as-tu fait \c{c}a.  Pourquoi?\\
~~~Isabelle, (avec une fatigue d\'esesp\'er\'ee.)  Je n'ai 
pas d'excuses, je n'en cherche pas.  C'est trop difficile.  
Tout se brouille dans ma t\^ete.  Je n'ai pas 
d'excuse parce que je n'ai pas cess\'e de t'aimer.\\
~~~Auguste.  Ah!  la bonne blague!\\
~~~Isabelle.  Oh!  j'en ai bien une, mais tellement 
lamentable!  Malheureusement, c'est la seule, je 
n'en ai pas d'autres, je te la donne pour ce qu'elle 
vaut.  Mon pauvre ch\'eri, pendant une heure je n'ai 
pas pens\'e \`a toi ... Pendant une heure, il m'a 
emp\^ech\'ee de penser \`a toi.  Pendant quinze ans, je 
ne suis pas rest\'ee une minute sans penser \`a toi.  
Et il a suffi de cette heure.\\
~~~Auguste.  C'est pire que tout, ce que tu me 
dis l\`a!\\
~~~Isabelle, (s'exaltant.)  Oh!  j'ai \'et\'e punie tout 
de suite.  Sois content.  Je ne parle pas du d\'ego\^ut 
que j'ai eu de moi, de la honte ... Mais j'ai tout 
de suite su le pire:  c'est qu'il ne me voulait que 
contre toi, que pour pouvoir te le dire!  Oh!  son 
regard sur moi, apr\`es.\\
(Avec horreur.)\\
Le m\^eme que le tien en ce moment.  Ne me 
regarde pas!  Ne me regarde plus.\\
~~~Auguste.  Et tu m'avais jur\'e que ce n'\'etait pas 
vrai, jur\'e sur ta vie ...\\
~~~Isabelle.  Aussi, tu sais, ma vie, maintenant!  
Je ne risquais rien de jurer ... La seule chose qui 
aurait pu me sauver, c'est que tu n'aies jamais su, 
parce que je t'aurais tellement aim\'e.  Enfin ... \c{c}a ... 
hein? ...\\
(Un geste d'immense d\'ecouragement.) \\
~~~Auguste.  Tu te rappelles ce que tu disais:  
"Nous sommes tr\`es bien dans les emb\^etements, mais 
faudrait nous voir dans le malheur."  Eh bien!  
je nous vois dans le malheur.  C'est pas beau.\\
~~~Isabelle.  Dis ... Auguste ... tu riras encore?  
dis ... tu feras encore des blagues ... Oh! si je savais 
que tu ne vas plus rire maintenant \`a cause de la 
sale fille que je suis.\\
~~~Auguste.  Mais je me tords!  C'est tordant!  Ah!  
il est joli, notre amour!  Le tien surtout.\\
~~~Charlot.  Tais-toi, tu es inf\^ame!\\
~~~Auguste, (avec une ironie f\'eroce.)  Parce qu'enfin, 
moi; quand on a essay\'e d'y toucher, j'ai tout de m\^eme fait 
quelque chose.  J'ai tout de m\^eme assomm\'e 
quelqu'un!\\
~~~Charlot.  Tu t'en vantes maintenant?\\
~~~Auguste.  Pas celui qu'il fallait, c'est entendu.  
Et d'ailleurs, si c'\'etait \`a refaire ... on ne m'y 
reprendrait pas!\\
~~~Charlot.  Merci!\\
~~~Auguste.  J'ai commis un crime idiot.  Un 
crime risible!  Un crime tout de m\^eme.  (Cinglant.)  
Et toi?\\
~~~Charlot.  Tu ne comprends pas qu'elle n'en 
peut plus?  Et qu'elle a honte de se d\'efendre?\\
~~~Auguste, (sarcastique.)  Evidemment, s'il 
suffisait de tuer quelqu'un pour \^etre s\^urs de s'aimer, 
ce serait trop facile!\\
~~~Charlot.  Un salaud!  tu n'es qu'un salaud!  
Regarde-la!\\
~~~Auguste.  On a la femme qu'on m\'erite!  L'amour 
qu'on m\'erite!  Faut croire que je ne m\'eritais pas 
mieux.\\
~~~Isabelle.  Mon Dieu!  faites que je ne voie 
plus les yeux d'Auguste!  Les yeux qu'il a en ce moment!\\
~~~Auguste.  Ces dames sont des filles d'Eve.  
D'Eve, cette salope!  Alors, elles sont curieuses!  
