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{
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~L'Air du Temps\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 3\\
(M\^eme d\'ecor qu'au second acte.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 1\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Devilder, Paulette, Robert.)\\
(Au lever du rideau, Robert est seul et lit. Paulette entre, son chapeau sur la t\^ete.)\\
~~~Robert. Quoi? tu reviens d\'ej\`a?\\
~~~Paulette. Je viens de rencontrer Devilder dans l'escalier.\\
(Devilder entre \`a la suite de Paulette.)\\
~~~Devilder, (poursuivant une conversation.) ... Oui, encore heureux que j'aie \'et\'e pr\'evenu.\\
~~~Paulette, (d\'eposant sur un meuble son sac et ses gants.) Qui vous a pr\'evenu?\\
~~~Devilder. Le commissaire-priseur. Capellan ne vous l'a pas dit?\\
\\
commissaire-priseur~~~競売吏\\
\\
~~~Paulette, (avec humeur.) Il ne m'a pas fait cet honneur. Asseyez-vous donc.\\
~~~Devilder. Ce commissaire-priseur conna\^it le nom de Capellan, mais il ignore sa scupture, et \`a plus forte raison, son monogramme. Il bazarde n'importe quoi. Il avait pour aujurd'hui cette vente par autorit\'e de justice: mobilier important et luxueux. L'exposition a eu lieu hier. Chevrillon, qui va toujours fouiller \`a l'h\^otel des Ventes, est tomb\'e en arr\^et devant la petite bacchante.\\
\\
bazarde~~~売り払う、叩き売りする\\
fouiller~~~掘り返す、調べる\\
tomb\'e en arr\^et~~~(驚き、感嘆のため)突然立止る\\
\\
~~~Robert. Naturellement.\\
~~~Devilder. C'est lui qui a renseign\'e le commissaire-priseur sur la qualit\'e de la statuette en lui indiquant que j'en \'etais l'\'editeur. L'autre m'a t\'el\'ephon\'e tout de suite pour me demander si la pi\`ece m'int\'eressait et, surtout, pour en conna\^itre la valeur. Vous pensez si j'ai bondi \`a l'h\^otel. Je pouvais faire saisir l'exemplaire, mais on n'a fait aucune difficult\'e pour la retirer de la vente. Elle est actuellement chez le commissaire-priseur, o\`u Capellan est all\'e la voir.\\
~~~Paulette. Quand?\\
~~~Devilder. Il y est en ce moment. Vous ne le saviez pas? C'est moi qui lui ai indiqu\'e cette heure-ci. Je lui ai dit que je ne pouvais l'accompagner, mais que je passerais ici \`a son retour. Je voulais absolument vous voir tous deux pour que vous n'ayez aucune esp\`ece d'inqui\'etude. J'ai bien failli vous manquer, Paulette. Je ne vous mets pas en retard?\\
~~~Paulette. Du tout, j'ai cinq minutes. Et vous \^etes s\^ur qu'il ne s'agit pas de l'une des ... japonaises?\\
~~~Devilder. J'en serais s\^ur, m\^eme si je ne l'avais pas vue! Celles du Japon ne pourraient bouger sans que j'en sois inform\'e, je vous l'ai dit cent fois. Et, d'ailleurs, aucun rapport. Ce n'est pas la m\^eme qualit\'e de fonte, pas la m\^eme pr\'esentation. Ce bronze n'a \'et\'e patin\'e d'aucune mani\`ere. C'est le m\'etal cru, jaune, poli. \c{C}a ne manque d'ailleurs pas d'un certain cachet.\\
\\
fonte~~~鋳造\\
patin\'e~~~古色をつける、つやをだす\\
cachet~~~印章、しるし、特徴\\
\\
~~~Robert, (avec placidit\'e.) On se serait donc servi de l'un des trois bronzes originaux?\\
~~~Devilder. Non, on s'est servi de l'un des quatre moulages en pl\^atre attribu\'es \`a ton p\`ere, \`a toi, \`a Manesse et \`a moi. Eux seuls pr\'esentent sur le socle ces irr\'egularit\'es qui proviennent d'\'eclats au moule et qu'on n'a pas corrig\'ees pour nous, parce qu'elles sont sans importance. On les retrouve sur le bronze de l'h\^otel.\\
\\
pl\^atre~~~石膏\\
socle~~~台、台座\\
\\
~~~Paulette, (observant Devilder.) Alors?\\
~~~Robert. \c{C}a, par exemple!\\
~~~Deviler. Alors, c'est de toute \'evidence le moulage de ce pauvre Manesse qui a servi.\\
~~~Robert. Pas possible!\\
~~~Devilder. Quel autre voudrais-tu que ce f\^ut?\\
~~~Robert. Je ne sais pas, moi! Le mouleur aurait pu tirer une \'epreuve de plus et...\\
~~~Devilder, (l'interrompant.) Le mouleur! Santucci! S'il t'entendait, il voudrait t'\'etrangler. C'est bien le dernier homme au monde qui soit capable d'une chose pareille. D'ailleurs, ce n'est pas un mouleur ou un fondeur qui se serait engag\'e sciemment dans une telle aventure avec cette l\'eg\`eret\'e.\\
\\
Santucci~~~辞書になし\\
sciemment~~~承知の上で\\
\\
~~~Robert. Cette b\^etise.\\
