\documentclass[b5paper,12pt]{article}

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\begin{document}
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\oddsidemargin = 1cm
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{~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Charles Vildrac\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Madame B\'eliard\\

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 3\\
(M\^eme d\'ecor qu'au premier acte.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene Premi\`ere\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, la Dactylographe, puis Desormeaux.)\\
(Saulnier est \`a sa table de travail; en face de lui et un peu \`a droite, la Dactylographe ach\`eve de relire \`a haute voix la lettre que Saulnier est en train de lui dicter.)\\
~~~La Dactylographe. "... Je ne saurais trop insister sur ce fait que non seulement notre nouveau proc\'ed\'e est le moins co\^uteaux, mais qu'il donne des r\'esultas nettement sup\'erieurs \`a tous ceux obtenus jusqu'\`a ce jour, notamment en ce qui concerne la r\'esistance des tons \`a l'action du soleil... "\\
~~~Saulnier. Bon. C'est suffisant. (Il dicte.) "Dans l'attente de vos ordres, je vous prie d'agr\'eer, monsieur, mes salutations empress\'ees." Vous envoyez cette lettre \`a toutes ces maisons-l\`a. (Il lui tend une feuille de papier.) N'oubliez pas les cartes d'\'echantillons. C'est mademoiselle Madeleine qui s'en est charg\'ee. Elle vous les remettra, je pense, avant l'heure du courrier. (La Dactylographe se l\`eve.) Attendez, j'ajouterai peut-\^etre deux ou trois adresses. (Il feuillette un calepin. Desormeaux entre.)\\
~~~Desormeaux, (\`a Saulnier qui a lev\'e la t\^ete.) Bonjour, Saulnier. Ne vous d\'erangez pas. Mademoiselle, mes hommages.\\
~~~La Dactylographe, (\`a mi-voix.) Bonjour, monsieur.\\
~~~Saulnier, (gaiement.) Bonjour, monsieur Desormeaux. Madame B\'eliard est sortie.\\
~~~Desormeaux. Je sais. Ce n'est pas elle que je viens voir, c'est vous. Mais ne vous interrompez pas, j'ai le temps.\\
~~~Saulnier. Nous finissons. Une minute seulement. Vous permettez?\\
~~~Desormeaux. Je vous en prie, mon cher.\\
~~~Saulnier, (feuilletant son calepin, \`a la Dactylographe.) Herbert et Cie, \`a Lyon. Herbert avec un \textit{t}; vous trouverez l'adresse au Bottin. Blancheteau, \`a Lyon aussi... Goldstein et Mayer, \`a Armenti\`eres... C'est tout. Je vous remercie, mademoiselle.\\
(La Dactylographe sort au fond, \`a droite.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Desormeaux.)\\
~~~Saulnier. Qu'y a-t-il pour votre service, cher monsieur Desormeaux?\\
~~~Desormeaux, (prenant des temps.) Rien pour mon service, mon cher Saulnier. L'objet de ma visite offre certainement plus d'int\'er\^et pour vous que pour moi... Je me suis d\'ecid\'e, apr\`es bien des h\'esitations... \`a venir vous mettre au courant, d'une mani\`ere toute confidentielle... vous mettre au courant d'un fait qui peut ne pas vous surprendre outre mesure, mais qui ne vous laissera pas indiff\'erent. Il s'agit... d'une personne que tout le monde ici estime et affectionne, vous tout le premier, j'en suis s\^ur... Il s'agit de mademoiselle Madeleine.\\
~~~Saulnier, (avec int\'er\^et.) Ah!\\
~~~Desormeaux. Elle n'est pas ici?\\
~~~Saulnier. Pour le moment, non. Elle doit \^etre \`a l'appartement, mais il se peut qu'elle descende.\\
~~~Desormeaux. Bon. Je serai bref... Vous connaissez Madeleine B\'eliard; c'est un \^etre digne de tous les \'eloges, n'est-ce pas?\\
~~~Saulnier. Oui, certainement.\\
~~~Desormeaux. Un coeur d'or, un caract\`ere charmant et une intelligence. Je suis s\^ur qu'elle s'occupe ici, le plus simplement, le plus discr\`etement du monde, d'une foule de d\'etails...\\
~~~Saulnier. Mieux que cela: depuis qu'elle s'est mise un peu au courant du travail, je me sens second\'e. Elle est tr\`es aim\'ee des ouvri\`eres, tr\`es ob\'eie...\\
~~~Desormeaux. Ah!\\
~~~Saulnier. Si j'ai \`a sortir et qu'elle soit ici, je peux \^etre tout \`a fait tranquille.\\
~~~Desormeaux. Je suis bien content de vous entendre parler ainsi.\\
~~~Saulnier. Mais je ne vois pas... Est-ce que mademoiselle Madeleine serait encore menac\'ee d'un s\'ejour \`a Boulogne?\\
~~~Desormeaux. Eh! non, ce n'est pas clea. Ce qui lui arrive est bien plus grave, mon ami.\\
~~~Saulnier. Plus grave?\\
~~~Desormeaux. Vous n'avez rien remarqu\'e dans son attitude?\\
~~~Saulnier, (geste vague.) Non... Est-ce que sa sant\'e?...\\
~~~Desormeaux. Dans quels termes \^etes-vous avec elle?\\
~~~Saulnier. Les plus cordiaux, les plus agr\'eables, malgr\'e que je ne sois pas le patience et la douceur m\^emes. Je me demande qui pourrait ne pas vivre en bons termes avec cette excellente fille. Mais \`a quel propos me demandez-vous cela, monsieur Desormeaux?...\\
~~~Desormeaux. Il est impossible que vous ne soyez pas aper\c{c}u...\\
~~~Saulnier. De?\\
~~~Desormeaux, (apr\`es un silence, brusquement.) Allons! Elle est folle de vous, mon cher. Voil\`a ce qu'il y a! Si vous ne le savez pas, apprenez-le. Mon devoir \'etait de vous le dire, d'homme \`a homme. (Un silence.) Cette nouvelle vous surprend tellement?\\
~~~Saulnier. Je n'arrive pas m\^eme \`a concevoir... Vous vous trompez. Vous vous trompez certainement!\\
~~~Desormeaux. Mais ce n'est pas une impression personnelle que je vous apporte l\`a! Ce que j'en sais...\\
~~~Saulnier, (l'interrompant.) Que mademoiselle Madeleine me t\'emoigne de la sympathie, de l'amiti\'e, \c{c}a...\\
~~~Desormeaux, (poursuivant.) Ce que j'en sais, je le tiens de madame B\'eliard qui me l'a dit avant-hier, apr\`es que Madeleine, dans une crise de larmes, lui en eut fait la confidence. Madeleine vous aime...\\
~~~Saulnier. C'est par Madame B\'eliard que vous savez...?\\
~~~Desormeaux. Et j'aurais gard\'e cela pour moi si je n'avais entrevu, tout comme elle, un avenir... qui sait?... des possiblit\'es de bonheur dans cette maison.\\
~~~Saulnier, (avec irritation.) Non, non! Ce n'est pas vrai!\\
