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\begin{document}
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\oddsidemargin = 1cm
\baselineskip=1cm
{
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Michel Auclair\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Pi\`ece en trois actes de Charles Vildrac \\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~\`a la m\'emoire de mon ami\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Gaston Thiesson\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~Personnages\\
Michel Auclair, 26 ams. commis de librairie.~~~M. Georges Vitray.\\
Suzanne Catelain, 23 ans. Mlle Catherine Jordaan.\\
Madame Catelain, 50 ans. Mme Gina Barbieri.\\
Louis Catelain, 21 ans, sergent d'infanterie. M. Robert Allard.\\
Armand Blondeau, 28 ans, sous-officier rengag\'e, puis adjudant.\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~M. Albert Savry.\\
Colson, cantinier. M. Andr\'e Bacqu\'e.\\
Pierrot, jeune gar\c{c}on.\\
\\
La pi\`ece se passe avant 1914, dans une ville de province
fran\c{c}aise.---Armand Blondeau et Louis Catelain
portent donc les uniformes d'infanterie d'avant la guerre:
pantalons rouges, tuniques, k\'epis, \'epaulettes.\\
\\
k\'epis~~~軍帽\\
\\
Cette pi\`ece a \'et\'e repr\'esent\'ee pour la premi\`ere fois au
th\'e\^atre du Vieux-Colombier, avec la mise en sc\`ene de
Jacques Copeau, le 21 d\'ecembre 1922.\\
\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 1\\
(Un jardin devant une maison. Au fond et au centre,
porte de la maison, flanqu\'ee de deux fen\^etres sym\'etriques
orn\'ees de g\'eraniums. Plates-bandes fleuries
contre la maison. En avant et \`a droite, table et
chaises contre un arbuste en fleurs. Pleine lumi\`ere
d'un bel apr\`es-midi de printemps.)\\
\\
flanqu\'ee~~~側面を保護する\\
Plates-bandes~~~花壇\\
arbuste~~~小灌木\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 1\\
~~~~~~Michel, Madame Catelain, Suzanne.\\
(Madame Catelain tricote, assise au fond,
devant la porte de la maison. A la table,
Suzanne coud, affair\'ee. Michel, les mains
dans les poches, est camp\'e devant Suzanne.)\\
\\
affair\'ee~~~忙しそうに\\
camp\'e~~~ある状態におかれた\\
\\
~~~Michel. Madame Catelain!\\
~~~Madame Catelain. Mon gar\c{c}on?\\
~~~Michel. Vous qui \^etes une femme sens\'ee, dites donc \`a
votre fille d'aller se promener un peu avec moi au
bord de la rivi\`ere!\\
~~~Suzanne. Oh! le tentateur! Puisque je te dis, Michel qu'il
faut que j'ach\`eve cette chemisette! On ne peut pas
tout avoir: Si nous voulons aller au bal ce soir ...\\
~~~Madame Catelain. Et puis son fr\`ere va arriver, Michel. Il est de
service jusqu'\`a cinq heures. Il vaut mieux qu'il
vous trouve l\`a tous les deux: Il finit par n'\^etre
jamais avec sa soeur.\\
~~~Michel. Bon! Compris! On est d'ailleurs d\'elicieusement
bien, ici.\\
~~~Suzanne. Si tu \'etais gentil tu t'assoierais pr\`es de moi et
tu me ferais la lecture.\\
~~~Michel, (se mettant \`a marcher.) Je n'en
suis pas capable aujourd'hui, Suzon.
Pourtant je voudrais bien: C'est le dernier dimanche
ici, avant mon d\'epart.\\
~~~Suzanne. Ce n'est pas certain! ...\\
~~~Michel. Pas certain, certain, mais probable. J'y pensais
ce matin; je me disais: il faut que ce soit un dimanche
comme les autres; comme si je n'allais pas partir:
Lecture avec Suzon, rire avec Suzon, silence avec
Suzon ...\\
~~~Madame Catelain. Et avec moi aussi un peu?\\
~~~Michel. Bien s\^ur! avec vous aussi ... Mais l'obsession
de ce d\'epart! Depuis huit jours que j'ai quitt\'e ma
place, je suis comme un homme qui attend le train.
S'il sort de la gare et va prendre un caf\'e en face,
il n'est pas tranquille, il tr\'epigne et il se br\^ule.\\
\\
tr\'epigne~~~足を踏みならす\\
se br\^ule~~~身体をこがす、思いをこがす\\
\\
~~~Suzanne. Monsieur, vous exag\'erez. Vous n'\^etes pas encore
entr\'e dans la gare.\\
~~~Michel. Je suis d\'ej\`a engag\'e dans mon entreprise, Suzon.
Le premier pas est fait. Je n'appartiens plus \`a la
librairie des Demoiselles Montifroy. Me voici hors
de l'ossuaire. Mes mains ne sentent plus le moisi.
Voici huit jours que je n'ai pas touch\'e un livre
idiot; huit jours que je n'ai plus tendu leur \'ecoeurante
pitance aux saintes perruches de Saint-Serge.\\
(Suzanne rit.)\\
\\
ossuaire~~~骨の山、死屍収容所\\
moisi~~~黴(かび)\\
\'ecoeurante~~~胸の悪くなる\\
pitance~~~修道院で毎食事に修道士に支給されるパン、葡萄酒、肉の一人前\\
perruches~~~いんこ\\
\\
~~~Madame Catelain. Pas si haut! ...\\
~~~Michel. Huit jours aussi que je ne sais plus que faire de
mon corps. Trop nerveux pour lire ou aller \`a la
p\^eche. Trop pr\'eoccup\'e pour voir des gens ...
Parbleu, j'ai bien \'et\'e courir un peu dans la campagne,
mais il faisait trop beau ...\\
~~~Suzanne. Trop beau?\\
~~~Michel. Oui, trop beau pour que j'aie pu me pavaner
dans l'herbe pendant qu'une Suzon faisait des
\'ecritures, derri\`ere un guichet.\\
(Suzanne l\`eve tendrement les yeux vers
lui qui, au passage, l'effleure d'un baiser.)\\
\\
pavaner~~~孔雀のように大気取りで歩く\\
\\
~~~Quand je pense qu'avant-hier, madame Catelain,
votre fils m'a fait accepter une partie de billard!\\
~~~Madame Catelain. Je croyais que tu ne savais pas y
jouer.\\
~~~Michel. Non, je ne sais pas; j'ai jou\'e \`a faire celui qui
savait. J'ai impatient\'e l'ami de Louis, vous savez,
les belles moustaches, le faux officier?\\
~~~Suzanne. Blondeau?\\
~~~Michel. Oui, Blondeau.\\
~~~Suzanne. Pourquoi l'appelles-tu toujours le faux officier?