~~~Devilder. Il faut \^etre vraiment na\"if, comme l'\'etait ce pauvre ami, pour s'imaginer qu'on peut mettre en circulation, \`a Paris...\\
~~~Paulette. Mais pour quoi voulez-vous que ce soit lui plut\^ot qu'un de ses h\'eritiers, plut\^ot que ce neveu auquel il a laiss\'e tout son mobilier?\\
~~~Deviler, (cat\'egorique.) Non.\\
~~~Paulette. Il sera bien facile de savoir ce qu'est devenue la statuette apr\`es la mort de L\'eon.\\
~~~Robert, (sceptique.) Oh! facile...\\
~~~Deviler. Ce qu'elle est devenue? Voyons, rappelez-vous! deux ou trois mois seulement avant sa mort, Manesse, tout contrit, a t\'el\'ephon\'e \`a Capellan pour lui annoncer qu'il avait laiss\'e choir la petite bacchante sur le parquet, o\`u il n'avait pu la ramasser qu'\`a la pelle.\\
\\
contrit~~~後悔した\\
parquet~~~寄せ木張りの床\\
\\
~~~Paulette. Ah! c'est vrai, au fait!\\
~~~Robert. Oui.\\
~~~Devilder. Et cet accident nous appara\^it aujourd'hui comme bien suspect, \`a Capellan et \`a moi.\\
~~~Paulette. Comment cela?\\
~~~Devilder. Ne parlons pas des risques du transport et de la manipulation, risques que court un pl\^atre dont on se sert pour couler un bronze, et admettons que le pauvre Manesse se soit purement et simplement s\'epar\'e du sien...\\
\\
pl\^atre~~~石膏\\
\\
~~~Paulette, (l'interrompant.) Pour le vendre?\\
~~~Devilder. Disons pour en faire cadeau \`a quelqu'un, \`a quelqu'une. Eh bien, il fallait qu'il expliqu\^at comment la bacchante avait disparu de son salon.\\
~~~Robert. Ah! je vois.\\
~~~Paulette. Enfin pourquoi Manesse aurait-il fait cela? Il adorait tout ce qui lui venait de Capellan.\\
~~~Devilder. Certes, mais vous oubliez qu'il adorait aussi les petites femmes au nez retrouss\'e. Il en a connu qui n'\'etaient pas de vulgaires poules. Mais, poule ou non, l'une d'elles a tr\`es bien pu s'exciter sur la bacchante, oeuvre excitante s'il en fut.\\
\\
s'exciter~~~腹を立てる、興奮する\\
\\
~~~Paulette. Peut-\^etre.\\
~~~Devilder. Croyez-moi, Manesse a eu le tort de montrer sa statuette \`a une jolie fille qui a voulu l'avoir et qui l'a eue.\\
~~~Robert, (songeur.) Et c'est elle qui, ensuite, a pu vouloir en tirer parti.\\
~~~Devilder. Elle ou son petit ami.\\
~~~Paulette. A qui appartenait ce mobilier que l'on vend?\\
\\
mobilier~~~家具、動産\\
\\
~~~Devilder. Capellan ne vous l'a pas dit? A un aviateur qui menait grand train, qui a fait 600.000 francs de dettes et s'est envol\'e sans laisser d'adresse.\\
\\
menait grand train~~~豪華な暮しをする\\
\\
~~~Robert. Dommage! on ne peut pas lui demander d'o\`u lui venait la bacchante.\\
~~~Devilder. Oh! tu sais, un aviateur, \c{c}a finit toujours par atterrir.\\
~~~Paulette. Comment Capellan prend-il cette histoire?\\
~~~Devilder. Tr\`es \`a coeur. Ce qui le touche le plus p\'eniblement, je crois, c'est la conduite de Manesse. Que vous a-t-il dit?\\
\\
\`a coeur~~~関心を抱く、是非・・・したい\\
\\
~~~Paulette. Mais rien, je vous le r\'ep\`ete! Pas un mot l\`a-dessus, ni sur autre chose.\\
~~~Robert. Oui, le d\'ejeuner a \'et\'e gai! Si j'avais su, moi, je ne serais pas venu.\\
~~~Paulette. Si tu avais su! Comme si tu ne savais pas!\\
~~~Devilder. Qu'est-ce qu'il y a encore de cass\'e?\\
~~~Paulette, (soupirant.) Il fait une crise de jalousie aigu\"e pour changer.\\
~~~Devilder. Rien de s\'erieux?\\
~~~Paulette. Je vous le dirai quand cela sera fini.\\
~~~Devilder. Vous savez tout de m\^eme bien si elle est fond\'ee, sa jalousie!\\
~~~Paulette. Nous \'etions avant-hier \`a un d\^iner travesti chez les Eschimann. J'ai fait comme toutes les femmes qui \'etaient l\`a, je me suis laiss\'e embrasser...\\
\\
travesti~~~変装する\\
\\
~~~Devilder. Devant tout le monde, \c{c}a n'a pas d'importance.\\
~~~Robert. Ce n'\'etait pas devant tout le monde.\\
~~~Paulette. Oh! un peu \`a l'\'ecart! Vous savez, dans ce genre de parties chacun est plus ou moins ivre avant de se mettre \`a table. Ce n'est d'ailleurs amusant qu'\`a cette condition. Il est entendu qu'on laisse tomber les convenances et qu'on ose beaucoup, sans que cela puisse avoir de cons\'equences ni de lendemain.\\
\\
convenances~~~礼儀作法\\
\\
~~~Robert. Tout de m\^eme, Paulette, vous avez \'et\'e un peu fort, toi et Maurice!\\
~~~Devilder. Qui \c{c}a?\\
~~~Robert. Maurice Cousin, vous le connaissez, mon copain.\\
~~~Devilder. Ah! c'est lui...\\