~~~Desormeaux. Qu'est-ce qui n'est pas vrai? Je ne dis rien dont vous puissiez vous irriter, mon cher Saulnier. Je vous apporte cette nouvelle sans savoir si elle va vous laisser indiff\'erent, apitoy\'e, ou si elle est susceptible d'entr'ouvrir pour vous un horizon.\\
~~~Saulnier, (bourru.) Non.\\
~~~Desormeaux. Il arrive tout de m\^eme qu'il puisse \^etre int\'eressant pour un c\'elibataire de savoir qu'un coeur de jeune fille est tout occup\'e de lui. Il arrive aussi qu'il en \'eprouve d'abord quelque impatience et qu'ensuite, \`a la r\'eflexion...\\
~~~Saulnier, (se ma\^itrisant.) Dites-moi, monsieur Desormeaux, est-ce que madame B\'eliard sait que... vous m'avez mis au courant?...\\
~~~Desormeaux, (h\'esitant.) Non... non, non, du tout. J'ai pris seul cette initiative. Il est vraisemblable que, de son c\^ot\'e, madame B\'eliard saisira une occasion de vous parler. A mon sens, il importait que vous fussiez averti au plus vite, quelle que puissent \^etre vos dispositions \`a l'\'egard de Madeleine. Cela vous permet d'observer votre attitude, en connaissance de cause.\\
~~~Saulnier. Oui, merci.\\
~~~Desormeaux. Je ne connais pas et n'ai pas \`a conna\^itre votre vie priv\'ee, mon cher Saulnier; mais si je pouvais faire un voeu, je vous laisse \`a penser...\\
~~~Saulnier, (avec une \'emotion contenue.) Vous disiez tout \`a l'heure que madame B\'eliard, elle aussi, envisageait...\\
~~~Desormeaux. Comment pourrait-il en \^etre autrement, cher ami? Elle adore sa ni\`ece. Je puis bien vous le dire entre nous, cette explosion de sentiments, chez Madeleine, est tout \`a fait en accord avec des r\^eves d'avenir que madame B\'eliard caresse depuis longtemps. Cette excellent Pauline tremble d'espoir... et d'appr\'ehension! (Confidentiel.) Ne m'a-t-elle pas demand\'e, assez haut pour que Madeleine p\^ut l'entendre, si, \`a ma connaissance, vous aviez quelque liaison! Comme si...\\
~~~Saulnier, (l'interrompant.) C'est absurde, c'est sinistre!\\
~~~Desormeaux. Mais non, c'est... c'est touchant!\\
~~~Saulnier, (agit\'e.) Monsieur Desormeaux, laissez-moi, maintenant, voulez-vous?\\
~~~Desormeaux. Bon, bon, je m'en vais. Tout cela n'a rien qui soit dramatique, et...\\
~~~Saulnier, (le poussant vers la porte.) Ne me dites plus rien, je vous en prie.\\
~~~Desormeaux. Je n'ai plus rien \`a vous dire. (Il ouvre la porte.) Gardez tout \c{c}a pour vous, mon cher. Et pensez-y, pensez-y!... Au revoir.\\
(Saulnier fait un geste vague et pousse violemment la porte. Il va s'affaler sur son fauteuil de bureau et s'accoude, la t\^ete dans ses mains. Apr\`es quelques instants, sonnerie de t\'el\'elphone. Saulnier ne bouge pas, puis, l'appel persistant, il d\'ecroche le r\'ecepteur qu'il jette sur la table. La Dactylographe appara\^it \`a la porte du fond \`a droite.)\\
~~~La Dactylographe. Ah! vous \^etes l\`a, monsieur.\\
~~~Saulnier, (sans bouger.) Oui, laissez-moi.\\
~~~La Dactylographe. J'avais entendu le t\'el\'ephhone, je croyais qu'il n'y avait personne.\\
(Elle dispara\^it et referme la porte. Apr\`es un moment o\`u Saulnier demeure dans la m\^eme position, Maison entre, des papiers \`a la main.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Maison.)\\
~~~Maison. Monsieur Saulnier, je vous d\'erange?\\
~~~Saulnier, (apr\`es un moment.) Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?\\
~~~Maison. Vous \^etes souffrant?\\
~~~Saulnier, (avec impatience.) Que voulez-vous?\\
~~~Maison. Je vous apporte les bar\`emes, monsieur Saulnier.\\
~~~Saulnier. Les bar\`emes? (Il tend la main, Maison lui donne les papiers.) Qui vous a demand\'e \c{c}a? Je voulais faire tous le calculs moi-m\^eme!\\
~~~Maison. C'est mademoiselle Madeleine qui les a faits.\\
~~~Saulnier. De quoi se m\^ele-t-elle? (Il examine distraitement les papiers.) Voil\`a un travail aux trois quarts inutile. Quel besoin avons-nous des dosages pour deux cents litres, pour six cents litres? Nous teignons dans des bacs de vingt et trente litres.\\
~~~Maison. Permettez, on pourra conna\^itre imm\'ediatement la d\'epense pour dix bacs, pour vingt bacs, etc.\\
~~~Saulnier. Nous n'avons pas besoin de \c{c}a! Vos pes\'ees, vous \^etes oblig\'e de les faire pour chaque bac; quant \`a la d\'epense, vous savez bien que je la calcule au m\'etrage...\\
~~~Maison. Justement, pour la calculer au m\'etrage...\\
~~~Saulnier, (\'elevant la voix.) Pour calculer un prix de revient, je pr\'ef\`ere me passer de mademoiselle Madeleine et de Maison, comprenez-vous, mon vieux? C'est un travail assez d\'elicat. Quant \`a ces bar\`emes de dosage, eh bien, je les voyais autrement et je les ferai autrement, puisque aussi bien il faudra que je v\'erifie tous ces calculs.\\
~~~Maison. Oh! quant aux calculs, vous pouvez \^etre tranquille! Mademoiselle Madeleine les a v\'erifi\'es trois fois. Elle y a pass\'e sa soir\'ee d'hier. C'est elle qui a voulu vous faire une surprise. Vous savez comme elle est gentille et bien intentionn\'ee.\\
~~~Saulnier, (impatient\'e.) Oui, je le sais; je le sais trop!... Tenez, prenez ces bar\`emes. (Il les lui donne.) Emportez-les, gardez-les pour vous! Et remerciez mademoiselle Madeleine. C'est vous qui faites les pes\'ees, ce n'est pas moi...\\
~~~Maison. C'est bon, c'est bon!\\
(Il sort en grommelant. Saulnier demeure un instant immobile et prostr\'e. Puis il se passe la main sur le front, se renverse dans son fauteuil, s'accoude \`a nouveau largement, la t\^ete dans ses mains, exprimant un malaise et une vive agitation int\'erieure. La porte de gauche s'ouvre et Madeleine para\^it. Aussit\^ot, Saulnier saisit son porte-plume et feint d'\'ecrire, la main gauche abaiss\'ee devant ses yeux.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Madeleine.)\\
(Madeleine tient un petit paquet de cartes sur lesquelles sont coll\'es des morceaux de soie verte. Elle s'approche du bureau de Saulnier.)\\
~~~Madeleine. Les \'ecahntillons sont pr\`es, monsieur Saulnier. (Saulnier ne r\'epond pas. A mi-voix.) Je les mets l\`a...\\
(Elle les pose \`a l'extr\'emit\'e du bureau.)\\
~~~Saulnier, (sans lever la t\^ete.) Merci.\\
~~~Madeleine. Oh! le r\'ecepteur qui est d\'ecroch\'e. C'est expr\`es?\\
~~~Saulnier. Non. (Madeleine raccroche le r\'ecepteur.) Merci.\\
