\documentclass[b5paper,12pt]{article}

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\begin{document}
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{~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Charles Vildrac\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Madame B\'eliard\\

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 2\\
(Le salon de Madame B\'eliard. Au fond, fen\^etre avec doubles rideaux. Biblioth\`eque. A droite, canap\'e de style Louis-Philippe, secr\'etaire, porte au premier plan. A gauche, piano plac\'e dans l'angle, chemin\'ee, porte. Fauteuils casier \`a musique. En avant et un peu \`a gauche, gu\'eridon sur lequel le caf\'e est servi.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene Premi\`ere\\
~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Madame B\'eliard, Desormeaux, Madeleine.)\\
(Au lever du rideau, Madame B\'eliard et Desormeaux ach\`event, en insistant trop sur la mesure, l'ex\'ecution d'une sonate pour piano et fl\^ute. Madeleine, \`a la droite de Madame B\'eliard, tourne les pages de la partition. M. Desormeaux est \`a gauche, devant son pupitre, le dos au public. Assis sur le divan, \`a droite, Saulnier \'ecoute en vidant \`a petits coups une tasse de caf\'e.)\\
~~~Saulnier, (discr\`etement, apr\`es que le morceau est achev\'e.) Bravo!\\
(Il se l\`eve et va poser sa tasse vide sur le gu\'eridon.)\\
~~~Desormeaux, (posant la fl\^ute sur le piano.) Eh bien, ma ch\`ere amie, ce n'est pas mal, dites, pour un d\'echiffrage?\\
~~~Madame B\'eliard, (se levant.) Tr\`es bien.\\
~~~Desormeaux, (\`a Saulnier.) Et vous savez, c'est plus difficile que \c{c}a n'en a l'air.\\
~~~Madeleine, (\`a Saulnier.) Elle est belle cette sonate, n'est-ce pas? Elle vous pla\^it?\\
~~~Saulnier. Beaucoup.\\
~~~Desormeaux, (\`a Madeleine.) Vous ne direz plus que votre retour de Boulogne manque de musique?\\
~~~Madeleine. Il en a manqu\'e! Vous auriez d\^u venir d\`es avant-hier!\\
~~~Desormeaux. Une autre fois, j'irai vous attendre \`a la gare avec ma fl\^ute!\\
~~~Madame B\'eliard, (qui ach\`eve de ranger sa partition.) Et notre caf\'e qui refroidit!\\
(Elle va verser le caf\'e.)\\
~~~Desormeaux. Oui, et notre caf\'e!\\
~~~Saulnier, (\`a Madame B\'eliard.) Maintenant, madame, je descends.\\
~~~Madame B\'eliard. Prenez cette tasse, j'ai mis un seul morceau de sucre.\\
~~~Saulnier. Mais je l'ai pris, le caf\'e, en vous \'ecoutant: mademoiselle Madeleine m'avait servi.\\
~~~Madame B\'eliard. Ah! tr\`es bien. Encore une tasse?\\
~~~Saulnier, (discr\`etement.) Non, merci. je me sauve. (Il va vers la porte de droite, au promier plan. Madame B\'eliard le reconduit. A Madame B\'eliard, \`a mi-voix.) Je remonterai un peu tant\^ot? Dis?\\
~~~Madame B\'eliard, (de m\^eme.) Mais oui...\\
~~~Saulnier. D\`es que j'aurai vu partir Desormeaux.\\
~~~Madame B\'eliard. Oui...\\
~~~Saulnier. Faites que nous soyons seuls!\\
~~~Madame B\'eliard, (inqui\`ete.) Mais oui, taisez-vous... (Haut.) A tout \`a l'heure!\\
~~~Madeleine, (qui bavardait avec Desormeaux.) Monsieur Saulnier, attendez! Mon ch\^ale!\\
~~~Saulnier. Oh! pardon, mademoiselle, j'oubliais!\\
~~~Madeleine, (elle va prendre sur une chaise un ch\^ale blanc qu'elle apporte.) Voil\`a.\\
~~~Saulnier. Alors, nous le teignons en brun d'Helv\'etie?\\
~~~Madeleine. Un peu plus rouge, si c'est possible. Un ton bordeaux.\\
~~~Madame B\'eliard. Acajou!\\
~~~Madeleine. Non, tante: bordeaux.\\
~~~Desormeaux, (plaisantant.) Saumon!\\
~~~Saulnier, (\`a Madeleine.) Voulez-vous qu'on fasse le ton devant vous? Ce serait plus simple.\\
~~~Madeleine. Tout de suite?\\
~~~Saulnier. Ma foi... Tout de suite si vous voulez.\\
~~~Madeleine. Cela va vous d\'eranger, cher monsieur Saulnier.\\
~~~Saulnier. Pas du tout.\\
~~~Madeleine. Alors, j'y vais, tante?\\
~~~Madame B\'eliard. Va, mon petit.\\
(Saulnier s'efface pour laisser passer Madeleine.)\\
~~~Madeleine. Pardon.\\
(Ils sortent \`a droite.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Desormeaux, Madame B\'eliard.)\\
(Madame B\'eliard va s'asseoir sur un fauteuil et sirote son caf\'e.)\\
~~~Desormeaux, (allumant un cigare.) Mais dites donc, ma ch\`ere Pauline, Saulnier est devenu tout \`a fait sociable! Il n'est donc plus amoureux de vous?\\
~~~Madame B\'eliard, (g\^en\'ee.) Voulez-vous bien vous taire?\\
~~~Desormeaux. Nous sommes seuls.\\
~~~Madame B\'eliard. C'est une histoire que je n'aurais jamais d\^u vous raconter.\\
~~~Desormeaux. Ingrate! Voil\`a bien les femmes. Du moment que vous dites cela, c'est que vous n'avez plus besoin de moi comme bouclier. Rappelez-vous: quand vous m'avez fait cette confidence, ce n'\'etait pas pour mon amusement.\\
~~~Madame B\'eliard. Mais vous vous en amusez tout de m\^eme.\\
~~~Desormeaux. Vous savez bien que tout m'amuse.\\
~~~Madame B\'eliard. Et, fatalement, il vous arrivera de plaisanter l\`a-dessus devant Madeleine.\\
~~~Desormeaux. Que non! Pouvez-vous citer \`a mon actif la moindre \'etourderie, m\^eme sur la fl\^ute? D'ailleurs, Madeleine a bien eu quelque soup\c{c}on des sentiments de Saulnier \`a votre \'egard?\\
~~~Madame B\'eliard. Non, certainement non! Les sentiments de Saulnier! Vous en parlez comme s'il les manifestait \`a tout propos! Je crois que vous-m\^eme les auriez ignor\'es si je ne vous les avais dits.\\
~~~Desormeaux. Eh! Je ne sais pas. Il y a eu, il y a peut-\^etre encore certains petits indices...\\
~~~Madame B\'eliard. Il n'y en a plus. On le sent maintenant tout \`a fait \`a l'aise avec moi, n'est-ce pas? Il n'est plus du tout solennel, crisp\'e, crispant. M\^eme il n'est pas toujours aimable. Depuis quelque temps, il s'est beaucoup rapproch\'e de Madeleine.\\
~~~Desormeaaux. Tiens!\\
