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{
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 3\\
(M\^eme d\'ecor qu'\`a l'acte pr\'ec\'edent.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 1\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Blondeau, Suzanne.\\
(Blondeau est effondr\'e sur une chaise, les coudes aux genoux, la t\^ete dans les mains. Suzanne se tient debout pr\`es de lui, appuy\'ee \`a la table.)\\
~~~Blondeau, (apr\`es un silence.) Je n'aspire qu'\`a m'en aller d'ici. Je vais la faire, ma demande, pour entrer dans les Douanes.\\
~~~Suzanne. Fais-la, mon ami. Tu dis cela depuis huit jours et tu ne t'es pas encore inform\'e s\'erieusement des d\'emarches n\'ecessaires.\\
\\
d\'emarches~~~手続き\\
\\
~~~Blondeau. Parce que je suis d\'ego\^ut\'e de tout.\\
~~~Suzanne. Il n'y a plus de temps \`a perdre. Il est m\^eme bien regrettable qu'il y a un an, apr\`es ton premier \'echec, tu ne te sois pas d\'ej\`a tourn\'e du c\^ot\'e des Douanes. Cet examen de forestier \'etait bien trop difficile pour toi.\\
\\
\'echec~~~失敗、挫折\\
\\
~~~Blondeau. Trop difficile! Pas pour les prot\'eg\'es. Je te dis que l'examen n'est qu'une frime.\\
\\
prot\'eg\'es~~~被保護者、お気に入り\\
frime~~~うわべ、見せかけ\\
\\
~~~Suzanne. Eh bien, n'y pensons plus, mon enfant. Tu iras dans les douanes avec ton grade; et l\`a, tu finiras bien par passer officer. Moi, je resterai encore dans les Postes, l\`a o\`u tu seras. En attendant, s'il y en a qui continuent \`a t'appeler "mon lieutenant" \`a la caserne, sois donc le premier \`a en rire, et ils se fatigueront.\\
~~~Blondeau. Ah! mon Dieu, s'il n'y avait que cela!\\
~~~Suzanne. Il y a autre chose?\\
~~~Blondeau. Il y a toutes les tuiles \`a la fois; quand on a la chance contre soi, on devrait se coucher.\\
~~~Suzanne. Qu'est-ce qu'il y a? On t'a r\'eprimand\'e? Puni?\\
\\
tuiles~~~瓦、思いがけない災難\\
r\'eprimand\'e~~~叱責する\\
\\
~~~Blondeau. Mais non!\\
~~~Suzanne. Dis vite, quoi? Les courses? Non?\\
~~~Blondeau. Oui, les courses.\\
~~~Suzanne. Ah! j'aurais d\^u m'en douter, \`a voir ta t\^ete! Armand! Tu m'avais pourtant promis de ne plus jouer, de ne plus rien faire sans me le dire. Alors? (Un silence.) Mais parle! parle donc!\\
~~~Blondeau. Je dois deux cent quatre-vingts francs au capitaine.\\
~~~Suzanne. Deux cent quatre-vingts francs! Il s'agit des vingt francs de l'autre jour, que tu voulais...\\
~~~Blondeau. Non. Ceux-l\`a, je t'ai promis d'aller les porter et je l'ai fait. Ils ont \'et\'e perdus... C'est un autre cheval qu'il m'a donn\'e \`a jouer il y a quatre jours, encore pour le nom: \textit{Girandole}.\\
~~~Suzanne. C'est \`a d\'esesp\'erer de toi! Tu nous perdras, tu nous perds! Ah oui, partir d'ici!\\
~~~Blondeau. J'avais bien cru te pr\'eparer une petite surprise avec ces vingt francs.\\
~~~Suzanne. Deux cent quatre-vingts francs!... Il y a quatre jours... Alors le capitaine sait qu'il a gagn\'e? Il t'a r\'eclam\'e?\\
~~~Blondeau. Oui. Avant-hier. Je lui ai dit que j'avais oubli\'e l'argent chez moi. Hier, il ne m'a rien demand\'e. Ce matin, je lui ai dit comme \c{c}a: Mon capitaine, je vous ai encore oubli\'e, excusez-moi!\\
~~~Suzanne. Il n'a rien r\'epondu?\\
~~~Blondeau. Il m'a r\'epondu: Vous avez touch\'e, n'est-ce pas? Alors, c'est l'essentiel.\\
~~~Suzanne. Deux cent quatre-vingts francs!\\
~~~Blondeau. Oui, quatre fois soixante-dix.\\
~~~Suzanne. Mon Dieu! Il nous reste cent vingt-cinq francs.\\
~~~Blondeau. J'ai encore vingt-cinq francs sur moi. (Il se l\`eve.) Il me faut trouver le reste. Il y va de mon honneur de soldat, de mon avenir.\\
~~~Suzanne. Tu aurais bien d\^u y penser plus t\^ot.\\
~~~Blondeau. Ah! c'est bien fini cette fois, Suzanne, je te le jure! Ne vois-tu pas comme je suis an\'eanti. (Silence.) Trouvons vingt francs ici, trente francs l\`a...\\
~~~Suzanne. Je vais tout dire \`a Louis.\\
~~~Blondeau. Louis n'a pas d'argent.\\
~~~Suzanne. Michel m'a dit que nous lui avions rendu bien trop t\^ot ses cent francs. Peut-\^etre pourrais-je...\\
~~~Blondeau. Non, tu ne peux pas. D'ailleurs tu lui demanderais quoi? Cinquante francs, pour quelques jours? Et sous quel pr\'etexte? Et puis, non... J'ai \'et\'e assez vex\'e l'autre fois. Il faudrait...\\
~~~Suzanne. Ecoute, Armand: en admettant m\^eme que nous trouvions \`a emprunter ce qui nous manque pour payer cette somme, nous serions ensuite sans un sou pour manger. Je pense donc qu'il n'y a qu'une solution possible: va voir ton capitaine; avoue-lui que tu as imprudemment pris son pari \`a ton compte. Excuse-toi de ne pouvoir lui remettre ce qui lui revient et demande-lui de le faire en trois ou quatre versements.\\