Elles veulent se rendre compte.  Tu t'es rendu 
compte?  Tu es contente?\\
~~~Isabelle.  Mon Dieu, faits que je ne l'entende 
plus!\\
~~~Auguste.  C'est vrai qu'il a du charme, Olivier!\\
~~~Isabelle, (du fond de son d\'esespoir.)  Imb\'ecile!  
Pauvre imb\'ecile!\\
(Elle respire difficilement.)\\
Laisse-moi partir.  N'importe o\`u.  N'importe quoi!  
Tout m'est \'egal!  C'est fini, n'est-ce pas?  Alors, 
je t'en prie.\\
(Tr\`es doucement.)\\
Ne m'insulte plus:  laisse-moi partir!\\
~~~Auguste.  Je pourrais bien me casser la t\^ete \`a 
essayer de comprendre.  De compredre quoi?  Il 
n'y a rien \`a comprendre.  C'est comme au r\'egiment.\\
~~~Isabelle.  J'ai mal ... J'ai trop mal ... Laisse-moi 
partir.\\
~~~Auguste.  Je ne veux pas souffrir pour \c{c}a ... tu 
n'en vaux pas la peine.\\
~~~Isabelle.  Tu as bien raison, mon ch\'eri ...\\
~~~Charolt.  Tu vas lui foutre la paix?  dis!\\
~~~Isabelle.  C'est dans la t\^ete ... J'ai tellement 
mal.\\
~~~Charlot, (\`a Auguste.)  Tu vas lui foutre la paix!\\
~~~Auguste, (d\'esesp\'er\'e, se contr\^olant un peu.)  
Ma Biquette!  Je t'ai pourtant aim\'ee gentiment.\\
~~~Isabelle, (un cri d'espoir.)  Ch\'eri, tu ne me 
d\'eteste pas tout \`a fait.  Tu m'aimes encore un peu?\\
~~~Auguste.  Mais, ma parole, tu es folle.  Qu'est-ce 
que tu esp\`eres?\\
~~~Isabelle, (dans des sanglots, violemment.)  Tout.  
Il faut bien que j'esp\`ere.  Qu'est-ce que je peux 
faire d'autre?\\
~~~Auguste.  Eh bien!  n'esp\`ere plus.  C'est fini.\\
~~~Isabelle.  On ne se verra plus?\\
~~~Auguste.  Non.\\
~~~Isabelle.  Plus jamais?\\
~~~Auguste.  Jamais!\\
~~~Isabelle.  M\^eme en amis?  M\^eme en copains?\\
~~~Auguste.  Jamais!\\
~~~Isabelle.  Il ne reste rien de ces quinze ans?\\
~~~Auguste.  Rien.\\
~~~Isabelle, (un g\'emissement.)  Oh! ... j'aurais cru ... 
elle avait raison, ce n'est pas tr\`es juste ...\\
~~~Auguste, (avec une obstination rageuse.)  Rien.\\
~~~Charlot, (\`a Auguste.)  Tu vas te taire, dis?  Tu 
vas te taire!\\
~~~Isabelle.  Que veux-tu?  Cinq mille miracles!  
C'\'etait trop, Dieu s'est fatigu\'e.\\
~~~Auguste.  Faut croire.\\
~~~Isabelle, (lentement, apr\`es un petit silence.)  J'ai 
compris, je suis perdue, c'est tr\`es bien, je vais 
m'en aller! ... Adieu, mon ch\'eri, tu te rappelleras 
peut-\^etre les bons moments, quand tu ne m'aimeras 
plus.\\
(Elle fait quelques pas vers la porte en 
chancelant.)\\
Charlot, vous voulez bien m'aider?  Je ne vous 
ai pas fait de mal \`a vous!\\
~~~Charlot, (boulevers\'e, l'entoure de ses bras.)  Ma 
petite Isabelle!\\
~~~Isabelle.  Vous viendrez me voir, vous ne 
m'abandonnerez pas compl\`etement.\\
~~~Charlot.  Apr\`es ce que je vous ai fait.\\
~~~Isabelle.  Vous n'avez rien fait.  Vous avez 
cru en moi, malheuresement.  Comme Auguste.  
Comme Ragopian.  Car enfin, il avait pari\'e sur moi.  