~~~Madame B\'eliard. Entendez seulement qu'il l'admet de plus en plus comme collaboratrice, et c'est assez naturel. Elle est en bas beaucoup plus que moi, elle m'y remplace, elle s'int\'eresse \`a l'usine, elle y rend de r\'eels services.\\
~~~Desormeaux. Vous ne perdez point de vue notre id\'ee?\\
~~~Madame B\'eliard. Quelle id\'ee?\\
~~~Desormeaux. Allons, vous savez bien, notre id\'ee "Madeleine-Saulnier".\\
~~~Madame B\'eliard. Ah! oui... (Dans un soupir.) Evidemment, c'e\^ut \'et\'e parfait.\\
~~~Desormeaux. Comment c'e\^ut \'et\'e? Ce serait parfait. S'est-il produit un fait nouveau qui vous oblige \`a mettre cela au pass\'e?\\
~~~Madame B\'eliard. Non... seulement...\\
(Geste vague.)\\
~~~Desormeaux. J'imagine, ma ch\`ere amie, que si vous redoutez qu'on parle devant votre ni\`ece des amours de Saulnier, que si, d'autre part, vous orientez Madeleine vers les affaires, ce n'est pas sans quelque pr\'em\'editation? H\'e?\\
~~~Madame B\'eliard. Evidemment... J'ai fait... je fais tout mon possible en faveur de ce que vous appelez l'id\'ee "Madeleine-Saulnier". Mais c'est bien par acquit de conscience, mon ami et sans espoir de succ\`es; (Elle soupire.) de succ\`es... prochain, du moins.\\
~~~Desormeaux. D'accord! Il faut le temps! Mais si Saulnier est gu\'eri de vous! S'il d\'ecouvre---et il d\'ecouvrira---toutes les qualit\'es de Madeleine; s'il envisage un peu l'avenir! Ce n'est plus un tout jeune homme...\\
~~~Madame B\'eliard. Vous croyez que Madeleine soit mariable?\\
~~~Desormeaux. Tout le monde est mariable, m\^eme moi!\\
~~~Madame B\'eliard. La pauvre petite est si peu coquette!\\
~~~Desormeaux. Elle est sympathique et, sous ses dehors un peu gauches, il y a une nature passionn\'ee, Pauline.\\
~~~Madame B\'eliard. Madelon, une passionn\'ee?\\
~~~Desormeaux. Certainement... comme Saulnier. Voyez l'ardeur qu'elle apporte \`a tout ce qu'elle fait, voyez comme elle est vibrante, excessive souvent dans ses opinions, ses sentiments... Si, si: il faut qu'elle aime ou qu'elle d\'eteste. Elle aime ce qu'elle trouve \`a aimer, elle aime l'usine, elle aime les ouvri\`eres, elle aime le p\`ere Maison, elle nourrit les moineaux et les chats. Elle aimera Saulnier, elle l'aime d\'ej\`a peut-\^etre, sans le savoir.\\
~~~Madame B\'eliard, (m\'elancolique.) Non. Elle l'estime, elle l'admire m\^eme...\\
~~~Desormeaux. Vous voyez bien! On croirait que \c{c}a vous attriste?\\
~~~Madame B\'eliard. Non, mais il est \'evident que Saulnier est \`a cent lieues de penser... D'autre part, si l'on parlait d'amour \`a Madeleine, elle serait \'epouvant\'ee!\\
~~~Desormeaux. Qu'en savez-vous?\\
~~~Madame B\'eliard. Il me semble. Je sais par moi-m\^eme qu'on peut avoir une nature tr\`es affectueuse sans \^etre ce qu'on appelle amoureuse. Dieu sait que j'aimais mon mari; je l'aimais autant que j'aimais mon p\`ere. Mais je n'ai jamais \'eprouv\'e ce tourment, cette sorte de folie incompr\'ehensible...\\
~~~Desormeaux, (se versant du cognac.) Moi non plus, Dieu merci! Et j'ai toujours redout\'e d'en \^etre l'objet. C'est une bien horrible situation que de sentir qu'il d\'epend de vous, malgr\'e vous, que le pouls d'un malade ralentisse ou s'acc\'el\`ere. Sous peine d'\^etre accus\'e de cruaut\'e, vous voil\`a condamn\'e au r\^ole de rem\`ede. C'est effrayant.\\
~~~Madame B\'eliard, (souriant.) Il n'est pas si d\'eplaisant d'\^etre rem\`ede si l'on peut gu\'erir le malade.\\
~~~Desormeaux. Gu\'erir le malade! On ne fait le plus souvent qu'entretenir la maladie. Je connais cela. Je fus, il y a quelque vingt ans, le... rem\`ede d'une charmante enfant qui, faute de pouvoir gu\'erir, poussa l'\'ego\"isme et l'indiscr\'etion jusqu'\`a vouloir se tuer pour moi. J'ai eu toutes le peines du monde \`a la persuader qu'elle allait faire de moi sa victime.\\
~~~Madame B\'eliard. Et vous, n'avez-vous jamais eu envie d'\^etre malade? Ne l'avez-vous jamais \'et\'e un peu?\\
~~~Desormeaux. Euh!... tout au plus indispos\'e... Et pourtant je vous aime, ma belle amie.\\
~~~Madame B\'eliard. Il y avait longtemps!\\
~~~Desormeaux, (riant.) Ce brave Saulnier ne se doute pas qu'il e\^ut \'et\'e tr\`es malheureux avec vous.\\
~~~Madame B\'eliard, (interdite.) Pourquoi?\\
~~~Desormeaux. Vous ne seriez pas une femme pour lui, m\^eme en laissant de c\^ot\'e le point de vue situation. Vos deux natures sont tout \`a fait oppos\'ees, je crois, et, ce qui est pire, inconciliables.\\
~~~Madame B\'eliard, (le regard fixe.) Oui.\\
~~~Desormeaux. Mais moi, par exemple, je serais un homme pour vous. Non, je ne plaisante pas. Nous sommes, vous et moi, des gens paisibles, des coeurs sans fi\`evre. Je ne me sens pas attir\'e vers vous par des instincts violents et aveugles, ch\`ere amie, mais par une affection solidemenet fond\'ee.\\
~~~Madame B\'eliard. Elle est r\'eciproque.\\
~~~Desormeaux. Je sais... Chaque fois qu'il m'arrive de constater que vous \^etes belle...\\
~~~Madame B\'eliard, (l'interrompant.) Desormeaux!\\
~~~Desormeaux, (reprenant.) Chaque fois qu'il m'arrive de constater que vous \^etes belle, je n'en suis pas pour cela boulevers\'e. J'ai plaisir \`a vous regarder et je puis analyser ce plaisir en fumant mon cigare. C'est l\`a une sorte d'admiration qu'une autre femme que vous trouverait peut-\^etre peu d\'emonstrative. Mais avouez qu'elle vous suffit.\\
~~~Madame B\'eliard. Oh! tout \`a fait.\\
~~~Desormeaux. Elle vous est agr\'eable?\\
~~~Madame B\'eliard. Peut-\^etre.\\
~~~Desormeaux. Certainement. Tandis qu'une admiration \`a la Saulnier vous importunerait grandement.\\
~~~Madame B\'eliard. Encore Saulnier! Laissez donc Saulnier tranquille.\\
~~~Desormeaux. Je continue, Pauline. Nous avons des go\^uts communs. La musique...\\
~~~Madame B\'eliard, (mi-jou\'ee.) Le bon caf\'e.\\
