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{
~~~~~~~~~~~~~Le Moulin de la Galette\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Pi\`ece en trois actes de Marcel Achard \\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~Distribution\\
\\
Isabelle~~~~~~~~~~~Yvonne Printemps\\
Sophie~~~~~~~~~~~~Melina Mercouri\\
Lulu~~~~~~~~~~~~~~Francette Vernillat\\
Auguste~~~~~~~~~~~~Pierre Fresnay\\
Olivier~~~~~~~~~~~~~Renaud-Mary\\
Charlot~~~~~~~~~~~~Pierre Mondy\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~D\'ecors de M. Wakhevitch\\
La pi\`ece a \'et\'e cr\'e\'ee \`a Paris, au Th\'e\^atre 
de la Michodi\`erre, le 18 d\'ecembre 1951\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Premier Acte\\
\\
(Fin de matin\'ee, au mois de mai.)\\
(Une pi\`ece mansard\'ee avec un balcon donnat 
largement sur Montmartre dont on aper\c{c}oit les 
maisons \'etag\'ees.)\\
(Ambiance boh\`eme.  Ameublement disparate.)\\
(En temps ordinaire Isabelle d\'ecore des cendriers 
dans un angle de la pi\`ece; Auguste, musicien, joue 
du piston, mais ce matin, ils ne travaillent pas.)\\
(A droite:  une porte sur la chambre.)\\
(Au fond gauche:  porte d'entr\'ee.)\\
(Au premier plan gauche:  un rideau s'entrouve 
sur la cuisine dont on aper\c{c}oit quelques \'el\'ements.)\\
(Au lever du rideau, Auguste est mollement \'etendu 
sur le canap\'e, meuble essentiel.)\\
~~~Isabelle.  Qu'est-ce que tu fais l\`a?\\
~~~Auguste.  Eh ben!  et toi?\\
~~~Isabelle.  Eh ben!  tu vois ...\\
~~~Auguste.  Eh ben!  moi aussi.\\
~~~Isabelle.  Ils seront ici dans trois quarts 
d'heures au maximum.\\
~~~Auguste.  H\'e!  je sais bien.\\
~~~Isabelle.  Le d\'ejeuner n'est pas pr\^et.  La table 
n'est pas mise.\\
~~~Auguste.  H\'e!  je sais bien.\\
~~~Isabelle.  Tu sais aussi \`a quelle point nous avons 
besoin de lui! ...\\
~~~Auguste.  \c{C}a, c'est ce que je sais le mieux.\\
~~~Isabelle.  Nous allons carr\'ement \`a la catastrophe.\\
~~~Auguste.  C'est \`a ne pas y penser!\\
~~~Isabelle.  Qu'est-ce que nous avons comme d\'ejeuner?\\
~~~Auguste.  Pour le moment rien.\\
~~~Isabelle, (stup\'efaite.)  Comment, rien?\\
~~~Auguste.  Pour le moment, absolument rien.\\
~~~Isabelle.  Tu invites ton cousin \`a dejuener, notre 
avenir d\'epend enti\`erement de l'impression que nous 
allons lui faire, et tu n'as rien \`a lui offrir pour 
d\'ejeuner?\\
~~~Auguste.  Absolument rien.\\
~~~Isabelle.  \c{C}a, alors! ...\\
(Elle est sur le point de s'\'ecrouler sur le fauteuil.  
Il l'arr\^ete \`a temps.)\\
~~~Auguste.  Pas sur le fauteuil!  Tu vas te 
casser la gueule!\\
~~~Isabelle.  Je suis \'ecroul\'ee.\\
~~~Auguste.  Ecroule-toi sur quelque chose de 
solide.\\
~~~Isabelle, (en s'asseyant ailleurs, r\'ep\`ete.)  Ecroul\'ee!\\
~~~Auguste.  C'est \'ecroulant!\\
~~~Isabelle, (r\'evolt\'ee.)  Ce n'est pas possible!\\
~~~Auguste.  H\'e si!  mon pauvre ch\'eri!  Je vais te 
le faire confirmer.\\
(Il appelle.)\\
Emile!\\
(Sort de la cuisine Lulu, une gentille fillette 
de quatorze \`a quinze ans, dans un tablier d'\'ecoli\`ere 
\`a carreaux rouges, un petit fichu noir sur 
le dos, les cheveux coifff\'es en queue de cochon, 
des bas de coton noir dans des espadrilles.)\\
~~~Lulu.  Oui, Monsieur!\\
~~~Auguste.  Est-ce que le boucher a apport\'e la 
viande?\\
~~~Auguste et Lulu, (ensemble.)  Non, Monsieur.\\
~~~Auguste.  Et l'\'epicier, est-ce qu'il est venu?\\
~~~Auguste et Lulu, (ensemble.)  Non, Monsieur.\\
~~~Auguste.  Et le vin, on l'a livr\'e?\\
~~~Auguste et Lulu, (ensemble.)  Non, Monsieur.\\
~~~Auguste \`a Lulu.  Merci, Emile!\\
(Lulu sort.)\\
~~~Isabelle.  Ne l'appelle pas Emile!  Tu sais bien 
que \c{c}a l'agace!\\
~~~Auguste, (dans la r\^everie.)  J'aurais tant voulu 
avoir un valet de chambre!\\
~~~Isabelle.  Tu avais t\'el\'ephon\'e?\\
~~~Auguste.  Oui.\\
~~~Isabelle.  Chez Blanchard?\\
(Auguste confirme de la t\^ete.)\\
Chez Charvet?\\
(M\^eme jeu.)\\
Chez Nicolas?\\
~~~Auguste, (m\'elancolique et un peu pein\'e.)  J'avais 
t\'el\'ephon\'e.  Mais faut croire que \c{c}a ne suffit pas!\\
~~~Isabelle.  Et tu n'as pas du tout d'argent?\\
~~~Auguste, (gai.)  Aujourd'hui, pas du tout.\\
~~~Isabelle.  Tu n'en avais d\'ej\`a pas beaucoup hier.\\
~~~Auguste.  J'en aurai demain.  Pas beaucoup.  
Mais demain, j'aurai probablement de quoi payer 
notre d\'ejeuner d'aujourd'hui.\\
~~~Isabelle.  Tu travailles ce soir?\\
~~~Auguste.  Je pistonne de neuf heures \`a deux 
heures du matin au bal Wagram.\\
~~~Isabelle.  Un homme comme toi!\\
~~~Auguste, (ga\^iment ardent.)  Que veux-tu?  Je 
suis psiton, je joue du piston.  (Avec regret.)  Le 
seul ennui, c'est que je n'en joue pas assez.\\
~~~Isabelle.  Quand je pense que tu n'as pas de 
travail r\'egulier.\\
~~~Auguste.  \c{C}a, mon amour, c'est un peu ta faute.  
J'ai demand\'e \`a Fred une augmentation, comme tu 
me l'avais dit.  Et il m'a foutu \`a la porte, comme 
je te l'avais dit.\\
~~~Isabelle, (sinc\`ere.)  Ils verront!  Le jour o\`u on 
jouera ton concerto.\\
~~~Auguste.  Un concerto pour cornet \`a piston et 
orchestre, tu sais, il n'y a pas beaucoup d'amateurs ... 
Meyerbeer a mis dix ans pour faire ex\'ecuter le sien.\\
~~~Isabelle.  Je suis s\^ure que c'est \`a cause de ton 
scherzo de la \textit{Possession}.  Tu es carr\'ement all\'e trop 
loin ...\\
~~~Auguste, (avec d\'elice.)  Oui.  Il est peut-\^etre un 
peu sensuel.\\
~~~Isabelle.  Un peu!  Et je te poss\`ede!  Et tu me 
poss\`edes!  Ils n'en finissent pas.  Et il y a un fa 
di\`ese d'une inconvenance ...\\
~~~Auguste, (un peu sec.)  Je suis sensuel, c'est 
entendu.  Mais je ne suis pas libertin.\\
~~~Isabelle, (pleine de restriction.)  ... Que tu dis!\\
~~~Auguste.  La possession, \c{c}a existe, non?  D'ailleurs, 
nous allons faire une chose ...\\
~~~Isabelle, (l'interrompant.)  On n'aura pas le temps.  
Il faut penser \`a ce d\'ejeuner.\\
~~~Auguste.  Ce n'est pas ce que je voulais dire ...\\
~~~Isabelle.  D'autant plus que je cr\`eve de faim.\\
~~~Auguste, (tendrement.)  Ma pauvre jolie!  D'habitude, 
c'est moi!\\
~~~Isabelle.  J'ai tellement faim.  Je mangerais 
m\^eme quelque chose que je n'aimerais pas.\\
~~~Auguste, (inquiet.)  Tu mangerais du foie de 
veau, par exemple?\\
~~~Isabelle, (sans plaisanter.)  Je le jure!\\
~~~Auguste, (constern\'e.)  Oh!  (S\'erieusement.)  Il faut 
absolument que je fasse un effort.\\
~~~Isabelle, (tendrement.)  Je t'en prie.\\
~~~Auguste.  Combien doit-on \`a la m\`ere Moncey?\\
~~~Isabelle.  La derni\`ere fois que je l'ai vue, elle 
parlait de te casser son parapluie sur la figure ...\\
~~~Auguste, (pessimiste.)  Oui.  Us\'ee.  C'est bien ce 
que je craignais.\\
~~~Isabelle.  Tout \`a fait us\'ee.\\
~~~Auguste.  Et \`a l'Italien?\\
~~~Isabelle.  Barbinelli?  Eh bien! ... euh ... on doit 
lui devoir mille ou quinze cents franc de moins 
qu'\`a elle.\\
~~~Auguste.  Mais pourquoi \c{c}a?  Il n'y a pas de 
raison.  Un \'etranger!  Allez, allez; c'est lui qui va 
nous offrir le d\'ejeuner?\\
~~~Isabelle.  Comment?\\
~~~Auguste.  Je vais lui faire le coup des Poliakov.\\
~~~Isabelle.  C'est quand tu prends l'accent russe?\\
~~~Auguste, (cabotinant.)  Oui, c'est quand je prends 
l'accent russe.\\
~~~Isabelle, (d\'esol\'ee.)  Mais tu le prends comme un 
cochon!\\
~~~Auguste.  Ne dis donc pas tout le temps des 
b\^etises!  L'accent russe est une de mes sp\'ecialit\'es!  
N'oublie pas que je suis musicien.\\
~~~Isabelle.  Piston!  \c{C}a t'aide pour l'accent russe?\\
~~~Auguste.  Surtout avec un Italien!\\
~~~Isabelle.  Oui, peut-\^etre.  Admettons, il te prend 
pour Poliakov.  Et puis?\\
~~~Auguste.  Poliakov habite au-dessous.  Chauffeur 
de taxi.  Tr\`es bonne r\'eputation.  Pas de dettes connues.  
Bon.  Je fais ma commande.  Barbinelli m'envoie 
le commis ... (Geste d'Isabelle.)  ... qui ne me conna\^it 
pas, soulign\'e.  Bon.  Je l'attends dans l'escalier.  Je le 
remercie avec l'accent russe en lui disant que je 
passerai payer.  Et je remonte faire la cuisine.  Ce 
n'est pas plus difficile que \c{c}a.\\
~~~Isabelle.  Et si l'Italien vient lui-m\^eme au lieu 
d'envoyer son commis?\\
~~~Auguste, (hautain.)  Tu penses qu'il va se d\'eranger 
pour un chauffeur!\\
~~~Isabelle.  Essayons.  Qu'est-ce que tu risques?\\
(Elle appelle.)\\
Lulu!\\
~~~Auguste.  Pourquoi appelles-tu Lulu?\\
~~~Isabelle.  Je veux qu'elle entende \c{c}a!\\
~~~Auguste, (d\'esol\'e.)  Oh!  elle va rigoler!\\
~~~Isabelle.  On ne la paie pas, c'est bien le moins 
qu'elle rigole de temps \`a autre.\\
(Lulu entre.)\\
(Auguste compose un num\'ero de t\'el\'ephone.)\\
~~~Isabell (\`a Lulu.)  Ecoute \c{c}a!\\
(Lulu s'assied.)\\
~~~Auguste (dans le t\'el\'ephone, avec un accent russe 
d\'esolant d'inexactitude.)  All\^o!  La maison Barbinelli?  