Il faudra que je lui fasse des excuses.\\
~~~Auguste, (malgr\'e lui.)  Ah non!  tout de m\^eme ...\\
~~~Isabbelle.  C'\'etait si bien quand Olivier \'etait 
mort ...\\
~~~Charlot.  Quoi?\\
~~~Isabelle.  On avait des ennuis avec la police, 
c'est entendu.  Mais je savais ce qu'il fallait dire.\\
~~~Charlot.  Qu'est-ce qu'elle a?\\
(Auguste s'inqui\`ete)\\
~~~Isabelle.  Pauvre Olivier!  Il para\^it que le 
presse-papier \'etait caboss\'e.  Il aura \'et\'e puni, mais 
il n'aura pas souffert.  Et \c{c}a, ce n'est pas tr\`es juste.\\
~~~Auguste.  Mais qu'est-ce qu'elle dit?\\
~~~Isabelle.  Oh!  C'\'etait un sale type.  M\^eme moi, 
je n'ai pas compt\'e pour lui.  Heureusement, mes 
larmes auront \'et\'e le meilleur moment de la journ\'ee 
de tout le monde.\\
(Les deux hommes entourent Isabelle.)\\
~~~Auguste.  Mais qu'est-ce qu'elle a?  Qu'est-ce 
qu'elle raconte?\\
~~~Charlot.  Ses mains sont glac\'ees.\\
~~~Auguste.  Ce n'est pas possible!\\
~~~Isabelle.  La seule chose qui m'inqui\`ete, c'est 
ce qu'on va lui donner pour d\'ejeuner.  On n'a 
m\^eme pas de pommes de terre.\\
~~~Charlot.  Est-ce que tu commences \`a te rendre 
compte?\\
~~~Isabelle.  On dira que c'est un d\'efaut de la porcelaine.\\
~~~Auguste.  Pardon, Biquette, pardon.\\
~~~Isabelle.  Si vous croyez que c'est facile d'\'etre 
une femme.\\
~~~Charlot.  Etendons-la.\\
~~~Isabelle.  Il faut que je m'en aille.  Auguste 
le veut.\\
~~~Auguste.  Mais non, mon ch\'eri, j\'etais idiot.\\
~~~Isabelle, (se d\'ebattant.)  Il faut que je m'en aille.\\
~~~Auguste, (d\'esesp\'er\'e.)  Mais enfin, je ne pouvais 
pas laisser passer \c{c}a sans rien dire.  Toi, tu n'aurais 
rien dit?\\
~~~Charlot.  Je la tiens.  Donne-lui un verre d'eau.\\
~~~Isabelle.  On ne retient pas une femme par la 
force, vous savez.\\
~~~Auguste, (en ob\'eissant.)  C'\'etaient des reproches 
normaux.  Je n'ai pas \'et\'e tellement m\'echant.\\
~~~Isabelle, (\`a Charolot, m\'echamment.)  On ne retient 
pas une femme par la force!\\
~~~Auguste, (revenant avec le verre.)  Dis?  Je n'ai 
pas \'et\'e m\'echant?\\
~~~Charlot.  Ah!  Laisse-moi tranquille!  Je te 
jure que tes probl\`emes ne m'int\'eressent pas en ce 
moment.\\
~~~Isabelle, (renversant le verre.)  Mais je n'ai pas 
soif!  C'est elle qui a tout le temps soif!  La pauvre 
femme, elle est folle!\\
~~~Auguste.  Reconnais-moi, je t'en supplie.  C'est 
moi, Auguste.\\
~~~Isabelle.  C'est \`a cause de mon p\`ere, ce vieux 
d\'ego\^utant.  Je lui ressemble!\\
~~~Charlot.  Tu connais un docteur?\\
~~~Auguste, (\'egar\'e.)  Un docteur ... un docteur ...\\
~~~Charlot.  Veux-tu que j'appelle Varay ... Il est 
tr\`es bien, Varay ...\\
(Il se dirige vers le t\'el\'ephone.)\\
~~~Isabelle, (nerveusement.)  O maman, j'aurais tellement 
voulu \^etre quelqu'un comme toi!  Je n'ai 
pas pu.  Tu te rappelles d\'ej\`a, au moment de 
Mortimer ...\\
~~~Charlot.  All\^o! ... Le docteur Varay?\\
~~~Isabelle.  L\`a, j'avais \'et\'e bien.  J'ai \'et\'e bien 
une fois.\\
~~~Charlot, (en m\^eme temps qu'elle.)  Ah!  il d\^ine 
en ville?\\
~~~Auguste, (r\'evolt\'e.)  Il d\^ine en ville!\\
~~~Isabelle, (asns s'arr\^eter.)  On ne peut pas toujours 
\^etre bien.\\
~~~Charlot.  Mais vous pouvez le pr\'evenir?\\
~~~Isabelle.  Tu me l'avais pourtant dit:  "Ne 
sois pas comme ton p\`ere."\\
~~~Charlot, (en m\^eme temps.)  Alors qu'il vienne 
tout de suite.\\
~~~Isabelle.  Eh bien!  je suis comme mon p\`ere.\\
~~~Charlot, (en m\^eme temps.)  Chez M. Taillade, 
14, rue de l'Abreuvoir.  C'est grave.\\
~~~Auguste, (terrifi\'e.)  C'est grave.\\
~~~Charlot.  Dans une demi-heure, merci.\\
(Il raccroche.)\\
~~~Isabelle.  Ah!  notre malheur, il n'est pas beau.\\
~~~Auguste.  Isabelle, mon ch\'eri, je t'en supplie.  