~~~Desormeaux. Le bon caf\'e, la grasse matin\'ee, etc. Nous avons la m\^eme horreur des drames. Nous ne foudroyons pas la cuisini\`ere pour un r\^oti br\^ul\'e et nous manquons le train avec le sourire. Nous avons aussi un certain nombre de chers souvenirs en commun.\\
~~~Madame B\'eliard, (s\'erieuse.) Oui, oui, mon ami!\\
(Un silence.)\\
~~~Desormeaux. J'irai plus loin aujourd'hui que d'habitude et je vous ferai un aveu. Je me plais souvent \`a penser, ma ch\`ere Pauline, que vous serez peut-\^etre ma femme un jour.\\
~~~Madame B\'eliard. Mon ami, taisez-vous!\\
~~~Desormeaux. Franchement, vous n'y avez jamais pens\'e?\\
~~~Madame B\'eliard, (inqui\`ete.) Non. Nous sommes si bien comme cela! Qu'est-ce que le mariage nous donnerait de plus?\\
~~~Desormeaux. Ah! tout de m\^eme, vous \^etes \'etonnante!\\
~~~Madame B\'eliard, (agit\'e.) Je ne peux pas, je ne veux pas me remarier.\\
~~~Desormeaux. Je ne vous presse pas. Le jour o\`u je vous demanderai votre main, c'est que le temps sera venu; et vous n'en aurez ni \'etonnement, ni d\'eplaisir. Aujourd'hui, je vous prie seulement de tenir pour s\'erieux mon propos. Maintenant si vous \'etiez s\^ure de ne pouvoir jamais envisager cette union...\\
~~~Madame B\'eliard. Quelle id\'ee!\\
~~~Desormeaux. ... Vous devriez me le dire... Vous \^etes jeune, vous ne resterz pas seule. Il ne le faut pas. Et je ne voudrais pas emp\^echer d'autres pr\'etendants de...\\
~~~Madame B\'eliard. Oh! si, emp\^echez-les, de toute mani\`ere!\\
~~~Desormeaux. Vous ne direz pas toujours cela. Quand Madeleine sera devenue madame Saulnier...\\
~~~Madame B\'eliard. Ah! taisez-vous!\\
~~~Desormeaux. Oui, l\`a! Je m'en vais.\\
(Il se l\`eve.)\\
~~~Madame B\'eliard. Non, restez! Mais parlez-moi d'autre chose. Voulez-vous que nous reprenions la sonate?\\
~~~Desormeaux. Non, ch\`ere amie. Ce n'est pas vous qui me chassez. Il faut que je descende en ville.\\
(Madaleine entre.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Les M\^emes, Madeleine.)\\
~~~Madeleine. \c{C}a y est, mon ch\^ale est teint.\\
~~~Madame B\'eliard. Comme tu voulais?\\
~~~Madeleine. Peut-\^etre mieux encore. Un rouge sombre et chaud, splendide. Il est au laboratoire, dans un bain de fixage. C'est dommage qu'on n'ait pas eu autre chose \`a teindre. Tout un baquet de ce beau rouge s'en est all\'e au ruisseau!\\
~~~Desormeaux, (enjou\'e.) Si j'avais su, ma cravate...\\
~~~Madeleine. Vous partez?\\
~~~Desormeaux. Oui, mon enfant, il faut.\\
~~~Madame B\'eliard, (\`a Desormeaux.) Vous descendez \`a pied?\\
~~~Desormeaux, (consultant sa montre.) Oui, je peux.\\
~~~Madame B\'eliard. Alors, attendez-moi une seconde: je sors avec vous. J'ai une petite course \`a faire tout pr\`es d'ici. Nous ferons route ensemble.\\
~~~Desormeaux. Enchant\'e, ch\`ere amie. D\'ep\^echez-vous.\\
~~~Madame B\'eliard. Je n'ai que mon chapeau \`a mettre.\\
(Elle sort \`a gauche.)\\
~~~Desormeaux, (\`a Madeleine.) Alors, voyageuse, vous avez retrouv\'e l'air de la teinturerie B\'eliard sans d\'eplaisir, hein?\\
~~~Madeleine. Ah! vous pouvez dire avec joie!\\
~~~Desormeaux. Et l'on n'entendra plus en bas ce que j'y entendais il y a huit jours: "Si mademoiselle Madeleine \'etait l\`a, \c{c}a ne se passerait pas comme \c{c}a... C'est mademoiselle Madeleine qui s'en est occup\'ee. Qu'avait d\'ecid\'e mademoiselle Madeleine? Quand mademoiselle Madeleine a-t-elle dit ceci? Pourquoi mademoiselle Madeleine a-t-elle fait cela? Quand revient mademoiselle Madeleine?"\\
~~~Madeleine. Et vous, quand cesserez-vous de vous moquer de moi?\\
~~~Desormeaux, (s\'erieux.) Je ne me moque pas. J'ai l'impression que vous manquiez \`a tout le monde, en commen\c{c}ant par Saulnier.\\
~~~Madeleine. Menteur!... Il vous l'a dit?\\
~~~Desormeaux. Oui, mademoiselle, il me l'a dit. (A Madame B\'eliard, qui entre en boutonnant ses gants.) Vous y \^etes, ch\`ere amie?\\
~~~Madame B\'eliard, (press\'ee.) Voil\`a. Dis donc, Madelon, je pense qu'on va venir tout de suite chercher le petit paquet de linge que Louise a pr\'epar\'e l'hospice. Voudrais-tu le v\'erifier, voir s'il n'y a rien l\`a-dedans qui soit trop us\'e? (A Louise qui est entr\'ee et se dispose \`a emporter le service \`a caf\'e.) Louise, voulez-vous montrer \`a mademoiselle Madeleine le linge pour l'hospice?\\
~~~Louise. Oui, madame.\\
(Elle sort.)\\
~~~Desormeaux. Au revoir, Madeleine.\\
~~~Madeleine. Au revoir, Desormeaux.\\
(Poign\'ee de main.)\\
~~~Madame B\'eliard, (\`a Madeleine.) Je reviens tout de suite.\\
(Madame B\'eliard et Desormeaux sortent.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Madeleine, Louise.)\\
(Louise revient avec quelques serviettes, mouchoirs, nappes soigneusement pli\'es. Madeleine prendra, d\'epliera et examinera chaque pi\`ece, que Louise repliera ensuite.)\\
~~~Madeleine. Voyons ce linge... Oh! ne donnez pas cela, ce n'est qu'une loque. Faites-en des chiffons.\\
(Un silence.)\\
~~~Louise, (d\'epliant une nappe avec Madeleine.) Madame veut qu'on donne cette nappe. Mais elle est encore bonne, mademoiselle. Voyez donc!\\
~~~Madeleine. Heureusement, Louise. Si elle n'\'etait plus bonne \`a rien, ce ne serait pas la peine de la donner... Voi\`a une serviette qui est trou\'ee.\\
~~~Louise. Soyez sans crainte, mademoiselle, les femmes de l'hospice la repriseront.\\
~~~Madeleine. Mais elle a servi! Il faut donner du linge propre!\\
~~~Louise. Elle a servi? Ah! oui! Elle a servi \`a M. Saulnier la derni\`ere fois qu'il est venu d\'ejeuner.\\
~~~Madeleine. Louise, vous avez donn\'e une serviette trou\'ee \`a M. Saulnier? Qu'est-ce qu'il a d\^u penser!\\
~~~Louise. Si vous croyez qu'il s'en est aper\c{c}u! Il \'etait tout heureux de d\'ejeuner ici. Il n'avait presque plus son air c\'er\'emonieux.\\
(Un silence.)\\