~~~Paulette. Nous avons fait comme les autres. Avec \c{c}a que tu t'es g\^en\'e, toi, avec la petite Bergeron. Tu m'as m\^eme embrass\'ee sur la nuque en passant derri\`ere moi, monsieur mon beau-fils.\\
~~~Robert. Je t'ai choqu\'ee, madame ma belle-m\`ere?\\
~~~Paulette. Ne m'appelle pas comme \c{c}a! Non, tu ne m'as pas choqu\'ee, mais c'est pour dire!... Et ton p\`ere qui, pendant tout le d\^iner, n'a cess\'e de promener sa main sur le dos nu et les \'epaules de Jeanne.\\
~~~Robert. Ce n'est pas la m\^eme chose. (A Devilder.) P\`ere les a trouv\'es, elle et Maurice, vautr\'es sur un divan, dans l'obscurit\'e.\\
\\
vautr\'es~~~寝転がる\\
\\
~~~Devilder, (sur un ton de r\'eprimande.) Paulette!...\\
\\
r\'eprimande~~~叱責\\
\\
~~~Paulette. Nous fumions, nous bavardions...\\
~~~Robert, (ironique.) Oui...\\
~~~Paulette. La fen\^etre \'etait ouverte et il y avait trois ou quatre personnes devant nous sur le balcon!\\
~~~Robert. Oui, il y avait m\^eme papa qui vous observait. Tu sais bien comme il est jaloux, comme il a l'oeil sur Maurice!\\
~~~Devilder. \c{C}a, c'est vrai. Depuis longtemps.\\
~~~Robert. Tu aurais d\^u faire attention. Tu n'as pas quitt\'e Maurice de la soir\'ee!\\
~~~Paulette. Quelle erreur!\\
~~~Devilder. Ah! Paulette! Paulette! Et alors Capellan s'est f\^ach\'e?\\
~~~Paulette. Il a \'et\'e ridicule et grossier. Il m'a appel\'ee sur un ton! (Elle l'imite.) "Paulette!" Et, comme je ne venais pas assez vite, il s'est pr\'ecipit\'e sur moi, m'a litt\'eralement empoign\'ee, tir\'ee dans le vestibule et nous sommes partis en quatri\`eme vitesse sans dire au revoir \`a personne. Dans la voiture, je vous prie de croire que j'en ai entendu! Ah! j'\'etais d\'egris\'ee!\\
\\
en quatri\`eme vitesse~~~ギアをトップにして、フルスピードで\\
d\'egris\'ee~~~酔いを覚ます\\
\\
~~~Robert. Un peu tard.\\
~~~Paulette. Fais-moi gr\^ace de tes le\c{c}on, je t'en prie.\\
~~~Robert. Si tu crois que tout \c{c}a est rigolo pour moi! Il suffit que Maurice soit mon ami pour que papa me fasse la gueule, \`a moi aussi.\\
~~~Devilder. Et ce bronze frauduleux qui arrive l\`a-dessus!\\
~~~Paulette, (se levant.) Moi, je m'en vais. Je devrais \^etre d\'ej\`a partie. Et je pr\'ef\`ere ne pas avoir \`a manifester mon indignation au sujet des bronzes frauduleux.\\
~~~Devilder. Il n'y en a qu'un, Paulette!\\
~~~Paulette, (mettant ses gants.) Un ici et quatre ailleurs.\\
~~~Devilder, (protestant.) Mais non! ces derniers ne sont pas frauduleux. Ils sont tout au plus clandestins. Il ne faut pas confondre.\\
\\
frauduleux~~~不正の、詐欺の\\
clandestins~~~秘密の、非合法の\\
\\
~~~Paulette, (taciturne.) Au revoir, Devilder. Je vous reverrai peut-\^etre tout \`a l'heure. Je vais \`a deux pas d'ici.\\
~~~Devilder. Au revoir, ma petite amie. Ne vous tourmentez pas. Tout cela n'est pas grave.\\
~~~Paulette, (vers la porte.) Au revoir, Robert.\\
~~~Robert. Au revoir! Qu'est-ce que je dis \`a papa s'il demande o\`u tu es?\\
~~~Paulette, (agac\'ee.) Il ne demandera pas, il sait. Je vais \`a un essayage.\\
\\
essayage~~~試着\\
\\
(Elle sort.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Robert, Devilder.)\\
~~~Devilder. Il n'y a rien entre elle et Maurice Cousin?\\
~~~Robert, (renfrogn\'e.) Je ne crois pas. En tout cas, ce n'est pas mon affaire.\\
\\
renfrogn\'e~~~眉を顰める\\
\\
~~~Devilder. \c{C}a ne peut tout de m\^eme te laisser indiff\'erent, \`a cause de ton p\`ere.\\
~~~Robert. Je ne vous dis pas que \c{c}a me laisse indiff\'erent, je vous dis que ce n'est pas mon affaire.\\
~~~Devilder. Tu pourrais tout de m\^eme demander \`a ton copain.\\
~~~Robert. \c{C}a vous int\'eresse de le savoir? Vous \^etes jaloux aussi?\\
~~~Devilder, (rire forc\'e.) Esp\`ece d'idiot!\\
~~~Robert, (consultant sa montre.) Il va falloir que je file bient\^ot, moi.\\
~~~Devilder. Tu... prends tes repas ici en ce moment?\\
~~~Robert. Le d\'ejeuner.\\
~~~Devilder. Et le cin\'ema?\\
~~~Robert. On ne tourne plus rien. Les capitaux se d\'efilent. On les a trop fait valser.\\
\\
se d\'efilent~~~糸が抜けて、(玉が)ほどける\\
fait valser~~~faire valser l'argent~~~金を湯水の如く使う\\
\\
~~~Devilder. Fais autre chose.\\
~~~Robert. Ce serait tout de m\^eme malheureux de laisser tomber un m\'etier que je connais...\\