Ce gar\c{c}on a bien le droit d'\^etre \'el\'egant si l'uniforme
lui va bien. Je voudrais voir Louis avec une tunique
comme la sienne, noire, bien ajust\'ee, en drap fin,
avec un col haut.\\
~~~Michel. Attention, Suzon! Cette tenue-l\`a, pour un
sous-off, c'est le signe de la vocation militaire.
Il l'a, lui, Blondeau, la vocation militaire. C'est-\`a-dire
qu'il a rengag\'e pour la prime de v\^etement;
de v\^etement fantaisie. Louis m'a racont\'e que ce
superbe Blondeau enseigne aux jeunes soldats
qu'entre le sous-officier et l'officier, il y a le sous-officier
sup\'erieur qui est le rengag\'e.\\
\\
vocation~~~天職\\
rengag\'e~~~再役下士官\\
\\
~~~Madame Catelain. Il para\^it
qu'il travaille pour devenir officier.\\
~~~Michel. Il deviendra colonel, ou gendarme, selon l'orientation
de ses moustaches.\\
~~~Suzanne. Moqueur!\\
~~~Michel. Bon! Je le nomme colonel avant de m'en aller.
Autant lui qu'un autre; il n'est pas mauvais gar\c{c}on
et joue tr\`es bien au billard. Seulement, qu'il ne
contamine pas Louis, avec son drap d'officier.\\
~~~Madame Catelain. N'aie pas peur. Si Louis
s'est engag\'e, c'est bien
uniquement pour \^etre en garnison ici. Il a un m\'etier, lui.\\
\\
garnison~~~駐屯部隊\\
\\
~~~Michel. Il sera du Saint-Serge de demain, avec nous, Suzon.\\
~~~Suzanne, (apr\`es un silence) H\'elas! en attendant le Saint-Serge de demain, je demeure, moi, du Saint Serge d'aujourd'hui.\\
~~~Michel. Erreur! Ce n'est qu'une apparence! Erreur et blasph\`eme, Suzon! Parbleu! oui, tu continues de figurer au bureau de poste! d'\'etablir automatiquement les mandats que Guerbois exp\'edie \`a son marchand de beurre, et de recommander les \'echantillons ...\\
\\
blasph\`eme~~~冒涜的言辞\\
mandats~~~委託、為替\\
exp\'edie~~~発送する\\
\\
~~~Suzanne. De la maison Legris.\\
~~~Michel. Mais il y a mes lettres, Suzon. D\`es que j'arrive \`a Paris, tu as une vue sur Paris! Mes lettres te racontent Paris. Tu y suis chacun de mes pas. J'entre en fonction dans cette librairie et tu sais ce que j'apprends l\`a. Tu connais les hommes, les id\'ees, les livres que je rencontre. Je me nourris solidement. J'\'etudie dans ses coins et recoins toute la librairie ancienne et moderne, fran\c{c}aise et \'etrang\`ere. Je lis, je lis, j'absorbe tous les auteurs neufs, tous ceux que l'\'elite d'Europe \'ecoute et dont on ne sait pas m\^eme les noms, \`a Saint-Serge. Tu partages toutes mes surprises, tout mon butin, tous mes espoirs.---Si tu veux bien!\\
\\
recoins~~~奥まった隅\\
butin~~~獲物\\
\\
~~~Suzanne, (protestant.) Oh!\\
~~~Michel. Tout ce que je ne peux partager de suite avec toi, ma ch\`ere Suzon, tu l'auras \`a mon retour.\\
~~~Suzanne. Tu m'enverras les plus beaux livres que tu trouveras?\\
~~~Michel. Bien s\^ur. Et dans un an, un beau matin, je d\'ebarque \`a Saint-Serge, qui ne se doute pas de ce qui l'attend. (Un repos.) Je n'affronte pas imm\'ediatement des compatriotes. Je r\'ealise d'abord mes quatre sous. Je vends le moulin de Preuillant, dont je n'ai pas pu toucher les loyers depuis que mon oncle est mort.\\
~~~Madame Catgelain. Tu n'oses pas les r\'eclamer ...\\
~~~Michel. Je r\'ealise mes quatre sous. Et nous nous marions, Suzon. (Enjou\'e.) Vous voulez bien, maman Catelain?\\
\\
Enjou\'e~~~快活に\\
\\
~~~Madame Catelain. Il y avait vraiment longtemps que tu ne m'avais demand\'e la main de ma fille. L'an dernier, je ne pouvais pas te prier de me fendre du bois ou d'allumer la lampe sans que tu me r\'epondes: A une condition ... c'est que vous m'accordiez la main de Suzon. Depuis quelque temps, tu es plus r\'eserv\'e.\\
\\
fendre~~~裂く、裂ける\\
me fendre du bois~~~???\\
d'allumer la lampe~~~???\\
\\
~~~Michel. Parce que c'est devenu plus s\'erieux.\\
~~~Suzanne. Il s'adresse a moi, maintenant.\\
~~~Madame Catelain. Il estime que \c{c}a ne me regarde plus.\\
~~~Michel, (courant embrasser Mme Catelain.) Puisque vous avez consenti! (Il revient.) Que disais-je?\\
~~~Suzanne. ... Nous nous marions, Suzon.\\
~~~Michel. Ah! oui. Nous nous marions, Suzon, et nous commen\c{c}ons par aller courir les plus belles routes du monde. C'est-\`a-dire que je te prends par la main et que nous voil\`a partis \`a travers les champs, les bois, les villages, tant\^ot courant, tant\^ot \`a petits pas. Suzon est fatigu\'ee, on s'allonge au frais dans l'\'et\'e. C'est bien simple, il y a des fleurs partout. Suzon d\'ecouvre, avec les yeux que voici, le merveilleux univers, dont on n'aper\c{c}oit qu'une infime partie dans un bureau de poste. Et moi, je vais des yeux de Suzon \`a ce qu'ils regardent. Bref: la Provence, Marseille ...\\
\\
frais~~~微風、冷気\\
infime~~~微細な、最下層の\\
dont on n'aper\c{c}oit qu'une infime partie~~~?\\
je vais des yeux de Suzon \`a ce qu'ils regardent~~~?\\
\\
~~~Suzanne. Nice, Michel!\\
~~~Michel. Nice, les Alpes, la Savoie, la mer, les arbres, les clochers, les montagnes, la neige et les nuages! Et nous rentrons \`a Saint-Serge, "ma femme et moi", pour de grands desseins.\\