Tu ne vas pas me faire \c{c}a, en plus!\\
~~~Isabelle.  Ah!  Il est joli, mon amour.\\
~~~Auguste.  Je t'ai mal aim\'ee, mon petit.  Je t'ai 
aim\'ee comme une brute.  Je t'ai fait du mal.  Mais 
j'ai compris, je saurai maintenant.\\
~~~~~~Charlot.  Parle.  Parle.  On dirait qu'elle \'ecoute.\\
~~~Auguate.  Je te pardonne, j'oublie.  Tout sera 
comme avant.\\
~~~Charlot.  Il est bien temps.\\
~~~Auguste.  Oh!  mon Dieu, faites qu'elle me 
reconnaisse ...\\
~~~Isabelle.  Je suis fatigu\'ee.\\
~~~Charlot.  Il faudrait lui donner de l'air!\\
~~~Auguste.  Et je ne lui parlerai plus jamais de 
rien ... je jure ... je jure ...\\
~~~Isabelle.  Ce que j'ai pu marcher dans les rues ...\\
(Elle regarde devant elle sans rien voir.  A 
son excessive nervosit\'e de tout \`a l'heure, vient 
de succ\'eder un grand abattement.)\\
~~~Auguste.  Comprends-moi.  Je ne te pardonne 
pas seulement parce que j'ai peur.  Mais, du fond 
du coeur, je te le jure ... Et mes serments \`a moi ne 
sont pas comme les tiens.\\
~~~Charlot.  Tu recommences!\\
~~~Auguste.  Non.\\
~~~Charlot.  Je n'aime pas le ragard qu'elle a 
en ce moment.  Ni ce silence.\\
~~~Auguste, (d\'esesp\'er\'e.)  Ah! ...\\
~~~Charlot.  En attendant Varay, il faudrait faire 
quelque chose.\\
~~~Auguste.  Oui, mais quoi?  Quoi?\\
~~~Charlot.  Je ne sais pas.  La secouer, peut-\^etre?\\
~~~Auguste.  La secouer?  Tu es idiot!\\
~~~Charlot.  Il me semble me rappeler que c'est 
tr\`es bon.\\
~~~Auguste.  Si tu crois ... Pas moi, en tout cas!  
moi, je n'oserais pas.\\
~~~Charlot.   Je veux bien essayer.\\
~~~Auguste.  Doucement!  Ne va pas lui faire mal.\\
~~~Charlot.  S'il y a une brute ici, ce n'est pas 
moi.  Et je ne parle pas du bonhomme qui balan\c{c}ait 
des grands coups de presse-papier.  Celui-l\`a croyait 
bien faire.  Je parle de celui qui a os\'e parler comme 
tu l'as fait \`a une femme d\'esesp\'er\'ee.\\
~~~Auguste.  Tu ne me trouves pas assez malheureux.\\
~~~Charlot.  Tu ne l'as donc pas regard\'ee?  Elle 
se d\'etestait tellement, la pauvre.  Elle avait une telle 
horreur d'elle-m\^eme ... Ecoute-moi bien, tu feras ce 
que tu voudras.  Moi, je ne me pardonnerai jamais 
d'avoir fait du mal \`a cette femme-l\`a.\\
(Ricannant de lui-m\^eme.)\\
Et je me croyais un brave type!\\
~~~Auguste.  Mon pauvre vieux!\\
~~~Charlot.  J'essaie?  Il ne faut pas la laisser 
comme \c{c}a.\\
(Il l'oblige \`a se lever et la secoue avec une 
esp\`ece de tendresse precautinneuse, puis avec 
force, \`a mesure que ses paroles deviennent plus 
incoh\'erentes.)\\
~~~Isabelle.  Qu'est-ce que tu fais l\`a, Mortimer?  
Parfaitement, je pars avec mon petit pauvre.\\
~~~Auguste.  Tu l'entends?\\
~~~Isabelle.  Et tu sais, il n'est pas sensuel que 
dans sa musique.\\
~~~Charlot.  Isabelle!\\
~~~Isabelle.  Oh!  tes menaces, mon vieux ... Je 
ne connais qu'un type aussi m\'echant que toi.  