~~~Madeleine. Je vous d\'erange... (Elle s'\'eloigne sans bruit et va fureter sur une table-bureau, \`a gauche. Elle prend un carnet.) Aurais-je encore perdu mon crayon? (Elle cherche dans un tiroir.) Je l'aurais laiss\'e chez M. Maison. (Elle se tourne vers Saulnier, fait quelques pas discrets vers la table de ce dernier, qu'elle scrute de regard. Puis elle prend le parti d'aller chercher un crayon \`a la caisse, au fond, \`a droite, laissant la porte entr'ouverte pendant le court instant o\`u elle dispara\^it. Elle revient, s'assure en passant que le po\^ele est garni, observe Saulnier \`a la d\'erob\'ee, gagne la porte de sortie, s'arr\^ete un instant, h\'esitante, repart. La main sur le bouton de la porte.) Je vais poursuivre mon petit inventaire, monsieur Saulnier.\\
(Pas de r\'eponse. Elle sort sans bruit.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 5\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, seul.)\\
(Saulnier jette son porte-plume sur le bureau, se l\`eve et se met \`a marcher de long en large, s'arr\^etant par moment, profond\'ement absorb\'e.)\\
~~~Saulnier. "Comment pourrait-il en \^etre autrement." C'est \c{c}a qu'il a dit. "Comment pourrait-il en \^etre autrement... "Une pareille r\'eponse n'est pas cat\'egorique, elle se d\'erobe \`a moiti\'e... Parbleu! que Pauline ait pens\'e \`a marier sa ni\`ece, c'est vraisemblabe, pour lui. Alors, il en d\'eduit qu'elle y pense... Il affirme qu'elle y pense... (Un temps.) depuis longtemps... Oh! c'est un monsieur qui ne doute pas un instant de la valeur de ses hypoth\`eses... " ... Comment pourait-il en \^etre autrement?" (S'emportant.) Comment? J'aurais pu te l'apprendre, moi, gros malin!... Mais pourquoi, pourquoi ne leur a-t-elle pas imm\'ediatement dit?... (Se rassurant.) Elle a pass\'e la journ\'ee chez ses amis... Elle tremble d'espoir!... Qui vous dit que ce soit d'espoir?... (Un silence.) Si j'ai une liason?... Si j'avais... si j'ai eu d\'ej\`a, dans ma vie, une liasison... Elle a pu lui demander \c{c}a, une fois, il y a six mois, un an, ou plus. Evidemment, on peut tout interpr\'eter dans un sens donn\'e... M. Desormeaux, il vous manque de conna\^itre l'essentiel... Vouis vous \'egarez! je vous dis que vous vous \'egarez... C'est cela: vous vous \'e-ga-rez!...\\
(Un silence. Madame B\'eliard entre par la porte du fond. Elle est en toilette de ville: manteau, chapeau, gants.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 6\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Madame B\'eliard.)\\
~~~Saulnier, (allant au-devant d'elle.) Ah! Pauline!\\
~~~Madame B\'eliard, (avec appr\'ehension.) Bonjour, mon ami...\\
~~~Saulnier. Comme je vous attendais!\\
~~~Madame B\'eliard, (de m\^eme.) Il me tardait \`a moi aussi de vous voir seul. Il faut que je vous parle... J'ai \`a vous faire part d'une chose...\\
~~~Saulnier. ... Concernant votre ni\`ece, n'est-ce pas? Je sais d\'ej\`a par M. Desormeaux, qui \'etait ici tout \`a l'heure.\\
~~~Madame B\'eliard. Il vous a dit! Je le pressentais...\\
~~~Saulnier. Ce n'est pas vous, Pauline, qui l'en avez charg\'e?\\
~~~Madame B\'eliard. Quelle id\'ee!\\
~~~Saulnier. Il est tellement incompr\'ehensible que Desormeaux ait \'et\'e mis au courant! Qu'il l'ait \'et\'e avant moi, par vous, car c'est par vous...\\
~~~Madame B\'eliard, (l'interrompant.) Les circonstances l'ont exig\'e... Je vous expliquerai! Ah! Robert, je suis boulevers\'ee... Ma pauvre Madeleine! O\`u est-elle?\\
~~~Salunier, (allant \`a la porte du fond.) Dans les ateliers. Elle dresse une liste du mat\'eriel.\\
(Il ferme la porte \`a clef.)\\
~~~Madame B\'eliard. Vous nous enfermez?\\
~~~Saulnier. Oui. Je donne un tour de clef. On entre ici comme dans une boutique.\\
(Il revient vers Madame B\'eliard.)\\
~~~Madame B\'eliard. Robert, elle vous aime...\\
~~~Saulnier. Lui avez-vous dit enfin?\\
~~~Madame B\'eliard. Non.\\
~~~Saulnier. Comment avez-vous pu ne pas le faire encore? Pauline, il fallait, tout de suite!\\
~~~Madame B\'eliard. Ah! j'ai voulu, j'ai commenc\'e. D'abord, ce que vous ne savez pas, c'est que Madeleine m'a fait cette confidence en pleurant de joie, entendez-vous, de joie, persuad\'ee tout \`a coup que vous l'aimiez aussi!\\
~~~Saulnier, (effar\'e.) Moi?\\
~~~Madame B\'eliard. C'\'etait avant-hier, vous avez eu avec elle cette conversation en m'attendant, cette conversation dont vous m'avez parl\'e.\\
~~~Saulnier. Oui.\\
~~~Madame B\'eliard. Vous m'avez racont\'e vous-m\^eme comment vous avez \'et\'e sur le point de tout lui dire.\\
~~~Saulnier. Oui, oui. Eh bien?\\
~~~Madame B\'eliard. Ah! mon ami, elle s'est affreusement tromp\'ee sur le sens de vos paroles. C'est \`a elle qu'elle a cru que vous pensiez.\\
~~~Saulnier. Comment?\\
~~~Madame B\'eliard. Quand vous parliez de votre d\'esir d'une vie de famille, de votre solitude, que sais-je!\\
~~~Saulnier, (levant les bras.) Mon Dieu!\\
~~~Madadme B\'eliard. J'ai donc voulu la d\'etromper. Je lui ai d\'eclar\'e que vous ne l'aimiez pas, que je le savais, que je croyais le savoir. Mais alors, j'ai vu son d\'esespoir si grand, si grand, que je n'ai pas eu le courage de poursuivre.\\
~~~Saulnier. Pourtant!\\
~~~Madame B\'eliard. D\`es que je vois souffrir, pleurer quelqu'un, je suis perdue; \`a plus forte raison si c'est Madeleine. J'aurais voulu retirer ce que je venais de dire. Je n'avais plus qu'un souci: essayer de refermer cette affreuse blessure que je venais de faire. Je n'ai rien vu au del\`a...\\
~~~Saulnier. Pauline, Pauline, mais c'est inconcevable! Vous ne pouvez nous laisser, elle, vous, moi, dans cette position fausse et sans issue! Cette blessure dont vous parlez va se rouvrir plus grande! Vous pensez bien que tout dans mon attitude va blesser, va d\'esesp\'erer cette pauvre fille. Quand je vous r\'ep\'etais qu'il ne fallait pas lui cacher ce qu'il y a entre nous! Vous auriez ainsi \'etouff\'e en elle un sentiment qui n'avait encore aucune force, qui s'ignorait peut-\^etre. Si vous avez pour moi un peu d'amour, comment n'\'eprouvez-vous pas le besoin de l'opposer comme une barri\`ere \`a celui de Madeleine? Avez-vous honte d'\^etre \`a moi? Avez-vous honte de moi?\\