~~~Blondeau. Moi, lui avouer que j'ai fait cela? Moi qui ai sa confiance, moi qui vais lui demander d'apostiller ma demande pour entrer dans les Douanes!\\
\\
apostiller~~~推薦文を書き入れる\\
\\
~~~Suzanne. Eh bien? Il verra que tu as agi l\'eg\`erement, mais que tu es honn\^ete.\\
~~~Blondeau. Tu ne le connais pas! C'est un brave homme, mais il n'est pas toujours de bon poil. Il peut prendre \c{c}a tr\`es mal! Songe donc que je lui ai parl\'e comme si j'avais touch\'e cet argent. Que j'ai affirm\'e, avec une parfaite assurance; que j'ai voulu qu'il ne se doute pas un instant de... Ah! bien s\^ur, il y a trois jours, si j'avais su, j'aurais fait cela, j'aurais pu le faire. Mais maintenant! Aller bredouiller des aveux d'enfant coupable, en rougissant!\\
\\
bredouiller~~~早口で喋る、口ごもる\\
\\
~~~Suzanne. Tu es un enfant coupable!\\
(Elle s'assied et s'accoude \`a la table avec d\'ecouragement.)\\
~~~Blondeau. J'ai tort, j'ai tort, je le sais. Ce n'est pas la peine de m'accabler. Je m'en veux assez moi-m\^eme... Mais, cherchons autre chose.\\
~~~Suzanne, (apr\`es un silence.) Eh bien, dis que c'est moi! Que c'est moi qui devais aller porter le jeu; que c'est moi qui ai gard\'e les vingt francs sans te le dire; que c'est moi qui t'ai menti en te disant que j'avais l'argent; que tu \'etais de bonne foi!\\
~~~Blondeau. Voil\`a une id\'ee! Voil\`a qui arrangerait tout!\\
~~~Suzanne. Veux-tu faire cela?\\
~~~Blondeau. \c{C}a m'ennuie un peu tout de m\^eme, ma pauvre ch\'erie, de te... Il est vrai que lorsque c'est une femme qui commet ces imprudences-l\`a, les hommes n'y attachent gu\`ere d'importance.\\
~~~Suzanne. Ton capitaine te dira seulement que tu aurais d\^u savoir qu'on ne confie pas plus de telles affaires \`a une femme qu'\`a un enfant.\\
~~~Blondeau. Oh! il est \'evident que ce n'est pas cela qui pourra te d\'econsid\'erer \`a ses yeux. On ne demande pas \`a une femme d'avoir une parole d'honneur et l'on admet tr\`es bien qu'elle ne dise pas la v\'erit\'e. Une femme, comprends-tu, \c{c}a n'est pas responsable en mati\`ere d'argent. On ne regarde que sa conduite. Ma ch\`ere petite, c'est encore gr\^ace \`a toi que nous allons nous tirer d'affaire.\\
~~~Suzanne, (avec un soupir.) Eh bien, va! Va voir le capitaine. Et fais-lui un premier versement. Cinquante francs?\\
~~~Blondeau. C'est peu.\\
~~~Suzanne. Cent francs? Donne-lui cent francs.\\
~~~Blondeau. Oui. Mais dis donc, s'il allait refuser d'accepter cet argent? Suppose qu'il me dise: rendez-moi seulement les vingt francs, puisqu'ils n'ont pas \'et\'e jou\'es? Je me ferais un peu prier...\\
\\
se faire prier~~~なかなか承知しない\\
Paul m'a pr\^et\'e sa voiture, mais il s'est fait un peu prier.\\
ポールは車を貸してくれたが、すぐにうんとは言わなかった\\
\\
~~~Suzanne. Non! Insiste, Armand! Insiste! Supplie-le d'accepter s'il le faut. Fais-lui comprendre que ne pas jouer cet argent, c'\'etait jouer quand m\^eme; qu'il s'agit bien d'une dette de jeu!\\
~~~Blondeau. Evidemment... (Un silence.) Dis donc, Suzanne! Toi qui as eu l'id\'ee, toi qui es forte parce que ce n'est pas toi qui as fait cette sottise, si tu allais toi, voir le capitaine?\\
~~~Suzanne, (interdite.) Moi?\\
~~~Blondeau. Oui. Si je te le demandais; si je t'en priais?\\
~~~Suzanne. Vraiment est-ce que...\\
~~~Blondeau. Ecoute: vas-y. Si j'y vais, moi, je ne serai qu'un subordonn\'e devant son chef et malgr\'e tout un coupable. Je me sentirai faible, diminu\'e. Je me connais. Autant je sais dominer les hommes et me faire ob\'eir de mes subalternes, autant je suis incapable de tenir t\^ete \`a un sup\'erieur. Je ne sais plus que me mettre au garde-\`a-vous. Et c'est bien compr\'ehensible: je suis soldat. Vas-y! Fais cela! Cette visite-l\`a est terrible pour moi; pour toi, ce n'est rien. Tu es femme et je sais bien que tu as plus de t\^ete que moi...\\
\\
subalternes~~~下級将校、下っ端\\
\\
~~~Suzanne, (apr\`es un silence.) Je vais y aller.\\
~~~Blondeau. Bravo! Merci! Ma bonne Suzette! Mais il ne faut pas que cela t'ennuie par trop.\\
~~~Suzanne. Oh! \c{C}a ne m'amuse pas. Mais je sens qu'il vaut mieux que j'y aille. Est-il chez lui maintenant? \\
~~~Blondeau, (pendant que Suzanne s'appr\^ete.) Oui, c'est l'heure o\`u il est presque s\^urement chez lui. Tu sais bien o\`u il habite? Tu sonnes \`a la porte du jardin. Tu as les cent francs?\\
\\
s'appr\^ete~~~準備する\\
\\
~~~Suzanne, (se dirigeant vers la porte.) Oui.\\
~~~Blondeau. Naturellement, moi je ne sais rien. J'ignore cette d\'emarche.\\
\\
d\'emarche~~~進め方、手続き\\
\\
~~~Suzanne, (avec lassitude.) Mais oui, mais oui.\\
~~~Blondeau. A tout \`a l'heure. Je t'attends, va vite. Embrasse-moi!\\
(Ils s'embrassent. Suzanne sort.)\\