~~~Suzanne, (exultant.) Oh! ...\\
~~~Madame Catelain. O\`u l'installeras-tu, ton Universit\'e populaire?\\
~~~Suzanne. Mais non, maman: une librairie!\\
~~~Michel. J'ouvre d'abord une librairie, madame Catelain. N'anticipons pas. Tout part de l\`a.\\
~~~Madame Catelain. Suzanne m'a racont\'e tant de choses!\\
~~~Michel, (allant \`a Madame Catelain.) Je reviens de Paris, libraire. La librairie, c'est un m\'etier qu'il faut apprendre, que je sais mal. Bon. J'ouvre ici une librairie, une vraie librairie. Je laisse le papier \`a lettres, les essuie-plume et les cartes postales artistiques aux demoiselles Montifroy. Je leur laisse la Biblioth\`eque des Demoiselles et la Bonne Presse. Je vends des livres, je loue des livres, je pr\^ete des livres. Je m'installe du c\^ot\'e de la place de la Fontainerie. C'est un carrefour qui re\c{c}oit tous les ouvriers et les employ\'es du quartier haut, les soldats qui descendent en ville, les bourgeoises qui vont au march\'e, les fl\^aneurs qui vont au Pont de Vue.\\
\\
essuie-plume~~~ペン拭き\\
la Bonne Presse~~~不明\\
fl\^aneurs~~~ぶらぶら歩く人\\
\\
Il y a dans ma librairie une salle o\`u l'on peut lire gratuitement toutes sortes de journaux et de revues dont les gens de Saint-Serge n'ont m\^eme pas id\'ee.\\
~~~Suzanne. Alors, tu comprends, maman, il y en a qui ach\`eteront, s'abonneront ...\\
\\
s'abonneront~~~予約する\\
\\
~~~Madame Catelain. Pourvu seulement qu'ils y viennent.\\
~~~Michel. Ils y viendront! ... Ils y viendront peu \`a peu. Oh! peut-\^etre pas tout seuls. Il faudra que j'aille les chercher. Je suis un des rares indig\`enes qui parle \`a tout le monde. J'aurai d'abord quelques copains ...\\
\\
indig\`enes~~~土着の、住民\\
\\
~~~Suzanne. Les autres viendront d\`es qu'ils sauront que c'est un endroit de plus \`a Saint-Serge o\`u l'on peut aller.\\
~~~Michel. Ils s'ennuient, ils s'ennuient, ils viendront. Voyez-les, d\`es cinq heures, se jeter tous, sans m\^eme boire, sur les banquettes du caf\'e du Commerce, pour p\^aturer la \textit{Gazette de Saint-Serge}. Encore ont-ils une telle habitude du vide qu'ils ne savent pas eux-m\^emes \`a quel point ils s'ennuient. C'est moi qui leur ferai sonder leur vide.\\
\\
banquettes~~~腰掛\\
p\^aturer~~~草を食う、飼料を取る\\
sonder~~~探りを入れる、sonde を入れて調べる\\
\\
Ils en auront le vertige. Ils ne sont pas tous incurables; ils ne sont pas tous vieux. J'imprimerai un bulletin-catalogue qui les provoquera partout: au caf\'e, chez le coiffeur, \`a la sortie de la messe, au saut du lit, avec leur petit d\'ejeuner du dimanche. Je les d\'ecrasserai lentement, sans le leur dire.\\
\\
d\'ecrasserai~~~垢を落とす\\
\\
Tout notre art, maman Catelain, sera de leur faire lire ce que nous voudrons et qu'ils aient l'illusion de choisir eux-m\^emes leurs lectures. Il va de soi qu'il faudra commencer par les amuser, sans plus. Mais apr\`es trois ans, apr\`es cinq ans, vous verrez, vous verrez Saint-Serge! L'Universit\'e libre de Saint-Serge, les conf\'erences de Saint-Serge, les concerts de Saint-Serge, l'amiti\'e de Saint-Serge!\\
\\
sans plus~~~不明\\
\\
Ah! Suzon, j'arriverai \`a placer le m\^eme livre chez un ouvrier de l'usine Hibruner, chez Ricard le chapelier, qui n'est pas un sot, chez le Juge de Paix, qui est pesant de vermouth et de b\^etise, mais qui a deux pauvres filles; que sais-je? chez la demoiselle des postes qui remplacera Suzon.\\
\\
chapelier~~~帽子製造人\\
pesant~~~重い、重さのある\\
\\
Tous ces gens qui n'ont en commun que la langueur de Saint-Serge, auront alors en commun ce livre, la flamme de ce livre! Quand ils marcheront dans la rue, ils chantonneront le nez en l'air, au lieu de s'\'epier en dessous.\\
\\
langueur~~~衰弱、憔悴、ものうさ\\
chantonneront〜〜〜小声で歌う\\
\'epier~~~(人の行動を)探る\\
\\
~~~Madame Catelain. Est-il Dieu possible!\\
~~~Suzanne. Dis donc, Michel, pour les livres en location, moi, je serais d'avis qu'on adopte une reliure en toile uniforme, avec dessus ...\\
\\
reliure~~~製本師\\
\\
~~~Michel. Ah non! ...\\
~~~Suzanne. Ecoute donc! Avec, sur le haut de la couverture, en lettres de couleur: Biblioth\`eque Michel Auclair. En bas, on pourrait mettre une maxime, une devise, comme ...\\
~~~Michel. Comme?\\
~~~Suzanne. Je ne sais pas, moi: "Cultivez votre esprit", ou: "On s'enrichit en lisant" ... Naturellement, ce serait \`a traver.\\
~~~Michel. Non, madame! D'abord, j'\'eviterai plut\^ot d'habiller tous les livres de la m\^eme mani\`ere, comme les soldats. Il ne s'agit pas de les confondre; ce sont, par excellence, des personnes distinctes. Il faut qu'on puisse aller droit \`a elles. Tout au plus mettrons-nous la m\^eme robe \`a tous les livres du m\^eme auteur. Ensuite, Suzanne, il faudra que celui qui emportera pour huit jours un livre chez lui, ait l'impression que ce livre est son livre. En fait, tant qu'il le lira et l'aimera, ce sera son livre, rang\'e sur une planche \`a c\^ot\'e de ses autres livres. Il faudra qu'il ne lui trouve pas une figure d'\'etranger. L'\'etiquette de la librairie Michel Auclair se tiendra discr\`etement \`a l'int\'erieur de la couverture avec un petit num\'ero qui n'aura rien d'un matricule.\\