~~~Madame B\'eliard, (protestant.) Mon ami, calmez-vous!\\
~~~Saulnier. Enfin, que sait-elle, que croit-elle de moi? Que lui avez-vous fait accroire?\\
~~~Madame B\'eliard. Je lui avais dit d'abord que vous aviez une liaison. Puis, ne pouvant supporter son chagrin, je l'ai persuad\'ee ensuite qu'il ne s'agissait l\`a que d'un bruit vague, d\'ej\`a ancien. Vous pensez bien qu'elle m'a press\'ee de m'informer! L\`a-dessus, Desormeaux arrive. Madeleine s'enfuit dans sa chambre. Et me voil\`a entra\^in\'ee \`a tout raconter \`a Desormeaux afin qu'il puisse m'aider...\\
~~~Saulnier, (angoiss\'e.) Non, vous ne lui avez pas tout racont\'e. Vous ne lui avez pas dit que je vous aimais, que j'\'etais votre amant...\\
~~~Madame B\'eliard, (effray\'ee.) Taisez-vous!\\
~~~Saulnier. A lui, vous pouviez le dire! Vous pouviez le charger de d\'etromper Madeleine et non pas de l'\'egarer! Quelle pudeur excessive, quelle coquetterie ou quelle arri\`ere-pens\'ee vous a fait cacher ce qu'il importait de r\'ev\'eler avant tout? (Avec d\'esespoir.) Ah! vous ne m'aimez pas! Vous ne m'aimez pas!\\
~~~Madame B\'eliard. Robert, comprenez que j'aime aussi Madeleine!\\
~~~Saulnier. Aussi Madeleine et aussi Desormeaux, sans doute! Vous m'aimez comme vous aimez tout le monde! Vous ne m'aimez pas!\\
~~~Madame B\'eliard. Vous ne pouvez croire ce que vous dites!\\
~~~Saulnier. Pauline, je ne sais plus... Votre Desormeaux a insinu\'e tout \`a l'heure des choses qui me donnaient envie de lui rire au nez et qui maintenant me font peur! Dites-moi, qu'allez-vous faire? Vous avez bien l'intention, n'est-ce pas, d'\'eclairer votre ni\`ece, d'effacer cette \'equivoque dont je suis confus, d\'esol\'e? Vous lui devez de la d\'etourner d'un r\^eve irr\'ealisable!\\
~~~Madame B\'eliard, (tristement.) Oui... certainement... certainement. Mais je ne voulais tout de m\^eme pas le faire... avant de vous avoir vu.\\
~~~Saulnier, (dans un sursaut.) Comment cela?...\\
~~~Madame B\'eliard, (mal assur\'ee.) Sait-on jamais?...\\
~~~Saulnier, (pressant.) Sait-on jamais quoi? Vous craignez que le courage vous manque encore une fois?\\
~~~Madame B\'eliard. Non, non... rien... une pens\'ee absurde que j'ai eue. Vous ne pourriez comprendre. Il e\^ut \'et\'e bien pr\'ef\'erable que vous ignoriez cette pauvre histoire de Madeleine. N'en soyez plus troubl\'e, mon ami. Je vais parler \`a ma ni\`ece qui ne saura jamais, bien entendu, que j'ai trahi son secret... Pardonnez-moi, il faut que je monte...\\
~~~Saulnier, (tr\`es agit\'e.) Attendez, attendez, Pauline! Je veux enfin savoir... Desormeaux m'a dit... Non, ce serait trop d'inconscience... (Madame B\'eliard fait quelques pas lentement vers la porte de gauche.) Attendez, je vous en prie! Une question: Est-il vrai que vous ayez song\'e, naggu\`ere, (il baisse la voix.)---avant de vous donner \`a moi,---que vous ayez song\'e \`a un lien possible entre votre ni\`ece et moi? Pauline, je vous en supplie, ne me dissimulez rien! Je crois, je veux croire en vous! Dites? Y avez-vous song\'e?\\
~~~Madame B\'eliard, (apr\`es un lence g\'en\'e.) Oui Robert, c'est vrai. Desormeaux vous l'a dit? Mais vous pensez bien que j'ai cess\'e d'y songer.\\
~~~Saulnier, (avec d\'esespoir.) Il n'y a pas longtemps que vous avez cess\'e d'y songer. Il y a seulement quelques instants!\\
~~~Madame B\'eliard. Mon ami, je ne songeais pas positivement \`a cela, mais...\\
~~~Saulnier, (s'effondre sur les marches, devant la porte de gauche.) Vous ne parvenez pas \`a nier! (Un silence.) Je ne suis rien, rien pour vous.\\
~~~Madame B\'eliard, (p\'eniblement.) Ne dites pas cela! C'est absurde et vous me peinez beaucoup! Ah! comment vous faire comprendre? Je vous aime beaucoup, Robert, j'ai beaucoup d'affection pour vous; mais ce que je sens chez ma pauvre ch\`ere Madeleine, c'est une v\'eh\'emence des sentiments, une passion dont je ne suis plus capable, dont je n'ai peut-\^etre jamais \'et\'e capable.\\
~~~Saulnier, (amer.) Vous voulez dire qu'elle m'aime et que vous ne m'aimez pas.\\
~~~Madame B\'eliard. Je veux dire qu'elle vous aime certainement plus que je ne puis vous aimer. Beaucoup plus que la mienne, sa nature correspond \`a la v\^otre. Et je la vois souffrir, elle, si bonne, si g\'en\'ereuse. Comment n'aurais-je pas \'et\'e tent\'ee de... ah! mon Dieu!... enfin de m\'enager l'avenir?... Vous pouviez \^etre touch\'e... Vous \^etes bon... C'est tellement injuste!\\
~~~Saulnier. Je vous en prie, taisez-vous! Qu'ont \`a faire ici la justice et la bont\'e! Vous profanez ce qu'il y a de plus sacr\'e, de plus pur en moi sans m\^eme...\\
~~~Madame B\'eliard. Mais non! je n'ai pas voulu...\\
~~~Saulnier. C'est vous, vous qui venez plaider aupr\`es de moi pour une autre! Vous ne m'aimez pas! vous ne m'aimerez jamais! L'amour vous est un monde \'etranger, incompr\'ehensible!\\
~~~Madame B\'eliard. Je comprends la souffrance de Madeleine comme j'ai compris la v\^otre, Robert.\\
~~~Saulnier. Comme vous avez compris la mienne! Et vous apportez \`a secourir l'une et l'autre une bonne volont\'e aveugle, monstrueuse!\\
~~~Madame B\'eliard, (des larmes dans la voix.) Comme vous \^etes injuste et ingrat!\\
~~~Saulnier, (avec abattement.) Et vous cruelle, avec votre bont\'e, avec vos rem\`edes pires que le mal: aum\^one, feintes, accommodements, atermoiements, manoeuvres qui font outrage \`a l'amour.\\
(On frappe.)\\
~~~Madame B\'eliard, (d'une voix alt\'er\'ee.) Je monte... Quand vous serez plus calme, Robert, vous penserez, je l'esp\`ere, que je ne m\'erite pas des paroles si dures. (Saulnier demeure immobile, debout, t\^ete basse. On frappe \`a nouveau. Avant de sortir \`a gauche:) Allez ouvrir, mon ami.\\
(Elle sort. Saulnier se dirige vers le fond d'un pas fatigu\'e. Il ouvre la porte, ferm\'ee \`a clef. Para\^it Mademoiselle C\'eline.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 7\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Mademoiselle C\'eline.)\\
(Mademoiselle C\'eline entre et Saulnier, lui tournant le dos, revient en avant.)\\
~~~Mademoiselle C\'eline, (refermant la porte.) Excusez-moi de vous d\'eranger, monsieur Saulnier.\\