Ici, Poliakov!\\
~~~Lulu, (folle de joie.)  Il prend l'accent russe!\\
(Elle pouffe silencieusement.)\\
~~~Auguste, (\`a Isabelle, de sa voix normale.)  Tu 
vois, elle s'en aper\c{c}oit tout de suite.\\
(Dans l'appareil, plus russe que jamais.)\\
Fedor Pavlovitch Poliakov, 14, rue de l'Abreuvoir.\\
(Accent russe \`a couper au couteau.)\\
Cher Barbinelli, donc!  Mais laissez-moi parler 
au nom du P\`ere!  Cher Barbinelli, donc!  Vous 
envoyez tout de suite par petit commis gros poulet 
aux spaghetti ...\\
~~~Isabelle, (impartiale.)  comme un cochon ...\\
~~~Auguste (\'eclate de rire dans l'appareil et dit \`a 
Isabelle sur un ton de reproche.)  Naturellement, 
si tu me fais rigoler.\\
(A Barbinelli.)\\
Que voulez-vous?  elle m'a fait rigoler.\\
(On entend des vocif\'erations dans l'appareil.)\\
Ce qu'il peut m'engueuler, ce n'est pas croyable ...\\
(A Isabelle.)\\
Je lui commande quand m\^eme le d\'ejeuner.\\
~~~Isabelle, (\'ecoute et conclut.)  C'est pas la peine.\\
(Il raccroche.  Lulu pouffe.)\\
~~~Auguste.  Ne nous affolons pas.\\
~~~Isabelle.  C'est pourtant la seule chose \`a faire.\\
~~~Auguste.  Il reste peut-\^etre quelques pommes 
de terre.\\
~~~Isabelle.  Quelles pommes de terre?\\
~~~Lulu.  Il n'y a pas de pommes de terre.\\
~~~Auguste.  M\^eme pas de pommes de terre!\\
~~~Isabelle.  Tu comptais lui offrir des pommes de 
terre?\\
~~~Auguste.  Pour le faire patienter!\\
~~~Isabelle.  La seule chose qu'on puisse lui servir, 
c'est un rince-doigts.\\
~~~Auguste, (optimiste malgr\'e tout.)  Remarque qu'il 
ne va peut-\^etre pas venir!\\
~~~Isabelle.  Ce serait le comble!\\
~~~Auguste.  Le comble, non.  Nos familles sont 
brouill\'ees depuis vingt ans.  Lui et moi sommes 
vaguement r\'econcili\'es.  Si vaguement que je n'ai 
jamais eu l'occasion de te le pr\^esenter.  Et il doit 
bien se douter que si je l'invite \`a d\'ejeuner, c'est 
avec une id\'ee de derri\`ere la t\^ete.\\
~~~Isabelle.  Alors, il est joli gar\c{c}on, ton cousin 
Olivier?\\
~~~Auguste.  Cherchons plut\^ot ce qu'on va lui 
donner \`a manger.\\
~~~Isabelle.  Laisse-moi r\'efl\'echir.\\
~~~Auguste.  R\'efl\'echissons!\\
~~~Isabelle.  Ne me regarde pas r\'efl\'echir.  Parce 
que je pense que tu me regardes et je ne pense pas 
\`a r\'efl\'echir.  Je pense \`a \^etre jolie et \`a avoir 
l'air de r\'efl\'echir.\\
~~~Auguste.  Quelle id\'ee de donner de la nourriture 
\`a des gens qu'on invite!  La conversation devrait 
suffire.  Nous, les d\'ejeuners, \c{c}a ne nous int\'eresse 
pas.\\
~~~Lulu, (avec admiration.)  Non.  \c{C}a ne vous int\'eresse 
pas.  J'ai remarqu\'e.\\
~~~Isabelle.  Moi, aujourd'hui, si.\\
~~~Auguste.  Mais il y a des femmes qui feraient 
des folies pour ne manquer qu'une fois par jour! ... \\
(A Isabell.)\\
Tu vois la chance que tu as.\\
~~~Isabelle, (apr\`es l'avoir examin\'e un instant.)  Tu 
trouves que c'est bien le moment de faire le guignol!\\
~~~Auguste.  C'est toujours le moment de faire le 
guignol!\\
(Lulu pouffe.  Auguste lui lance un oeil 
complice.)\\
~~~Isabelle.  A notre \^age! ... Quand on a ... Tu 
sais l'\^age que j'ai?\\
~~~Auguste.  Oui, mon amour et m\^eme je te 
demande bien pardon.\\
~~~Isabelle.  D'ailleurs tu as le m\^eme.  Alors, \`a 
cet \^age-l\`a, on pourrait tout de m\^eme prendre la 
vie plus s\'erieusement.\\
~~~Lulu, (un cri du coeur.)  Oh non!  Madame!\\
~~~Auguste.  Tu lui fais de la peine, \`a cette petite.\\
~~~Isabelle.  Va donc voir \`a la cuisine si j'y suis, 
toi.\\
(Lulu sort en tra\^inant les pieds.  Avec curiosit\'e.)\\
Tu ne te fais pas un peu de bile, en ce moment.\\
~~~Auguste.  En ce moment pr\'ecis, si!  En ce 
moment, je passe un tr\`es mauvais moment.\\
~~~Isabelle.  Merci.\\
~~~Auguste.  Seulement l'heure la plus noire n'a 
quand m\^eme que soixante minutes.\\
~~~Isabelle.  Et allez donc!\\
~~~Auguste.  Attends un peu!  Il va nous arriver 
quelque chose d'\'epatant!\\
~~~Isabelle.  Tu es incurable!\\
~~~Auguste.  Ecoute, mon amour.  Dans la vie, j'ai 
d\'ej\`a cru une douzaine de fois que tout \'etait perdu.  
Rien, maintenant, ne pourra m'emp\^echer d'esp\'erer.\\
~~~Isabelle.  D'esp\'erer quoi?\\
~~~Auguste.  D'esp\'erer un point c'est tout.  De 
tous les animaux l'homme est le seul qui esp\`ere.  Et 
tu voudrais m'enlever \c{c}a?\\
~~~Isabelle, (touch\'ee et getille.)  Non.\\
~~~Auguste.  A propos, ce n'est pas la peine de 
te demander si tu as plac\'e quelques-un de tes 
cendriers artistiques.\\
~~~Isabelle.  ... Pas la peine.\\
~~~Auguste, (r\'evolt\'e.)  Pas un seul?\\
~~~Isabelle.  Pas un.  Tout le monde reconna\^it que 
je suis une artiste:  belle p\^ate---coloris audacieux.  
Mais on ne m'ach\`ete rien.\\
~~~Auguste.  Laisse donc, ils seront bien emb\^et\'es 
un jour.  Atchoum!\\
~~~Isabelle.  A tes souhaits!\\
~~~Auguste.  Je souhaite trop de choses.\\
(Il tire son mouchoir.)\\
Bon Dieu de bon Dieu!\\
~~~Isabelle.  Quoi encore?\\
~~~Auguste.  Un noeud \`a mon mouchoir!\\
~~~Isabelle.  Et alors?\\
~~~Auguste.  \c{C}a doit \^etre tr\`es emb\^etant.\\
~~~Isabelle.  Pourquoi?\\
~~~Auguste.  Je fais un noeud \`a mon mouchoir 
quand j'ai un ennui dont il faut que je me souvienne.\\
~~~Isabelle.  C'est nouveau, \c{c}a?\\
~~~Auguste.  Moi, que veux-tu?  mes ennuis, je 
les oublie tout de suite.  Et il y en a tout de m\^eme 
dont il faut s'occuper.  Sans \c{c}a, ils deviennent vite 
des emmerdements.\\
~~~Isabelle.  Et celui-l\`a, c'en serait un.\\
~~~Auguste.  Faut croire!\\
~~~Isabelle.  Qu'est-ce que \c{c}a peut bien \^etre?\\
~~~Auguste.  Je n'en ai aucune id\'ee.\\
~~~Isabelle.  Le loyer?\\
~~~Auguste.  Bien plus urgent que \c{c}a!\\
~~~Isabelle.  Les imp\^ots?\\
~~~Auguste, (qui se tord.)  Je te dis que c'est urgent!\\
~~~Isabelle.  Un huissier?\\
~~~Auguste.  \c{C}a m'etonnerai!  Personne n'y croit 
plus aux huissiers!\\
~~~Isabelle.  Le t\'el\'ephone qu'on va nous couper?\\
~~~Auguste, (ga\^iment.)  Un ennui, je te dis!\\
~~~Isabelle.  L'\'electricit\'e, peut-\^etre.\\
~~~Auguste.  On ne cherche qu'\`a les oublier et 
il va falloir les passer tous en revue!\\
~~~Isabelle.  Maman t'a peut-\^etre annonc\'e sa 
visite?\\
~~~Auguste, (mondain.)  Quelle horreur, non!  Il 
n'est pas question de \c{c}a.  Manquait plus que 
de me faire penser \`a ta m\`ere!\\
~~~Isabelle.  Je te demande pardon.\\
~~~Auguste.  D'ailleurs ... dis donc ... on pourrait 
peut-\^etre lui ... Non.  Hein?\\
~~~Isabelle, (comme tout \`a l'heure.)  Us\'ee.\\
(On tambourine \`a la porte.)\\
~~~La voix de Charlot.  Ouvrez, les enfats.  C'est 
moi, Charlot!\\
~~~Auguste.  Ne cherchons plus.  C'est lui.\\
~~~Isabelle.  C'est lui, l'ennui?\\
~~~Auguste, (en allant ouvrir.)  Il me l'avait bien 
dit!  "Je viendrai demain vers midi te r\'eclamer 
mes cinq mille francs."  Et le voil\`a!\\
~~~Isabelle.  Je disparais.\\
(Elle entre dans sa chambre.  Auguste ouvre la 
porte.)\\
(Charlot para\^it.  C'est un brave type, extr\^emement 
robuste, avec un cou de boucher, des 
allures de brute et un coeur d'or.)\\
~~~Charlot, (bonhomme.)  Boujour, les enfants!\\
~~~Isabelle, (de sa chambre.)  Bonjour!\\
~~~Auguste.  Alors, Charlot, toujours exact!\\
~~~Charlot.  Tu vois?\\
~~~Auguste.  On ne peut pas t'en vouloir de \c{c}a.\\
~~~Charlot.  Non, hein?\\
~~~Auguste.  "Je viendrai chercher mes cinq mille 
francs demain vers midi."\\
~~~Charlot, (tirant sa montre.)  Midi dix.\\
(Il va s'asseoir sur le fauteuil, lorsque Auguste 
l'arr\^ete du geste.)\\
~~~Auguste.  Pas sur le fauteuil!  Tu vas te casser 
la gueule!\\
~~~Charlot, (s'asseyant ailleurs.)  Merci ... Alors, tu 
les as?\\
~~~Auguste.  Les cinq mille francs?\\
~~~Charlot.  Oui, les cinq mille francs.\\
~~~Auguste, (carr\'e en affaires.)  Qu'est-ce que tu 
crois?\\
~~~Charlot.  Que tu ne les as pas.\\
~~~Auguste.  Tu as gagn\'e.\\
(Criant vers Isabelle.)\\
Ch\'erie, il a gagn\'e.\\
~~~La voix d'Isabelle, (de la chambre.)  Qu'est-est-ce 
qu'il a gagn\'e?\\
~~~Auguste, (criant.)  Je ne sais pas.\\
(A Charlot.)\\
Au fait, qu'est-ce que tu as gagn\'e?\\
~~~Charlot.  Tu pourrais peut-\^etre ne pas te foutre 
de ma gueule.  En plus.\\
~~~Auguste.  Comment veux-tu que je m'en tire?  