\\
par excellence~~~なかんずく、この上なく\\
planche~~~板\\
matricule~~~登録簿\\
\\
~~~Suzanne. Tu crois?\\
~~~Michel. Oui, Suzon. Quant \`a une maxime ou une devise, non, non! Grave erreur! Tiens! Quand j'\'etais au coll\`ege, ma joie \'etait d'\'ecrire \`a ma m\`ere. Mais il y avait sur les murs du r\'efectoire, en grosses lettres peintes: "Ecrivez \`a vos familles". Eh bien, plusieurs fois cela m'a emp\^ech\'e d'\'ecrire. Mais j'ai une autre id\'ee. A la fin de chaque volume, il y aura quelques pages blanches, o\`u tous ceux qui l'auront lu pourront inscrire leur nom. Alors, il y aura des noms de Saint-Serge qui se rencontreront une fois, deux fois, dix fois sur ces listes; et les gens qui ont lu les m\^emes beaux livres, tu le sais, Suzon, ont en commun des tr\'esors dont ils parlent quand ils se rencontrent, ou qui les font se rencontrer un jour, s'ils habitent la m\^eme petite ville. Nous arriverons \`a consacrer des causeries, des lectures publiques \`a un auteur, en conviant tous ceux qui l'aimeront.\\
\\
r\'efectoire~~~食堂\\
consacrer~~~確率する、神聖にする\\
conviant~~~適合する、相応しい、(ここでは他動詞??)\\
\\
~~~Suzanne. Oh! oui, Michel! On f\^etera le livre qui portera cent noms de lecteurs, si c'est un vrai beau livre.\\
~~~Madame Catelain. Eh! tes livres feront des mariages dans Sant-Serge.\\
~~~Michel. Qui sait? Si les po\`etes faisaient des mariages, ils les feraient mieux que les cur\'es et les vieilles dames.\\
(Louis Catelain et Blondeau sont entr\'es par la droite.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Les m\^emes, Louis, Blondeau.\\
~~~Louis, (serrant la main de Michel.) Bonjour, vieux! Qu'est-ce que j'entends? Tu veux marier les cur\'es avec les vieilles dame? Quelle horreur! Bonjour, maman! (Il embrasse Madame Catelain.) Bonjour, Suzon! (Il embrasse Suzanne.) (Michel et Blondeau se serrent la main.) Je vous am\`ene Blondeau \`a souper, car il ira au bal avec nous ce soir.\\
(Louis \^ote ceinturon et ba\"ionette qu'il accroche \`a l'arbre. Il d\'eboutonne sa tunique.)\\
\\
ceinturon~~~バンド\\
ba\"ionette~~~銃剣\\
\\
~~~Suzanne, (qui s'est lev\'ee, tendant la main \`a Blondeau.) Bonjour, monsieur.\\
~~~Blondeau. Mademoiselle ... (A Madame Catelain en la saluant.) Catelain m'a invit\'e, madame, mais il ne faut pas que cela vous d\'erange.\\
~~~Madame Catelain. Monsieur, j'ai toujours du plaisir \`a voir ici les camarades de mon fils. On aura t\^ot fait de mettre une assiette de plus. Faites comme chez vous!\\
\\
On aura t\^ot fait~~~すぐ椅子を持ってきますわ\\
\\
(Elle rentre dans la maison, et pendant toute la sc\`ene revient ou sort, vaquant \`a ses occupations.)\\
(Suzanne a reprit sa place.)\\
\\
vaquant \`a~~~従事する\\
\\
~~~Louis, (disposant des chaises.) Assieds-toi donc, Blondeau. Tu peux te mettre \`a ton aise. (Il lui prend son k\'epi et le pose sur la table. Blondeau s'assied, tenant son \'ep\'ee entre ses jambes.)\\
\\
k\'epi~~~軍帽\\
\\
~~~Michel, (\`a Blondeau.) D\'ebarrasez-vous donc de cet instrument! Allez-vous emporter cela au bal?\\
~~~Blondeau, (lui donnant son sabre que Michel va poser sur la table.) Il faut bien!\\
~~~Suzanne. Vous ne serez pas oblig\'e de le garder pour danser?\\
~~~Blondeau. Oh, non, mademoiselle. Je le laissera au vestiaire.\\
\\
vestiaire~~~クローク\\
\\
~~~Michel. C'est dommage, ce pourrait \^etre d'un joli effet.\\
~~~Louis. Dans les jambes de la danseuse.\\
~~~Blondeau. Ne riez pas. Nos anciens dansaient avec le sabre; avez-vous vu jouer la \textit{Fille de Madame Angot}? Dans la \textit{Fille de Madame Angot}, les hussards d'Augereau valsent avec le sabre battant leurs mollets. Cela m'a frapp\'e.\\
\\
hussards~~~軽騎兵\\
mollets~~~ふくらはぎ\\
\\
~~~Louis. Oui. Mais c'\'etait des petits sabres tr\`es courbes, suspendus par le milieu du fourreau ...\\
\\
fourreau~~~鞘\\
\\
~~~Blondeau. Il y avait aussi la sabretache qui faisait tr\`es bien. D'ailleurs, les uniformes de ce temps-l\`a! ...\\
\\
sabretache~~~(1870年以前騎兵将校が)サーベルの帯革から左の腰に下げた鞄\\
\\
~~~Michel, (enjou\'e.) Il y avait aussi les longs \'eperons qui sonnaient sur le pav\'e, qui sonnaient dans le ventre des chevaux, qui sonnaient dans le coeur des belles! Ah! c'\'etait beau. Et c'est devenu encore plus beau sous l'Empire. (A Madame Catelain qui vient \'eplucher une pomme de terre sur le pas de sa porte.) Maman Catelain, donnez-moi vos pommes de terre \`a \'eplucher!\\
\\
enjou\'e~~~(会話などに)陽気な調子を持たせる\\
\\
~~~Madame Catelain. Veux-tu bien te sauver!\\
~~~Louis. Fais voir, Suzon, ta chemisette?\\
\\
chemisette~~~(婦人用の)胸着\\
\\