~~~Saulnier, (avec effort, bourru.) Que voulez-vous?\\
(Il se met \`a marcher de long en large, les mains dans les poches, la t\^ete baiss\'ee, sans porter aucune attention \`a Mademoiselle C\'eline.)\\
~~~Mademoiselle C\'eline, (faisant quelques pas vers Saulnier.) Monsieur Saulnier, j'ai mis quatre ouvri\`eres \`a monter les velours au s\'echoir, les quatre dont les bacs ne travaillent pas, comme vous avez dit.\\
~~~Saulnier, (lointain.) Oui...\\
~~~Mademoiselle C\'eline, (voluble.) Elles pr\'etendent qu'elles ne peuvent y suffire. Mais, \`a chaque voyage, elles restent des dix minutes \`a bavarder l\`a-haut et \`a se chauffer. Pendant ce temps-l\`a, le velours s'accumule. J'ai beau aller les appeler dans l'escalier, elles font celles qui n'entendent pas. Elles se moquent de moi, monsieur Saulnier. J'ai d\'ej\`a \'et\'e oblig\'ee deux fois d'aller les chercher. La deuxi\`eme fois, je les ai trouv\'ees en trainde blaguer avec Leroux qui leur dodnnait des cigarettes. C'est cette grande effront\'ee de Germaine Roger qui m\`ene les autres. Vous me direz que je n'ai qu'\`a les remplacer. C'est ce que j'ai voulu faire, monsieur Saulnier. Mais celles que j'ai d\'esign\'ees n'ont pas voulu quitter leurs bacs. Elles disent comme \c{c}a qu'il n'y a pas de raison pour que ce soit elles plut\^ot que d'autres. J'en ai d\'esign\'e d'autres qui n'ont pas voulu davantage.\\
(Elle attend une r\'eponse qui ne vient pas.)\\
~~~Saulnier, (le regard fixe.) Quel jour sommes-nous? Mercredi?\\
~~~Mademoiselle C\'eline. Non, monsieur, mardi. (Un long silence.) Alors, que dois-je faire, monsieur Saulnier? (Un silence.) Auriez-vous la bont\'e de venir un instant pour les mettre \`a la raison? (Un silence.) Je sais qu'avec vous ce ne sera pas long.\\
(Un silence.)\\
~~~Saulnier, (s'arr\^etant brusquement.) Quoi? Qu'est-ce que vous voulez que \c{c}a me fasse, toutes ces histoires? Occupez-vous de votre affaire et laissez-moi tranquille!\\
~~~Mademoiselle C\'eline. Mais, monsieur Saulnier...\\
~~~Saulnier, (haussant progressivement la voix jusqu'\`a crier.) Allez-vous-en! Vous ne comprenez pas? Al-lez-vous-en! (Mademoiselle C\'eline, effray\'ee, se h\^ate de sortir; au moment o\`u elle va dispara\^itre en refermant la porte sur elle, Saulnier la rappelle.) Attendez! Voulez-vous aller dire \`a M. Maison de venir ici, tout de suite?\\
~~~Mademoiselle C\'eline, (tremblante.) Bien, monsieur Saulnier.\\
(Elle sort. Saulnier gagne sa table de travail d'un pas r\'esolu, s'y installe, ouvre un tiroir, prend un carnet, un porte-mine, divers objets qu'il met dans ses poches. Entre Maison.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 8\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Maison, puis Madeleine.)\\
~~~Saulnier. Mon vieux Maison, j'ai un service \`a vous demander.\\
~~~Maison. A votre disposition.\\
~~~Saulnier. Qu'est-ce que vous faites ce soir apr\`es d\^iner?\\
~~~Maison. Rien de particulier...\\
~~~Saulnier. Votre soir\'ee n'est pas prise?\\
~~~Maison. Pas le moins du monde.\\
~~~Saulnier. Cela vous d\'erangerait-il beaucoup de venir jusque chez moi?\\
~~~Maison, (\'etonn\'e.) Mais... non!...\\
~~~Saulnier. C'est \`a l'ami que je le demande, Maison. J'ai \`a vous parler... \`a vous faire part de certaines... dispositions concernant... le travail, ici. Je ne viendrai pas demain.\\
~~~Maison. Vous ne viendrez pas demain? Vous \^etes malade, hein?\\
~~~Saulnier. Non...\\
~~~Maison. Si. Je le voyais bien! Qu'est-ce qui ne va pas?\\
~~~Saulnier. Non, je ne suis pas malade. Je vous expliquerai. Ce soir; pas ici. Ce serait trop long. Je serais bien all\'e chez vous, moi, au lieu de vous d\'eranger. Mais vous \^etes en famille. Chez moi, nous serons seuls.\\
~~~Masion. Comme vous voudrez, monsieur Saulnier. J'esp\`ere que... enfin, qu'il ne vous arrive rien de grave?\\
~~~Saulnier. Je vous expliquerai. Il s'agit surtout de mettre votre obligeance \`a contribution.\\
~~~Maison. Ah! vous pouvez! Tout ce qui sera dans mes moyens...\\
~~~Saulnier. Je sais, mon vieux.\\
~~~Maison. Alors, chez vous, ce soir. A quelle heure?\\
(Madeleine entre.)\\
~~~Saulnier, (\`a mi-voix.) Huit heures et demie, neuf heures, quand vous voudrez.\\
~~~Maison. Entendu.\\
(Il se dirige vers la porte. Saulnier met f\'ebrilement de l'ordre sur son bureau.)\\
~~~Madeleine, (\`a Maison.) Vous avez motr\'e les bar\`emes \`a M. Saulnier?\\
~~~Maison. Oui, mademoiselle, oui, M. Saulnier les a vus.\\
(Il sort vite.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 9\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Madeleine.)\\
(Au cours de cette sc\`ene, la lumi\`ere d\'ecro\^it lentement.)\\
~~~Saulnier, (avec effort, le nez dans ses papiers.) Oui, j'ai vu vos bar\`emes, mademoiselle Madeleine. Ils sont tr\`es bien. Ils sont trop bien! Vous vous \^etes donn\'e un mal! Il fallait me lasser faire les calculs!\\
~~~Madeleine. Alors, c'est bien \c{c}a que vous vouliez?\\
~~~Saulnier. Tout \`a fait \c{c}a, \`a part que je ne pensais pas \`a des bar\`emes aussi \'etendus que les v\^otres. Ils n'en valent que mieux. Je les ai rendus \`a Maison qui a d\^u d\'ej\`a s'en servir.\\
~~~Madeleine, (brandissant son carnet.) J'ai fini mon inventaire. Je m'amuserai \`a le mettre au net ce soir.\\
~~~Saulnier, (feignant d'\^etre absorb\'e.) Ce n'est pas press\'e.\\
~~~Madeleine. Il n'y a pas tellement d'objets manquants, mais il y en a beaucoup d'usag\'es. (Un silence, pendant lequel elle regarde, \`a la d\'erob\'ee, Saulnier qui ne l\`eve pas les yeux.) Est-ce que ma tante est rentr\'ee, monsieur Saulnier?\\
~~~Saulnier. Oui, oui, elle est l\`a-haut.\\
~~~Madeleine. Alors je monte.\\
(Elle se dirige vers la porte de gauche. Saulnier se redresse soudain, h\'esite une seconde, puis se l\`eve, \'emu.)\\
~~~Saulnier, (au moment o\`u Madeleine atteint la porte.) Attendez!... Je dois sortir et je voudrais vous dire, avant... (Madeleine se retourne vers lui et reste immoble et angoiss\'ee. Il rejoint Madeleine et l'entra\^ine du geste vers une chaise, pr\`es du po\^ele.) Venez, s'il vous pla\^it! Il faut absolument que je vous parle... Asseyez-vous l\`a... Je vous demande pardon. Je sais que je vais vous faire de la peine... Il le faut... Je le dois... Vous en auriez peut-\^etre davantage si...\\