~~~Blondeau, (\`a la porte, criant.) Maintenant: si cela t'ennuie de dire que c'est toi qui n'as pas port\'e le papier, tu pourrais peut-\^etre dire que tu avais confi\'e la commission \`a une autre personne...\\
(Silence.---Il revient.)\\
Elle est d\'ej\`a loin.\\
(Il passe un soupir, s'assied, regarde ses mains, tire son canif et se fait les ongles. Puis il se l\`eve, marche un instant de long en large, s'arr\^ete, tire de sa tunique un journal de courses et va se rasseoir pour le lire. Apr\`es quelques secondes, il cherche un crayon dans sa poche et se livre \`a des calculs, sur le journal m\^eme.)\\
(A ce moment, on peut baisser le rideau et le relever aussit\^ot pour marquer un espace de temps).\\
(On frappe \`a la porte. Blondeau va ouvrir, son journal \`a la main. Entre Michel.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Blondeau, Michel.\\
~~~Blondeau, (avec embarras.) Bonjour...\\
~~~Michel, (avec col\`ere.) Vous n'avez pas honte?\\
~~~Blondeau. Comment?\\
~~~Michel. Je vous demande si vous n'avez pas honte de ce que vous faite.\\
~~~Blondeau. Qu'est-ce qui vous prend? Que d\'esirez-vous?\\
~~~Michel. Je quitte Suzanne. Au moment de frapper chez votre capitaine, le courage lui a manqu\'e: heureusement. Elle vient d'accourir chez moi. Je lui ai remis cette somme qu'elle est all\'ee simplement d\'eposer, sous enveloppe, de votre part.\\
~~~Blondeau. Je ne comprends pas que Suzanne...\\
~~~Michel. Suzanne n'a donc pas \`a voir votre capitaine; mais vous me paraissez, dans tout ceci, d'une telle incons\'equence, et d'une telle... veulerie, que j'ai couru pour venir vous le dire.\\
\\
veulerie~~~無気力、だらしなさ\\
\\
~~~Blondeau. Prenez garde, vous m'insultez!\\
~~~Michel, (saisissant le journal qu'il place sous le nez de Blondeau, puis jette sur la table.) Et moi qui pensais vous trouver impatient, inquiet, tourment\'e, je vous vois encore enfonc\'e dans vos sales affaires!\\
~~~Blondeau. Monsieur!...\\
~~~Michel. Elle se h\^ate, elle court pour vous rassurer plus vite. Elle refoule son orgueil, elle domine sa honte, la honte qu'elle a de ce que vous avez fait! Et pendant ce temps vous poursuivez vos op\'erations...\\
\\
refoule~~~押し殺す、押し返す\\
\\
~~~Blondeau. C'est faux! Sortez! Sortez d'ici! Je vous somme de sortir de chez moi!\\
\\
somme~~~強く命じる\\
\\
~~~Michel. Non, car je n'ai pas fini.\\
~~~Blondeau. De quel droit vous m\^elez-vous de mes affaires?\\
~~~Michel. Ce n'est pas un droit, c'est un devoir.\\
~~~Blondeau. Vraiment, je ne comprends pas que Suzanne soit all\'ee chez vous, et je le lui dirai. \c{C}a fait la deuxi\`eme fois que vous profitez de notre d\'etresse, de sa confiance en vous, de vos moyens, pour m'obliger malgr\'e moi, pour m'humilier, pour m'insulter!\\
~~~Michel. Mais il ne s'agit pas de vous. Je n'ai pas fait quoi que ce soit \`a cause de vous. Ne comprenez-vous pas que si je suis ici en ce moment, c'est uniquement pour vous demander compte de...\\
~~~Blondeau. Je ne vous dois aucun compte de mes actes ni de ce qui se passe chez moi! Je vous d\'efends d'y mettre le nez, ni de frapper \`a ma porte. Je ne veux avoir aucun rapport avec vous. Vous venez de me pr\^eter de l'argent: je vous le jetterais \`a la figure, si je l'avais!\\
~~~Michel, (exasp\'er\'e.) Ah! dites donc! Si vous n'aimez pas qu'on vous tende la perche, commencez donc par ne pas vous laisser choir dans le bourbier, ou n'y entra\^inez personne avec vous! (Blondeau hausse les \'epaules.) Si vous ne vouliez pas me voir chez vous, si vous ne vouliez avoir aucun rapport avec moi, il fallait, ayant s\'eduit ma fianc\'ee et l'ayant \'epous\'ee, il fallait la rendre heureuse! Il fallait \^etre courageux, ambitieux pour sa qui\'etude, pour son bien-\^etre, pour sa sant\'e. Il fallait la placer assez haut pour lui sacrifier vos habitudes et pour tuer en vous...\\
\\
perche~~~棒、竿\\
choir~~~落ちる\\
bourbier~~~泥沼\\
entra\^inez~~~連れて行く\\
\\
~~~Blondeau, (crisp\'e au dossier d'une chaise.) Assez! Vous ne savez pas...\\
\\
crisp\'e~~~痙攣させる、握りしめる\\
\\
~~~Michel, (tendu vers lui.) Il fallait ne pas l'accabler de soucies d\'egradans, ni permettre, comme vous venez de le faire, qu'elle s'attribue vos abus de confiance et vos mensonges. (Douloureusement.) Il fallait la rendre heureuse.\\
\\
s'attribue~~~我が物とする、自分のせいにする\\
\\
~~~Blondeau, (d'une voix \'etrangl\'ee.) Qui vous dit qu'elle n'est pas heureuse?\\
~~~Michel. Non, elle n'est pas heureuse; car il ne suffit pas qu'elle vous aime, pour \^etre heureuse. Il faudrait que vous soyez digne d'elle! digne d'elle! Vous n'\^etes pas...\\