~~~Suzanne. Non, attends, je n'ai pas fini.\\
~~~Louis. Si! donne! une seconde seulement!\\
~~~Suzanne. Tout \`a l'heure. (Louis s'empare de la chemisette.) Oh! Louis! Mon aiguille! Corrige-le, Michel!\\
\\
s'empare~~~奪い取る\\
\\
~~~Louis. L\`a, l\`a ... J'ai vu.\\
~~~Suzanne. Je ne sais plus o\`u j'en suis maintenant. Punissez-le donc, monsieur Blondeau.\\
~~~Blondeau. Mademoiselle, je n'ai pas le doit de le punir. Nous sommes du m\^eme grade, ou du moins c'est tout comme.\\
~~~Louis, (d\'esignant Blondeau de doigt.) Ah! mais, \`a propos! Vous ne savez pas la nouvelle?\\
~~~Blondeau, (modeste.) Allons, tais-toi!\\
~~~Suzanne. Quelle nouvelle?\\
~~~Michel. Vous venez de passer un examen avec succ\`es?\\
~~~Blondeau. Non ... ce n'est rien!\\
~~~Louis. Il pourra me punir, Suzon! il va passer adjudant!\\
\\
adjudant~~~準士官\\
\\
~~~Madame Catelain, (qui s'est approch\'ee, \`a Blondeau.) Oh! tr\`es bien monsieur!\\
~~~Suzanne. Compliments!\\
~~~Madame Catelain. Adjudant, c'est officier?\\
~~~Blondeau. Hum ... presque.\\
~~~Michel. Mais c'est un grade o\`u l'on n'arrive pas d'ordinaire \`a votre \^age! Je n'ai jamais vu, \'etant soldat, d'adjudants qui ne fussent d\'ej\`a des hommes m\^urs et d'ailleurs redoutables ...\\
\\
redoutables~~~恐ろしい\\
\\
~~~Blondeau, (souriant.) C'est vrai. Je serai le plus jeune adjudant du r\'egiment. Mais mon cas est tout \`a fait sp\'ecial. Je ne ferai que passer par ce grade. Je pr\'epare un examen ...\\
~~~Louis. Pour devenir officier.\\
~~~Michel. Vous allez entrer \`a l'\'Ecole de Saint-Maixent?\\
~~~Blondeau. Hum ... non. Le concours d'admission est extr\^emement difficile; il y a \'enorm\'ement de candidats. Je me suis pr\'esent\'e il y a quatre ans sans succ\`es. Alors, j'ai pris une autre voie. Je pr\'epare l'examen d'officier de gardes-forestiers. Je me suis laiss\'e dire qu'il est peu connu et conduit \`a des postes tr\`es agr\'eables. J'arriverai \`a passer cet examen, bien qu'il soit assez diffcile. C'est le colonel qui, m'ayant remarqu\'e, m'a donn\'e cette id\'ee; et c'est surtout pour m'avantager qu'il va me nommer adjudant, ainsi qu'il me l'a annonc\'e hier matin. Car on tient compte des notes et du grade des candidats.\\
\\
gardes-forestiers~~~林務官\\
\\
~~~Suzanne. Il est gentil, votre colonel. Je le croyais terrible.\\
~~~Louis. C'est un vieux chameau, mais il est sensible \`a la prestance.\\
\\
chameau~~~らくだ、ずるい奴\\
prestance~~~堂々たる風采\\
\\
~~~Blondeau. C'est-\`a-dire qu'il a une sorte de flair. Un soir, je sortais du quartier comme il y entrait, en compagnie du capitaine Philippi. J'\'etais en tenue num\'ero 1, comme aujourd'hui. Je me mets au garde-\`a-vous, je le salue, il s'arr\^ete, me regarde et dit \`a Philippi: "Voil\`a un gar\c{c}on qui peut faire un officier." Il me demande mon nom et me dit qu'il se souvient que j'ai pr\'epar\'e Saint-Maixent. Il ne m'avait jamais adress\'e la parole auparavant. A quelques jours de l\`a, il m'a fait appeler pour me signaler l'examen d'officier forestier.\\
\\
flair~~~嗅覚\\
garde-\`a-vous~~~気をつけの姿勢\\
signaler~~~特にあることを取り上げて人に指示報告する\\
\\
~~~Michel. Vous prenez des le\c{c}ons?\\
~~~Blondeau. Oui, avec un jeune soldat qui est bachelier. Il me donne une heure tous les soirs; moyennant quoi je le dispense de corv\'ees.\\
\\
bachelier~~~騎士候補生、大学入学資格者\\
corv\'ees~~~賦役労働、雑役\\
\\
~~~Michel. C'est un veinard.\\
\\
veinard~~~運のよい人\\
\\
~~~Louis, (\`a Michel.) Quand pars-tu, Michel?\\
~~~Michel. D'un jour \`a l'autre. Je suis pr\^et.\\
~~~Louis, (se levant.) Ah! heureux homme! Aller \`a Paris! Sortir de ce trou!\\
~~~Michel. Ce trou, je le comblerai \`a mon retour, nous le comblerons tous ensemble, si vous voulez bien.\\
~~~Blondeau. A votre retour, je chevaucherai, j'esp\`ere, tout de vert habill\'e, dans quelque for\^et de l'Etat, en tourn\'ee d'inspection.\\
\\
chevaucherai~~~馬に乗って行く\\
\\
(Il continue de parler avec Michel.)\\
~~~Louis. Tu n'as pas bient\^ot fini de coudre, ma soeur?\\
~~~Suzanne. Si, pourquoi?\\
~~~Louis. Pour que nous allions nous promener une heure avant le d\^iner.\\
~~~Suzanne. J'en ai peut-\^etre encore pour un quart d'heure, peut-\^etre une demi-heure, je ne sais.\\
~~~Blondeau. Nous vous attendrons, mademoiselle.\\
~~~Madame Catelain. Montre-moi ce qu'il te reste \`a faire; je finirai, mon enfant, et vous pourrez aller vous promener. Il faut que ces jeunes gens profitent un peu de leur dimanche.\\
~~~Suzanne. Mais je peux bien finir, maman.\\
~~~Michel, (\`a Louis.) O\`u veux-tu aller?\\
~~~Louis. Faire le tour des remparts ... aller demander en passant aux Gu\'erin s'ils vont au bal ce soir.\\
~~~Suzanne. Eh bien, partez devant, tous les deux, sans vous presser, M. Blondeau et toi. Nous vous rejoignons chez les Gu\'erin. J'ai presque fini.\\
~~~Louis. C'est cela. Viens, Blondeau.\\
~~~Blondeau, (allant prendre son \'ep\'ee et son k\'epi.) Alors, mademoiselle, sans adieu.\\