~~~Madeleine. Il faudrait qu'il se sente un peu plus de la maison.\\
~~~Louise. Il commence, mademoiselle, vous verrez, il commence. Il venait la semaine derni\`ere travailler le soir \`a son inventaire, tout seul en bas comme un malheureux. Madame lui descendait une tasse de caf\'e qu'il ne voulait pas m\^eme monter prendre avec elle. Eh bien, une fois, son feu s'est \'eteint et il a tout de m\^eme accept\'e de finir son travail ici. Le lendemain, et les jours suivants, il est revenu.\\
~~~Madeleine. Ah! tant mieux.\\
~~~Louise. Il s'apprivoise, notre directeur.\\
~~~Madeleine, (qui a termin\'e son examen.) Enveloppez tout \c{c}a bien proprement dans l'un des torchons, ma petite Louise; on va venir le chercher.\\
~~~Louise. Oui, mademoiselle. Je mettrai des \'epingles.\\
(Elle sort. Madeleine reste un instant seule, mettant les si\`eges en ordre. On frappe \`a la porte de droite.)\\
~~~Madeleine. Entrez!\\
(Saulnier para\^it, tenant \`a la main, humide encore, le ch\^ale teint de Madeleine.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 5\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Madeleine.)\\
~~~Saulnier. Je monte votre ch\^ale, mademoiselle Madeleine. Je l'ai retir\'e du s\'echoir.\\
~~~Madeleine. Oh! merci, monsieur Saulnier.\\
~~~Saulnier. Il n'est pas sec, mais je pr\'ef\`ere qu'il finisse de s\'echer ici. Il risquerait de s'\'egarer au s\'echoir o\`u il y a beaucoup de monde en ce moment.\\
~~~Madeleine. Vous \^etes trop aimable! Je vais le mettre devant le feu.\\
(Elle fait ce qu'elle dit.)\\
~~~Saulnier. Voil\`a... (Il fait quelques pas ind\'ecis vers la porte.) Madame B\'eliard est ici?\\
~~~Madeleine. Mais non, monsieur Saulnier. Vous ne l'avez donc pas vue sortir?\\
~~~Saulnier, (d\'esappoint\'e.) Elle est sortie? Non, je ne l'ai pas vue. J'\'etais chez Masion... Et puis je suis all\'e au s\'echoir. On m'a seulement dit que M. Desormeaux venait de partir.\\
~~~Madeleine. Ma tante est descendue avec lui. Vous vouliez la voir?\\
~~~Saulnier. Non... C'est-\`a-dire que, si elle avait \'et\'e l\`a, j'aurais...\\
~~~Madeleine. Elle revient tout de suite. Elle est all\'ee au bout de la rue.\\
~~~Saulnier, (rass\'er\'en\'e.) Ah! parfait! ce n'est pas que je veuille la voir pour un motif important. Je venais surtout vous apporter votre ch\^ale.\\
~~~Madeleine. Comme c'est gentil \`a vous...\\
~~~Saulnier, (apr\`es un silence.) Je voulais demander \`a votre tante d'essayer de retrouver une police d'assurance... Une ancienne police...\\
~~~Madeleine. Les polices d'assurance doivent \^etre dans le secr\'etaire. Voulez-vous que je cherche?\\
~~~Saulnier, (s'en allant.) Non, non. Je ne suis pas press\'ee. Je reviendrai... \`a moins que... Vous dites qu'elle n'est all\'ee qu'au bout de la rue?\\
~~~Madeleine. Oui.\\
~~~Saulnier, (un peu gauche.) Alors, si vous permettez, je vais l'attendre ici plut\^ot qu'en bas.\\
~~~Madeleine, (avan\c{c}ant un fauteuil.) Je vous en prie.\\
~~~Saulnier. Vous allez comprendre: en traversant le bureau, je viens d'apercevoir \`a la caisse le p\`ere Vidal. S'il m'attrape, je ne pourrai plus m'en d\'efaire. Vous le connaissez! Je l'aurai deux heures sur les bras.\\
~~~Madeleine. Voulez-vous que je l'exp\'edie?\\
~~~Saulnier. Non!\\
~~~Madeleine. Mais si...\\
~~~Saulnier. Non, ch\`ere demoiselle. Je vous en prie, restez. Attendons votre tante. Si vous descendez... je n'aurai plus aucune raison d'\^etre ici... je veux dire qu'il serait inadmissible que je reste ici et que vous descendiez.\\
~~~Madeleine, (touch\'ee.) Oh! mais non, pourquoi?\\
~~~Saulnier, (s'asseyant.) Savez-vous, mademoiselle Madeleine, que j'aime \^etre ici? Ce salon est si intime, si familial. On sent qu'une femme, que des femmes vivent ici et qu'elles s'y plaisent. Votre tante est une femme d'int\'erieur admirable... (Un temps.) Et vous aussi, vous aussi!\\
~~~Madeleine. Oh! admirable! Comme toutes les autres.\\
~~~Saulnier, (regardant autour de lui.) Voyez-vous, pendant des ann\'ees, quand M. B\'eliard vivait, je suis venu ici un seul jour par an, le premier janvier. J'\'etais invit\'e \`a d\'ejeuner avec le p\`ere Maison, le comptable et quelques autres; il y avait aussi M. Desormeaux. La premi\`ere fois, j'\'etais tr\`es intimid\'e.\\
~~~Madeleine. Par mon oncle?\\
~~~Saulnier. Non, par votre tante... On ne la voyait jamais dans les ateliers o\`u je me tenais alors toute la journ\'ee. On l'entendait jouer du piano, quelquefois on la voyait passer, en toilette \'el\'egante. C'\'etait un \^etre lointain, myst\'erieux, impressionnant...\\
~~~Madeleine, (riant.) Pauvre tante, elle si simple, si jeune!\\
~~~Saulnier. C'\'etait la souveraine. Il y avait un jeune pr\'eparateur d'ici qui me confiait sa joie de travailler pour elle, d'imaginer que toute l'usine travaillait pour Madame B\'eliard!\\
~~~Madeleine. Vous ne lui avez jamais racont\'e cela?\\
~~~Saulnier, (un peu lointain.) Si, je le lui ai racont\'e. Dans ce temps-l\`a, l'usine employait beaucoup plus de monde qu'aujourd'hui. Votre oncle exer\c{c}ait une autorit\'e un peu distante. Son prestige \'etait grand. Il en imposait d'autant plus \`a tout le personnel que celui-ci \'etait rarement en rapport direct avec le bureau de M. B\'eliard que pour une circonstance exceptionnelle. Je m'y sentais au coeur, au centre de l'usine. C'\'etait comme si je venais de franchir la derni\`ere enceinte; et pourtant, une fois l\`a, j'en apercevais une autre, qui m'impressionnait plus encore...\\
~~~Madeleine. Laquelle?\\
~~~Saulnier. La porte aux deux marches, cette porte qui s'ouvre sur l'escalier priv\'e (Il d\'edigne la porte de droite.) et qui aboutit ici, cette porte que je devais franchir seulement le premier janvier.\\
~~~Madeleine. Mais ces d\'ejeuners du jour de l'An n'\'etaient pas du tout solennels?\\