~~~Devilder. Tu sais, il vaut mieux exercer n'importe quel m\'etier avant de le conna\^itre que de le conna\^itre sans pouvoir l'exercer. Regarde, moi, j'ai commenc\'e par faire mon droit, et puis j'ai fait de la Bourse, et puis j'ai vendu des terrains, jusqu'au jour o\`u l'on m'a propos\'e d'acheter la galerie d'art du p\`ere Lemoine.\\
~~~Robert, (apr\`es un silence.) Vous, Devilder, vous \^etes de ces gens qui aiment le gain pour lui-m\^eme.\\
~~~Devilder, (riant.) Et pourquoi donc l'aimes-tu?\\
\\
利益のために利益を求めるのでなければ、何のために利益を求めるのだ?\\
\\
~~~Robert. Pour la d\'epense. Je veux dire que j'ai plus de plaisir \`a d\'epenser qu'\`a gagner.\\
~~~Devilder. Vous \^etes beaucoup comme \c{c}a.\\
\\
そういう人間は沢山いる\\
\\
~~~Robert. Erreur! en France, nous sommes une faible minorit\'e.\\
~~~Devilder. Il y a aussi ceux qui aiment d\'epenser sans gagner, comme l'\'el\'egant aviateur qui poss\'edait la petite bacchante.\\
(Un silence.)\\
~~~Robert. Il vivait seul?\\
~~~Devilder. Qui? l'aviateur?\\
~~~Robert. Oui. Son mobilier, c'est un mobilier d'homme seul?\\
~~~Devilder. Ma foi, je n'en sais rien. Je l'ai examin\'e en d\'etail. J'ai surtout remarqu\'e de beaux tapis marocains. Pourquoi me demandes-tu cela?\\
~~~Robert. Je pensais \`a une petite amie de Manesse qui faisait assez femme d'aviateur.\\
~~~Devilder. Il y a un genre femme d'aviateur?\\
~~~Robert. Sans doute...\\
(Un silence.)\\
~~~Devilder. Dis donc, Robert!\\
~~~Robert. Hein?\\
~~~Devilder. Une id\'ee absurde me passe par la t\^ete. Mais, avec toi, je ne me g\^ene pas. Par extraordinaire, ce ne serait pas toi qui aurais fait cette blague avec ton moulage? Tu pourrais me le dire, tu sais, et m\^eme...\\
~~~Robert, (l'interrompant.) Devilder, si je vous posais la m\^eme question, \`a vous? Si je vous disais que la m\^eme id\'ee m'est venue, sans que je la trouve tellement absurde, apr\`es tout?\\
~~~Devilder, (apr\`es avoir hauss\'e les \'apaules.) Allons! allons! je n'ai pas voulu t'offenser, moi! Je t'ai pos\'e cette question par une sorte de scrupule vis-\`a-vis de toi-m\^eme. Je te sens aujourd'hui sousieux, pr\'eoccup\'e...\\
~~~Robert. Oui, je suis pr\'eoccup\'e! mais par tout autre chose que cette histoire!\\
~~~Devilder. Bon, dis-moi cela! Et crois bien que, jusqu'\`a cette minute, l'hypoth\`ese Manesse est la seule qui se soit impos\'ee \`a mon esprit. Tu as pu t'en rendre compte tout \`a l'heure. (On entend un bruit de porte.) Tiens, voil\`a ton p\`ere.\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Les M\^emes, Capellan.\\
~~~Devilder, (allant \`a Capellan.) Alors?\\
~~~Capellan. Ah! c'est insens\'e! (A Robert) Devilder t'a racont\'e?\\
~~~Robert. Oui, oui...\\
~~~Devilder, (\`a Capellan.) Vous avez bien vu les petits d\'efauts du socle, hein?\\
\\
socle~~~台座\\
\\
~~~Capellan. Oui, c'est le moulage de Manesse. J'en ai la triste certitude. Il manque un petit morceau dans la chevelure. L'extr\'emit\'e d'une m\`eche; j'avais remaqu\'e cela un jour chez L\'eon. Je m'en suis souvenu brusquement tout \`a l'heure devant l'objet! (Un temps, puis, avec col\`ere.) Non, mais ce que vous ne m'aviez pas dit, c'est de quelle mati\`ere on m'a affubl\'e!\\
\\
affubl\'e~~~(奇妙な名前などを)まとわせる\\
\\
~~~Devilder. Si, je vous ai dit que c'\'etait le m\'etal cru!\\
~~~Capellan. Cru! si ce n'\'etait que de m\'etal cru! (A Robert.) Mon cher, je voudrais que tu voies.\\
~~~Robert. J'irai voir.\\
~~~Capellan, (poursuivant.) Ce n'est pas un bronze, c'est un cuivre jaune. Et astiqu\'e, hein, comme un bouton de porte! Le saligaud qui l'avait d\^u le faire nichkeler une fois pour toutes! Ah! Devilder, nous trouverons les gens qui ont fait cela et qui, non contents de voler une oeuvre, se sont permis de la d\'enaturer, de la trahir de cette fa\c{c}on! Voil\`a le plus grave pour moi!\\
\\
astiqu\'e~~~艶だしする\\
saligaud~~~卑劣漢\\
nichkeler~~~ニッケルメッキを施す\\
d\'enaturer~~~変質させる\\
\\
~~~Devilder, (ironique.) On a cru faire quelque chose de tr\`es joli!\\
~~~Capellan. Plus de forme! plus de ligne! C'est de la miroiterie! Pour s'y reconna\^itre, il faudrait regarder \c{c}a dans une cave, et encore.\\
\\
miroiterie~~~鏡製造業\\
\\
~~~Robert. Qu'est-ce que tu vas faire?\\
~~~Capellan. Je ne sais pas, moi! D\'eposer une plainte au procureur de la R\'epublique, Devilder?\\
\\
procureur~~~検事\\