~~~Suzanne. A tout \`a l'heure.\\
~~~Michel. A tout \`a l'heure.\\
~~~Blondeau, (\`a Madame Catelain.) Au revoir, madame.\\
~~~Madame Catelain. Au revoir, monsieur, \`a tout \`a l'heure. Mon petit Louis, je compte sur toi pour les ramener tous \`a sept heures et demie.\\
~~~Louis. Oui, maman. (A Blondeau, en sortant avec lui.) Mon vieux, la petite Gu\'erin, chez qui nous allons, en voil\`a une danseuse ...\\
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~~~~~Michel, Suzanne, Madame Catelain, puis un jeune gar\c{c}on.\\
~~~Michel, (apr\`es un silence.) Possible que la petite Gu\'erin soit une danseuse, mais Suzanne Catelain danse mieux qu'elle.\\
~~~Suzanne. Oh! Michel, nous allons danser beaucouop ce soir, danser pour une ann\'ee tous les deux.\\
~~~Michel. Oui.\\
~~~Suzanne. Tu ne me taquineras pas comme l'autre fois, o\`u tu m'annon\c{c}ais, tout en dansant, que tu allais m'embrasser devant tout le monde au bout de trois?\\
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au bout de trois~~~不明\\
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~~~Michel. Je ne l'ai pas fait.\\
~~~Suzanne. Tu aurais \'et\'e tr\`es capable de le faire.\\
~~~Michel. Ce soir, je ne te parlerai pas en dansant, Suzon. Je ne te regarderai m\^eme presque pas. Nous danserons pour le plaisir de nous sentir aller d'accord, m\^eme dans l'impr\'evu. As-tu remarqu\'e, c'est merveilleux: dans les m\^emes circonstances de la danse, nous faisons spontan\'ement la m\^eme chose, comme si tout \'etait r\'egl\'e d'avance entre nous deux.\\
~~~Suzanne. Oui. Mais c'est toujours ainsi, Michel, avec n'importe quel bon danseur.\\
~~~Michel. C'est vrai. J'ai dans\'e avec d'autres et ce devait \^etre ainsi. Seulement je n'y pensais pas. Avec toi, cet accord ne me fait pas seulement plaisir, il me rend heureux. Danser avec toi, ce n'est pas seulement danser.\\
~~~Suzanne. Pour moi, je ne danse vraiment qu'avec toi.\\
(Un silence.)\\
~~~La voix d'un jeune gar\c{c}on vers la gauche: Monsieur Auclair!\\
~~~Michel, (allant vers la gauche.) C'est mon petit voisin. Entre, Pierrot.\\
~~~Pierrot. Voil\`a une d\'ep\^eche qui vient d'arriver pour vous. Comme je pensais vous trouver ici ...\\
~~~Michel, (prenant la d\'ep\^eche.) Ah! merci, Pierrot! Tu es bien gentil ... Je sais ce que c'est, merci.\\
~~~Pierrot, (s'en allant.) Au revoir!\\
~~~Michel. Au revoir, Pierrot.\\
(Madame Catelain et Suzanne s'empressent vers Michel qui lit.)\\
~~~Madame Catelain. C'est de Paris?\\
~~~Suzanne. C'est de d\'epart?\\
~~~Michel. C'est le d\'epart.\\
~~~Suzanne. Pour quand? ... Dis vite!\\
~~~Michel, (apr\`es un temps de r\'eflexion.) Pour ... Mais pour ce soir m\^eme.\\
~~~Suzanne. Ce soir?\\
~~~Michel. Oui. J'ai attendu cette d\'ep\^eche hier et m\^eme ce matin. Je ne l'attendais plus maintenant. On m'avait \'ecrit qu'il serait possible qu'on e\^ut besoin de moi lundi matin, c'est-\`a-dire demain, et qu'on me pr\'eviendrait en ce cas par d\'ep\^eche.\\
~~~Suzanne. Tu ne nous en as rien dit.\\
~~~Michel. Non, Suzon; ce n'\'etait pas certain. Je ne voulais pas troubler notre soir\'ee d'hier et ce dimanche avec l'id\'ee d'un d\'epart possible. Je me suis content\'e de faire ma valise.\\
~~~Madame Catelain. Tu ne peux pas partir ce soir, comme \c{c}a ...\\
~~~Suzanne. Tu partiras demain.\\
~~~Michel. On me demande comme un service d'entrer en foctions demain matin. Je peux et par cons\'equent dois le faire. Il n'y a qu'un train \`a sept heures et demie. Je n'ai pas le choix.\\
~~~Madame Catelain. Et d\^iner!\\
~~~Suzanne. Voyons, Michel, si la d\'ep\^eche \'etait arriv\'ee deux heures plus tard, il aurait bien fallu que tu ne partes que demain.\\
~~~Michel. Mais puisque, malgr\'e son retard certain, elle arrive \`a temps pour que je parte; puisqu'il faut de toute fa\c{c}on partir, mon petit Suzon! Partir vite en pensant au retour!\\
~~~Madame Catelain. Je vais te faire d\^iner tout de suite!\\
~~~Suzanne. Et tes bagages?\\
~~~Michel. Ecoutez-moi, toutes les deux. Ce d\'epart \'etait pr\'evu. Son heure arrive brusquement. Je dis que c'est mieux ainsi.\\
~~~Suzanne. Tout de m\^eme, non.\\
~~~Madame Catelain. C'est trop pr\'ecipit\'e!\\
~~~Michel. Mes valises et mon pardessus sont tout pr\^ets chez moi. Toutes mes affaires sont en ordre. Maman Catelain aura la bont\'e de me donner un l\'eger repas \`a emporter. Je d\^inerai dans le train. Nous aurons le temps, Suzon et moi, d'aller retrouver Louis, de passer chez moi prendre mes bagages.\\
~~~Suzanne, (navr\'ee.) Puis nous irons \`a la gare!\\
~~~Michel. Oui, Suzon! Mais nous avons le temps! Mais ce n'est pas triste! Il fait toujours un beau ciel et ce d\'epart, encore une fois, est inscrit au programme! Au programme du bonheur! Maman Catelain, il fait encore trop de soleil pour que j'arrose les capucines. Ne les oubliez pas demain matin, je vous prie, ni chaque jour, jusqu'\`a ce qu'elles soient bien parties.\\