~~~Saulnier. Non. Madame B\'eliard nous mettait vite \`a notre aise. On restait longtemps \`a table; on \'etait bien, on \'etait gai, il faisait chaud; des bouquets de fleurs partout. Il r\'egnait une atmosph\`ere de f\^ete familiale. Je ne connaissais gu\`ere d'autre int\'erieur, d'autre foyer. Comprenez-vous? Et maintenant encore... Il y a longtemps que je vis en gar\c{c}on. J'ai \'et\'e seul de bonne heure. J'ai eu des ann\'ees de jeunesse assez dures. Alors, cette maison, ce salon surtout, o\`u Madame B\'eliard nous faisait de la musique tout l'apr\`es-midi, cela repr\'esentait pour moi... je ne sais pas... une sorte de f\'elicit\'e inaccessible. Je sortais d'ici avec un contemtement m\^el\'e de d\'epit, de d\'esespoir...\\
~~~Madeleine. Pourquoi?\\
~~~Saulnier, (se ressaisissant.) Pourquoi? Mais... parce que... cette atmosph\`ere de bien-\^etre, cette chaleur, cette gracieuse prosp\'erit\'e humiliaient ma jeunesse, ma solitude, exaltaient jusqu'\`a la souffrance toutes les folles aspirations de mon coeur... (A lui-m\^eme, avec une joie contenue.) Folles? Elles n'\'etaient pas si folles... C'est b\^ete de vous raconter cela, et je ne sais pas si vous pouvez comprendre.\\
~~~Madeleine, (\'emue.) Si, si! J'ai \'et\'e seule aussi, moi; avec trop de foyers d'emprunt et pas un vrai foyer. Vivant chez un parent, puis chez un autre...\\
~~~Saulnier, (qui ne l'a pas \'ecout\'ee.) \c{C}a vous \'etonne, n'est-ce pas, de m'entendre parler comme \c{c}a, moi qui dois avoir le plus souvent l'air d'une brute?\\
~~~Madeleine, (protestant.) Oh! monsieur Saulnier!\\
~~~Saulnier, (avec une joie contenue et un peu de g\^ene.) Maintenant, je viens ici plus d'une fois par an. Depuis quelque temps, il se trouve m\^eme que j'y suis venu assez souvent. Il y a quelques jours, j'ai d\'ejeun\'e avec votre tante...\\
~~~Madeleine. Je sais.\\
~~~Saulnier. Ah?... Comme vous n'\'etiez pas l\`a, il fallait bien que je mette votre tante au courant de ce qui se passait.\\
~~~Madeleine. De sorte qu'avant c'\'etait moi qui emp\^echais que vous ne montiez de temps en temps \`a la maison.\\
~~~Saulnier. Non. C'est vous qui m'en avez donn\'e l'occasion, puisque c'est vous qui dispensiez madame B\'eliard de descendre et que j'ai d\^u vous remplacer.\\
~~~Madeleine. Il faudra continuer d'\^etre plus souvent avec nous, monsieur Saulnier.\\
~~~Saulnier. Mademoiselle Madeleine...\\
~~~Madeleine. Oh! je me permets de vous dire cela parce que je suis s\^ure que ma tante vous le dirait comme moi. Et sans doute vous l'a-t-elle dit?\\
~~~Saulnier, (joyeux,) Oui, elle me l'a dit. Et je suis bien heureux que vous me le disiez aussi.\\
(Un silence.)\\
~~~Madeleine, (avec \'elan.) Il faudrait que vous nous consid\'eriez un peu comme... comme votre famille. Puisque aussi bien tout le poids de cette maison est sur vos \'epaules... Puisque mon oncle lui-m\^eme vous a confi\'e...\\
~~~Saulnier, (avec \'emotion.) Ah! merci! merci pour ce que vous venez de me dire l\`a! Vous ne pouvez pas savoir quel plaisir vous me faites... Bien entendu, il ne s'agit pas de mon r\^ole \`a l'usine. Je ne voudrais pas que ce soit \`a cause de lui...\\
~~~Madeleine, (tremblante.) Monsieur Saulnier... (Madame B\'eliard entre \`a droite.) Ah! voil\`a ma tante.\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 6\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Les M\^emes. Madame B\'eliard.)\\
~~~Saulnier, (joyeux, \`a Madame B\'eliard.) Je vous attendais, madame, tout en me cachant chez vous pour \'eviter le p\`ere Vidal. Est-il toujours en bas?\\
~~~Madame B\'eliard. Non, je ne l'ai pas vu.\\
~~~Saulnier. J'ai besoin d'un renseignement que vous pourrez, je crois, m'aider \`a trouver.\\
~~~Madame B\'eliard. Bon. Laissez-moi retirer mon chapeau.\\
~~~Madeleine, (un peu agit\'ee, \`a Madame B\'eliard.) Regarde mon ch\^ale...\\
~~~Madame B\'eliard. Oh! il est joli. Pas un peu sombre?\\
~~~Madeleine. C'est parce qu'il n'est pas sec. (Madame B\'eliard sort \`a gauche en \^otant son chapeau. Madeleine replace son ch\^ale devant la chemin\'ee, puis regarde \`a la d\'erob\'ee Saulnier qui arpente le salon sans faire attention \`a elle, Madeleine avec un l\'eger trouble.) Je descends faire un tour dans les ateliers, monsieur Saulnier.\\
~~~Saulnier. Ah! tr\`es bien, merci... Vous m'\'eviterez de le faire.\\
(Madeleine sort vite \`a droite. Saulnier reste un instant seul, puis Madame B\'eliard revient.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 7\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Saulnier, Madame B\'eliard, puis La Dactylographe.) \\
~~~Saulnier, (courant \`a elle et lui prenant les mains.) Pauline!\\
~~~Madame B\'eliard, (inqui\`ete.) Madeleine est partie?\\
~~~Saulnier. Oui, elle vient de descendre aux ateliers, brusquement, comme si elle savait qu'elle doit nous laisser seuls. Est-ce qu'elle ne sait rien? Ne lui auriez-vous pas dit?...\\
~~~Madame B\'eliard. A quoi pensez-vous? Mais non, elle ne sait rien. Pourquoi?\\
~~~Saulnier. J'avais cru sentir, \`a certaine de ses paroles, qu'elle \'etait au courant.\\
~~~Madame B\'eliard. Quelles paroles?\\
~~~Saulnier. Que je vous embrasse d'abord, mon amour!\\
(Il l'enlace et l'embrasse longuement.)\\
~~~Madame B\'eliard, (se d\'egageant.) Oh! le fou! Venez, asseyez-vous l\`a gentiment et n'oubliez pas que Madeleine ou la bonne peuvent entrer ici d'un moment \`a l'autre.\\
~~~Saulnier. Je suis mont\'e, je ne savais pas que vous \'etiez partie. Pourquoi ne pas me pr\'evenir?\\
~~~Madame B\'eliard. Je rentrais tout de suite et d'ailleurs vous n'\'etiez pas dans le bureau quand je suis descendue avec Desormeaux...\\
~~~Saulnier. Non, j'allais et venais dans l'usine, impatient, incapable de rien faire, comme il m'arrive chaque fois que je dois aller vous rejoindre! Ce Desormeaux...\\