\\
~~~Devilder. Oui, je crois. Je vais m'informer tout \`a l'heure. Il faut, en tout cas, couvrir le commissaire-priseur en immobilisant l'objet d'une mani\`ere l\'egale tout de suite.\\
~~~Capellan. Et t\^achons de savoir \`a qui Manesse a donn\'e son moulage, en admettant qu'il n'ait pas fait faire lui-m\^eme ce bronze.\\
~~~Robert. Non, tout de m\^eme!\\
~~~Capellan. Oh! pourquoi pas? Je m'attends \`a tout! Il y a un fondeur dont on a vraisemblablement surpris la bonne foi...\\
~~~Devilder. Il faudrait retrouver la cuisini\`ere, la gouvernante de Manesse... comment?\\
~~~Robert. Julia.\\
~~~Capellan. Excellente id\'ee. Ce sera peut-\^etre compliqu\'e, mais on y arrivera. Robert, toi qui n'as rien \`a faire en ce moment, occupe-t-en ces jours-ci.\\
~~~Robert. Entendu.\\
~~~Capellan. Vois le neveu, vois la concierge, d\'ebrouille-toi. On pourra aussi questionner les fondeurs par t\'el\'ephone, il n'y en a pas tant.\\
\\
d\'ebrouille-toi~~~(難局を)切り抜ける\\
\\
~~~Devilder. \c{C}a, c'est mon affaire.\\
~~~Robert. A quel moment L\'eon a-t-il annonc\'e que son moulage \'etait bris\'e?\\
~~~Devilder. Il y a plus d'un an.\\
~~~Capellan. Beaucoup plus, puisque L\'eon est mort en mars, c'est-\`a-dire il y a quatorze mois. Il m'a t\'el\'ephon\'e au sujet de la bacchante... attendez!... dans le courant de d\'ecembre, fin d\'ecembre. C'est bien simple nous devions aller chez lui le 1er janvier. Il a voulu, auparavant, expliquer la disparition du moulage. Tenez, c'\'etait un mardi et je n'ai pas compris pourquoi il se h\^atait de me t\'el\'ephoner ce qu'il pouvait me dire le lendemain en venant d\'ejeuner. J'ai cru \`a de la sensiblerie. En r\'ealit\'e, il lui \'etait plus facile de mentir par t\'el\'ephone. Et il s'est lamant\'e ensuite sur cet accident avec une insistance incompr\'ehesible \'etant donn\'e que j'ai tout de suite promis de remplacer le moulage d\'etruit... Et je l'aurais fait. Je me suis m\^eme reproch\'e ma n\'egligence \`a cet \'egard quand L\'eon est mort... Ah! l\`a l\`a!\\
\\
sensiblerie~~~感傷癖\\
\\
~~~Devilder. Mon ami, ne vous tourmentez pas \`a plaisir. On peut se demander dans quelle mesure Manesse a soup\c{c}onn\'e la gravit\'e de... (A Robert.) N'est-ce pas?\\
~~~Robert. Il ne s'en est pas rendu compte.\\
~~~Capellan. Allons donc! il savait bien qu'il me mentait!\\
~~~Devilder, (prenant un ton enjou\'e.) En tout cas, cette bacchante pass\'ee au tripoli, cette enfant de la fraude est retir\'ee de la circulation. Je vais aller m'occuper d'elle tout de suite. M. Fourcade m'attend. Je vous t\'el\'ephonerai en sortant de chez lui.\\
~~~Capellan, (qui n'a pas \'ecout\'e.) Et puis, dites donc, rien ne prouve qu'on n'en a pas fondu cinquante exemplaires! qu'on ne l'a pas r\'eduite et un peu v\^etue pour en faire un bouchon de radiateur.\\
~~~Devilder. C'est tout de m\^eme assez improbable. Mais nous serons bient\^ot fix\'es.\\
~~~Capellan. Que diriez-vous d'un \'echo dans la presse racontant simplement... ?\\
\\
\'echo~~~ゴシップ、反響\\
\\
~~~Robert. Ah! non!\\
~~~Devilder. Mauvais! ce serait le plus s\^ur moyen de d\'epr\'ecier votre oeuvre. Et s'il y a une chose souhaitable entre toutes, c'est que les propri\'etaires des trois \'epreuves originales ignorent tout de cette histoire.\\
~~~Capellan. C'est vrai...\\
~~~Devilder. Ne vous tracassez pas, Julien Capellan! Je cours de ce pas chez Fourcade. Essayez donc d'aller travailler sans penser davantage aux fantaisies de l'aviateur. Elles ne vous atteignent pas. Au revoir, mon bon ami. (A Robert.) Au revoir, toi.\\
\\
vous tracassez~~~気をもむ\\
\\
~~~Robert. Au revoir.\\
(Capellan reconduit Devilder et sort un instant, tandis que Robert b\^aille et s'\'etirer avec nervosit\'e. Au moment o\`u son p\`ere revient, il allume une cigarette.)\\
\\
s'\'etirer~~~伸びをする\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Robert, Capellan.\\
~~~Capellan. Tiens, donne-m'en une! (Robert lui offre une cigarette et la lui allume.) Merci. Paulette est sortie?\\
~~~Robert. Oui, je crois qu'elle a parl\'e d'essayage.\\
~~~Capellan. Ah! oui, c'est moi qui ai re\c{c}u la communication. (Il s'assied.) Quelle mis\`ere et quelle d\'ego\^utation! (Un temps.) Tu aurais cru \c{c}a de Manesse?\\