Seulement, lui, il est puni.\\
~~~Auguste.  Je n'en peux plus.\\
~~~Isabelle.  Ah!  \c{c}a, c'est gentil!  Tu chercheras 
mes yeux dans ceux de toutes les femmes?  Merci.\\
~~~Auguste.  Pardon, ma Biquette, pardon.\\
(A Charlot.)\\
Laisse-moi te demander pardon \`a toi, puisqu'elle 
ne me comprend pas.  Il faut qu'on me pardonne.  
Il faut que quelqu'un me pardonne.\\
~~~Isabelle.  Ce que j'ai pu chercher cette rue 
Campagne-Premi\`ere.\\
~~~Charlot.  Il n'y a pas un docteur dans la rue ... 
en attendant Varay ...\\
~~~Auguste.  Si ... si ... euh ... rue des Saules ... je 
ne sais pas le num\'ero ... Grandjean ...\\
~~~Isabelle.  Ce que j'ai pu chercher cette rue 
Campagne-Premi\`ere.\\
~~~Auguste.  D\'ep\^eche-toi, je t'en prie.\\
~~~Charlot.  Tu me fais piti\'e.  Tu me d\'ego\^utes, 
mais tu me fais piti\'e.\\
(Il sort, laissant naturellement la porte ouverte.)\\
~~~Isabelle.  Je ne pouvais pas trouver cette rue 
Campagne-Premi\`ere.  On aurait dit que c'\'etait un 
avertissement.  D'ailleurs, personne ne la conna\^it.\\
~~~Auguste, (sinc\`ere.)  Nous ne sommes pas faits 
pour le malheur, toi et moi.  On s'en sortira, j'en 
suis s\^ur.  Seulement, aide-moi!\\
~~~Isabelle.  Ah!  si je n'avais pas \'et\'e si 
heureuse!  Comme \c{c}a va \^etre long, la vie sans 
Auguste ...\\
~~~Auguste.  Pas sans Auguste!\\
~~~Isabelle.  Vieillir sans lui!  Ne plus l'entendre 
rire!\\
~~~Auguste.  Mais je rirai!\\
~~~Isabelle.  Comment ai-je pu faire une chose pareille?\\
~~~Auguste.  On s'en fout.  Regarde-moi.  Pas avec 
ces yeux vides.  Reconnais-moi!\\
~~~Isabelle, (soudainement.)  Je ne me rappelle 
plus s'il a d\'echir\'e ma robe.\\
~~~Auguste.  Mais comment peux-tu ne pas me 
reconna\^itre?  Est-ce que quelqu'un pourrait te 
parler aussi gentiment?\\
~~~Isabelle, (ricanant.)  Un mari qui venge son honneur, on 
l'acquitte toujours!\\
~~~Auguste.  On est l\`a.  On s'adore!  Et rien ne 
peut me la rendre.\\
(Un cri.)\\
Mais alors, l'amour, qu'est-ce qu'il fout, l'amour?  
Et je me plaignais tout \`a l'heure!  Et je faisais 
l'homme!  Mais, pauvre imb\'ecile, qui aime le 
mieux?  Toi, avec ton crime de p\`ere de famille ... 
Ou elle ... ou elle, la pauvre?\\
~~~Isabelle.  J'ai mal ...\\
(Criant.)\\
Oh!  Comme j'ai mal tout \`a coup.\\
~~~Auguste.  Mon ch\'eri!\\
~~~Isabelle.  Ah!  \c{c}a passe!  
(Elle s'\'ecroule comme une masse.)\\
~~~Auguste.  Elle va mourir.  Mourir sans m'avoir 
pardonn\'e.  Ce n'est pas possible!  Elle respire bien 
pourtant!  Ce ne sera peut-\^etre pas si grave.  Oh!  
une id\'ee.  Mon Dieu, donnez-moi une id\'ee.  Lulu!  
il nous fudrait Lulu!  Elle l'aiderait peut-\^etre.\\
(A la fen\^etre.)\\
Lulu!  Lulu!\\
~~~Une voix.  Elles sont au cin\'e.\\
~~~Auguste.  Au cin\'e, vous \^etes s\^ur?\\
~~~Une deuxi\`eme voix.  Vous n'allez pas la fermer 
un peu.\\
~~~Une troisi\`eme voix.  Vos gueules, l\`a-dedans!\\
~~~Auguste.  Qu'est-ce que je vais faire sans elle!\\
~~~Isabelle.  C'\'etait notre anniversaire jeudi.  Nous 
n'aurons plus jamais d'anniversaire.\\
~~~Auguste.  Elle se rappelle!  Il faudrait lui dire 
quelque chose qu'elle entende d'habitude.  Mais quoi, 
quoi.  Je sais.\\
(Il se place devant Isabelle et dit avec son 
d\'eplorable accent russe.)\\
All\^o!  All\^o!  Auguste Taillade?  Moi, pas connais.  