J'ai un ami, Charlot, un type charmant ...\\
~~~Charlot.  Ne te fatigue pas!\\
~~~Auguste.  ... Il me pr\^ete cinq mille francs sans 
explication et si vite que \c{c}a m'a \'epat\'e moi-m\^eme.  
Je le rencontre vingt fois sans qu'il m'en reparle.  
Si bien que je les avais presque oubli\'es.  Et, pour 
le r\'ecompenser de tout ce tact, moi, ce matin, je 
lui r\'eponds que je ne les ai pas.  C'est dur, tu sais ...\\
~~~Charlot.  Je compatis.\\
~~~Auguste.  Tu en avais vraiment besoin?\\
~~~Charlot.  On a toujours besoin de cinq mille 
francs.\\
~~~Auguste.  A qui le dis-tu?\\
~~~Charlot.  Je sais bien.\\
~~~Auguste.  Moi, en ce moment, j'aurais m\^eme 
besoin de ceux que je te dois.  Ainsi, tu vois ...\\
~~~Charlot.  Mais ton concerto?\\
~~~Auguste.  Rien.\\
~~~Charlot.  Il est pourtant formidable.\\
~~~Auguste, (fier.)  Tu l'aimes, hein?\\
~~~Charlot.  Ah!  le passage sur la Possession ... 
C'est d'un os\'e!\\
~~~Auguste.  Oui.\\
~~~Charlot.  Ils se prennent au moins dix fois de 
suite l\`a-dedans.\\
~~~Auguste, (modeste.)  Tout de m\^eme pas.\\
~~~Charlot.  Ce qu'il y a de s\^ur, c'est que je n'y 
m\`enerai pas ma fille!\\
~~~Auguste.  Oh!  tu sais ... ou elles comprennent, 
ou elles ne comprennent pas.\\
~~~Charlot, (lyrique.)  Et le solo de piston?  Quelle 
merveille!\\
~~~Auguste, (humble.)  Veux-tu que je te le joue.  
En acompte.\\
~~~Charlot.  Merci, on m'attend pour d\'ejeuner.\\
~~~Auguste (soupire).  Ah!  oui ... d\'ejeuner!!!\\
~~~Charlot.  \c{C}a va si mal?\\
~~~Auguste, (m\^eme dans ce cas-l\`a, ne peut pas \^etre 
pessimiste.)  \c{C}a ne va pas bien.\\
~~~Charlot.  Et Isabelle?\\
~~~Auguste.  Tu la connais.  Courageuse et tout.  
Elle rigole.  Un peu moins, ce matin.\\
~~~Charlot.  Quelle femme \'epatante!\\
~~~Auguste, (profond\'ement.)  C'est un grand bonhomme!\\
~~~Charlot.  Quand on parle de toi, avec Meunier, 
c'est ce qu'on dit toujours:  "Faut tout de m\^eme 
qu'il ait quelque chose pour \^etre aim\'e de cette 
femme-l\`a."\\
~~~Auguste, (un peu pinc\'e tout de m\^eme.)  Ah!  
vous dites \c{c}a?\\
~~~Charlot.  Oui, mon vieux.\\
~~~Auguste.  Parlons s\'erieusement.  Tu ne peux pas 
me pr\^eter encore cinq mille francs?\\
(Il n'\'ecoute m\^eme pas tant il est s\^ur de la 
r\'eponse.)\\
~~~Charlot.  Peut-\^etre que si!\\
~~~Auguste.  Tant pis, que veux-tu!\\
(Comprenant subitement.)\\
Qu'est-ce que tu dis?\\
~~~Charlot.  Je dis: "Peut-\^etre que si!"\\
~~~Auguste.  Mais tu es fou!\\
~~~Charlot.  Seulement, en \'echange, je te demanderai un 
service.\\
~~~Auguste.  C'est bien ce que je disais, "tu es 
fou!"  A qui veux-tu que je rende service en ce 
moment?\\
~~~Charlot.  Es-tu en bons termes avec ton cousin 
Olivier?\\
~~~Auguste.  En bons termes!  Je l'attends pour 
d\'ejeuner.\\
~~~Charlot, (passionn\'e.)  Non?\\
~~~Auguste.  Malheureusement, je n'ai m\^eme pas 
de pommes de terre \`a lui offrir!\\
~~~Charlot, (tr\`es agit\'e.)  Oh!  fais attention!  Ne 
fais pas l'idiot!  Voil\`a tes cinq mille francs.\\
(Il les lui donne h\^ativement.)\\
~~~Auguste, (rectifiant.)  Nos cinq mille francs!\\
~~~Charlot, (dans le m\^eme \'etat d'agitation.)  Seulement, 
fous-lui un d\'ejeuner de derri\`ere les fagots!\\
~~~Auguste.  Je ne demande pas mieux.\\
~~~Charlot, (encore plus agit\'e.)  Avec de caviar, au 
besoin!\\
~~~Auguste, (appelant.)  Biquette!\\
~~~Isabelle, (de sa chambre.)  Je t'ai d\'ej\`a dit de ne 
pas m'appeler Biquette!\\
~~~Auguste.  J'ai cinq mille francs pour le 
d\'ejeuner.\\
~~~Isabelle, (sortant de sa chambre presque v\^etue.)  
Quoi?\\
~~~Auguste.  C'est ce bon Charlot ...\\
~~~Charlot, (qui a regard\'e sa montre, plus agit\'e que 
jamais.)  \c{C}a va, \c{c}a va, midi vingt, grouille!\\
~~~Auguste.  Je grouille!\\
(Il appelle.)\\
Lulu!\\
~~~Lulu, (sortant de la cuisine.)  Oui, Monsieur.\\
~~~Auguste, (avec une immense autorit\'e.)  Tu vas 
aller chez Barbinelli.\\
~~~Lulu, (l'interrompant.)  Non, Monsieur.\\
~~~Auguste, (d\'ecourag\'e.)  Elle a raison.\\
(Soudain \`a Charlot.)\\
Faut que ce soit toi qui y ailles!\\
~~~Charlot.  Mais jamais de la vie!  Pourquoi?\\
~~~Isabelle.  Trop long \`a vous expliquer.\\
~~~Charlot (ne r\'esiste pas \`a Isabelle.)  Bon.\\
~~~Isabelle.  Prenez quelque chose de pr\^et:  
Homard.  Poulet.  Foie gras.  Salade.  Fromage.  Fruits.  
A votre id\'ee.\\
~~~Auguste, (\`a Lulu, en lui donnant les cinq mille 
francs que Charlot voit despara\^itre m\'elancoliquement.)  
Et toi, chez Nicolas.  Un panier de beaujolais.  
Et de la fine.\\
(A Charlot.)\\
J'ai mes raison.\\
~~~Charlot.  Tu vas le saouler?\\
~~~Auguste.  J'ai mes raison, je te dis.  Grouille!\\
~~~Charlot.  O\`u est-ce, Barbinelli?\\
~~~Auguste.  A deux m\`etres cinquante, en sortant.  
A droite!\\
~~~Isabelle, (\`a Lulu.)  Et dix-huit roses.\\
(A Charlot, en s'excusant.)\\
Je ne veux \'epater personne.  C'est pour cacher 
les trous dans le mur.\\
~~~Charlot.  Permettez-moi de vous les offrir.\\
~~~Auguste, (avant qu'Isabelle ait pu protester.)  La 
fleuriste est de l'autre c\^ot\'e de la rue.  Grouille.\\
~~~Charlot.  Oui, oui.\\
(Il va sortir, suivi de Lulu.)\\
~~~Auguste, (imp\'erieusement.)  Une seconde!\\
(Lulu et Charlot s'arr\^etent.)\\
~~~Charlot.  Quoi?\\
~~~Auguste.  Le service que tu vas me demander:  
ce n'est pas pour taper Olivier? ...\\
~~~Charlot.  C'est-\`a-dire ...\\
~~~Auguste.  Alors, mon vieux, je regrette, reprends 
ton argent.  Mais j'ai eu l'id\'ee le premier ...\\
~~~Charlot.  Je ne veux pas le taper.  Seulement, 
tu va comprendre ...\\
~~~Auguste.  Tout \`a l'heure!  D\`es l'instant que ce 
n'est pas pour le taper, tout va bien.  Grouille!\\
~~~Charlot.  A tout de suite.\\
(Ils sortent laissant la porte ouverte.)\\
~~~Auguste.  Charlot!  La porte!\\
(Il va la fermer violemment, grommelant.)\\
Cette manie de ne jamais fermer ses portes!\\
(Sans se concerter, ils transportent la table au 
milieu de la chambre.  Pendant le transfert, ga\^iment.)\\
Tu as vu?\\
~~~Isabelle.  J'ai vu.\\
~~~Auguste, (dont la ga\^it\'e s'affermit.)  Avoue que 
nous serions bien b\^etes de nous en faire!  Avec nous, 
tout s'arrange toujours au dernier moment.\\
(Ils installent quatre chaises autour de la 
table.)\\
~~~Isabelle.  En effet.  Mais si tu calcules un peu, 
en quinze ans ...\\
~~~Auguste, (l'interrompant.)  D\'ej\`a quinze ans.\\
~~~Isabelle, (reprenant.)  En quinze ans, \c{c}a fait \`a 
peu pr\`es cinq mille fois que \c{c}a s'arrange!  Cinq 
mille derniers moments, cinq mille petits miracles!  
Tu n'as pas peur que nous \'epuisions notre chance?  
Peur que Dieu se fatigue?\\
~~~Auguste.  Dieu!!!  Se fatiguer!!!\\
~~~Isabelle.  De nous!\\
~~~Auguste.  Ecoute, ce n'est pas le moment de 
r\'efl\'echir!  Est-ce qu'on a une nappe sans trous?\\
~~~Isabelle, (qui est all\'ee la chercher dans la commode.)  
Sans trous, non.  Mais la bleue est tr\`es 
convenable.\\
~~~Auguste, (va chercher les assiettes dans le buffet.)  Tu 
comprends bien que je ne peux pas te donner 
le superflu.  Et le n\'essessaire en plus!\\
~~~Isabelle, (qui a \'etal\'e la nappe sur la table.)  Je ne demande pas 
grand-chose.  Je voudrais ... une fois 
dans notre vie ... avoir trois jours d'avance.\\
~~~Auguste, (geste d'impuissance.)  Oui, mais \c{c}a! ... \\
~~~Isabelle.  Je sais bien.\\
~~~Auguste.  Evidemment si tu avais \'epous\'e 
Mortimer.\\
~~~Isabelle, (gaiment.)  On n'\'epouse pas Mortimer.\\
~~~Auguste.  Ne le calomnie pas.  Joli gar\c{c}on et 
riche comme Cr\'esus.  J'ai \'et\'e assez fier que tu 
m'aies pr\'ef\'er\'e.\\
~~~Isabelle.  Je n'aimais que son yacht.\\
~~~Auguste, (en apportant les assiettes en regarde une 
et d\'eclare sans transition.)  On dira que c'est un 
d\'efaut de la porcelaine.\\
~~~Isabelle, (passant son doigt \`a travers la nappe.)  Et 
on mettra ton cousin devant le trou que tu as 
fait avec ta cigarette.\\
~~~Auguste.  Tu crois?\\
~~~Isabelle.  Avec un peu de chance, il nous fera 
peut-\^etre des excuses en croyant que c'est lui.\\
~~~Auguste, (la regarde et hochant la t\^ete.)  Ah!  il 
n'est pas b\^ete, Charlot!\\
~~~Isabelle.  Tu dis \c{c}a parce qu'il t'a pr\^et\'e de 
l'argent?\\
~~~Auguste.  Non.  Au contraire.  \c{C}a, \c{c}a m'inqui\'eterait 
plut\^ot pour lui.\\
~~~Isabell.  Alors?\\
~~~Auguste.  Alors, il para\^it que chaque fois qu'il 
rencontre Meunier, ils disent du bien de moi.\\
~~~Isabelle, (imperceptiblement ironique.)  Tiens!\\
~~~Auguste.  Ils disent:  "Faut tout de m\^eme 
qu'il ait quelque chose pour \^etre aim\'e d'une femme 
comme Isabelle."\\
~~~Isabelle, (affirmant avec force.)  Tu as quelque 
chose.\\
~~~Auguste.  Je ne parle pas de mon talent de 
musicien.\\
~~~Isabelle.  Moi non plus.\\
~~~Auguste, (s'arr\^etant de mettre le couvert.)  De 
quoi parles-tu, alors?\\
~~~Isabelle.  Du personnage que tu es.  De ton 
\'ego\"isme ...\\
~~~Auguste, (l'interrompant.)  Ne me dis pas que tu 
me vois tel que je suis!\\
~~~Isabelle.  Je crois que si!\\
~~~Auguste.  Mais c'est \'epouvantable.\\
~~~Isabelle.  Non.  C'est tr\`es bien.  Tu es tr\`es bien.  