~~~Madeleine, (la gorge serr\'ee.) Monsieur Saulnier...\\
~~~Saulnier. Ne dites rien, je vous en prie! Je vous parlerai sans vous regarder. Essayez de ne pas me r\'epondre... J'entreprends une t\^ache si dure! J'aurais pu vous \'epargner cet instant et me l'\'epargner \`a moi-m\^eme. Le silence \'etait facile. Mais je vous estime et vous respecte trop pour me taire... (Un silence.) Enfin, voici: mademoiselle Madeleine, vous avez fait \`a votre tante une confidence qui m'a \'et\'e rapport\'ee.\\
~~~Madeleine, (se levant, dans un g\'emissement.) Ah! laissez-moi m'en aller!\\
~~~Saulnier, (lui posant la mains sur l'\'epaule.) Non, je vous en supplie, restez!\\
~~~Madeleine. Qui a fait cela? Desormeaux?\\
~~~Saulnier. Oui, Desormeaux. Il a bien fait. Son intention \'etait louable, sans doute, puisqu'il ignorait---et il ignore encore---ce que je dois vous dire...\\
~~~Madeleine, (bas.) Ne me dites pas. J'ai compris.\\
~~~Saulnier. Cela ne suffit pas, il faut que vous sachiez tou... Ah! je croyais bien que vous vous en \'etiez aper\c{c}u! Mademoiselle Madeleine... j'aime votre tante...\\
~~~Madeleine. Ah!...\\
~~~Saulnier. Comme un insens\'e, depuis longtemps, depuis des ann\'ees! Que ne l'avez-vous appris plus t\^ot!... Avant-hier, quand nous \'etions seuls, vous et moi, l\`a-haut, si vous m'avez vu gauche et troubl\'e, c'est que j'\'etais sur le point de vous ouvrir mon coeur...\\
~~~Madeleine. Mon Dieu!...\\
~~~Saulnier. J'accordais complaisamment tout ce que vous disiez \`a ma propre hantise! Pardonnez-moi! J'ai cru que vous saviez, j'ai pens\'e que tout dans vos paroles, dans votre attitude, m'encourageait \`a une confidence. Si votre tante n'\'etait pas arriv\'ee...\\
~~~Madeleine, (atterr\'ee.) Ah! oui, nous rapportons tout \`a nous-m\^emes. (Un silence.)... Ma tante ne sait pas?\\
~~~Saulnier. Si.\\
~~~Madeleine, (sur un ton de surprise douloureuse.) Et elle ne m'a pas dit!...\\
~~~Saulnier. Attendez! Vous devez tout apprendre, puisque, aussi bien, vous \^etes le seul \^etre ici, h\'elas! qui puissiez tout comprendre. Madame B\'eliard sait que je l'aime. Elle ne le sait que trop, \`a son gr\'e... Si elle ne vous en a rien dit, si elle n'a pu vous le dire, c'est qu'elle ne m'aime pas! C'est qu'elle conserve pour vous je ne sais quel aveugle espoir... Elle trouve absurde et injuste que mon amour l'importune, elle, alors que c'est vous qui m'aimez. Oui, ch\`ere demoiselle Madeleine, c'est absurde, c'est profond\'ement triste, mais c'est ainsi, c'est ainsi! Elle ne comprend pas que ce puisse \^etre ainsi! Alors, voil\`a: je vais m'en aller. Il m'est impossible de rester un jour de plus dans cette maison.\\
~~~Madeleine. Vous en aller, vous? Mais non! Si quelqu'un doit partir, c'est moi!\\
~~~Saulnier. Vous ne comprenez pas encore! Si je m'en vais, ce n'est pas \`a cause de vous! C'est parce qu'elle ne m'aime pas, qu'elle ne m'aimera jamais, que j'en ai maintenant la certitude! J'ai voulu partir d\'ej\`a, il y a quelque temps. Alors elle m'a donn\'e un peu d'espoir... elle m'a donn\'e... beaucoup d'espoir! Oh! pas dans l'unique dessein de me garder \`a l'usine, je ne crois pas, je ne veux tout de m\^eme pas le croire! Votre tante n'est pas capable d'un tel calcul, n'est-ce pas? Non, non, elle a fait cela par charit\'e. Vous entendez? Elle a essay\'e de me leurrer, de me mentir par charit\'e. Et moi, je croyais... je croyais... ah!...\\
(Un silence.)\\
~~~Madeleine. Qui vous dit que ce n'est pas \`a moi qu'elle a menti par charit\'e?\\
~~~Saulnier. A vous? Oui, aussi \`a vous... Mais, avec vous, elle n'a pas feint. Elle vous a seulement cach\'e la v\'erit\'e parce qu'elle a pour vous une affection qui est profonde, qui est v\'eritable. Elle vous aime, vous, de la seule esp\`ece d'amour dont, peut-\^etre, elle soit capable.\\
~~~Madeleine, (apr\`es un silence.) Tout cela, vous le d\'eduisez de ce qu'a pu vous raconter Desormeaux. Mais ma tante peut \'eprouver des sentiments que Desormeaux ignore et qu'elle-m\^eme ne s'avoue pas...\\
~~~Saulnier. Non... non...\\
~~~Madeleine. Qu'en savez-vous?\\
~~~Saulnier. Ce que j'en sais? Pourquoi vous le tairais-je? Au point o\`u nous en sommes!... Madame B\'eliard est venue ici, tout \`a l'heure, apr\`es Desormeaux qui, d'ailleurs, me l'avait \`a peu pr\`es annonc\'ee; elle est venue \`a son tour me parler de vous, tout comme si...\\
~~~Madeleine. Ah!... Pauvre tante!\\
~~~Saulnier, (plaintivement.) Vous ne pouvez pas vous rendre compte du d\'echirement que \c{c}'a \'et\'e pour moi! Encore une fois, pas \`a cause de vous, mademoiselle Madeleine, mais \`a cause de ce qu'il y avait d\'ej\`a entre elle et moi... Il y avait plus qu'un espoir, beaucoup plus qu'une promesse... Je le croyais, du moins... J'ai compris tout \`a coup que votre tante ne m'avait manifest\'e qu'une tendresse de complaisance... qu'elle m'avait fait l'aum\^one! (Un silence pendant lequel Madeleine ne peut \'etouffer ses pleurs.) Oh! pardon!... Je vous meurtris... Mais il me faut bien justifier mon d\'epart! Ces mis\'erables confidences, pourquoi faut-il que je les doive \`a vous, au seul \^etre \`a qui elles puissent faire du mal?\\
~~~Madeleine. Et pourquoi faut-il que je vous voie si meurtri vous-m\^eme, par ma faute?\\
~~~Saulnier. Mais non, pas par votre faute! Je vous dois de savoir aujourd'hui ce qu'il m'aurait bien fallu d\'ecouvrir lentement par la suite. C'est mieux ainsi. (Se ressaisissant.) Je vais donc m'en aller.\\
~~~Madeleine. Le faut-il vraiment, pour vous?\\
~~~Saulnier. Oui, pour moi... (Un silence.) Pour tous. Vous le comprendrez. Et maintenant, mademoiselle Madeleine, parce que vous \^etes courageuse et bonne, j'ose vous prier d'envisager avec moi, tout de suite, ce d\'epart. Je voudrais faire en sorte qu'il n'apporte aucune esp\`ese de perturbation dans la marche de l'usine. Vous seule pouvez m'y aiser. Je vous le demande pour votre tante et... un peu aussi pour moi. Le voulez-vous?\\