Ici Poliakov ... Fedor Pavlovitch Poliakov ... da ... 
da ... Dada ... Nitchevo, pas connais.\\
(Silence.)\\
~~~Isabelle, (avec son doux sourire.)  ... comme un cochon.\\
~~~Auguste, (dont l'espoir augmente.)  ... Oh!  mais, 
c'est tr\`es bon, c'est excellent, \c{c}a ... si je pouvais 
trouver une autre id\'ee dans le m\^eme genre.\\
(Il a trouv\'e)\\
Oui!\\
(Il entre dans la cuisine.)\\
~~~Isabelle, (avec angoisse.)  Qu'est-ce que j'ai?  
Qu'est-ce que j'ai?\\
(Auguste revient de la cuisine, son piston \`a la 
main, son beau piston bien astiqu\'e.)\\
~~~Auguste, (des larmes dans la voix, mais s'effor\c{c}ant 
d'\^etre dr\^ole.)  Ma Biquette, \'ecoute:  la Marche 
du Homard!  Une ... deusse!\\
(Il joue la Marche du Homard.)\\
(Apr\`es quelques mesures tonitruantes, on 
entend des voix venant de la cour de l'immeuble.)\\
~~~Premi\`ere voix.  Non, mais sans blague!  Du 
piston \`a cette heure-ci!\\
~~~Deuxi\`eme voix.  Il y a des gens qui sont cingl\'es.\\
~~~Isabelle.  Ce n'est pas bien le moment de faire 
le guignol.\\
~~~Auguste, (par la fen\^etre.)  Imb\'eciles!\\
~~~Troisi\`eme voix, (qui manque d'imagination.)  Vos 
gueules l\`a-dedans.\\
~~~Auguste.  Tas d'imb\'eciles!\\
(Il ferme la fen\^etre.)\\
~~~Isabelle.  Ils ont raison, tu vas nous faire avoir 
des histoires avec le concierge.\\
~~~Auguste.  Quoi?\\
~~~Iasbelle.  Tu le connais, il va prendre \c{c}a 
tr\`es mal.\\
~~~Auguste.  C'est merveilleux:  elle pense au 
concierge.\\
~~~Iasbelle.  Naturellement.\\
~~~Auguste.  Oh!  que tu m'as fait peur, mon 
petit, que tu m'as fait peur ...\\
~~~Isabelle.  Mais qu'est-ce que j'ai eu, qu'est-ce 
que j'ai eu?\\
~~~Auguste.  Ferme les yeux, ne pense \`a rien.\\
~~~Isabelle.  C'est toi, Auguste?\\
~~~Auguste.  Tu me reconnnais?  Tu me comprends?\\
~~~Isabelle.  Bien s\^ure, je te comprends.\\
~~~Auguste.  Eh oui!  c'est moi.  Et je ne suis 
plus m\'echant.\\
~~~Isabelle.  Parce que j'ai \'et\'e malade?\\
~~~Auguste.  Non, mon amour, parce que c'est 
fini.\\
~~~Isabelle.  Tu me dis "mon amour"?\\
~~~Auguste.  Bien s\^ur, "mon amour, mon amour".\\
~~~Isabelle.  Et tu le penses?\\
~~~Auguste.  Qu'est-ce qui t'\'etonne?\\
~~~Isabelle.  Oh!  je te demande tellement pardon.\\
(Elle a un mouvement pour se lever et 
retombe.)\\
~~~Auguste.  Va te coucher, mon ch\'eri.\\
~~~Isabelle.  Sans se parler?\\
~~~Auguste.  Pendant que tu \'etais malade, j'ai 
jur\'e qu'on ne parlerait plus de cette histoire.\\
~~~Isabelle, (tristement.)  Tu ne pourras pas.\\
~~~Auguste.  J'ai jur\'e.  Va te coucher!\\
~~~Isabelle.  Tu ne peux plus me voir?\\
~~~Auguste.  Quoi?\\
~~~Isabelle.  Ne me chasse pas tout de suite.  
Laisse-moi encore un peu pr\`es de toi.  Si nous 
pouvions au moins \^etre malheureux ensemble!\\
~~~Auguste.  Mais il n'est pas question de \c{c}a!\\
~~~Isabelle, (surprise.)  Comment?\\
~~~Auguste.  Pas question une seconde!  Le malheur, 
moi, \c{c}a me fatigue!\\
~~~Isabelle.  Mon pauvre ch\'eri!\\
~~~Auguste.  Il y a des amours que le drame ne 
tue pas.  Le n\^otre est un de ceux-l\`a, voil\`a tout.  Va 
te coucher!  Puisque je sais que je t'aime en ce 
moment ... (Il insiste avec force.)  ... en ce moment!  
c'est que je t'aimerai toujours.\\
~~~Isabelle.  Tu me diras ton mal.  Tu ne te 
cacheras pas pour souffrir?\\
~~~Auguste.  Tu es folle!  Souffrir?  Du ridicule!  