Toi et moi nous sommes \'epatants dans les emb\^etements.  
Reste \`a savoir ce que nous donnerions 
dans le malheur?\\
~~~Auguste, (ahuri.)  Dans le malheur?  Mais on se 
fout de \c{c}a, il n'en est pas question.  Qu'est-ce que 
tu as, ce matin?\\
~~~Isabelle, (sans appuyer.)  Je n'aime pas ce d\'ejeuner.  
J'ai comme un pressentiment qu'il nous apportera 
la catastrophe.\\
~~~Auguste.  Je n'ai pas de pressentiments, moi.  
J'\'evite ainsi les b\^etises qu'on fait en s'effor\c{c}ant de 
les justifier.\\
~~~Isabelle, (apr\`es un silence.)  Ah!  je voudrais 
\^etre la femme que tu crois!\\
~~~Auguste, (compl\`etement d\'econcert\'e.)  Quoi? ... 
(Avec inqui\'etude.)  Mon ch\'eri ... Mais qu'est-ce qui 
se passe?\\
~~~Isabelle.  Je voudrais \^etre quelqu'un comme 
toi ...\\
~~~Auguste.  Ego\"iste ...\\
~~~Isabelle.  Non.  Insouciant.  Gentil.  Gai!\\
~~~Auguste.  Tu es gaie.\\
~~~Isabelle.  Les femmes ne sont jamais vraiment 
gaies!  On les amuse ... Tu m'amuses---et encore 
pas toujours!\\
~~~Auguste, (l\'eg\`erement.)  C'est b\^ete ce que tu dis 
l\`a.\\
~~~Isabell.  Quelquefois je te trouve trop gai.\\
~~~Auguste.  On peut \^etre trop gai?\\
~~~Isabelle.  Et tellement gentil que tu en deviens 
fade.\\
~~~Auguste.  Fade!??!!\\
~~~Isabelle, (gaie.)  Fleur bleue, eau de rose, tisane 
quoi.\\
~~~Auguste.  Oooh!\\
(Il l\`eve un doigt accusateur.)\\
Toi, tu es fatigu\'ee.\\
~~~Isabelle.  Je suis peut-\^etre fatigu\'ee.\\
~~~Auguste.  Aujourd'hui n'est pourtant pas 
que d'habitude!\\
~~~Isabelle.  Au contraire.\\
~~~Auguste.  Eh bien!  alors ...\\
(Ils continuent \`a mettre la table.)\\
~~~Isabelle.  Je me demande ce qui peut te donner 
cette conception de la vie!\\
~~~Auguste, (Honn\^etement surpris.)  J'ai une conception 
de la vie, moi?\\
~~~Isabelle.  Oui; tu crois que c'est une rigolade.\\
~~~Auguste, (avec force.)  C'est une rigolade.  Ch\'erie, 
Charlot qui s'am\`ene avec ses cinq mille francs.  
C'est une rigolade ...\\
~~~Isabelle.  J'ai compris; c'est le piston!  Tu 
crois que la vie est quelque chose dans le genre de ...\\
(Elle imite tr\`es bien un piston qui joue un 
air tr\`es brillant.)\\
Pom ... pom ... pom ... pom pom ... pom ... pom ...
pom ... pom pom ... pom ... pom ... etc.\\
(Et, ce faisant, elle s'amuse.)\\
~~~Auguste.  Tu vois bien que tu es gaie!\\
~~~Isabelle, (avec une vraie ga\^it\'e.)  Mais oui, je 
suis gaie!  Je ne vois pas pourquoi je serais seule 
\`a me faire de la bile! ... Foutons le cendrier sur 
le trou!  l\`a!\\
~~~Auguste, (compl\`etement rassur\'e.)  A la bonne 
heure!\\
~~~Isabelle, (apr\`es l'avoir regard\'e.)  Ton p\`ere avait 
raison.\\
~~~Auguste.  Tu m'\'etonnes!  C'\'etait un vieux 
jeton.\\
~~~Isabelle.  Un vieux jeton qui avait raison.  
"L'amour est vraiment la plus noble d\'efaillance de 
l'intelligence."\\
~~~Auguste.  Dis donc!  Dis donc!\\
(On frappe \`a la porte.)\\
~~~La voix de Charlot.  Grouille!  Je suis charg\'e 
comme un mulet!\\
(Auguste se pr\'ecipite.)\\
~~~Auguste.  Tu as bien tout?\\
(Charlot entre.  Il est effectivement charg\'e 
comme un mulet.  Il porte le panier \`a bouteilles.  
Un \'enorme paquet soigneusement envelopp\'e.  La 
bouteille de fine.  Un paquet plus petit pend \`a 
un de ses doigts par la ficelle.  Et les roses 
rouges surplombent le tout.  Il est essouffl\'e.  
Lulu le suit, les mains vides et va s'asseoir pour 
\'ecouter ce qu'on dit.)\\
~~~Charlot.  Tout.\\
(Offrant les fleurs \`a Isabelle.)\\
Permettez, ch\`ere amie!\\
~~~Isabelle.  Vous auriez d\^u prendre les moins 
ch\`eres.\\
~~~Charlot, (abasourdi.)  Aah!\\
~~~Isabelle.  Ton cousin va s'imaginer qu'on a 
acht\'e celles-ci pour lui!\\
~~~Charlot.  Eh ben?\\
~~~Isabelle.  Si elles avaient \'et\'e un peu fan\'ees, il 
aurait pu croire que nous en avions d'habitude.\\
~~~Charlot, (sinc\`ere.)  Je vous demande pardon.\\
~~~Auguste.  Nous en avons d'habitude.  Pour la 
Pentec\^ote ... tiens ... on en avait!\\
~~~Charlot.  J'ai pris aussi du beurre et de la 
moutarde!\\
~~~Isabelle. Merci.  Mais la moutarde \'etait inutile.  
En quinze ans, nous n'avons jamais manqu\'e de 
moutarde.\\
~~~Auguste, (\`a Charlot pour changer de coversation.)  
Que veux-tu que je demande pour toi \`a Olivier?\\
~~~Charlot.  Tu sais que les garages A.W.B. 
sont \`a lui.\\  
~~~Auguste.  Les A.W.B. aussi?\\
~~~Charlot.  Rue d'Al\'esia, je ne suis que son 
g\'erant.\\
~~~Auguste.  Je ne savais pas.\\
~~~Charlot.  Alors figure-toi que Robillard va 
s'installer \`a Limoges.  Je voudrais que ton cousin 
me donne sa place \`a la fin du mois.  Parce que le 
boulevard Delessert, c'est tout de m\^eme autre chose 
que la rue d'Al\'esia.\\
~~~Auguste.  Je pense bien.\\
~~~Charlot.  Comme client\`ele, rien que des 
femmes chics et des chauffeurs de bonne maison.  
Dans deux ans, je pourrai m'installer \`a Limoges.\\
~~~Auguste.  Bravo!\\
~~~Charlot.  Il doit me fixer un rendez-vous apr\`es-demain.  
Il suffirait que tu lui dises un mot.\\
~~~Isabelle, (qui a install\'e les roses sur une console 
devant le trou dans le mur.)  Charlot!  Est-ce qu'on 
voit encore le trou?\\
~~~Charlot, (ahuri.)  Le trou?  Quel trou?\\
~~~Isabelle.  Il y a un trou dans le mur.  Le 
voyez-vous encore?\\
~~~Charlot.  Non.\\
~~~Isabelle, (devant un autre trou.)  Et celui-ci?\\
~~~Charlot.  Celui-ci non plus.\\
~~~Isabelle.  Merci.  Je finis de m'habiller.\\
(Elle entre dans sa chambre.)\\
~~~Charlot.  Quelle femme!\\
~~~Auguste.  C'est Isabelle!\\
(Montrant les paquets.)\\
Je vais pr\'eparer tout \c{c}a \`a la cuisine.\\
(Il sort.)\\
~~~Charlot, (criant derri\`ere lui.)  Est-ce que je peux me rendre 
utile?\\
~~~La voix d'Auguste.  Mets le beaujolais en 
carafe.  Ce sera plus distingu\'e!\\
~~~Charlot.  Entendu.\\
(Il ob\'eit ... Il transvase le vin dans des carafes 
tr\`es march\'e aux puces.)\\
~~~Lulu, (se levant.)  Deux mille six cents francs.  
Voil\`a votre monnaie, Monsieur.\\
~~~Charlot.  Tu diras que tu as oubli\'e de me 
la rendre.\\
~~~Lulu.  Ah bon! ... Vous les aimez bien, hein?  
vous aussi.\\
~~~Charlot.  Je les aime bien.\\
~~~Lulu, (avec passion.)  Ils sont fous, n'est-ce pas?\\
~~~Charlot.  Pas du tout.  Ne va surtout pas 
t'imaginer une chose pareille!  Ils s'aiment, tu 
comprends, alors, n\'ecessairement ils ne ressemblent 
pas aux autres.\\
~~~Lulu.  Maman dit qu'ils sont fous.  C'est pour 
\c{c}a qu'elle m'a envoy\'e \`a sa place.  Elle ne veut plus 
travailler ici.  Seulement, il para\^it que \c{c}a m'apprendra 
la vie.\\
~~~Charlot.  C'est ta m\`ere qui est folle.  Si tu 
apprends la vie ici, tu es foutue.\\
(A ce moment \'eclate dans la cuisine un tonitruant 
solo de piston suivi de ... )\\
~~~La voix d'Auguste, (criant)  Ch\'erie!  La Marche 
du Homard.\\
~~~La voix d'Isabelle, (de sa chambre.)  Je l'avais 
reconnue!\\
~~~Lulu, (\`a Charlot, avec une admiration \'eperdue.)  
Hein?\\
~~~Charlot.  Ah!  Evidemment.\\
~~~Lulu, (avec un enthousiasme touchant.)  Je voudrais 
mourir pour eux.\\
~~~Charlot, (touch\'e, lui tapotant les joues.)  Tu 
serais plus utile \`a la cuisine!\\
~~~Lulu.  Vous croyez?\\
(Elle entre vivement dans la cuisine.)\\
~~~La voix d'Isabelle.  Et le dessert, qu'est-ce que 
c'est?\\
(Quelques notes du piston d'Auguste.)\\
~~~La voix d'Isabelle.  Chouette!  des framboises!\\
(Ahurissement de Charlot.)\\
~~~Charlot, (qui a fini son travail de sommelier.)  Auguste!  
j'ai fini.  Il n'y a plus de carafes.\\
(Auguste para\^it.  Il a nou\'e un tablier rose \`a 
carreaux, tr\`es propre, sur son costume.)\\
~~~Auguste, (l\'eg\`erement.)  Merci pour tout, mon 
vieux Charlot!\\
~~~Charlot.  Ne parlons plus de \c{c}a.\\
~~~Auguste.  Tu veux dire "plus jamais"?\\
~~~Charlot.  Je veux dire:  "N'en parlons plus 
ce matin."\\
~~~Auguste.  Oui.  Plus jamais, c'\'etait trop beau ...\\
~~~Charlot.  D'ailleurs, tu sais que j'ai horreur 
de ce genre de conversation.\\
~~~Auguste.  \c{C}a tombe bien.  Moi aussi.  Mais que 
la foudre m'\'ecrase si mon premier argent n'est pas 
pour toi!\\
(Terrifiante explosion au dehors.)\\
~~~Auguste, (livide.)  Qu'est-ce que c'est que \c{c}a?\\
~~~La voix d'Isabelle.  Ne vous inqui\'etez pas.  La 
concierge m'a pr\'evnue.  Ils font sauter de vieilles 
maisons insalubres.  Nous y aurons droit pendant 
trois jours.\\
~~~Auguste, (rassur\'e.)  Ah bon!\\
~~~Charlot, (malicieusement.)  Tu as eu peur, 
hein?\\
(Il rit.)\\
Tu as cru que la foudre s'occupait de toi!\\
~~~Auguste, (qui rit aussi.)  Mets-toi \`a ma place.  