~~~Madame B\'eliard, (l'interrompant.) Robert, il ne faut pas \^etre comme cela! Vous me contrariez et me faites peur. Et si vous ne devenez pas calmement heureux, ma\^itre de vous-m\^eme, je serai toujours inqui\`ete, comme on l'est d'un enfant!\\
~~~Saulnier. Je suis ainsi. Mais je ne vous le dirai plus.\\
~~~Madame B\'eliard, (enjou\'ee.) Vous \^etes mont\'e tout de suite, au lieu d'attendre raisonnablement que je vous le fasse demander et vous avez \'et\'e attrap\'e. Vous n'avez trouv\'e que Madeleine.\\
~~~Saulnier. Oui...\\
~~~Madame B\'eliard, (soudainement inqui\`ete.) Quel pr\'etexte lui avez-vous donn\'e?\\
~~~Saulnier. Peureuse! J'en avais deux: je lui apportais son ch\^ale et je voulais vous demander l'ancienne police d'assurance. Je ne voulais pas redescendre! Apr\`es, il m'aurait fallu trouver autre chose pour remonter. J'ai invent\'e le p\`ere Vidal...\\
~~~Madame B\'eliard, (se levant.) Il faut que je vous la donne, cette police d'assurance: si Madeleine montait... (Elle va ouvrir un secr\'etaire.) Laquelle voulez-vous?\\
~~~Saulnier, (la suivant.) Ah! n'importe laquelle! J'apprends \`a jouer la com\'edie, Pauline; et je vis avec un masque. Qu'importe! Je t'aime et je suis pr\`es de toi! (Il lui saisit la t\^ete dans ses mains.) M'aimes-tu un peu aussi, toi?\\
~~~Madame B\'eliard. Mais oui, Robert! (Il l'embrasse.) Tenez, prenez cette police et laissez-moi! Si Louise entrait, si Madeleine...\\
~~~Saulnier. Il faut tout dire \`a Madeleine, \`a Desormeaux! Comment continuer \`a vivre ainsi, comment nous voir, maintenant que votre ni\`ece est revenue? Tout \`a l'heure, j'\'etais sur le point de lui apprendre...\\
~~~Madame B\'eliard, (\'epouvant\'ee, se rasseyant.) Vous, \`a Madeleine?\\
~~~Saulnier, (s'asseyant \`a son c\^ot\'e.) Mon Dieu, oui. Elle semblait m'y encourager. J'ai cru qu'elle savait...\\
~~~Madame B\'eliard. Au fait, qu'a-t-elle dit qui ait pu vous faire croire?...\\
~~~Saulnier. Une chose qui n'avait peut-\^etre, apr\`es tout, que le caract\`ere d'une amabilit\'e, d'une gentillesse, mais qui m'a \'emu, qui m'a boulevers\'e: elle m'a dit qu'il fallait venir plus souvent ici et vous consid\'erer un peu, vous et elle, comme une famille... ma famille. Elle a m\^eme ajout\'e: "Je suis s\^ure que ma tante vous le dirait comme moi".\\
~~~Madame B\'eliard. Certainement, mon ami... Mais \`a propos de quoi disait-elle cela?\\
~~~Saulnier. Je venais de lui confier que j'aimais cette maison, oh! sans lui dire pourquoi.\\
~~~Madame B\'eliard, (soulag\'ee, riant.) Alors, c'est tout naturel qu'elle vous ait demand\'e d'y venir souvent, Robert! Et moi qui avais d\'ej\`a peur pour notre secret!\\
~~~Saulnier. Il faut le lui confier!\\
~~~Madame B\'eliard. A Madeleine?\\
~~~Saulnier. Oui! Elle comprendra.\\
~~~Madame B\'eliard. Mais non! Je ne veux rien lui dire...\\
~~~Saulnier. H\'elas! Elles vous suffisent, \`a vous, ces bribes de bonheur qu'il faut prendre en se cachant, comme des voleurs. Je veux davantage, mon cher amour, je n'ai pas assez, tu ne me donnes pas assez de toi!\\
~~~Madame B\'eliard. Exigeant gar\c{c}on, ne t'ai-je pas tout accord\'e, tout donn\'e?\\
~~~Saulnier, (lui baisant les mains.) Oui... Et c'est donc mon bien que je r\'eclame! Pourquoi nous cacher, dis, pourquoi? Il ne s'agit pas d'afficher notre amour dans la ville, ni m\^eme dans l'usine, oh! non. Mais de lui assurer un asile ici, chez toi, dans cette maison toute pleine de toi... Il suffit de tout dire \`a Madeleine...\\
~~~Madame B\'eliard. Je vous en prie, je t'en prie, mon ami, accepte que je ne le fasse pas encore...\\
~~~Saulnier. Pourquoi?... Pourquoi?\\
~~~Madame B\'eliard. Parce que...\\
~~~Saulnier. Par pudeur peut-\^etre? A cause du deuil que vous portez encore ensemble? Mais je lui dirais, moi, je saurais lui dire. Je sais qu'elle comprendrait...\\
~~~Madame B\'eliard. Non, non, Robert, ce n'est pas seulement cela...\\
~~~Saulnier, (avec \'emotion.) Est-ce que... vous n'\^etes pas encore assez s\^ure de m'aimer?\\
(On frappe.)\\
~~~Madame B\'eliard. Entrez!\\
(Para\^it la Dactylographe qui reste dans l'entre-b\^aillement de la porte.)\\
~~~La Dactylographe, (saluant Madame B\'eliard de la t\^ete.) Madame!... Monsieur Saulnier, on vous demande \`a l'appareil: la maison Vallin, au sujet de votre commande...\\
~~~Saulnier. Ah! dites que je suis absent... Non, attendez... Allez demander \`a mademoiselle Madeleine de r\'epondre: elle est au courant... Vous la trouverez dans les ateliers... (L'employ\'ee sort. Saulnier revient vers Madame B\'eliard.) Dites, Pauline, vous n'\^etes pas encore assez s\^ure de m'aimer?\\
~~~Madame B\'eliard. Qu'allez-vous encore chercher l\`a? J'ai pour vous une affection, une tendresse dont je me rends compte un peu mieux chaque jour et qu'il ne me vient pas \`a l'id\'ee de peser, d'analyser. Je souffre si je vous vois souffrir et je me r\'ejouis quand je vous vois heureux...\\
~~~Saulnier. Ah! cher coeur, je le sais! Mais ce dont vous pouvez n'\^etre pas s\^ure encore... c'est de m'aimer comme je vous aime, de m'aimer uniquement, enfin, de m'aimer pour toute la vie. Dites? C'est pour cela? (Madame B\'eliard garde un silence embarrass\'e.) Pauline, ne m'aimez-vous pas m\^eme assez pour me r\'epondre?\\
~~~Madame B\'eliard, (g\^en\'ee.) Evidemment... oui, c'est pour cela... Le jour o\`u je parlerais \`a Madeleine, \`a Desormeaux, c'est que nous serions des fianc\'es, Robert. A Madeleine, je pourrais pr\'esenter mon fianc\'e, mais pas avouer un amant...\\
~~~Saulnier, (avec \'emotion.) Des fianc\'es...\\