De ce que pourront dire les autres!  Les autres!  
Lorsque, entre toi et moi, tout est arrang\'e.\\
~~~Isabelle, (un peu perdue.)  Tout est arrang\'e.\\
~~~Auguste, (il est difficile de savoir s'il est sinc\`ere.)  
Je n'ai d\'ej\`a presque plus mal.  Je me consolerai tout 
\`a fait, je te le promets.  Je suis tellement \'ego\"iste.\\
~~~Isabelle.  Mais alors, tu me pardonnes?\\
~~~Auguste, (un peu solennel.)  Maintenant et pour 
toujours, je te pardonne, mon amour.\\
~~~Isabelle, (d\'esorient\'ee.)  Tu me pardonnes ... 
comme \c{c}a.\\
~~~Auguste.  Oui.  Comme \c{c}a.  Et pas seulement 
parce que j'ai cru te perdre.  Pas seulement parce 
que j'ai eu tellement peur.  Ce pardon-l\`a, tu n'en 
voudrais pas.  Et tu n'aurais pas tort.\\
~~~Isabelle, (tristement.)  Tu sais ... pourvu que tu 
me pardonnes ... Je ne serai pas difficile sur la 
raison.\\
~~~Auguste.  Cette crise que tu as eue nous aura 
fait gagner du temps!  J'ai compris plus vite, c'est 
tout.  Et, sachant ce que je sais, j'ai la pr\'etention 
que nous soyons heureux encore.\\
~~~Isabelle, (geste vague et triste.)  Heureux!\\
~~~Auguste.  Ah non!  Toi, tu n'as pas le droit 
d'\^etre d\'ecourag\'ee!\\
~~~Isabelle.  Ce sera si difficile.\\
~~~Auguste.  Moins que tu ne crois.  Je ferai mieux 
que pardonner, j'oublierai.  Tu me connais.\\
~~~Isabelle, (avec une gratitude bouleversante.)  Tu 
oublieras?\\
~~~Auguste.  Je ne pourrais pas te pardonner si 
je ne savais pas que j'oublierai.  Et vraiment!  Je 
crois, je sais, je suis s\^ur qu'un jour, dans quelque 
temps, je pourrai rencontrer Olivier sans lui casser 
la gueule!\\
~~~Isabelle, (un peu choqu\'ee.)  Oh!\\
~~~Auguste.  Seulement, ne garde pas cet air 
coupable!\\
(M\'echamment, comme tout \`a l'heure.)\\
Aide-moi.  Oublie-le aussi!\\
~~~Isabelle.  Oh!  lui ... bien s\^ure ... mais le d\'ego\^ut ... 
la honte.\\
~~~Auguste.  Oublie le d\'ego\^ut!\\
~~~Isabelle.  J'essaierai.\\
~~~Auguste.  Oublie la honte!\\
~~~Isabelle.  \c{C}a nous est si facile \`a nous, h\'elas!\\
~~~Auguste.  Reste la plus forte de nous deux!\\
~~~Isabelle.  Tu sais donc combien je t'aime?\\
~~~Auguste.  Naturellement.\\
~~~Isabelle.  Tu ne me l'as pas demand\'e!\\
~~~Auguste.  Demain.  Je ne veux pas que ce soit 
parce que je t'\'epate.\\
~~~Isabelle.  Tu as raison:  pas de reconnaissance, 
pas d'admiration, rien que de l'amour.\\
~~~Auguste.  C'est tout \`a fait \c{c}a.\\
~~~Isabelle.  Tu n'as pas peur que je recommence?\\
~~~Auguste.  Non.  Pas toi!  Tu es une femme, 
c'est entendu.  Mais tu es aussi un monsieur!\\
~~~Isabelle, (\'emue.)  Mon ch\'eri! ... Comme tu es 
fort!\\
~~~Auguste.  Je sais ce que je veux.  Va te 
coucher!\\
~~~Isabelle.  Tu ne m'embrasses pas?\\
~~~Auguste.  Tout \`a l'heure.  A t\^ete repos\'ee.  Je 
nous pr\'epare une petite cro\^ute.\\
~~~Isabelle.  Comme tu voudras ... tu sais mieux 
que moi.\\
~~~Auguste.  Il faut croire que tout est vraiment 
redevenu normal parce que je cr\`eve de faim.\\
~~~Isabelle, (en sortant.)  Moi aussi.\\
~~~Auguste, (crie \`a Isabelle.)  C'est ma faute.  Je 
n'avais qu'\`a ne pas l'inviter \`a d\'ejeuner.\\