Ceci dit, je ferai quand m\^eme tout ce que je pourrai.\\
(Il lui donne une grande tape dans le dos.)\\
~~~Charlot.  Et n'oublie pas mon garage!\\
~~~Auguste.  C'est jur\'e.\\
~~~Charolot.  Au fond, tu es \'epatant!\\
~~~Auguste, (s\'erieux et gentil.)  Oui, pour garder 
un ami comme toi, faut tout de m\^eme que j'aie 
quelque chose.  Au revoir, vieux!\\
(Il rentre dans la cuisine.)\\
~~~Charlot, (criant vers la chambre.)  Au revoir, 
Isabelle!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Au revoir, mon bon 
Charlot!\\
(Charlot sort en laissant une fois de plus 
la porte ouverte.)\\
~~~La voix d'Auguste.  Quel chic type, hein?  ce 
Charlot.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Je l'adore.  Mais comment 
vas-tu lui rendre ses dix mille francs.\\
~~~La voix d'Auguste.  Il a dit que \c{c}a ne pressait 
pas.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Mais encore?\\
~~~La voix d'Auguste.  J'avoue que je compte un 
peu sur Olivier.\\
(Olivier vient justement de para\^itre sur la 
porte, s'effa\c{c}ant pour laisser passer Sophie.  Ils 
sont tous deux d'une grande \'el\'egance.)\\
~~~Olivier.  Tiens!  Auguste compte sur moi!\\
~~~Sophie, (choqu\'ee.)  Vous n'allez pas \'ecouter?\\
~~~Olivier, (imp\'erieux.)  Oh!  que si!  Je suis tr\`es 
curieux, ma ch\`ere.\\
~~~Sophie.  Je sais.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Alors, il est joli gar\c{c}on?\\
~~~La voix d'Auguste.  Olivier?\\
~~~La voix d'Isabelle.  Oui.  Olivier.  Il est joli 
gar\c{c}on?\\
~~~La voix d'Auguste.  Il est mieux que \c{c}a.\\
~~~Olivier, (sardonique, \`a Sophie.)  Et vous ne 
vouliez pas que j'ecoutasse?\\
~~~La voix d'Auguste.  Il est merveilleux.  El\'egant.  
De la race, de l'allure, une classe folle.\\
~~~Olivier.  Merci, Auguste.\\
~~~La voix d'Auguste.  Beaucoup mieux que moi.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Est-ce que tu ne m'as pas 
dit aussi qu'il \'etait tr\`es intelligent?\\
~~~La voix d'Auguste.  Tr\`es.\\
~~~Olivier.  Je ne sais plus o\`u me mettre.\\
~~~La voix d'Auguste.  Il a des formules \'epatantes.  
Il m'a dit un jour---je ne sais pas si j'\'etais 
vis\'e---"C'est toujours par hasard qu'on accomplit son 
destin." \\      
~~~Sophie, (souriant \`a Olivier.)  Tr\`es bien.\\
~~~Olivier, (modeste.)  Pas mal!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Dis donc ... il ne faudra 
pas essayer de jouer au plus fin avec lui.\\
~~~La voix d'Auguste.  Oh!  je n'essaierai pas.  Je 
lui dirai tout, carr\'ement.\\
~~~Olivier.  C'est tellement mieux.\\
~~~La voix d'Auguste.  Surtout qu'il est spirituel 
aussi.\\
~~~Olivier.  C'est trop, c'est trop.\\
~~~Sophie, (souriante).  Pas du tout!\\
~~~La voix d'Auguste.  Il a toujours l'air de se 
foutre de ma gueule.\\
~~~Olivier, (rectifiant.)  Pas toujours.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Et elle?\\
~~~Olivier.  A vous, ma ch\`ere.\\
~~~La voix d'Auguste.  Elle est exquise simplement.\\
(Olivier salue Sophie.)\\
Un charmant accent \'etranger.  Des yeux sublimes.  
Un sourire d\'esarmant.  Et une gentillesse!\\
(Olivier salue chaque fois.)\\
Ils forment un couple sensationel!\\
~~~Sophie.  Je suis g\'en\'ee!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Et elle l'aime?\\
~~~La voix d'Auguste.  Elle ne parle pas beaucoup.  
On ne peut pas savoir.\\
~~~Olivier, (regarde intens\'ement Sophie.)  Je croyais 
que \c{c}a se savait.\\
~~~Sophie, (insolente.)  Il semble que non!\\
~~~La voix d'Auguste.  Ce qui est certain, c'est 
qu'elle lui pardonne tout.  Et je te prie de croire 
qu'elle a du travail.\\
~~~Olivier.  \c{C}a se g\^ate!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Il se conduit mal avec elle?\\
~~~La voix d'Auguste.  Un vrai salaud, oui.\\
(Violente r\'eaction de Sophie, r\'eprim\'ee par 
Olivier.)\\
~~~La voix d'Isabelle.  Il ne l'aime donc pas?\\
~~~La voix d'Auguste.  Ben! ...\\
~~~Sophie, (r\'evolt\'ee.)  Vous allez le laisser parler 
de nous?\\
~~~Olivier, (imp\'erativement.)  C'est tr\`es int\'eressant.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Ne chuchote pas comme \c{c}a.  
Je n'entends pas ce que tu dis.\\
~~~La voix d'Auguste.  Je ne dis encore rien, je 
r\'efl\'echis.  Olivier est tellement compliqu\'e.  Il la 
torture, mais il l'aime peut-\^etre.\\
~~~Olivier, (\`a Sophie.)  Qu'en pensez-vous?\\
~~~Sophie, (glac\'ee.)  Je n'ai pas envie de penser \`a \c{c}a ...\\
~~~La voix d'Auguste.  Elle \'etait peut-\^etre snob.  
Lui \'etait s\^urement pauvre.  Elle a peut-\^etre voulu 
\^etre re\c{c}ue.  Lui a s\^urement voulu ne plus \^etre pauvre.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Oui.  Un m\'enage comme 
il y en a tant.\\
~~~La voix d'Auguste.  Parce qu'elle a beau \^etre 
jolie, tu peux \^etre s\^ure qu'il s'est surtout int\'eress\'e 
\`a son argent.\\
~~~Sophie, (un crie de r\'evolte.)  Oh!\\
~~~La voix d'Auguste.  Je te jure que si!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Mais je ne dis pas le 
contraire.\\
~~~La voix d'Auguste.  Si.  Tu dis "Oh!"\\
~~~La voix d'Isabelle.  Pourquoi veux-tu que je 
dise "Oh!"\\
~~~La voix d'Auguste.  Alors, tu bois, toi aussi?\\
~~~La voix d'Isabelle.  Comment, moi aussi?\\
~~~La voix d'Auguste.  Parce qu'elle boit, \`a ce 
qu'on dit!\\
~~~Sophie, (sous le regard d'Olivier, baisse la t\^ete.)  
Faites-le taire!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Non?\\
~~~La voix d'Auguste.  Tu n'as pas vu ce que j'ai 
achet\'e comme vin rouge?\\
(Olivier d\'esigne m\'echamment les carafes \`a 
Sophie.)\\
~~~La voix d'Isabelle.  Elle voit du vin rouge?\\
~~~La voix d'Auguste.  Elle boit ce qu'on lui 
donne.  On n'a jamais su si c'\'etait par go\^ut ou parce 
qu'elle essayait d'oublier.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Je la plains dans les deux 
cas.\\
~~~Sophie, (\`a Olivier.)  Elle est gentille.\\
~~~La voix d'Auguste.  Si ce n'est pas simplement 
de l'alcoolisme, en ce moment elle doit essayer 
d'oublier une fille de chez Lanvin.\\
~~~Olivier, (tr\`es calmement.)  Quel gaffeur!  Vous 
ne le saviez pas!\\
~~~Sophie, (douloureusement.)  Oh!\\
~~~La voix d'Auguste.  Et ne dis pas tout le temps 
"oh!" ... c'est aga\c{c}ant!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Et toi, ne me dis pas tout 
le temps de ne pas dire "oh!" parce que \c{c}a 
m'\'enerve.\\
~~~La voix d'Auguste.  Ce n'est pas tout.  Il a 
bien failli aller en prison.  Et pas \`a cause de la 
politique ... On l'avait m\^eme chass\'e de son cercle.\\
~~~Olivier, (les dents serr\'ees.)  J'y suis rentr\'e.\\
~~~La voix d'Auguste.  Il y est rentr\'e.  A notre 
\'epoque, l'honneur, \c{c}a repousse.\\ 
~~~La voix d'Isabelle.  Bien dit!\\
~~~La voix d'Auguste.  Enfin, pour nous r\'esumer:  
une vraie petite vache!\\
~~~Olivier.  Cher Auguste!\\
~~~La voix d'Auguste.  Si encore il se servait de 
son argent pour faire le bien!  Sil nous en donnait 
un peu, \`a nous!\\
~~~La voix d'Isabelle.  N'y compte pas trop!\\
~~~Olivier.  Non.\\
~~~La voix d'Auguste.  En effet!  Para\^it qu'il est 
tr\`es dur \`a la d\'etente.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Pas de chance!\\
~~~La voix d'Auguste.  C'est \'egal!  La gueule qu'il 
ferait s'il nous entendait!\\
~~~Olivier, (criant.)  Je vous entends.\\
~~~Auguste, (affol\'e.)  Qu'est-ce que tu dis?  Qu'est-ce 
qu'il dit?\\
(Il para\^it \`a la porte de la cuisine, toujours 
en tablier et recule, affol\'e en voyant Olivier.)\\
~~~Olivier, (impassible.)  Je dis:  "Je vous entends."\\
~~~Auguste, (bafouillant.)  Ah oui!\\
~~~Olivier.  C'\'etait bien de moi que vous parliez?\\
~~~Auguste.  \c{C}a d\'epend! ... Depuis quand es-tu l\`a?\\
~~~Olivier.  Je suis arriv\'e \`a "la vraie petite 
vache."\\
~~~Auguste, (soulag\'e.)  Oh! ... \`a ce moment-l\`a, nous 
ne parlions d\'ej\`a plus de toi.\\
~~~Olivier.  Vraiment?\\
~~~Auguste.  Ne sois pas b\^ete.  On parlait de 
quelqu'un de tr\`es dur \`a la d\'etente ... Tu penses bien 
que ce n'\'etait pas de toi!\\
(Faisant d'une pierre deux coups.)\\
Toi, tu n'es pas dur \`a la detente.\\
~~~Olivier, (apr\`es une l\'eg\`ere pause, sans r\'epondre.)  De 
qui parliez-vous, alors?\\
~~~Auguste, (n\'egligent.)  Tu ne connais pas:  
Chaussin!\\
~~~Olivier.  Chaussin.  Chaussin est g\'en\'ereux comme 
le soleil du Midi!\\
~~~Auguste.  Pas avec moi!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Tu ne dis plus rien?\\
~~~Auguste.  C'est parce que le cousin est l\`a, 
Biquette ...\\
~~~Olivier.  Oh!  Biquette!\\
~~~La voix d'Isabelle.  Mais c'est une catastrophe!\\
~~~Auguste, (appuyant sur les mots, avec intention.)  Ne 
t'inqui\`ete pas.  Il vient d'arriver.  Tout va tr\`es 
bien.\\
~~~La voix d'Isabelle.  Ah!  bon ...\\
~~~Auguste.  Il est entr\'e au moment o\`u on parlait 
de la petite vache.  Olivier a m\^eme cru un instant 
qu'il s'agissait de lui.  Crois-tu que c'est dr\^ole ...\\
~~~La voix d'Isabelle, (sans conviction.)  Tr\`es dr\^ole.\\
~~~Auguste.  J'ai d\^u lui expliquer qu'on parlait 
de Chaussin ... Chaussin.\\
(Il articule le nom.)\\
D\'ep\^eche-toi, mais ils t'excuseront.\\
(Sophie pendant cette sc\`ene s'est retir\'ee un 
peu \`a l'\'ecart, a essuy\'e discr\`etement ses yeux et 
s'\'etant compos\'e un visage, est revenue pr\`es des 
deux hommes.)\\
~~~Sophie.  Bien s\^ur!\\
~~~Olivier.  Vous ne dites pas "bonjour" au 
cousin Auguste?\\
~~~Sophie, (souriante, tr\`es femme du monde.)  Bonjour, 
mon cousin!\\
~~~Auguste, (tr\`es mondain.)  Cousine!  Enchant\'e de 
vous revoir.\\
(Sonnerie du t\'el\'ephone.)\\
Vous permettez?\\
(Dans l'appareil avec sa voix normale.)\\
All\^o!  All\^o!\\
(Prenant imm\'ediatement son inimitable accent 
russe.)\\
Qu'est-ce que?  Pas connais ... Pas connais ... 