~~~Blondeau. Taisez-vous! C'est l\^ache de me dire cela! Parce que vous \^etes plus instruit que moi, plus riche que moi! Parce qu'elle vous trouve un homme sup\'erieur! C'est l\^ache! Sortez!... (Il brandit la chaise.) Mais sortez donc, ou je vais vous...\\
(Michel lui arrache la chaise qu'il jette \`a terre; au m\^eme instant Suzanne entre.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Suzanne, Blondeau, Michel.\\
~~~Suzanne, (avec effroi.) Ah! Michel, pourquoi es-tu venu?\\
(Michel se tient immobile et contrit.)\\
~~~Blondeau. Pour m'insulter.\\
~~~Suzanne, (\`a Armand.) Comme tu es p\^ale! Mon Dieu! Vous n'alliez pas vous battre, n'est-ce pas? Ah! c'est ma faute, aussi...\\
~~~Michel. Non, Suzanne, ce n'est pas ta faute. C'est la mienne. J'ai bondi jusqu'ici, pouss\'e par le regret de ne l'avoir pas fait d\'ej\`a et par l'inqui\'etude. Le malheur a voulu que ton mari v\^int m'ouvrir avec ce journal \`a la main; alors... la col\`ere...\\
~~~Blondeau, (avec \'eclat.) Et apr\`es? N'ai-je pas le droit de lire ce que je veux? De faire ce que je veux chez moi?\\
~~~Suzanne. Mais si, Armand! Calme-toi, je t'en supplie. Tu comprends bien que si Michel...\\
~~~Blondeau. Qu'il s'en aille!\\
(Il s'assied, les coudes sur la table, les paumes au menton et demeure ainsi pendant les r\'epliques qui suivent.)\\
~~~Michel. Eh bien, je m'en vais...\\
~~~Suzanne. Non, il ne faut pas encore! Si tu partais maintenent, Michel, il me semble que tout serait fini entre vous deux; que vous seriez comme des ennemis. Je ne veux pas!\\
~~~Michel, (apr\`es un silence.) Quand je suis entr\'e ici je ne me poss\'edais plus. Brusquement, je n'ai plus aspir\'e qu'\`a vous blesser, Blondeau, qu'\`a vous accabler... Si Suzanne m'a racont\'e vos d\'eboires et m\^eme vos faiblesses, c'\'etait pour me demander de l'aide. Elle l'a fait en toute confiance et elle me croyait incapable de la pr\'ec\'eder ici comme un fou, arm\'e contre vous de tout ce qu'elle venait de m'apprendre. N'est-ce pas, Suzanne? (Il s'assied, les coudes aux genoux.) Il est \'evident que le seul fait qu'elle me demandait ce service m'interdisait...\\
\\
d\'eboires~~~失望、失敗、不幸\\
pr\'ec\'eder~~~先立つ、先行する\\
\\
~~~Blondeau, (apr\`es un silence.) Oui.\\
~~~Michel, (ferme.) Je viens d'avoir tout \`a fait tort. Je vous en demande pardon \`a tous deux. Si tu avais \'et\'e l\`a, Suzanne, tu aurais vu comme un homme peut faire exactement le contraire de ce qu'il conseille \`a d'autres... D'abord, si tu avais \'et\'e l\`a...\\
~~~Suzanne. Oh! vous ne vous seriez pas disput\'es.\\
~~~Michel. Certains mots n'auraient pas pu sortir. (Il se l\`eve et va vers Blondeau.) Voyez-vous, Blondeau, nous ne sommes pas si malins que nous sachions toujours, en faisant un pas, o\`u nous conduit. On s'\'egare.\\
(Un silence.)\\
~~~Suzanne, (doucement.) Tout le monde s'\'egare...\\
~~~Michel. Du jour o\`u j'ai su que vous jouiez aux courses, que cela vous entra\^inait de d\'eboire en d\'eboire, j'ai d\'esir\'e vous en parler. Plusieurs fois j'ai imagin\'e notre entretien. Oh! il n'avait vraiment aucun rapport avec celui de tout \`a l'heure. D'abord, \c{c}a ne se passait pas ici, mais \`a la faveur d'une rencontre, en ville, devant quelque bonne bouteille, comme au temps o\`u il nous arrivait d'aller boire un coup avec Louis. Alors, je vous parlais tout de suite comme je parle \`a Suzanne, c'est-\`a-dire comme si je vous connaissais depuis l'enfance. Oh! je ne vous demandais pas de confidences; c'est moi qui vous en faisais. Je vous disais que j'\'etais inquiet, constamment inquiet; que je redoutais pour vous une existence impoisonn\'ee par le jeu. Il va de soi que vous vouliez me rassurer. Je me vante peut-\^etre, mais il me semble que j'arrivais \`a vous d\'emontrer qu'on ne peut fonder aucun profit sur le jeu. Nous bavardions ainsi, longtemps et librement, sur ce sujet et sur d'autres. Et le plus important c'est que cela cr\'eait entre nous une certaine intimit\'e. Si nous n'\'etions pas d'accord, nous pouvions discuter et m\^eme nous engueuler, sans danger de nous blesser: les mots \'etaient \'emouss\'es une fois pour toutes.\\
\\
\'emouss\'es~~~切れ味を悪くする\\
\\
~~~Suzanne. Bien s\^ur!\\
~~~Michel. Songez: si nous avions eu, il y a quelque temps d\'ej\`a, un semblable entretien, s'il y avait eu d\'ej\`a entre vous et moi un peu de familiarit\'e, est-ce que j'aurais pu vous dire tout ce que je vous ai dit?\\
~~~Suzanne. D'abord, vous vous conna\^itriez mieux, car vous vous connaissez si peu ou si mal!\\
~~~Blondeau, (troubl\'e.) Non, vous ne me connaissez pas; et c'est pourquoi vous n'auriez pas d\^u...\\
~~~Michel. C'est entendu!\\
~~~Suzanne. Eh bien, faites la paix!\\
~~~Michel, (avec d\'ecision.) Oui! Hein? Essayez d'oublier ce que je vous ai dit, Blondeau, et ne me refusez pas la main.\\