(Il entre dans la cuisine.)\\
(Olivier et Sophie paraissent, comme au 
premier acte.  Sophie est un peu plus gaie.)\\
~~~Olivier.  Quelle id\'ee de me tra\^iner jusqu'ici!\\
~~~Sophie.  Un peu de tact, mon cher, il faut tout 
de m\^eme les rassurer.  Qu'ils sachent que vous n'\^etes 
pas mort.\\
~~~Olivier.  Moi, je trouve \c{c}a dommage.\\
~~~La voix d'Auguste.  Tout de m\^eme ... quel 
salaud, cet Olivier!\\
~~~Olivier.  Ils le savent!\\
~~~Sophie.  Visiblement!\\
~~~La voix d'Auguste, (\`a pleine voix.)  Dis, tu ne 
trouves pas que c'est un salaud?\\
~~~Olivier.  \c{C}a recommence.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Tellement plus que tu ne 
crois!\\
~~~Olivier, (\`a Sophie.)  Nous n'allons pas \'ecouter 
\c{c}a?\\
~~~Sophie, (souriante.)  Pourquoi?  C'est instructif!\\
~~~La voix d'Auguste.  La seule chose qui me 
console un peu de ne pas l'avoir tu\'e ...\\
~~~Olivier.  Un peu seulement.\\
~~~La voix d'Auguste.  ... C'est la joie qu'a d\^u 
avoir sa femme.\\
~~~Sophie.  La seule que vous m'ayez jamais donn\'ee.\\
~~~Olivier.  Ingrate!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Tu avais dit qu'on ne 
parlerait plus de lui!\\
~~~La voix d'Auguste, (furieuse.)  Non?  Tu voudrais 
peut-\^etre que je le m\'enage.  Que je prenne des gants 
avec cette petite ordure.\\
~~~Olivier.  Je ne suis pas si petit.\\
~~~La voix d'Auguste.  Mais qu'est-ce qu'il y a donc 
dans le mal?  Quelle force terrible?\\
~~~Sophie, (regardant Olivier.)  Oui.  Qu'est-ce qu'il 
y a?\\
~~~Olivier.  Je ne sais pas, moi.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Tu vois bien que tu ne 
peux pas ne pas en parler.\\
~~~La voix d'Auguste.  C'est la derni\`ere fois.  Ils 
n'existent plus.  Supprimons-les!\\
~~~Olivier.  C'est une manie!\\
~~~La voix d'Auguste.  Et la premi\`ere chose que 
je vais faire demain matin, c'est de foutre ses 
fleures aux ordures ...\\
~~~La voix d'Isabelle.  Tu auras bien raison, mon 
ch\'eri.\\
~~~Sophie.  Dommage!\\
~~~La voix d'Auguste.  Je distribuerai ses fruits 
\`a tous les \'etages.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Oui, mon petit Auguste.\\
~~~Oliver.  Oh!  des ananas de Birmanie.\\
~~~La voix d'Auguste.  Et tu me feras le plaisir 
de lui renvoyer tous ses cadeaux!\\
~~~Oliver.  J'en ai le placement.\\
~~~Sophie.  D\'ej\`a?\\
~~~La voix d'Auguste.  C'est \'egal!  La gueule qu'il ferait 
s'il savait qu'il n'a rien pu contre nous!\\
(Olivier a un geste comme pour parler \`a 
Auguste.)\\
~~~Sophie, (l'arr\^etant avec une autorit\'e 
toute nouvelle.)  
Assez.  Allons-nous-en maintenant.  Nous leur 
avons fait assez de mal.  Les voil\`a repartis 
pour quinze ans!\\
~~~Olivier.  A leur sant\'e!\\
(Ils sortent.)\\
~~~La voix d'Auguste.  Ch\'erie?\\
~~~Isabelle, (entrant.)  Mon amour?\\
~~~Auguste, (entrant \`a son tour.)  Tu ne raconteras 
rien \`a ta m\`ere?\\
~~~Isabelle.  Jamais!  Tu es fou?\\
~~~Auguste.  \c{C}a lui ferait trop de peine!\\
~~~Isabelle.  Je ne t'ai jamais autant aim\'e!\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(LE RIDEAU EST TOMBE)\\
  
    
 
  
 
 
     
  
    }
\end{document}