Auguste Taillade? ... Pas connais ... Ici Fedor Pavlovich 
Poliakov ... Da! ... Da! ... Dada!  Nitchevo! ... 
Pas connais.\\
(Il raccroche et explique \`a ses cousins.)\\
Quelqu'un qui se trompait de num\'ero.\\
~~~Sophie, (polie, mais en souriant.)  Ah!\\
~~~Olivier.  Auguste!  vous n'auriez pas la monnaie 
de cinq mille francs.\\
~~~Auguste.  Non.  Mais merci tout de m\^eme pour 
le compliment!\\
~~~Olivier.  J'ai b\^etement rentr\'e la Cadillac dans 
un camion.  Nous avons d\^u prendre un taxi.  Et le 
chauffeur n'a pas de monnaie.\\
~~~Auguste.  Attends.  (Il appelle.)  Lulu!\\
~~~Lulu, (paraissant.)  Oui, Monsieur.\\
~~~Auguste.  Chez Nicolas, tout \`a l'heure, on t'a 
rendu quelque chose?\\
~~~Lulu.  On ne voulait pas.  Mais j'ai tellement 
gueul\'e qu'on me l'a rendu.\\
~~~Auguste, (\`a ses cousin, n\'egligemment.)  Excusez-la!\\
(A Lulu.)\\
Et ce qu'on t'avait rendu, est-ce que tu l'as rendu 
au monsieur?\\
~~~Lulu.  Ah non!\\
~~~Auguste.  Tu es rudement intelligente, tu sais!\\
~~~Lulu.  C'est le monsieur qu'a pas voulu.\\
(Elle sort l'argent de la poche de son tablier.)\\
~~~Auguste, (\`a Olivier et Sophie.)  J'ai vraiment des 
amis \'epatants.\\
(A Lulu.)\\
Alors, tu vas descendre ...\\
~~~Sophie, (qui d\'esire \^etre seule un instant.)  Si vous 
le permettez, cousin, j'irai moi-m\^eme.\\
~~~Auguste.  Laissez donc!\\
~~~Olivier, (sardonique.)  Vous ne connaissez pas 
Sophie.  Elle n'en fait qu'\`a sa t\^ete.\\
(Il prend l'argent des mains de Lulu et le 
donne \`a Sophie.)\\
~~~Sophie, (souriant \`a Auguste.)  Merci, mon cousin.\\
(Elle sort.)\\
(Auguste veille \`a ce que la porte reste 
entrouverte.)\\
~~~Olivier, (pour inqui\'eter Auguste.)  Elle a vraiment des 
yeux sublimes!\\
~~~Auguste, (tr\`es frapp\'e de reconna\^itre ses propres 
paroles.)  Pourquoi dis-tu \c{c}a?\\
~~~Olivier.  Parce que je le pense! ... Vous ne 
trouvez pas qu'elle a des yeux sublimes?\\
~~~Auguste, (essayant de deviner s'il a entendu.)  
Si.  Si.\\
~~~Olivier.  Je me disais aussi.  Vous seriez le seul.\\
(Il va s'asseoir sur le fauteuil, lorsque Auguste 
l'arr\^ete du geste.)\\
~~~Auguste.  Pas sur le fauteuil.  Tu vas te casser 
la gueule.\\
~~~Olivier.  Merci.\\
~~~Lulu, (d\'esol\'e, \`a Auguste.)  Oh!  pourquoi vous 
l'avez pr\'evenu?\\
~~~Auguste.  File!  Tu as du travail \`a la cuisine.\\
~~~Lulu.  Quelle barbe!\\
(Elle sort.)\\
~~~Olivier.  Pas tr\`es styl\'ee, votre cam\'eriste!\\
~~~Auguste.  Non.\\
(Olivier va s'asseoir sur la chaise \`a la table mise.  
Comme il veut s'accouder, il doit pousser 
l'assiette qui le g\^ene.  Il la regarde.)\\
~~~Auguste, (automatiquement.)  C'est un d\'efaut de la 
porcelaine!\\
~~~Olivier.  Je vois.  Je vois.\\
~~~Auguste.  Merci.\\
~~~Olivier.  Qu'est-ce que c'est que ce type que j'ai 
rencontr\'e dans l'escalier?  Quand il m'a vu, il a 
rabattu son chapeau sur son nez.\\
~~~Auguste.  Pourquoi veux-tu qu'il fasse \c{c}a?\\
~~~Olivier.  J'ai l'impression que je le connais.\\
~~~Auguste.  J'ai \`a te parler.  Nous pourrions profiter 
de ce que les femmes ne sont pas l\`a.\\
~~~Olivier.  Vous cachez des choses \`a votre femme?\\
~~~Auguste.  Moi?  Je ne lui ai pas menti une fois 
en quinze ans!\\
~~~Olivier.  M\^eme par omission?\\
~~~Auguste.  Pas une fois!\\
~~~Olivier, (fredonnant comme si c'\'etait un refrain.)  
"Encore une histoire d'amour---Pas comm' les 
autre---Pas comm' les autres."\\
~~~Auguste.  Probablement.  D'ailleurs, la question 
n'est pas l\`a!\\
~~~Olivier.  En effet.\\
~~~Auguste, (badin.)  Ah!  mon cher Oliver, quel 
ennui de ne pas avoir de chance!\\
~~~Olivier.  Je ne sais pas:  j'en ai!\\
~~~Auguste.  Remarque que je ne d\'esire pas r\'eussir 
trop vite, je ne saurais que faire apr\`es.  Seulement, 
il faut regarder les choses en face:  le piston ne 
nourrit plus son homme.\\
~~~Olivier.  Pourquoi n'avez-vous pas accept\'e les 
propositions que vous ont faits Broquet d'abord, 
Hugonnet ensuite?\\
~~~Auguste, (un peu d'ironie envers lui-m\^eme.)  Avec 
l'argent que j'ai refus\'e, j'ai achet\'e un peu de libert\'e.\\
~~~Olivier.  Oh!  joli! ... Tr\`es belle r\'eponse de 
cigale.  Mais quelqu'un de moins poli que moi serait 
sans doute en droit de vous dire:  "Eh bien!  dansez 
maintenant."\\
(Isabelle entre.)\\
~~~Olivier, (se levant.)  C'est votre femme?\\
~~~Auguste.  C'est Isabelle!\\
~~~Olivier.  Ah!  Alors l\`a, mon cher Auguste, 
bravo!\\
(Bien que visiblement sous le charme d'Isabelle, 
Olivier n'en exag\`ere pas moins les t\'emoignages de 
son admiration jusqu'\`a embarrasser 
celle-ci.)\\
~~~Isabelle.  Je vous remercie.\\
~~~Oliver.  Quels yeux!\\
~~~Auguste.  Oui.\\
~~~Olivier.  Quel sourire!\\
~~~Auguste.  Oui.\\
~~~Olivier.  Quelle silhouette!\\
~~~Auguste.  Oui.\\
~~~Olivier.  Quel myst\`ere!\\
~~~Auguste.  J'aime d\'ej\`a moins \c{c}a.\\
~~~Olivier.  Pourquoi?\\
~~~Auguste.  Le myst\`ere n'est pas une qualit\'e pour 
le mari!\\
~~~Olivier, (\`a Auguste.)  Mais comment avez-vous 
os\'e?\\
~~~Isabelle, (choqu\'ee.)  Je ne vous comprends pas 
bien.\\
~~~Olivier, (rectifiant.)  Comment a-t-il os\'e vous 
cacher pendant quinze ans!\\
~~~Isabelle.  C'est moi qui me suis cach\'ee.\\
~~~Oliver.  Pour \^etre heureuse?\\
~~~Isabelle.  Justement, oui.\\
~~~Oliver.  Avec Auguste?\\
~~~Isabelle, (sans relever l'impertinence.)  Avec 
Auguste.\\
~~~Oliver.  Ah!  alors l\`a, vravo Auguste, bravo!\\
~~~Isabelle.  Ton cousin est tr\`es enthousiaste!\\
~~~Augsute.  Oui.\\
(Changeant de ton.)\\
Nous \'etions en affaires, Oliver et moi ...\\
~~~Isabelle.  Mais naturellement, je reviens dans 
cinq minutes.\\
~~~Olivier, (formel.)  Ah non!\\
~~~Isabelle.  Comment, non?\\
~~~Olivier.  Son histoire ne s'annonce d\'ej\`a pas 
comme quelque chose de tr\`es amusant.\\
(A Auguste.)\\
N'est-ce pas?\\
~~~Auguste, (honn\^ete.)  Ce n'est pas une histoire 
tordante.\\
~~~Olivier.  Alors, vous n'allez pas me punir, 
vous aussi, en vous en allant.\\
~~~Isabelle.  Vous puinir?\\
~~~Olivier.  Restez!\\
~~~Isabelle.  Puisque vous insistez si gracieusement.\\
(Elle s'assied.)\\
~~~Olivier, (\`a Auguste.)  Je vous \'ecoute.\\
(Il s'assied \`a son tour.  Jusqu'\`a l'entr\'ee de sa 
femme, il r\'epondra \`a son cousin sans lui adresser 
un regard, comme fascin\'e par Isabelle.)\\
~~~Auguste.  Je serai tr\`es bref!  Il faudrait que 
tu me pr\^etes trois cent mille francs.\\
~~~Olivier.  C'est entendu.\\
~~~Auguste.  Comment, c'est entendu?  Tu ne me 
demandes m\^eme pas pourquoi?\\
~~~Olivier, (sans le regarder, docilement.)  Pourquoi?\\
~~~Auguste.  Il y a un petit "bar-salon de th\'e", 
tr\`es gentil, tr\`es coquet, \`a Auteuil ...\\
(S'interrompant.)\\
Tu ne m'\'ecoutes pas.\\
~~~Olivier.  Tr\`es coquet, \`a Auteuil ...\\
~~~Auguste.  Avec trois cent mille francs, ils nous 
prendraient pour associ\'es.  Je jouerais du piano 
d'abord.  Et puis, quand \c{c}a marcherait, je pourrais 
reprendre le piston, avec un petit orchestre.\\
~~~Olivier.  Vous n'allez pas me raconter votre 
vie?  Je vous dis que c'est entendu.\\
~~~Auguste, (un peu d\'econcert\'e.)  Je te remercie.\\
~~~Olivier, (cessant seulement de regarder Isabelle.)  