(Il lui tend la main par-dessus la table. Blondeau h\'esite une seconde, puis donne sa main \`a Michel.)\\
~~~Suzanne. Ah! c'est bien!\\
(Elle presse l'autre main que Michel lui tend, puis va embrasser Blondeau, toujours assis.)\\
~~~Blondeau, (digne.) Seulement...\\
~~~Michel. Seulement quoi?\\
~~~Blondeau. Tout cet argent que nous vous devons... Je voudrais...\\
~~~Michel. Ne parlons pas de \c{c}a aujourd'hui. Vous prendrez tout le temps qu'il faudra pour me le rendre sans vous g\^ener. Je n'en ai pas besoin.\\
~~~Suzanne, (\`a Blondeau.) Devoir \`a Michel, va, c'est comme si nous devions \`a Louis, \`a maman.\\
~~~Michel. Il faut que vous compreniez bien, Blondeau. Ma m\`ere \'etait une vieille amie de madame Catelain et chez les Catelain je suis depuis longtemps l'a\^in\'e des enfants...\\
~~~Blondeau. Je sais...\\
~~~Michel. A vingt ans j'\'etais le seul homme de la maison et je prenais mon r\^ole \`a coeur! Quand on avait des petits ennuis, c'\'etait moi qu'on allait chercher, dis, Suzanne?\\
~~~Suzanne. C'est vrai.\\
~~~Michel. Et m\^eme, il faut bien le dire, on n'avait pas besoin d'aller me chercher. Je pr\'evoyais, je prenais des pr\'ecautions, des initiatives, par plaisir, par nature; je me m\^elais de tout: de l'apprentissage de Louis, de son examen des postes, \`a elle (il d\'esigne Suzanne); avec, d'ailleurs, cette sacr\'ee manie que j'ai de vouloir imposer mon id\'ee. Oh! j'ai d\^u les raser quelquefois...\\
\\
raser~~~退屈させる\\
\\
~~~Suzanne. C'\'etait tout profit pour nous...\\
~~~Michel. Bon. Alors: comment serait-il admissible que je me tienne \`a l'\'ecart aujourd'hui, quand Suzanne et vous, son mari, \^etes dans l'embarras? Comment voulez-vous qu'elle ne m'appelle pas tout naturellement, pour vous comme pour elle? Comment voulez-vous que je n'accoure pas chez vous pour vous crier: gare?\\
\\
accoure~~~accourir~~~駆けつける\\
gare~~~危ない、気をつけろ~~~garer~~の命令形\\
\\
~~~Blondeau. Je comprends bien que...\\
~~~Michel, (mi-enjou\'e, mi-\'emu.) Et puis, je peux bien vous le dire: Cette... petite personne---que voici maintenant m\`ere de famille---je ne l'avais jamais vue soucieuse; je n'avais jamais vu un vrai pli sur son front...\\
~~~Suzanne. Tu ne m'as pas connue toujours en train de rire non plus.\\
~~~Michel, (\`a Suzanne.) Certes non, mais ton s\'erieux m\^eme \'etait tout qui\'etude et tout contentement; c'\'etait le s\'erieux d'un \'ecolier qui lit une belle histoire en su\c{c}ant un sucre d'orge. (Se tournant vers Blondeau.) Alors, vous comprenez, de d\'ecouvrir brusquement une autre Suzanne, inqui\`ete et tourment\'ee, je me suis alarm\'e, je me suis emball\'e, j'ai un peu perdu la t\^ete. Si vous sentez bien tout cela, Blondeau, vous ne me garderez pas rancune, vous n'aurez aucune g\^ene avec moi, et ces mauvais instants---nous n'en parlerons plus---auront du moins servi \`a nous rapprocher.\\
\\
sucre d'orge~~~大麦糖(大麦の煮汁に砂糖をまぜ煮詰めた棒状の菓子)\\
emball\'e~~~熱中する、興奮する\\
rapprocher~~~近づける\\
\\
~~~Suzanne. Oh! je ne crois pas qu'Armand soit rancunier.\\
~~~Blondeau, (troubl\'e.) Non, je ne vous en veux pas... Je n'ai pas \`a vous en vouloir... Je me rends compte de beaucoup de choses. Il est certain qu'il aurait fallu que je sois autrement, pour Suzanne; que j'aie de l'organisation, de l'activit\'e, de la pr\'evoyance... que j'aie enfin... que j'aie de l'id\'ee, moi aussi...\\
~~~Michel, (protestant.) Mais tout cela...\\
~~~Blondeau. Je suis mal parti dans la vie... Je ne suis qu'un propre \`a rien! Je le sais bien... Un propre \`a rien!\\
\\
propre~~~本性、特性\\
~~~~~C'est du propre!~~~(反語的)これはひどい、とんだことだ\\
\\
(Il est brusquement secou\'e par les pleurs et s'accoude largement sur la table, les mains devant les yeux.)\\
~~~Suzanne, (courant \`a lui.) Armand, mon ch\'eri!\\
~~~Blondeau. Je ne sais pas te faire la vie douce, moi!\\
~~~Suzanne. Mais si! Mais si!\\
~~~Blondeau. Je suis un propre \`a rien.\\
~~~Michel, (il s'approche aussi de Blondeau toujours assis et lui met la main sur l'\'epaule.) Non, non, ne dites pas \c{c}a, mon vieux. Ce n'est pas vrai. Ce n'est vrai pour personne.\\
~~~Blondeau, (se redressasnt et \'ecartant doucement Suzanne qui l'embrasse.) ...Au fond, vous n'aviez pas tort dans tout ce que vous m'avez dit...\\
~~~Michel. Si! J'ai \'et\'e violent...\\
~~~Blondeau. Il y a des choses auxquelles je n'ai cess\'e de penser depuis...\\
~~~Suzanne. N'y pense plus! C'est fini.\\
~~~Michel, (\'emu.) J'ai pu \^etre injuste. Pour m'en rendre compte, je n'ai qu'\`a vous regarder maintenant. J'ai voulu vous juger sur une image de vous que je m'\'etais faite: il y manquait peut-\^etre l'essentiel.\\