~~~Robert. Pourquoi pas? Je vois tr\`es bien Manesse n'osant pas te demander un second moulage de la bacchante pour sa petite amie.\\
~~~Capellan. Je le lui aurais refus\'e.\\
~~~Robert. Justement. Alors, il a employ\'e ce petit subterfuge qui, en soi, n'\'etait pas m\'echant.\\
\\
subterfuge~~~逃げ口上\\
\\
~~~Capellan, (avec irritation.) \c{C}a ne te choque pas plus que \c{c}a? Tu trouves le proc\'ed\'e correct?\\
~~~Robert. L'incorrection de certains actes ne se mesure qu'\`a leurs cons\'equences...\\
~~~Capellan. Parfait! la fin justifie les moyens. Le tout est de ne pas se faire prendre. Une canaille qui r\'eussit est un honn\^ete homme.\\
~~~Robert. Enfin suppose que tu aies d\'ecouvert la bacchante de Manesse chez une personne qui l'admire vraiment et soit incapable d'en tirer aucun profit. La... malhonn\^etet\'e de Manesse ne serait plus pour toi qu'une supercherie assez sympathique.\\
\\
supercherie~~~詐欺、いんちき\\
\\
~~~Capellan, (criant.) Non, monsieur! non, monsieur! La personne en question me serait peut-\^etre sympathique, mais c'est tout. Manesse m'a abus\'e. Manesse m'a jou\'e une sale petite com\'edie, peu importe \`a propos de quoi. Il a profan\'e, sali, avant de mourir, une amiti\'e de trente ans.\\
~~~Robert, (protestant.) Tout de m\^eme!...\\
~~~Capellan. Toutes sortes de choses en lui \'etaient irritantes, choquantes, lamenatables, mais finissaient toujours par m'attendrir parce que je lui croyais un coeur vrai, une droiture \`a toute \'epreuve. Je l'ai pleur\'e comme le seul \^etre de mon entourage---avec ta pauvre m\`ere---en qui j'ai pu avoir confiance.\\
\\
m'attendrir~~~ほろりとなる\\
entourage~~~取り囲むもの\\
\\
~~~Robert, (\`a voix basse.) Merci pour les autres.\\
~~~Capellan. Et quelle virtuosit\'e dans cette petite rouerie! quelle indication! quelle r\'ev\'elation! Je le revois prenant son air pleurnichard et simulant pendant trois semaines une crise de sensiblerie \`a cause de ce pl\^atre bris\'e. Ce pl\^atre qui \'etait sacr\'e, disait-il, parce qu'il le tenait de moi. Plus je le consolais, plus il se lamentait, incapable de discerner \`a quel moment il pouvait arr\^eter les frais de cabotinage.\\
\\
virtuosit\'e~~~名人芸\\
rouerie~~~ずるさ\\
indication~~~指示、しるし\\
r\'ev\'elation~~~啓示、啓発\\
pleurnichard~~~泣きまね\\
\\
~~~Robert. C'\'etait dans son style. Tu sais bien comme il se montrait toujours excessif dans ses d\'emonstrations d'amiti\'e.\\
~~~Capellan. Je me demande aujourd'hui ce qu'elle pouvaient valoir!\\
~~~Robert. Voyons Manesse t'adorait, \c{c}a ne fait pas de doute!\\
~~~Capellan. Je l'ai cru. Il l'a peut-\^etre cru lui-m\^eme, trop b\^ete pour se rendre compte qu'il ne faisait qu'entretenir, en flattant ma vanit\'e, de vieux liens qui flattaient la sienne de plus en plus.\\
~~~Robert. Non. Tu \'etais son dieu.\\
~~~Capellan. Qu'il ait essay\'e, f\^ut-ce une seule fois, de rouler son dieu au moyen de la d\'evotion elle-m\^eme, cela en dit long sur la nature de celle-ci!\\
~~~Robert. On peut se trouver dans le cas de tromper ceux qu'on aime sans cesser pour \c{c}a de les aimer.\\
~~~Capellan. Il para\^it, oui! Paulette me l'a d\'ej\`a dit et je m'attendais bien \`a te l'entendre dire un jour ou l'autre!\\
~~~Robert. Pourquoi?\\
~~~Capellan. Parce que tu mens encore plus qu'elle. \c{C}a me touche moins, mais c'est plus fr\'equent.\\
~~~Robert. Si tu crois que c'est pour mon plaisir!\\
~~~Capellan. Non, ce doit \^etre pour le mien. C'est m\^eme pourquoi je feins le plus souvent de ne pas m'en apercevoir. (Un silence.) Vois-tu, il y a une quantit\'e de gens comme toi, comme Paulette qui ne sauraient plus m'apporter de grandes d\'esillusions. Mais je viens d'en \'eprouver une assez cruelle avec Manesse. Un \'ev\'enement rev\^et pour nous plus ou moins de gravit\'e selon le moment o\`u il se produit. Hier apr\`es-midi, au lendemain de cette partie de plaisir chez la m\`ere Eschimann, me sentant sombrer dans la tristesse et le d\'ego\^ut, j'ai voulu me raccrocher \`a quelque chose de solide et de pur, f\^ut-ce un souvenir. Et je pensais \`a Manesse, \`a l'amiti\'e de Manesse. Je me disais m\^eme qu'il \'etait arriv\'e \`a sentir ma sculpture, sinon \`a la comprendre, \`a force de tendresse pour le sculpteur. Une heure apr\`es, Devilder me t\'el\'ephonait en revenant de l'h\^otel des Ventes. Je recevais aussi un coup de t\'el\'ephone de Chevrillon, qui avait d\'ecouvert la bacchante le matin et qui s'imaginait qu'un de mes amateurs avait d\'esir\'e ce bronze non patin\'e. Il trouvait \c{c}a tr\`es dr\^ole. Il devait \^etre saoul.\\