~~~Madame B\'eliard. Mon fougueux ami! Votre passion m'a brusqu\'ee, m'a bouscul\'ee. Parfois elle m'effraie un peu. Laissez-moi le temps de l'aimer... autant que je vous aime et de savoir si elle me deviendra famili\`ere! Ma nature est si diff\'erente de la v\^otre...\\
~~~Saulnier. Ah! vous ne m'aimez pas!\\
~~~Madame B\'eliard, (lui caressant les cheveux.) Mais si...\\
~~~Saulnier, (apr\`es un silence.) Aimer, ce n'est pas seulement \'etancher la soif de l'autre, c'est \^etre assoiff\'e aussi! Votre coeur est bon Pauline; vous voulez bien donner, mais vous ne demandez rien! Je doute parfois que vous ayez besoin m\^eme de ma pr\'esence! (Madame B\'eliard proteste du geste.) Comprends-tu, j'aspire \`a quelque chose de toi que je n'arrive pas \`a atteindre, quelque chose qui serait le vif de ton coeur. Ah! lire dans ces yeux-l\`a ton attente de moi, ton bonheure, ton trouble, une victoire qui serait en m\^eme temps la mienne et la tienne! J'ai amass\'e en moi, pour toi, des richesses, des richesses! Je voudrais qu'elles te soient n\'ecessaires comme l'air que tu respires et te les prodiguer pour ta joie, pour ton enchantement \`a toi! (Avec d\'esespoir.) Mes pauvres richesses! Tu me dis qu'elles t'importunent, qu'elles te font peur! Si tu m'aimais vraiment, Pauline, aurais-tu peur de mon amour?\\
~~~Madame B\'eliard, (alarm\'ee.) Robert, voyons! C'est effrayant comme vous interpr\'etez toujours mes paroles de mani\`ere \`a vous en tourmenter! Ai-je dit que j'avais peur de votre amour? Ah! si j'ai peur de quelque chose, c'est surtout de ne pas savoir, de ne pas pouvoir vous rendre heureux!\\
~~~Saulnier, (touch\'ee.) Ma ch\'erie!\\
~~~Madame B\'eliard. C'est de ne correspondre en rien \`a cette Pauline que vous imaginez, que vous appelez, \`a qui vous tenez un langage si nouveau pour moi. Il me semble que vous continuez de parler \`a votre r\^eve.\\
~~~Saulnier. C'est toi, mon r\^eve!\\
~~~Madame B\'eliard. Dites-vous bien, Robert, que je ne suis pas un \^etre extraordinaire. Mon coeur est plus calme, moins exigeant que le v\^otre. Le malheur l'a touch\'e. Je vous ai c\'ed\'e beaucoup et peu demand\'e encore, c'est vrai. Mais laissez-moi le temps de bien comprendre et de convoiter toutes ces richesses dont vous parlez. Attendez que je sois digne d'elles, si je le puis \^etre!\\
~~~Saulnier. En doutez-vous?\\
~~~Madame B\'eliard. C'est vous qui m'en feriez douter, avec vos reproches, avec votre tendance \`a tout dramatiser!\\
~~~Saulnier. C'est vrai, je suis fou, trop pressant, trop avide! Pardonnez-moi! Je vous ai tourment\'ee et me tourmente au lieu d'\^etre tout bonnement heureux pr\`es de vous et de m'appliquer \`a vous plaire... Evidemment, moi, je vous aime depuis longtemps et j'oublie trop que votre sentiment \`a vous, ma belle ch\'erie, est tout neuf! Vous le connaissez mal encore. Avant de rien fonder sur lui, vous voulez vous assurer qu'il est assez fort, assez profond, n'est-ce pas?\\
~~~Madame B\'eliard. Mais oui!\\
~~~Saulnier, (s'attendrissant et s'exaltant.) Et tu crains, disais-tu, de ne pas savoir me rendre heureux, toi, toi! Comme tout cela montre l'honn\^etet\'e de ton coeur et quel cas tu fais de l'amour! Ah! cela montre aussi que tu m'aimes! Dis, tu m'aimes un peu?\\
~~~Madame B\'eliard. Mais oui, Robert! (Saulnier l'embrasse.) Attendez, votre noeud de cravate se d\'efait. (Elle refait le noeux.) Vous devriez porter des r\'egates. Je vous en donnerai une.\\
~~~Saulnier. Cher tr\'esor! Vois-tu, dans ta r\'eserve qui m'alarmait tout \`a l'heure, il y a quelque chose qui, maintenant, me donne de la joie: c'est ce grand espoir qu'elle permet. Si tu ne m'aimais pas, l'aurais-tu fait na\^itre, cet espoir? Ah! tu m'aimes, tu m'aimeras! Je serai tel que tu ne pourras pas ne pas m'aimer! Parbleu! il y a en toi un monde que tu ne connais pas toi-m\^eme, et c'est \`a moi de t'en apporter la r\'ev\'elation! A moi!\\
(Il l'enlace.)\\
~~~Madame B\'eliard, (se d\'egageant.) Oui, Robert, oui...\\
~~~Saulnier, (s'exaltant.) Merci, ma bien-aim\'ee, ma belle, ma g\'en\'ereuse! Merci d'\^etre toi, mon r\^eve de toujours!\\
~~~Madame B\'eliard. Grand fou! Embrassez-moi! L\`a... l\`a. Tu vas descendre et tout \`a l'heure j'irai te voir... Sois calme, sois gai, sois heureux.\\
~~~Saulnier, (se levant.) Calme, gai, oh! non! Je vis dans une ivresse qui d\'epasse la gaiet\'e, dans une joie qui est un tourment. Mais je ne changerais pas de place avec Dieu!... Pauline, quand nous \'etions plus jeunes tous les deux et que je vous adorais de loin, si l'on m'avait dit...\\
(Madeleine frappe et ouvre aussit\^ot.)\\
~~~Madeleine, (essouffl\'ee.) Monsieur Saulnier, je vous demande pardon, l'inspecteur du travail est en bas...\\
~~~Saulnier, (se dirigeant vers la porte.) Ah! bien, j'y vais.\\
~~~Madeleine. Je l'ai fait asseoir dans votre bureau.\\
~~~Madame B\'eliard, (prenant la police sur le canap\'e.) Eh! votre police d'assurance que vous oubliez!\\
(Saulnier revient, prend la police et sort.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 8\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Madeleine, Madame B\'eliard.)\\
~~~Madeleine, (apr\`es un silence, avec trouble.) Ma tante!\\
~~~Madame B\'eliard. Quoi, Madelon?\\
~~~Madeleine. Il ne venait vraiment te voir que pour avoir cette police d'assurance?\\
~~~Madame B\'eliard, (surprise.) Saulnier? Oui... et puis nous avons un peu bavard\'e. Pourquoi?\\
~~~Madeleine. Je croyais... J'ai eu l'impression qu'il y avait autre chose... Je lui ai propos\'e de la chercher, cette police; il n'a pas voulu. Il d\'esirait te voir. Il \'etait... gai et un peu \'emu.\\
~~~Madame B\'eliard, (inqui\`ete.) Ah!\\
~~~Madeleine. Ma tante, il m'a parl\'e comme jamais il ne l'avait fait.\\
~~~Madame B\'eliard. Et... de quoi?\\