~~~Blondeau, (soupirant.) Quoi qu'il en soit, je me trouve dans une bien pauvre situation.\\
~~~Michel. A quel point de vue?\\
~~~Blondeau. Je suis d\'e\c{c}u dans mes projets, dans mes espoirs, et je d\'e\c{c}ois les autres. Vous n'ignorez pas que j'ai pass\'e cet examen...\\
~~~Michel. Oui, je sais, vous avez \'echou\'e.\\
~~~Suzanne, (\`a Michel.) Cet \'echec le plonge dans la d\'esolation.\\
~~~Blondeau, (\`a Michel, d\'esignant Suzanne.) Et l'y plonge aussi, bien qu'elle s'en d\'efende. Vous comprenez que notre avenir n'est pas gai.\\
~~~Suzanne, (sans conviction.) Mais non, je ne me d\'esole pas comme toi! Nous pouvons vivre tr\`es bien. D'abord tu ne joueras plus. (Blondeau en t\'emoigne du geste.) Nous n'aurons plus d'inqui\'etude. Nous attendrons tranquillement une situation meilleure... qui finira bien parvenir.\\
~~~Michel, (nerveux.) ... Qui finira bien par venir! En voil\`a un espoir! Vraiment on croirait \`a vous entendre l'un et l'autre que tout est perdu et que vous voil\`a brusquement devenus paralytiques!\\
~~~Blondeau. C'est-\`a-dire que nous menons une existence m\'ediocre, que Suzanne est oblig\'ee de travailler beaucoup, et que cela n'est pas pr\`es de changer, maintenant.\\
~~~Michel. Au contraire! C'est maintenant que tout peut changer! C'est maintenant que tout sera bien! Seulement, il faut croire davantage en vous, ou plut\^ot y croire tout autrement que vous n'y avez cru! (Il marche avec animation, s'arr\^etant parfois devant Blondeau et Suzanne assis c\^ote \`a c\^ote.) Votre colonel a dit, une fois, en vous voyant passer dans votre plus belle tenue: Voil\`a un gar\c{c}on qui peut faire un officier. Il est tr\`es probable qu'il avait raison, votre colonel; mais la belle affaire! Il importe bien autrement que vous puissiez faire, officier ou non, un homme heureux, et qui rende heureux les siens. Avez-vous de quoi faire cet homme-l\`a? Eh bien, oui, mon cher Blondeau, j'en ai la conviction maintenant. Moi aussi, je viens de vous voir dans votre plus belle tenue. Voyons! Suzanne, Blondeau! Ce serait vraiment faire injure au bonheur que de croire qu'il d\'epend d'un examen, d'une fonction...\\
~~~Blondeau. Tout de m\^eme...\\
~~~Michel, (avec un trouble imperceptible.) Mais, rendez-vous compte! Vous poss\'edez ce qui est indispensable... Le reste, on peut s'en saisir. D'abord, voyons: vous avez bien quelque nouveau projet?\\
~~~Suzanne. Armand veut demander \`a passer dans les Douanes.\\
~~~Blondeau. Oui... peut-\^etre que l\`a je puis encore esp\'erer...\\
~~~Michel, (sans enthousiasme.) Les Douanes, les Douanes... C'est une id\'ee... Vous iriez peut-\^etre vivre dans un beau pays de montagne ou dans un port de mer...\\
~~~Suzanne. Dans un port de mer, c'est vrai! Nous n'y avions pas pens\'e.\\
~~~Michel. ...Evidemment, il y a les Douanes. Mais il me semble qu'\`a votre place, je me serais tourn\'e d'un autre c\^ot\'e.\\
~~~Blondeau. De quel c\^ot\'e?\\
~~~Michel. Vous avez dix ans de service?\\
~~~Blondeau. Dans trois mois.\\
~~~Michel. Vous \^etes \`a la fin d'une p\'eriode de rengagement?\\
~~~Blondeau. Oui. Et si je vais dans les douaniers, il faut, naturellement, que je reprenne du service.\\
~~~Michel. Mais voyons: apr\`es dix ans vous avez l'acc\`es \`a toute une s\'erie d'emplois civils?\\
~~~Blondeau. Ah! je vous avoue que nous n'avons gu\`ere pens\'e aux emplois civils.\\
~~~Suzanne. Armand est tellement fait \`a l'id\'ee de rester dans l'Arm\'ee.\\
~~~Blondeau. Et puis je les connais, les empois civils; j'ai un ancien camarade qui est surveillant dans un p\'enitencier; j'en ai un autre qui...\\
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p\'enitencier~~~監獄\\
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~~~Suzanne. Dieu merci!\\
~~~Michel. Je ne vous parle pas de ces emplois-l\`a! Il y en a d'autres, beaucoup d'autres! Il y en a pour tous les go\^uts, pour toutes les aptitudes, pour toutes les ambitions. Il existe sur eux un \'epais bouquin que j'ai et que vous pourrez consulter. Tenez, par exemple: vous pouvez devenir commis des ponts et chauss\'ees, v\'erificateur des poids et mesures, contr\^oleur des mines, inspecteur des ports, que sais-je encore!\\
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chauss\'ee~~~車道\\
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~~~Blondeau. Vraiment?\\
~~~Suzanne. Tu es s\^ur?\\
~~~Michel. Absolument!\\
~~~Suzanne, (avec gratitude.) Michel! Tu as d\'ej\`a pens\'e \`a t'informer de tout cela...\\