(Un silence.)\\
~~~Robert. Et... tu as tout de suite \'et\'e convaincu de la... enfin de la l\'eg\`eret\'e de Manesse?\\
~~~Capellan. Non. (Un temps.) J'en ai dout\'e contre toute vraisemblance: j'en ai dout\'e jusqu'\`a tout \`a l'heure. Mais, quand j'ai vu la petite m\`eche cass\'ee du moulage de L\'eon... (Un temps.) Aussi, pourquoi le lui avoir donn\'e?... Il devait lui servir d'entr\'ee en mati\`ere quand il recevait une femme. Ce n'\'etait pas le dos de la bacchante qu'il lui montrait...\\
~~~Robert. Dis donc, la m\`eche de cheveux qui manquait: entre la joue et l'\'epaule, hein?\\
~~~Capellan. Oui. Tu l'avais remarqu\'ee?\\
~~~Robert, (avec d\'ecision.) Tu confonds, mon p\`ere, ce n'est pas sur le moulage de Manesse que tu as vu \c{c}a. C'est sur le mien.\\
~~~Capellan. Sur le tien? Depuis que tu l'as, depuis deux ans, je ne suis pas all\'e chez toi.\\
~~~Robert. Si, en sortant pr\'ecis\'ement de chez L\'eon, apr\`es y avoir d\'ejeun\'e, un dimanche. Paulette et toi m'avez d\'epos\'e chez moi. Je vous ai demand\'e de monter fumer une cigarette. La m\`eche de cheveux, c'est ma femme de m\'enage qui l'a cass\'ee...\\
~~~Capellan, (apr\`es un moment de stupeur.) Alors, c'est toi! c'est tout de m\^eme toi! Ah! je l'avais imm\'ediatement pens\'e...\\
~~~Robert, (d'une voix \'etrangl\'ee.) Tu pr\'ef\`eres, n'est-ce pas? Sur moi, au moins, tu n'as plus aucune illusion.\\
~~~Capellan. Je l'avais pens\'e, mais, \`a la r\'eflexion, \c{c}a m'avait parut tout de m\^eme improbable. Pas \`a cause de tes scrupules, oh! non, \`a cause de ton intelligence des risques. Mis\'erable! quel calme tu as pu garder!\\
~~~Robert. En apparence.\\
~~~Capellan. Tu tenais conseil avec nous tout \`a l'heure, tu...\\
~~~Robert. Je n'ai rien dit.\\
~~~Capellan. Rien qui p\^ut nous d\'esabuser, non!\\
~~~Robert. Je ne voulais pas devant Devilder.\\
~~~Capellan. Tu ne voulais pas davantage il y a un instant. Comment as-tu pu me laisser accabler mon pauvre ami disparu?\\
~~~Robert, (sur un ton d\'esinvolte.) Tu vois bien que je n'ai pas pu. Le voil\`a r\'ehabilit\'e.\\
~~~Capellan. Quel monstre es-tu donc? J'en arrive \`a me demander pourquoi tu viens d'avouer. Tu as manqu\'e de cran, hein? \c{C}a marchait pourtant bien pour toi! Tu as eu peur de quoi? Du fondeur? du juge d'instruction? d'un complice? Tu allais \^etre fatalement d\'ecouvert, dis?\\
\\
cran~~~刻み目、冷静沈着\\
\\
~~~Robert. Non... je n'avais rien \`a craindre. Quand tu viens d'arriver avec la certitude qu'il s'agissait du moulage de Manese, j'ai d'abord \'eprouv\'e un soulagement. Et puis...\\
~~~Capellan. Et puis?\\
~~~Robert. ...\c{c}a m'a d\'ego\^ut\'e.\\
~~~Capellan. Qu'est-ce qui t'a d\'ego\^ut\'e? Toi-m\^eme?\\
~~~Robert. Ton injustice envers L\'eon.\\
~~~Capellan (outr\'e.) Mon injustice!\\
~~~Robert. Tu as bien vu, j'ai essay\'e de le d\'efendre. S'il n'avait \'et\'e coupable \`a tes yeux que d'un peu de faiblesse et de l\'eg\`eret\'e, je n'aurais pas bronch\'e. \c{C}a ne portait pas atteinte \`a sa m\'emoire. Mais, d\`es l'instant o\`u j'ai compris qu'il devenait pour toi un vrai salaud et que, pour ainsi dire, tu le perdais une seconde fois, je n'ai pas h\'esit\'e \`a te le rendre... intact.\\
\\
bronch\'e~~~動じる、しくじる\\
\\
~~~Capellan. Tu es la g\'en\'erosit\'e m\^eme.\\
~~~Robert. Non, je suis sportif.\\
~~~Capellan. Oh!\\
~~~Robert. Que ce soit moi qui aie fait une blague avec mon moulage, c'est vraiment ce qui pouvait le moins te surprendre, n'est-ce pas?\\
~~~Capellan. Certainement.\\
~~~Robert, (amer.) Et, donc, le moins t'affiliger. Tu avais tout de suite pens\'e \`a moi et rien ne pouvait me placer plus bas dans ton estime que je ne le suis d\'ej\`a. Tu viens de me le dire. Dans ces conditions...\\
~~~Capellan. Ne joue donc pas l'orgueil bless\'e!\\
~~~Robert, (poursuivant.) Dans ces conditions, plus de drame sentimental. Une petite affaire de fraude assez banale. Ton fils est seulement un peu moins intelligent que tu ne le pensais.\\