~~~Madeleine. Oui.\\
~~~Saulnier. Merci! (Un temps.) Maison viendra ce soir chez moi.\\
(La Dactylographe entre par la porte de droite, tenant des papiers.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 10\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Les m\^emes, La Dactylographe.)\\
~~~La Dactylographe, (allant au bureau de Saulnier.) Si vous voulez signer le courrier, monsieur...\\
~~~Saulnier. Oui, posez-le sur mon bureau; je vous appellerai.\\
(La Dactylographe va tourner un commutateur, au fond, non loin du bureau. Lumi\`ere douce.)\\
~~~La Dactylographe. Et les cartes d'\'echantillons, c'est vous qui les avez, mademoiselle Madeleine?\\
~~~Madeleine, (avec effort.) Elle sont l\`a, sur le bureau.\\
~~~Saulnier, (s'empressant.) L\`a, \`a votre gauche. (La Dactylographe prend les cartes.) Attendez, montrez-les-moi, (Il les prend, les examine et les rend \`a la Dactylographe.) Prenez de grandes enveloppes. Vous aurez le courrier dans un instant.\\
~~~La Dactylographe. Bien, monsieur.\\
(Elle sort \`a droite.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 11\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Madeleine.)\\
~~~Saulnier, (apr\`es un silence.) Oui, j'ai demand\'e \`a Maison de venir chez moi ce soir. Je lui annoncerai mon d\'epart.\\
~~~Madeleine. Quelle explication lui donnerez-vous? Et que dire ici \`a tout le monde?\\
~~~Saulnier. Vous allez voir. Maison est un vieil ami discret et d\'evou\'e \`a qui je peux dire la v\'erit\'e.\\
~~~Madeleine, (inqui\`ete.) Oui?\\
~~~Saulnier. Oui. Je lui apprendrai simplement que je m'en vais pour m'\'eloigner de madame B\'eliard. Je suis certain que Maison conna\^it mes sentiments, depuis deux ans d\'ej\`a. Non pas que je lui en aie jamais rien dit, mais il sait. Il est le seul ici qui se soit aper\c{c}u de quelque chose. Pour toute l'usine, je serai malade \`a partir de demain. Je resterai chez moi une quinzaine, plus s'il le faut. Maison viendra me voir tous les jours. Je vous demande de me remplacer ici, mademoiselle, et je vous donne l'assurance que vous allez pouvoir le faire, tr\`es vite.\\
~~~Madeleine. Pas compl\`etement!\\
~~~Saulnier. Si, si. Et je vais vous y aider par l'interm\'ediaire de Maison. Soyez tranquille. Je vais r\'ediger, \`a votre intention, un certain nombre de notes sur les achats de produits, l'outillage, la client\`ele, l'ordonnance du travail, etc. Comprenez-vous?\\
~~~Madeleine, (docile.) Oui, monsieur Saulnier.\\
~~~Saulnier. Quand vous n'aurez plus besoin de moi quotidiennement, j'irai prendre un mois de convalescence \`a la campagne.\\
~~~Madeleine. Et puis?... \\
~~~Saulnier. Et puis, l'on apprendra que j'ai accept\'e une situation dans qulque affaire de produits tinctoriaux et que je ne reviendra pas ici... Mais... nous ne nous perdrons jamais de vue, n'est-ce pas? Je resterai toujours \`a votre disposition pour un renseignement ou un conseil. Vous verrez, ici tout ira bien. Vous \^etes d'ailleurs second\'ee par d'excellentes gens qui connaissent leur m\'etier et qui ont pour vous...\\
~~~Madeleine. Et qui vous aiment tous et que vous aimez aussi.\\
~~~Saulnier. Oui... Je les ai joyeusement conquis... Ce ne fut d'abord pas pour eux-m\^emes. Ils repr\'esentaient...\\
~~~Madeleine, (avec \'emotion.) Je sais... Quand j'ai commenc\'e, moi, de m'attacher \`a cette usine, \`a ces ateliers... ce n'\'etait pas non plus pour eux-m\^emes.\\
(Un silence.)\\
~~~Saulnier, (bas, avec \'emotion.) Mademoiselle Madeleine...\\
~~~Madeleine, (l'interrompant.) Pardonnez-moi d'avoir dit cela!\\
~~~*Saulnier. Pourquoi? Est-ce que je ne vous dois pas de l'entendre? Croyez-vous que je n'en suis pas \'emu et d\'esol\'e?... Croyez-vous que je n'aie pas, \`a cause de vous, une peine qui s'ajoute \`a l'autre?\\
\\
*~~~La partie entre ast\'erisques a \'et\'e supprim\'ee \`a la repr\'esentation.\\
\\
~~~Madeleine. Merci...\\
~~~Saulnier. Maintenant, vous l'aimez aussi pour elle-m\^eme, l'usine, n'est-ce pas?... Que ce soit vous qui m'y remplaciez, voil\`a une chose au moins qui m'est bonne \`a penser!\\
~~~Madeleine. H\'elas! Je suis s\^ure que vous ne quitterez pas votre poste, votre oeuvre sans d\'echirement! Est-ce possible, mon Dieu!\\
~~~Saulnier. Il y a un autre d\'echirement plus grand... Mon travail! Ce que j'ai pu accomplir ici! Oui, bien s\^ur, j'en ai eu de la joie, de belles fi\`evres qui, certains jours ont bien pu me tenir lieu de bonheur! Vous les conna\^itrez aussi, mademoiselle Madeleine. Que dis-je, vous les conna\^itrez encore! Car il est arriv\'e, n'est-ce pas, que nous les \'eprouvions ensemble? C'\'etait tout de m\^eme beau.\\
~~~Madeleine, (des larmes dans la voix.) Oui, c'\'etait beau.\\
~~~Saulnier. Je vous confie, je vous donne ma part de cette conqu\^ete-\l`a. C'est bien trop peu, je le sais. Mais, h\'elas! c'est tout ce que je puis vous donner, et ce n'est pas le plus mauvais de moi-m\^eme. C'est aussi... notre seul bien commun. Je vous promets de ne pas me souvenir de lui sans penser \`a vous qui n'y renoncerez pas, dites?\\
~~~Madeleine, (dans un \'elan douloureux.) Oh! non!*\\
~~~Saulnier, (se ressaisissant.) Nous allons nous quitter. D\`es demain matin, Maison vous mettra au courant de ce qu'il faudra faire dans la journ\'ee. Je vous laisse un bureau \`a peu pr\`es en ordre. (Il montre une chemise.) Voici le courrier auquel je n'ai pas encore r\'epondu. Je vous prie d'y jeter un coup d'oeil demain matin et, si quelque chose vous embarrasse, une petite note \`a Maison pour moi, n'est-ce pas?\\
~~~Madeleine. Oui, monsieur Saulnier.\\
~~~Saulnier. Mademoiselle Madeleine, l'heure de la sortie approche. Je vais signer le courrier et partir. Je crains que votre tante ne descende. Je vous prie de me rendre encore un grand service: allez la rejoindre, annoncez-lui mon d\'epart...\\
~~~Madeleine. Elle ne sait pas?\\
~~~Saulnier. Non. Racontez-lui notre entretien. Vous l'auriez fait de toute fa\c{c}on.\\
~~~Madeleine. Vous ne la reverrez pas?\\
~~~Saulnier. Non. Il ne faut pas. Je vais lui \'ecrire... Ch\`ere mademoiselle Madeleine, je ne vous dis pas adieu. Nous allons travailler ensemble encore quelque temps, chaque jour, et plus que nous ne l'avons jamais fait.\\