~~~Michel, (vivement.) Moi? Du tout, c'est l'occasion. Il faut bien que je regarde les livres qui m'arrivent. (A Blondeau.) Dame, pour tous ces postes, il faut subir des examens plus ou moins difficiles. Mais, si vous ne voulez pas pr\'etendre imm\'ediatement tr\`es haut, il existe un emploi auquel vous avez droit, et qui n'est pas \`a d\'edaigner, c'est celui de commis des postes et t\'el\'egraphes, c'est celui de Suzanne.\\
~~~Suzanne, (riant, \'etonn\'ee.) Mon coll\`egue!\\
~~~Blondeau, (apr\`es un instant de perplexit\'e.) Hum! Je vous avoue que je ne vois pas...\\
~~~Michel. Attendez, vous allez voir: vous \^etes tous les deux dans les postes. Comme vous \^etes mari\'es, vous obtenez un bureau pour vous deux dans un bourg du d\'epartement o\`u Suzanne est tr\`es capable d'\^etre nomm\'ee receveuse.\\
~~~Suzanne. Voil\`a une id\'ee! Mais serait-ce facile?\\
~~~Michel. Il suffit que ce soit possible! J'ignore tout des moyens et des d\'elais, mais ce doit \^etre possible. Alors, imaginez un peu cela: vous vivez \`a la campagne dans un beau pays; vous \^etes gentiment log\'es par l'Administration: une petite maison bien nette, avec un jardin derri\`ere, au coeur du village.\\
~~~Suzanne, (l'interrompant.) Mais dis donc...\\
~~~Michel. Veux-tu me permettre: vous travaillez chez vous ensemble ou \`a tour de r\^ole, absolument libres de vous partager comme bon vous semble les petites obligations du m\'etier.\\
~~~Blondeau. \c{C}a, c'est int\'eressant.\\
~~~Michel. En somme, vous \^etes vos ma\^itres comme des commer\c{c}ant. Vous \^etes plus ind\'ependants que l'instituteur ou l'institutrice, et je parie que vous ne vivez pas plus dans la paperasserie qu'un lieutenant de douane.\\
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paperasserie~~~(無用な)書類の山\\
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~~~Suzanne. Le fait est...\\
~~~Michel, (\`a Blondeau.) Vous repr\'esentez-vous un peu la chose?\\
~~~Blondeau, (perplexe.) Je ne dis pas que ce ne soit pas une bonne id\'ee... Il faut s'y habituer, comprenez-vous? Quelle t\^ete ferai-je, civil?\\
~~~Michel. Mon vieux, vous n'avez pas id\'ee de ce qu'on est \`a l'aise dans des v\^etements civils! Vous verrez soudain l'horizon s'\'elargir! Vous serez comme un cheval auquel on retire ses oeill\`ere. Et puis, songez donc: se sentir utile, constater l'utilit\'e de ce qu'on fait en m\^eme temps qu'on le fait... Le petit bureau de poste avec ses fils t\'el\'egraphiques qui lui arrivent sur son mur par la grand-rue et par la route, c'est lui qui relie le village au reste du monde!\\
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oeill\`ere~~~(馬の)遮眼帯\\
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~~~Suzanne. Il est vrai qu'on exp\'edie parfois des d\'ep\^eches pour des pays extraordinaires, des pays dont on n'avait pas id\'ee...\\
~~~Michel. Tous les gens ont besoin du monsieur et de la dame des Postes; si vous \^etes aimables et obligeants, vous avez des sourires de tout le monde; on est heureux que vous soyez l\`a plut\^ot que d'autres. Vous avez des amies. Ah! voil\`a un m\'etier o\`u l'on peut rendre des services. Est-ce vrai, Suzanne?\\
~~~Suzanne. Pour \c{c}a, oui!\\
~~~Michel. Sans compter qu'avec les ann\'ees, votre situation changerait; l\`a aussi, l'on prend du grade.\\
~~~Suzanne. Et nous en prendrions tous les deux.\\
~~~Michel. Et puis, dites donc, vous pourriez tr\`es bien avoir votre petit avec vous.\\
~~~Suzanne. C'est ce que je voulais dire, tout \`a l'heure.\\
~~~Blondeau, (s'animant.) Avec un jardin, Riquet pousserait bien.\\
~~~Suzanne. Et sous nos yeux. Et nous aurions, sans doute, assez de place pour recevoir maman, de temps en temps.\\
~~~Michel. Non, mais vous voyez-vous, dans un bureau bien clair, bien propre---la seule esp\`ece de bureau en France o\`u il n'y ait presque rien d'inutile---ayant, seuls, la charge et la responsabilit\'e de tout. Votre t\'el\'egraphe ici, votre t\'el\'ephone l\`a; au fond, il y a une porte toujours entr'ouverte qui donne sur votre salle \`a manger...\\
~~~Suzanne. Ou directement sur le jardin.\\
~~~Blondeau. Oui, enfin...\\
~~~Michel. Admettons sur le jardin; et Suzanne est dans le jardin, en train de coudre \`a l'ombre aupr\`es de son fils pendant que vous, Blondeau, assurez le service; s'il arrive que vous n'y suffisiez plus, vous n'avez qu'\`a vous retourner sur votre chaise pour appeler Suzanne.\\
~~~Suzanne. M\^eme s'il y avait presque tout le temps du travail pour deux, il me semble que comme \c{c}a, je n'aurais plus du tout l'impression d'\^etre une employ\'ee.\\
~~~Michel. Il n'y aura pas tout le temps du travail pour deux si vous savez vous arranger.\\
~~~Blondeau. Dans les campagnes, il y a des heures enti\`eres de la journ\'ee o\`u il ne vient personne \`a la poste.\\