Je vous fais le ch\`eque tout de suite?\\
~~~Auguste.  Si tu veux.\\
~~~Olivier.  Quelle est la date?\\
(Se tournant vers Isabelle.)\\
Elle est \`a retenir!\\
~~~Auguste.  Le 12 mai.\\
~~~Olivier.  J'ai l'air de me r\'ep\'eter.  Mais, alors, 
l\`a, franchement, bravo, Auguste!\\
~~~Isabelle.  Vous \^etes s\^ur que nous pouvons 
accepter?\\
~~~Olivier.  S\^ur!\\
~~~Isabelle.  Auguste aussi?\\
~~~Olivier.  Auguste surtout.\\
~~~Isabelle.  Alors, je vous remercie, moi aussi.\\
~~~Olivier.  Maintenant que les relations sont r\'etablies, 
nous allons nous voir tout le temps, n'est-ce 
pas?\\
~~~Isabelle.  Pas du tout.  Nous allons avoir beaucoup 
de travail.\\
~~~Olivier.  Ah!  vous travaillez aussi?\\
~~~Isabelle.  Naturellement.\\
~~~Olivier.  Oh! \c{c}a, c'est assommant.\\
~~~Isabelle.  Vous viendrez nous voir au bar.\\
~~~Olivier.  Je sais bien.  Je sais bien.\\
~~~Isabelle.  Et si vous nous amenez vos amis, 
nous pourrons peut-\^etre vous rembourser \`a la fin 
de l'ann\'ee.\\
~~~Olivier.  Ne parlons pas de \c{c}a.\\
~~~Isabelle.  Il faut en parler.  Nous vous sommes 
tr\`es reconnaissants de la chance que vous nous 
donnez.  Mais nous devons la m\'eriter.\\
~~~Olivier, (\`a Auguste.)  Demandez-lui de ne plus 
parler de \c{c}a!\\
~~~Auguste.  Il a raison, ne parlons plus de \c{c}a.\\
~~~Isabelle.  Jusqu'en d\'ecembre.\\
~~~Olivier.  C'est bizarre, je vous montre pourtant 
beaucoup de sympathie et on dirait que vous 
avez peur de moi.\\
~~~Isabelle, (\'etonn\'e, sans insolence.)  Moi?\\
~~Olivier.  Je ne suis pourtant pas le diable.\\
~~~Isabelle, (ambigu\"e.)  Tant pis!  \c{c}a m'aurait 
int\'eress\'ee.\\
~~~Olivier.  Vous ne me trouvez pas sympathique?\\
~~~Isabelle, (sans expression.)  Tr\`es!\\
~~~Olivier.  Le plus subtil mensonge des femmes, 
c'est peut-\^etre de mentir mal.\\
~~~Isabelle.  Je mens mal?\\
~~~Olivier.  Assez pour me faire savoir que je ne 
vous suis pas sympathique.\\
~~~Auguste.  Olivier, tu ne voudrais pas me dire 
un mot, de temps en temps?\\
(Sophie entre.)\\
~~~Oliver, (qui ne l'a pas vue.)  Je ne vous suis pas 
sympathique, hein?\\
~~~Sophie.  Mais si!  Mais si ... N'est-ce pas, ma 
cousine?\\
~~~Isabelle.  On le serait \`a moins:  il vient de 
nous pr\^eter trois cent mille francs.\\
~~~Olivier, (irrit\'e.)  Sophie ne s'occupe pas de ces 
d\'etails.\\
~~~Sophie.  ... Sauf pour vous f\'eliciter, aujourd'hui.\\
~~~Isabelle.  Bonjour, ma cousine!  Vous \^etes bien 
jolie.\\
~~~Sophie.  C'est vous qui me dites \c{c}a!\\
~~~Olivier.  Et elle n'est pas \`a son mieux.  Il faut 
la voir lorsqu'elle n'a pas les yeux rouges.\\
~~~Sophie.  Il para\^it.\\
~~~Olivier, (avec une fausse sollicitude.)  Une poussi\`ere 
dans l'oeil, probablement?\\
~~~Sophie, (tr\`es calme.)  Oh!  non ... j'ai peur 
qu'aujourd'hui, ce soit leur couleur naturelle.\\
~~~Olivier.  Ai-je dit quelque chose qui vous ait 
pein\'ee?\\
~~~Sophie, (avec force.)  Vous \^etes probablement la 
seule personne qui ne puisse me faire de peine!\\
~~~Auguste, (\`a Isabelle \`a mi-voix.)  Voil\`a un d\'ejeuner 
qui s'annonce bien.\\
~~~Olivier.  J'ai une femme parfaite, qui comprend 
tout, qui excuse tout.\\
(Apr\`es un soupir.)\\
Malheureusement, je ne la m\'erite pas!\\
~~~Sophie, (souriante, sans aigreur.)  Soyez donc 
naturel!\\
~~~Auguste, (faussement d\'esinvolte.)  On pourrait 
se mettre \`a table.\\
~~~Isabelle.  Excellente id\'ee!\\
(A Sophie.)\\
Vous ici, ma cousine.\\
(A Olivier.)\\
Voulez-vous vous placer \`a ma droite?\\
~~~Olivier, (avec un empressemnt exag\'er\'e.)  Avec 
plaisir!\\
~~~Isabelle.  Et toi, l\`a.  Il est normal que ce soit 
toi qui aies le soleil dans l'oeil.\\
~~~Auguste.  Le soleil ne me g\^ene pas.\\
~~~Olivier, (\`a Isabelle, madrigalisant.)  L'habitude 
de vous regarder, jolie cousine!\\
(Il s'assied.)\\
(Auguste regarde d'une fa\c{c}on un peu appuy\'ee 
son beau cousin avant de crier vers la cuisine.)\\
~~~Auguste.  Lulu!  le homard!\\
~~~Sophie.  Est-ce que je pourrai avoir un verre 
d'alcool?\\
~~~Auguste.  Certainement.\\
(Il \'echange un regard avec Isabelle.)\\
~~~Olivier.  Figurez-vous que cette pauvre Sophie 
a appris ce matin les petites blagues que je faisais 
avec un mannequin de chez Lanvin.\\
(Isabelle et Auguste \'echangent un rapide regard 
d'angoisse qu'Olivier surprend avec plaisir.)\\
~~~Sophie, (sans expression.)  De toutes "petites 
blagues".\\
~~~Auguste, (criant.)  Lulu, apporte la fine!\\
~~~La voix de Lulu, (ahurie.)  La quoi?\\
~~~Auguste, (g\^en\'e.)  La fine!\\
~~~La voix de Lulu.  Avec le homard.  Quelle 
dr\^ole d'id\'ee!\\
~~~Auguste, (souriant \`a Sophie, mais tr\`es emb\^et\'e.)  
Elle est impayable!\\
~~~Sophie.  Impayable!\\
~~~La voix de Lulu, (plaintivement.)  Je ne peux 
pas la d\'eboucher!\\
~~~Auguste, (affectant un ton extr\^emement mondain.)  
Excusez-moi!  Il faut tout faire par soi-m\^eme.\\
(Il entre dans la cuisine.)\\
~~~Sophie, (sinc\`ere.)  Vous \^etes charmants, tous les 
deux.\\
~~~Olivier.  Charmants?  Vous \^etes des ph\'enom\`enes!\\
~~~Isabelle, (affirmative.)  Des ph\'enom\`enes.\\
~~~Olivier.  Les statistiques d\'emontrent que l'amour 
partag\'e est cot\'e cette ann\'ee \`a 3 1/2 pour 100 contre 
21 pour 100 en 1914; 17 1/2 de pertes.  
C'est normal; d'ailleurs la mer se retire tous les ans 
de 1 m. 22.\\
~~~Isabelle.  Ah!\\
~~~Olivier.  Vous faites partie des 3 1/2 pour 100.  
Et vous vivez ici depuis quinze ans.\\
(Auguste est entr\'e avec la bouteille de fine 
et un verre.)\\
Vous r\'eussissez ce tour de force!\\
~~~Auguste, (versant \`a boire \`a Sophie.)  Nous avons 
tout de m\^eme trois pi\`eces.\\
(Sophie boit d'un trait et se reverse \`a boire.)\\
~~~Olivier, (ironique.)  Ah!  tout de m\^eme?\\
~~~Sophie.  Merci.\\
(Auguste va remporter la fine.)\\
Laissez-moi la bouteille.  Je ne veux pas vous 
d\'eranger tout le temps.\\
~~~Auguste, (tout de m\^eme un peu surpris.)  Ah!  
bon!\\
(Sophie boit et se reverse \`a boire.)\\
~~~Olivier.  Il faudra que je vous invite \`a Gros-Rouvre.  
Ils appellent \c{c}a le ch\^ateau.  Ce n'est pas un 
ch\^ateau, mais enfin il y a de la place.  Vous vous 
rendrez compte qu'on peut tout de m\^eme vivre 
ailleurs que rue de l'Abreuvoir.\\
~~~Sophie.  Ne l'\'ecoutez pas!\\
~~~Olivier.  Je ne vous demande pas d'y vivre.  
Auguste ne s'y plairait pas.\\
~~~Auguste.  Isabelle non plus!\\
~~~Olivier.  Je n'en suis pas tellement s\^ur.\\
(Pendant cette discussion dont elle est l'objet, 
Isabelle, que tous les autres regardent, reste 
immobile et sans aucune expression.)\\
~~~Auguste.  Je connais ma femme.\\
~~~Olivier.  Conna\^itre les femmes, c'est savoir 
qu'on ne les conna\^it pas.\\
~~~Auguste, (\`a Isabelle.)  Je te dis, il a des formules 
\'etonnantes!\\
(Isabelle acquiesce de la t\^ete en souriant.)\\
~~~Olivier.  M\^eme une femme d'une seule pi\`ece 
comme Sophie, je ne suis pas s\^ur de la conna\^itre.\\
~~~Sophie.  J'esp\`ere que non.\\
(Elle boit.)\\
~~~Auguste.  Je connais Isabelle.\\
~~~Isabelle, (tr\`es simplement.)  Il me conna\^it.\\
~~~Auguste.  Que ferait-elle d'un ch\^ateau?  Nous 
ne sommes all\'es qu'une fois en vacances.  A Vichy.  
Nous avions encore mal \`a l'estomac, en ce temps-l\`a ...\\
~~~Isabelle.  Tu ne vas pas raconter cette histoire?\\
~~~Auguste.  A l'h\^otel, on nous a montr\'e une 
chambre \`a deux lits.  Et elle a demand\'e:  "Dans 
lequel coucherons-nous?"\\
~~~Sophie, (sinc\`erement.)  C'est adorable.\\
(Elle boit.)\\
~~~Olivier, (\`a Isabelle, dans l'espoir de lui faire 
baisser les yeux.)  Vous avez dit \c{c}a?\\
~~~Isabelle, (qui le regarde avec une expression 
bizarre.)  Je l'ai dit!\\
~~~Olivier.  Et en \'et\'e?\\
~~~Isabelle, (avec le m\^eme sourire singulier.)  Au 
mois d'ao\^ut.\\
~~~Olivier. \c{C}a, alors!\\
~~~Sophie.  Il ne peut pas comprendre.  Il n'a 
jamais aim\'e personne que lui-m\^eme.\\
~~~Olivier, (dans le comique.)  H\'e!  ma ch\`ere, qui 
aimer?\\
~~~Auguste.  Il est superbe!\\
~~~Olivier, (\`a Isabelle.)  Vous peut-\^etre!  Si ce 
veinard d'Auguste ne s'en \'etait pas charg\'e.\\
~~~Auguste, (bon gar\c{c}on \`a Sophie.)  Il plaisante.\\
~~~Sophie.  Pas du tout.\\
(Elle boit.)\\
~~~Olivier, (lyrique.)  Et vous?  Une femme comme 
vous, vous montez \`a pied six \'etages ...\\
~~~Sophie.  Il n'a pas aim\'e \c{c}a.\\
~~~Olivier.  ... Pour retrouver ce galetas!  Pour 
vous asseoir dans ce fauteuil vermoulu!  Pour manger 
dans ces assiettes.\\
~~~Isabelle, Auguste et Olivier, (ensemble.)  C'est 
un d\'efaut de la porcelaine!\\
~~~Isabelle, (sur le m\^eme ton lyrique que lui, elle 
enl\`eve le cendrier.)  Sur cette nappe br\^ul\'ee par 
les cigarettes.\\
(Elle se l\`eve et va vers le mur, d\'eplace les 
roses pour montrer les l\'ezardes.)\\
Entre ces murs dont nous cachons tant bien que 
mal les trous avec des fleurs!  Devant des fen\^etres 
sans rideaux qui donnent sur un cimeti\`ere ...\\
~~~Auguste.  Ne t'\'enerve pas.\\
~~~Sophie.  Vous lui faites tellement plaisir.\\
~~~Isabelle, (calm\'ee, va s'asseoir en disant.)  C'est 
stupide, je vous demande pardon!\\
~~~Olivier.  Ne vous excusez pas.  Votre r\'eaction 
est des plus int\'eressantes.  Mais alors, je me demande 
si j'ai bien fait de vous pr\^eter cet argent.\\
~~~Auguste.  Tr\`es rigolo!\\
~~~Olivier.  Auguste, je suis extr\^emement s\'erieux.  