~~~Madeleine. De cette maison, des souvenirs qu'il en a... des d\'ejeuners du jour de l'An, quand mon oncle vivait. Il m'a dit qu'il aimait bien \^etre ici, chez nous!\\
~~~Madame B\'eliard, (un peu rassur\'ee.) Et tu l'as engag\'e \`a y venir plus souvent...\\
~~~Madeleine, (\'etonn\'ee.) Oui.\\
~~~Madame B\'eliard. A nous consid\'erer un peu comme sa famille. (Riant.) Il me l'a dit.\\
~~~Madeleine. Il t'a dit cela? Il t'a parl\'e de moi?\\
~~~Madame B\'eliard. De toi? Non, ou du moins pas sp\'ecialement... Je pense qu'il a continu\'e avec moi la conversation commenc\'ee avec toi... Mais qu'est-ce qu'il y a, mon petit? Tu as l'air agit\'ee, troubl\'ee...\\
~~~Madeleine. Oui, peut-\^etre. (Ne retenant plus son \'emotion.) Je n'osais pas remonter, ma tante!\\
~~~Madame B\'eliard, (inqui\`ete.) Pourquoi?\\
~~~Madeleine. Il me semblait... c'est stupide... que vous parliez de moi, M. Saulnier et toi.\\
~~~Madame B\'eliard, (allant \`a elle.) Voyons, voyons, Madeleine, explique-toi! Qu'y a-t-il? Tu craignais que nous ne parlions de toi?\\
~~~Madeleine, (se pr\'ecipitant dans les bras de Madame B\'eliard en pleurant.) Ah! ma tante, ma petite tante Pauline!\\
~~~Madame B\'eliard. Mon Dieu! Qu'as-tu? Viens, viens l\`a, dis-moi!\\
(Elle l'entra\^ine jusqu'au divan o\`u elle la fait asseoir et s'asseoit pr\`es d'elle.)\\
~~~Madeleine. Je l'aime!\\
~~~Madame B\'eliard, (dans un sursaut.) Quoi?\\
~~~Madeleine. M. Saulnier. Je l'aime...\\
~~~Madame B\'eliard, (atterr\'ee.) Mon Dieu! Mais ce n'est pas possible!\\
~~~Madeleine. Si, ma tante! Je l'aime et je ne peux plus te le cacher! Ah! quel bien cela me fait de te le dire!\\
~~~Madame B\'eliard. Ma pauvre ch\'erie!\\
~~~Madeleine. Je ne suis pas pauvre... Laisse-moi te dire. Je pleure, je ne sais pas pourquoi. C'est peut-\^etre de joie, d'espoir.. Je l'aime depuis longtemps, mais je m'en suis surtout aper\c{c}ue \`a Boulogne. Je ne pouvais pas rester l\`a-bas. Je comptais les jours, les heures...\\
~~~Madame B\'eliard, (l'interrompant.) Madelon...\\
~~~Madeleine. Attends... Tu ne te doutais de rien, mais j'\'etais malheureuse, avant; il me semblait qu'il ne faisait presque pas attention \`a moi. Depuis mon retour, il est si pr\'evenant, si bon! Et, tout \`a l'heure, ici...\\
~~~Madame B\'eliard. Eh bien?\\
~~~Madeleine. Oh! je suis peut-\^etre folle! Et pourtant! Nous bavardions, j'\'etais troubl\'ee et j'ai eu soudain la certitude, oh! la presque certitude qu'il partageait un peu mon trouble. Il m'a parl\'e de ses dures ann\'ees d'enfance, de son besoin de famille, d'affection. Alors, moi, \'etourdiment, je lui dis cette chose...\\
~~~Madame B\'eliard. Quelle chose?\\
~~~Madeleine. Ce qu'il t'a r\'ep\'et\'e: qu'il devrait nous consid\'erer comme sa famille. Ah! si tu l'avais vu: son visage s'est illumin\'e, il a balbuti\'e. Il m'a exprim\'e---oh! j'en suis s\^ure de \c{c}a---que je ne pouvais pas savoir la gravit\'e, l'importance qu'avait pour lui ce que je venais de dire... Nous \'etions l\`a tous les deux, aussi \'emus l'un que l'autre. Si tu n'\'etais pas arriv\'ee alors, je crois, je crois bien qu'il allait...\\
~~~Madame B\'eliard. Madelon, ma pauvre petite Madelon tais-toi! Tu te trompes! Tu te trompes! Il ne t'aime pas.\\
~~~Madeleine, (angoiss\'ee.) Il t'a dit?\\
~~~Madame B\'eliard. Non, comprends-moi! Je ne crois pas que ton sentiment soit partag\'e. Il ne m'appara\^it pas que...\\
~~~Madeleine. Ma tante! Te doutais-tu que je l'aimais, moi?\\
~~~Madame B\'eliard. Non, mais, mon enfant... Ah! Dieu, que c'est difficile! Enfin, j'ai de bonnes raisons pour croire que tu te trompes...\\
~~~Madeleine. Tu as appris quelque chose sur lui? Il en aime une autre?\\
~~~Madame B\'eliard, (douloureusement.) Eh bien, oui, mon petit, on m'a dit... (Madeleine \'eclate en sanglots, la t\^ete sur les genoux de Madame B\'eliard.) Mais ne pleure pas! Attends! Ah! je ne peux pas te voir souffrir ainsi! Madelon, ce n'est peut-\^etre pas vrai!\\
~~~Madeleine. Qui te l'a dit?\\
~~~Madame B\'eliard, (inventant.) Il a pu changer... C'est une histoire qui n'est pas neuve et \`a laquelle Desormeaux faisait allusion...\\
~~~Madeleine, (pressante.) Ah! c'est Desormeaux! En plaisantant, peut-\^etre, n'est-ce pas? Non?\\
~~~Madame B\'eliard. Si, peut-\^etre, tu sais comme il est.\\
~~~Madeleine. Je sens bien \`a ta fa\c{c}on de r\'epondre qu'il ne s'agit pas d'une plaisanterie!... Et quand tu m'as dit tout \`a l'heure: "Il ne t'aime pas... "\\
(Elle recommence \`a sangloter.)\\
~~~Madame B\'eliard. Ma ch\'erie, ma ch\'erie, j'ai eu tort! Tu te mets dans un \'etat! Je ne sais rien. Nous demanderons, je demanderai \`a Desormeaux.\\
~~~Madeleine. Oh! oui, demande-le-lui! Va le lui demander! Explique-lui...\\
~~~Madame B\'eliard. Oui, Madelon, j'irai.\\
~~~Madeleine. Tu sais que Desormeaux m'a taquin\'ee plusieurs fois \`a propos de M. Saulnier... Il s'\'etait donc aper\c{c}u, chez moi, d'un penchant...\\
~~~Madame B\'eliard, (avec effort.) Peut-\^etre.\\
~~~Madeleine. Au fait, tante, je suppose bien qu'il l'e\^ut d\'ecourag\'e, ce penchant, s'il avait eu quelque s\'erieuse raison de le faire... N'est-ce pas?\\
~~~Madame B\'eliard. Mais oui... C'est vrai... Tu vois!...\\
~~~Madeleine, (se levant, impatiente.) Va lui demander!...\\
~~~Madame B\'eliard, (s'effor\c{c}ant de se rassurer elle-m\^eme.) Oui, oui, et Desormeaux nous conseillera. Qui sait! Il parlera peut-\^etre \`a Saulnier... Je ne veux plus que tu pleures, Madelon! (Elle l'enlace et l'embrasse.) Essuie tes yeux! Tu verras! J'ai eu tort... J'ai \'et\'e stupide... Sois gaie, ma ch\'erie! Qui sait? Quand il saura comme tu l'aimes, toi...\\
~~~Madeleine, (avec une expression d'espoir.) Oh! ma ch\`ere petite tante!\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau)\\








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