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capucines~~~のうぜんはれん\\
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~~~Madame Catelain. N'aie crainte. Suzon t'en enverra dans ses lettres. Pour le moment je vais m'occuper de ton d\^iner.\\
~~~Michel. Un casse-cro\^ute!\\
~~~Suzanne. Non! un bon petit d\^iner. Dans mon panier, maman.\\
~~~Madame Catelain, (entrant dans la maison.) Laissez-moi faire!\\
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~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~Suzanne, Michel.\\
~~~Suzanne. Mon grand, tu pars!\\
~~~Michel. Tu sais, nous nous sommes promis de nous dire au revoir en nous souriant, apr\`es un grand vrai baiser. Tu en parlais toi-m\^eme si calmement, si fermement!\\
~~~Suzanne. Sans tout \`a fait me rendre compte de ce dont je parlais.\\
~~~Michel. Mais tu t'en rends mal compte encore, mon cher Suzon. Tous ces derniers jours, et jusqu'\`a ce moment-ci, l'\'ev\'enement auquel tu pensais, c'\'etait mon d\'epart; en revenant de la gare, tu commenceras \`a penser \`a mon retour!\\
~~~Suzanne. Je ne pensais pas tellement \`a ton d\'epart, puisque tu \'etais l\`a ... (silence.) Je te voyais un petit peu le matin en passant, et la matin\'ee avait un but, car je savais que tu viendrais ici prendre le caf\'e \`a une heure. Et les soir\'ees de lecture, Michel! Et toutes les surprises que tu inventais; les jolies petites taquineries qui m'arrivaient \`a la poste par les voies les plus impr\'evues. J'ai appris comme c'est bon de sentir un Michel qui s'occupe de moi, m\^eme quand il n'en a pas l'air. Et maintenant ...\\
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taquineries~~~からかい\\
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~~~Michel. Dirait-on pas que c'est fini! Mais tout cela ne fait que commencer! Tu n'as pas la moindre id\'ee de l'existence qui sera faite \`a Madame Suzon ... Les petites taquineries de la poste! Les surprises! Mait tout \c{c}a n'est rien, madame, rien \`a c\^ot\'e de ce qui vous attend! R\'evez seulement un peu \`a nos voyages si vous avez de l'imagination!\\
~~~Suzanne. C'est si loin!\\
~~~Michel. Tu verras, tu verras! Quand on se met \`a r\^ever s\'erieusement au bonheur, tu sais, au beau bonheur, celui avec des ailes, toutes sortes d'ailes, des plus douces aux plus vaillantes; quand on se met \`a y r\^ever, on n'a presque plus le temps de compter les jours.\\
~~~Suzanne. Oh! quand tu reviendras! ...\\
~~~Michel. Quand je reviendrai, il fera beau comme aujourd'hui. Nous vois-tu retourner d\`es le premier matin, dans le pr\'e du moulin de Preuillant, \`a notre place, tu sais, sous notre pommier! Nous nous regarderons, nous rirons, nous parlerons de tous les bonheurs \`a la fois. Nous dirons: \c{c}a y est! plus qu'\`a partir! plus qu'\`a s'\'elancer dans les beaux d\'eparts, plus qu'\`a entrer dans notre f\^ete, plus qu'\`a d\'emarrer dans notre entreprise. L'ann\'ee d'absence dispara\^itra d'un seul coup. Nous reprendrons le printemps au point o\`u nous le laissons aujourd'hui. Le pr\'e de Preuillant sera comme nous l'avons quitt\'e hier soir, avec les fleurs du pommier, les reines des pr\'es et la cime des peupliers, toute blonde; seulement, ce sera le matin et ce sera deux fois le printemps, comprends-tu?\\
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d\'emarrer~~~(船の)ともづなを解く\\
reines des pr\'es~~~しもつけ草\\
cime~~~頂上\\
peuplier~~~ポプラ\\
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~~~Suzanne. Oui!\\
~~~Michel. Et puis, te vois-tu allant \`a la librairie donner ton avis au menuisier et au peintre, pendant qu'on am\'enagera? ... Tu sais, je crois que j'obtiendrai les locaux de L\'ecuyer: Il trouvera quelque autre endroit pour emmagasiner ses b\^aches ... C'est tr\`es vaste, et sur la place m\^eme. Je ferais tomber des cloisons. Nous aurions au premier \'etage une salle de conf\'erences plus grande que la salle de bal.\\
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menuisier~~~指物師、大工\\
am\'enagera~~~必要品をとりつける\\
emmagasiner~~~倉に入れる、蓄える\\
b\^aches~~~(鉱山用の)箱、タンク、促成栽培温室、雨覆い\\
cloisons~~~仕切り\\
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~~~Suzanne. On ferait tout peindre en gris clair!\\
~~~Michel. Oui, ou m\^eme en blanc!\\
~~~Suzanne, (apr\`es un silence.) Ah! c'est encore si loin, Michel.\\
~~~Michel. Je ne peux pas aller plus vite, Suzon. Tu vois, je pars ce soir!\\
~~~Suzanne, (riant.) M\'echant!\\
~~~Michel. Et puis, dis donc: je reviendrai te voir deux ou trois fois dans l'ann\'ee. Un jour de f\^ete, et je saute dans le train. J'arrive le matin et je repars le soir.\\
~~~Suzanne. Oh! viens dans deux mois, pour le quatorze juillet!\\