Dans votre th\'e-bar vous allez voir d'autres gens, 
conna\^itre une autre vie.  Et je me demande si vous 
n'allez pas vous sentir encore plus pauvres.\\
~~~Sophie, (un cri.)  Ne lui r\'epondez pas!  Ne lui 
r\'epondez rien!\\
(Un vrai silence.)\\
~~~Olivier.  Je ne parlais que dans votre int\'er\^et.\\
~~~Auguste, (avec force.)  Alors, Lulu, ce homard?\\
(Il entre dans la cuisine.)\\
~~~Olivier, (sarcastique.)  Auguste est un v\'eritable 
grillon du foyer.\\
~~~Isabelle.  Il est charmant.\\
~~~Olivier.  Vous avez bien dit \c{c}a.\\
(Se penchant vers elle.)\\
D'ailleurs vous dites tout tr\`es bien.  M\^eme les 
choses les plus insens\'ees.\\
~~~Isabelle, (tr\`es gentiment.)  Mon cousin, je sais 
bien que ce sont l\`a d'innocentes plaisanteries, puisque 
vous les faites devant votre femme.\\
~~~Sophie.  Oh!  moi, je ne le g\^ene pas.\\
~~~Isabelle.  Mais vous ne devriez pas vous moquer 
de moi plus longtemps.\\
~~~Olivier, (sinc\`ere.)  Je me moque, moi?\\
~~~Isabelle, (expliquant.)  Puisque vous le faites, il 
est certainement tr\`es normal de regarder une femme 
dans les yeux en cherchant son pied sous la table ...\\
~~~Sophie, (heureuse de la le\c{c}on qu'Isabelle donne \`a 
Olivier.)  Ce n'est pas tellement normal.\\
~~~Iasbelle.  ... Mais Auguste n'a pas l'habitude!  
Et il va se f\^acher.\\
~~~Olivier.  Auguste!  Se f\^acher?\\
(Il \'eclate de rire.)\\
~~~Auguste.  Ah!  tu es bien de la famille.  Tu as 
le bon rire des Taillade.\\
~~~Olivier, Isabelle et Sophie, (ensemble.)  Je ne trouve pas.\\
~~~Auguste.  Je dois me tromper ... Qu'est-ce qui 
te faisait rire?\\
~~~Sophie, (pour faire diversion.)  Et le homard?  
Il ne vient pas, le homard?\\
(Elle boit.)\\
~~~Auguste.  Nous avons un petit retard.\\
~~~Olivier.  Vous me demandez ce qui me faisait 
rire?\\
~~~Auguste, (sinc\`ere.)  Oui.  Tu ne ris pas souvent.  
Il fallait que ce soit dr\^ole.\\
~~~Olivier.  Jugez-en!  Isabelle disait que vous 
alliez vous f\^acher.\\
~~~Auguste, (s\'erieux.)  Ah!  Ah!  Tu disais \c{c}a?\\
~~~Olivier.  Avouez que c'est dr\^ole!\\
~~~Auguste.  Isabelle me conna\^it bien.  Si elle le dit, 
c'est que je vais le faire.\\
~~~Olivier.  Je voudrais voir \c{c}a.\\
~~~Auguste.  Je la d\'ecevrai m\^eme probablement si 
je ne le fais pas.\\
~~~Isabelle, (doucement.)  Ton cousin veut se rendre 
int\'eressant.  Nous plaisantions.\\
~~~Sophie.  Ils plaisantaient.\\
(Un court silence.  Auguste les observe.)\\
~~~Auguste, (\`a Olivier.)  Toi, tu as d\^u manquer 
de tact.\\
~~~Oliver, (h\'eriss\'e.)  De tact!\\
~~~Auguste, (ironique.)  Volontairement, ne te f\^ache 
pas, volontairement.\\
~~~Olivier, (sur le m\^eme ton.)  Ah!  bon.\\
~~~Auguste.  Seulement, tu vas comprendre tout 
de suite:  il ne faut pas en manquer si tu veux que 
je garde ton ch\`eque.\\
~~~Olivier.  Je comprends.\\
~~~Auguste.  En temps normal, je ne suis pas du 
tout susceptible, mais ...\\
~~~Olivier, (l'interrompant un peu s\`echement.)  J'ai 
compris.\\
~~~Auguste.  Tant mieux.\\
~~~Olivier.  J'ai compris, mais je ne suis pas 
convaincu.  Vous faites semblant d'\^etre \'energique, 
je fais semblant d'\^etre \'epat\'e.  Sophie fait semblant 
de vous croire.  Isabelle fait semblant d'\^etre r\'evolt\'ee 
que je lui fasse du pied sous la table ...\\
~~~Auguste.  Quoi?\\
~~~Olivier. ... Mais nous savons tous tr\`es bien 
que vous ne vous f\^acherez pas.\\
~~~Isabelle.  Rends-lui son ch\`eque!\\
(Auguste commence \`a chercher n\'egligemment, 
puis f\'ebrilement dans ses poches.)\\
~~~Sophie.  Ne soyez pas b\^etes.\\
~~~Olivier.  Sophie a raison:  ne soyez pas b\^etes.  
Plus un geste est joli, plus on le regrette.  Et celui-l\`a 
serait tr\`es joli.\\
~~~Isabelle, (hurlant.)  Rends-lui son ch\`eque.\\
~~~Auguste, (qui ne le retrouvait pas.)  Ah!  le voil\`a!\\
~~~Olivier.  Merci.\\
~~~Auguste.  On se fout de ton ch\`eque.  Nous 
n'avons jamais eu d'argent.  \c{C}a ne fera que trois cent 
mille francs de plus que nous n'aurons pas.\\
~~~Olivier, (rectifiant.)  Que vous n'aurez plus!  
Car vous les avez eus.  Ce n'est pas la m\^eme chose, 
vous verrez!\\
~~~Auguste, (tendre qvec une sinc\`ere piti\'e.)  Pauvre 
type!  Pauvre salaud!\\
~~~Olivier.  H\'e, je sais bien!\\
~~~Auguste.  Tu avais tout combin\'e, hein?  Et 
surtout que tu nous obligerais \`a te les rendre, 
hein? ... Dis-le donc!\\
~~~Olivier.  Et moi qui vous croyais stupide!\\
~~~Auguste.  J'aurais bien voulu.\\
~~~Isabelle, (avec un profond \'etonnement.)  Mais 
c'est un monstre!\\
~~~Olivier, (souriant.)  "Une vraie petite vache", 
comme vous disiez!\\
~~~Agusute.  Tu as entendu toute notre conversation?\\
~~~Olivier.  C'est mon excuse.\\
~~~Isabelle, (un geste tendre.)  Et vous avez entendu 
aussi?  Sophie!  ma pauvre petite!\\
~~~Sophie.  J'en ai entendu bien d'autres.  Comme 
dit Olivier, je suis blind\'ee.\\
(Elle boit.)\\
~~~Isabelle.  Il sera puni.\\
(Elle crie \`a Olivier:)\\
Vous serez puni!\\
(La m\^eme terrifiante explosion \'eclate au dehors.)\\
~~~Olivier, (livide.)  Qu'est-ce que c'est que \c{c}a?\\
~~~Auguste.  Tu as peur!\\
(Il se tord.)\\
Oh! ce qu'il a eu peur!  Il a cru qu'on allait le 
punir.\\
~~~Lulu, (entrant.)  Voil\`a le homard!\\
~~~Olivier.  Trop tard!\\
~~~Lulu, (insolemment.)  Comment, trop tard?\\
~~~Olivier.  Nous allons \^etre oblig\'es de prendre cong\'e.  
Vous venez, Sophie?\\
~~~Sophie.  Une seconde.\\
(Elle boit h\^ativemement.)\\
~~~Auguste.  Sophie, je vais avoir l'air mufle.  Mais 
maintenant je n'ai plus les moyens de me permettre 
un autre joli geste.  Vous ne pourriez pas 
me rendre la monnaie ... la monnaie du taxi!\\
~~~Sophie, (la tirant de son sac \`a poign\'ees.)  Oh!  
je vous demande tellement pardon ... Et il vous doit 
cinq cents francs.\\
~~~Auguste.  Je compte sur ton mandat.  T\'el\'egraphique, 
si possible!\\
~~~Olivier.  T\'el\'egraphique.\\
~~~Sophie.  Essayez de ne pas m'en vouloir.  Je 
suis sa femme, malgr\'e tout.\\
~~~Olivier.  Isabelle, je suis d\'esol\'e que vous soyez 
la victime de cette lutte fratricide.  Il est bien 
entendu que je reste votre admirateur d\'evou\'e et 
que vous n'aurez qu'un geste \`a faire ...\\
~~~Isabelle.  Crache-lui au visage.\\
~~~Auguste.  Je n'ai pas de salive.\\
~~~Lulu.  J'en ai, moi.\\
~~~Auguste.  Fous le camp!\\
~~~Olivier.  Quant \`a vous ...\\
~~~Auguste.  Fous le camp ou je te casse la gueule!\\
~~~Olivier.  Je pense \`a celle que vous ferez dans 
une heure.\\
~~~Sophie, (ruduement.)  Olivier! ... Je vous attends, 
Olivier.\\
(Ils sortent.)\\
(Isabelle et Auguste sont immobiles.  Lulu va 
d'abord \`a Auguste.)\\
~~~Lulu.  Si je lui vidais la carafe sur la t\^ete?\\
(A Isabelle.)\\
Dites, Madame, quand il va passer sous la 
fen\^etre, si je lui vidais la carafe sur la t\^ete?\\
(Ne recevant pas de r\'eponse, elle se dirige 
vers la fen\^etre, la carafe \`a la main.)\\
~~~Auguste, (soudainement.)  Ah!  le salaud!  le 
salaud!  le salaud!\\
(Il s'assied viollemment, mais comme c'est sur 
le fauteuil vermoulu, il s'\'ecroule.)\\
~~~Auguste, (les quatre fers en l'air, se trodant.)  
Allons, bon!  Manquait plus que \c{c}a!\\
(Il voit qu'Isabelle ne rit pas.)\\
Mais qu'est-ce que tu as?  Tu pleures?\\
(Il se rel\`eve d'un bond, va vers elle.  Elle 
pleure en effet, de lourdes larmes silencieuses.)\\
Ce n'est pas pour les trois cent mille francs ... 
dis ... dis ... Biquette ... dis?\\
(Ils rient ensemble.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau.)\\
 
 
     
  
    }
\end{document}