~~~Madeleine, (angoiss\'ee.) Mais je ne vous verrai plus...\\
~~~Saulnier, (\'emu et cherchant des paroles qu'il ne trouve pas.) Mademoiselle Madeleine...\\
~~~Madeleine. Adieu... (Elle gagne vite la porte de gauche, puis s'arr\^ete, h\'esitante.) Monsieur Saulnier... ne vous en allez pas imm\'ediatement!\\
~~~Saulnier. Pourquoi? J'attends la sortie, c'est-\`a-dire quelques instants. Je n'ai plus qu'\`a signer le courrier.\\
~~~Madeleine. Je vais annoncer tout de suite votre d\'epart \`a ma tante. Alors... si elle voulait descendre... vous voir... je pourrais lui dire que vous \^etes encore l\`a...\\
~~~Saulnier, (troubl\'e.) Votre pens\'ee est g\'en\'ereuse, mademoiselle Madeleine! Non... il ne faut pas... D'abord, il n'y a pas de raison pour qu'elle veuille... Je viens de vous le dire: je suis encore ici pour quelques instants... Mais ne lui en parlez pas, n'est-ce pas? Promettez-moi de ne rien lui demander.\\
~~~Madeleine. C'est promis.\\
(Ils \'echangent un petit signe d'adieu. Elle sort.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 12\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, seul.)\\
(Saulnier demeure un instant immobile, puis il tressaille, soupire profond\'ement et se h\^ate vers sa table. Il parcourt attentivement et signe le courrier. A ce moment, la foule des ouvriers, sortant des ateliers, s'\'ecoule dans la cour, o\`u un r\'everb\`ere s'est allum\'e. On le voit par la partie sup\'erieure et non d\'epolie du vitrage, tandis que des silhouettes humaines apparaissent, d\'efilant en ombres chinoises sur la partie inf\'erieure. Saulnier, apr\`es avoir paraph\'e la derni\`ere lettre, se l\`eve et, immobile contre la cloison, \'epie un instant la sortie de l'usine. Puis il gagne la porte du fond, l'ouvre grande et se tient un instant sur le seuil.)\\
~~~Voix d'ouvriers et d'ouvri\`eres, (\`a plusieures reprises et \`a divers intervalles.) Bonsoir, monsieur... Bonsoir, monsieur Saulnier...\\
~~~Saulnier, (de m\^eme.) Bonsoir... Bonsoir... Bonsoir, mon vieux. (Il referme sa porte, donne un long regard circulaire au bureau, d\'ecroche et met son pardessus, puis, son chapeau \`a la main, va jusqu'\`a la porte de Madame B\'eliard, \`a gauche, s'arr\^ete un instant, \'ecoute, h\'esite, puis gagne rapidement la porte de droite, qu'il entr'ouvre.) Mademoiselle, le courrier est sign\'e.\\
(Il revient vers sa table. La Dactylographe le suit.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 13\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, La Dactylographe.)\\
~~~Saulnier. Je vous demande pardon, je vais vous faire sortir apr\`es tout le monde.\\
~~~La Dactylographe. Oh! \c{c}a ne fait rien, monsieur; pour quelques minutes.\\
(Elle effectue la copie des lettres, \`a la presse, au fond, \`a gauche. Saulnier place une fiche sur le tableau t\'el\'ephonique et saisit le r\'ecepteur.)\\
~~~Saulnier. All\^o! All\^o!... All\^o, L\'eon?\\
~~~Dactylographe. Il est parti, monsieur. Je viens de le voir passer.\\
~~~Saulnier, (d\'e\c{c}u.) Ah!... tant pis.\\
~~~La Dactylographe. Je peux aller jusqu'au s\'echoir, monsieur, si...\\
~~~Saulnier. Non, merci... (Il se l\`eve, examine encore toutes choses qui l'entourent, puis rejoint Dactylographe.) Bonsoir, mademoiselle Andr\'ee.\\
(Il lui tend la main.)\\
~~~La Dactylographe, (\'etonn\'ee.) Bonsoir, monsieur, \`a demain.\\
~~~Saulnier. Demain? Peut-\^etre pas. Je ne me sens pas \`a mon aise. J'ai un mal de t\^ete... Ce n'est pas grave. Au revoir. D\'ep\^echez-vous, ma petite.\\
~~~La Dactylographe. Bonsoir, monsieur.\\
(Saulnier ouvre la porte, regarde encore la Dactylographe, lui fait un petit signe de la t\^ete et sort doucement. La Dactylographe ach\`eve rapidement son travail et regagne la porte de droite. A ce moment Madame B\'eliard entre \`a gauche, laissant sa porte entr'ouverte. La Dactylographe se retourne et s'arr\^ete.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 14\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Madame B\'eliard, La Dactylographe.)\\
~~~Madame B\'eliard. M. Saulnier est parti?\\
~~~La Dactylographe. Oui, madame, il vient de partir \`a l'instant.\\
~~~Madame B\'eliard. Ah!... Merci, mademoiselle.\\
~~~La Dactylographe. Bonsoir, madame.\\
~~~Madame B\'eliard. Bonsoir.\\
(La Dactylographe sort. Madame B\'eliard s'assoit, en soupirant, sur une chaise, pr\`es du po\^ele. Madeleine para\^it dans l'entre-b\^aillement de la porte de gauche.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 15\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Madame B\'eliard, Madeleine.)\\
~~~Madeleine. Il est parti, n'est-ce pas?\\
(Elle rejoint Madame B\'eliard.)\\
~~~Madame B\'eliard. Oui. (Madeleine \'eclate en sanglots. Madame B\'eliard, s'\'elan\c{c}ant vers Madeleine qu'elle tient embrass\'ee.) Madelon! Madelon! ma ch\'erie! (Elle la caresse.) Je me suis tromp\'ee. Mais l'intention \'etait bonne. (Un temps.) N'est-ce pas?\\
~~~Madeleine. Oui.\\
~~~Madame B\'eliard, (l'embrassant.) L'avenir ne pourra que s'\'eclairer, maintenant, je t'assure. (Madeleine continue de pleurer.) Saulnier, d\'esormais, n'attend plus rien de moi... Il sait que tu l'aimes...\\
~~~Madeleine. Tais-toi, ma tante, je t'en prie!\\
~~~Madame B\'eliard. Les mois les ann\'ees passeront... Qui sait? Je finirai peut-\^etre par \'epouser Desormeaux, et alors...\\
~~~Madeleine, (avec impatience.) Tais-toi!\\
~~~Madame B\'eliard. C'est bon, c'est bon, ma ch\'erie, je ne dis plus rien. Viens, montons.\\
(Elle passe son bras sous celui de Madeleine et l'entra\^ine.)\\
~~~Madeleine, (se d\'egageant.) Attends!\\
(Elle court \`a la table de travail de Saulnier et prend une chemise qu'elle emporte.)\\
~~~Madame B\'eliard. Qu'est-ce que tu emportes l\`a?\\
~~~Madeleine. C'est le courrier. (Elle rejoint sa tante et toutes deux gagnent la porte de gauche.) Il m'a demand\'e d'y jeter un coup d'oeil...\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau)\\























}
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