~~~Michel. Peut-\^etre. Et toi, Suzon, toi, si tu pouvais venir une fois \`a Paris, f\^ut-ce un seul jour! Mais tu serais bien lasse! Deux nuits en chemin de fer!\\
~~~Suzanne. Je dormirais dans le train, et je dormirais le lendemain. Oh! si maman veut, j'irai, j'irai!\\
~~~Michel, (la regardant.) Elle voudra, mon beau Suzon. Je lui demanderai; tu viendras, tu te prom\`eneras avec moi, dans Paris ... Dis, tu apporteras tous?\\
~~~Suzanne. Tout quoi?\\
~~~Michel, (\'enum\'erant comme pour un enfant.) Eh bien, par exemple, les beaux sourcils: il faut absolument les avoir pour t'\'etonner et rire avec; et les petites cheveux sur les oreilles; et le nez qui fr\'emit; et la bouche qui veut avoir l'air s\'erieuse; et la voix! la voix qui sort toute chaude et pr\'ecieuse du fond de la gorge et puis fait de temps en temps de jolis bonds, comme un oiseau; enfin, les cent mani\`eres d'\^etre jolie sans le faire expr\`es.\\
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sourcils~~~眉毛\\
beaux sourcils~~~作り眉毛(?)\\
fr\'emit~~~震動する\\
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~~~Suzanne, (tendrement.) Michel! (Ils s'embrassent.) On apportera tout, monsieur; on sera bien oblig\'ee. (Elle rit.)\\
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 5\\
~~~~~~~~~~~~~~Les m\^emes, Madame Catelain.\\
(Madame Catelain apporte et pose sur la table un petit panier.)\\
~~~Madame Catelain. A la bonne heure, j'entends rire!\\
~~~Michel, (\`a Madame Catelain.) Votre fille ne comprenait absolument rien \`a ce d\'epart. Elle croyait que c'\'etait triste.\\
~~~Madame Catelain. Possible que ce soit gai, mon enfant. Mais reviens le plus vite possible et \'ecris-nous d\`es demain. Un grand fou comme toi, \c{c}a tient de la place.\\
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tient de la place~~~不明\\
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~~~Michel, (il va au panier que Suzanne vient d'examiner; il le soup\`ese.) Qu'avez-vous mis l\`a dedans?\\
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soup\`ese~~~手で持ち上げて重さを計る\\
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~~~Madame Catelain. Tu regarderas dans le train, si tu veux. Ne d\'erange rien pour l'instant. Tu nous rapporteras le panier et aussi, mais seulement si tu y penses, mes pots \`a confiture ...\\
~~~Michel. Ma bonne maman Catelain! Vous vous trahissez.\\
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se trahir~~~本心を明かす(?)\\
\\
~~~Madame Catelain. Je crois qu'il faut que vous partiez maintenant, mes enfants.\\
~~~Suzanne. Oui. Mon chapeau.\\
(Elle court \`a la maison o\`u elle entre un instant. Pendant son absence Michel et Madame Catelain \'echangent des recommandations \`a voix basse.)\\
~~~Suzanne, (revenant.) Voil\`a!\\
(Michel va \`a la table pour prendre le panier. Mais il saisit la chemisette que Suzanne y a laiss\'ee.)\\
~~~Michel, (imp\'erieux.) Suzon, tu iras au bal ce soir!\\
~~~Suzanne. Non, Michel.\\
~~~Michel. Il faut, mon petit. D'ailleurs je vais dire \`a Louis et \`a son copain de t'emmener. N'est-ce pas, maman Catelain, qu'elle doit y aller?\\
~~~Madame Catelain. Mais oui! Tu ne vas pas rester ici comme une \^ame en peine!\\
~~~Suzanne. Je n'ai plus envie de danser.\\
~~~Madame Catelain. Tu ne danseras pas. Vas-y pour te distraire.\\
~~~Michel. Si, si, elle dansera! Tu danseras, Suzon, pour me faire plaisir! Pour que, dans le train, je puisse me dire: elle danse, elle rit, elle n'est pas triste, elle pense d\'ej\`a aux lettres qu'elle va recevoir de Paris et elle note ce qu'elle m'\'ecrira. Qui me racontera ce bal, si tu n'y vas pas? Mais tu iras, dis-le!\\
~~~Suzanne. J'irai peut-\^etre.\\
~~~Michel, (enjou\'e.) Il faut que je sois fix\'e d'une fa\c{c}on certaine! Sans cela, impossible de me repr\'esenter ta soir\'ee. Et alors c'est clair, mon voyage devient insupportable. M\^eme s'il y a un type rigolo dans le compartiment, je n'en profite pas.\\
~~~Suzanne, (souriant.) Je ne peux pas dire. D'abord, ma chemisette n'est pas termin\'ee.\\
~~~Madame Catelain, (regardant la chemisette.) Mais si. Que reste-t-il donc \`a faire?\\
~~~Suzanne. Il reste \`a ourler la manche ...\\
\\
ourler~~~縁をかがる\\
\\
~~~Madame Catelain. Je vais le faire. Elle ira, Michel. C'est moi qui te le promets. Allez-vous-en!\\
(Elle les pousse vers la gauche.)\\
~~~Michel. Ah! Maman Catelain, embrassons-nous!\\
(Ils dispaissent \`a gauche.)\\
~~~Madame Catelain, (dans la coulisse.) L\`a! l\`a! Au revoir, mon petit Michel!\\
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coulisse~~~舞台裏\\
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~~~Michel, (s'\'eloignant.) Au revoir, au revoir! Maman Catelain!\\
(Madame Catelain rentre, essuie furtivement une larme, puis va vers la table, affair\'ee, examine la chemisette et se met \`a coudre.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau.)\\

}
\end{document}