~~~Suzanne. Bien s\^ur: cela doit \^etre bien plus agr\'eable qu'ici.\\
~~~Michel. Songez que, pendant la belle saison, votre guichet n'ouvrant qu'\`a huit heures, vous avez bien le temps de jarniner ou d'aller faire un tour \`a bicyclette. A la campagne, on est matinal.\\
~~~Suzanne. Moi, je cultiverais des fleurs et des l\'egumes.\\
~~~Blondeau. Il faudrait que nous ayons la chance de tomber dans un pays o\`u il y ait une rivi\`ere poissonneuse.\\
~~~Suzanne. L'hiver, j'embellirais ma maison et je recommencerais \`a lire.\\
~~~Blondeau. Moi, je n'ai jamais \'et\'e tr\`es port\'e sur la lecture, mais cela tient \`a ce que je ne suis jamais tomb\'e sur des bouquins int\'eressants.\\
~~~Michel. Je vous en enverrais et vous les feriez lire \`a vos amis, \`a quelques personnes du pays et des environs. Vous formeriez un petit cercle.\\
~~~Suzanne. Oui! Oui! Nous serions bien plac\'es pour cela. Oh! Michel, je fonderais une succursale de la biblioth\`eque de Saint-Serge.\\
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succursale~~~支店\\
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~~~Michel. Voil\`a! Merci, Suzon! Cela faisait parite de mon programme. Mais j'attendais que l'id\'ee v\^int de toi.\\
~~~Blondeau. Avant tout, il faut examiner s\'erieusement la chose. (A Michel.) On trouve tous les renseignements pour cet emploi dans le livre dont vous parliez?\\
~~~Michel. A peu pr\`es tout, je crois...\\
~~~Suzanne. Il faut le consulter au plus t\^ot. Oh! Michel, j'ai h\^ate de savoir! Ce serait si bien! si bien! Ne trouves-tu pas, Armand?\\
~~~Blondeau. Eh! fichtre si! Mais il ne faut pas s'emballer si vite, nous n'y sommes pas!\\
~~~Michel. C'est bien simple: je vais donner un coup d'oeil \`a la librairie et je reviens dans un quart d'heure avec ce livre.\\
(Il saisit son chapeau.)\\
~~~Blondeau. Vous plaisantez! Vous n'allez pas vous donner cette peine.\\
~~~Suzanne. Michel, nous attendrions bien \`a demain.\\
~~~Michel. Non, j'y vais.\\
(Il se dirige vers la porte.)\\
~~~Blondeau, (le suivant.) Pourvu que nous soyons tous deux dans les conditions pr\'evues par le r\`eglement!\\
~~~Michel, (s'arr\^etant.) Et quand bien m\^eme vous n'y seriez pas, la belle affaire! Nous trouverions autre chose!\\
~~~Suzanne, (alarm\'ee.) Oh! moi, je veux croire au petit bureau de poste! Et \`a biblioth\`eque: J'en r\^eve d\'ej\`a.\\
~~~Blondeau. Vous avez eu l\`a une id\'ee si r\'econfortante...\\
~~~Michel. Tant mieux, faites des projets, des bouquets de projets, humez l'espace, prenez de l'\'elan! Voyons! est-ce que tout est perdu parce que vous ne serez pas officier?\\
~~~Suzanne. Dire que nous l'avons cru!\\
~~~Blondeau. Je l'ai cru, mais je ne le crois plus.\\
~~~Michel. Est-ce que tout serait \`a nouveau perdu si, par malchance, il vous fallait ne plus penser \`a ce petit bureau de poste de campagne, auquel vous ne pensiez pas il y a une heure?\\
~~~Suzanne. Tais-toi! Je veux pouvoir y penser!\\
~~~Michel, (allant vers la porte en riant.) Je vais chercher le livre, Suzanne, j'y cours! Mais rien ne serait perdu! Il y a des joies que vous r\^evez de faire vivre l\`a-bas. Cela prouve qu'elles existent, en germe; vous les porteriez ailleurs...\\
~~~Blondeau. Il est certain qu'on ne peut pas dire que rien soit jamais perdu... Ce n'est pas parce que le sol nous manque une fois...\\
~~~Michel, (dans l'embrasure de la porte, o\`u Suzanne et Blondeau l'ont suivi.) Bravo! Et puis... nous sommes jeunes. Vous en \^etes encore au d\'emarrage, vous autres... Allons, \`a tout \`a l'heure!\\
~~~Suzanne, (le retenant un instant par la main.) A tout \`a l'heure, Michel! Merci! merci! merci! Je me sens rena\^itre!\\
(Michel sort.)\\
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Les m\^emes, moins Michel.\\
~~~Blondeau, (il s'est mis \`a marcher f\'ebrilement de long en large.) Moi, Suzanne, je verrais une localit\'e de trois mille habitans, pas plus, dans un pays agricole, avec une belle rivi\`ere o\`u l'on pourrait p\^echer.\\
~~~Suzanne, (mettant les chaises en ordre.) Oui, mon ch\'eri!\\
~~~Blondeau. Nous conna\^itrions rapidement des gens agr\'eables \`a fr\'equenter. Naturellement, nous ne pourrions pas fr\'equenter tout le monde; mais il est certain que par nos fonctions m\^emes, nous jouirions de la consid\'eration g\'en\'erale.\\
~~~Suzanne, (le regard ailleurs.) ...Je commencerais par fixer deux soirs par semaine pour le pr\^et des livres. Ceux qui habiteraient trop loin pourraient venir le dimanche...\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau.)\\
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Octobre 1920-Novembre 1921

}
\end{document}