~~~Capellan. En voil\`a assez sur ce ton! Vas-tu m'annoncer maintenant que tu viens de t'accuser faussement pour me donner un le\c{c}on?\\
~~~Robert. Non, malheureusement, ou heureusement.\\
~~~Capellan. Alors, raconte vite avant que je ne te foute \`a la porte! C'est toi qui as fait fondre ce bronze?\\
~~~Robert. Non, tout de m\^eme! je ne suis pas tellement na\"if et je n'ai pas si mauvais go\^ut.\\
~~~Capellan. Tu as donn\'e ton moulage? Tu l'as vendu plut\^ot?\\
~~~Robert. Non, je n'ai pas pu m'en s\'eparer. J'y tiens.\\
~~~Capellan. Alors? D\'ep\^eche-toi!\\
~~~Robert. J'ai fait faire un autre moulage en pl\^atre d'apr\`es le mien.\\
~~~Capellan. Tu as os\'e faire \c{c}a! Un seul moulage? Non! Tu as profit\'e de l'occasion pour en tirer combien?\\
~~~Robert. Un seul, tu pourras demander au mouleur.\\
~~~Capellan. O\`u est le moule?\\
~~~Robert. Chez moi, je te le donnerai.\\
~~~Capellan. Pourquoi ne l'as-tu pas d\'etruit? Tu esp\'erais naturellement l'utiliser encore?\\
~~~Robert. Mais non... je l'aurais d\'etruit un jour ou l'autre.\\
~~~Capellan. Menteur! Et le bronze?\\
~~~Robert. Je ne sais pas. Je n'y comprends rien. Il y avait toutes les chances pour que cette op\'eration n'e\^ut aucune cons\'equence. Autrement, je ne l'aurais pas risqu\'ee, si stupide que je sois. J'ai c\'ed\'e ce moulage \`a une Am\'eicaine, une actrice de cin\'ema qui \'etait venue prendre le th\'e chez moi.\\
~~~Capellan. Ah! elle t'a pay\'e en nature?\\
~~~Robert. Mais non; si elle a eu la bacchante, c'est que j'avais besoin d'argent. Je lui ai fait livrer le moulage tout emball\'e le jour de son d\'epart pour l'Am\'erique.\\
~~~Capellan, (indign\'e.) Op\'eration sans cons\'equence! Un surmoulage sur lequel on a encore surmoul\'e pour fondre Dieu sait combien d'horreurs somme celle que j'ai vue!\\
~~~Robert. Je le saurai, combien. Il est probable que...\\
~~~Capellan. Tu ne me feras pas croire que tu n'as pas pens\'e \`a ce qui pouvait arriver! Mais tu t'en fous, hein? Au petit boneur! Tu avais besoin d'argent.\\
~~~Robert. Oui, j'en avais besoin. Sans \c{c}a...\\
~~~Capellan. Qu'est-ce que vous ne feriez pas tous, toi et les gaillairds de ton esp\`ece, pour de l'argent! Tant qu'\`a commettre une escroquerie, tu pouvais fabriquer de la fausse monnaie plut\^ot que de t'en prendre \`a ma sculpture!\\
~~~Robert. C'est trop difficile.\\
~~~Capellan, (les poings lev\'es.) Tais-toi ou je te...\\
~~~Robert. Pourquoi me provoques-tu?\\
(Un silence.)\\
~~~Capellan. Si encore tu manquais de tout, si tu crevais de faim, cela expliquerait, dans une certaine mesure, sans rien excuser... Mais t'en refus\'e-je, de l'argent, quand tu es sans emploi, c'est-\`a-dire trois mois sur quatre?\\
~~~Robert. Non, tu ne m'en refuses pas, mais rien ne m'est plus p\'enible que de t'en demander.\\
~~~Capellan. Allons donc!\\
~~~Robert. Il faut, chaque fois, que tu m'humilies ou que tu m'offenses!\\
~~~Capellan. Il n'y a que la v\'erit\'e qui offense. Tu trouves normal qu'un gar\c{c}on de ton \^age, instruit, bien portant, ne soit encore presque jamais parvenu \`a gagner seulement sa cro\^ute?\\
~~~Robert. Non, je ne trouve pas \c{c}a normal! et je m'en plains, car ce n'est pas ma faute.\\
~~~Capellan. C'est peut-\^etre la mienne!\\
~~~Robert. Oui, mon p\`ere, c'est en partie la tienne.\\
~~~Capellan. Tu veux dire que j'ai eu le tort d'entretenir ta muflerie et ta paresse?\\
\\
muflerie~~~下品さ\\
\\
~~~Robert. Je ne suis pas paresseux! Je ne l'ai jamais \'et\'e. J'ai ingurgit\'e courageusement toute la cuistrerie qu'on a voulu quand j'\'etais au lyc\'ee. Je croyais qu'il y allait de mon avenir. J'ai pass\'e le bachot avec la mention "bien", et j'ai obtenu un prix de grec dont tu \'etais tr\`es fier. Du grec, il me reste l'alphabet. Le prix, je l'ai vendu 3 francs. Quant au bachot, \c{c}a n'a pas la valeur pratique d'un permis de conduire. Tu as voulu me faire pr\'eparer l'Ecole du Louvre. Je n'ai plus march\'e. J'ai r\^ev\'e d'un m\'etier bien actuel, bien vivant. J'ai appris la photographie, la cin\'ematographie.\\
\\
cuistrerie~~~知ったかぶりをすること\\
bachot~~~バカロレア\\
\\
~~~Capellan. Tu es all\'e vers ce qui t'amusait!\\
~~~Robert. Ni plus ni moins que toi-m\^eme. J'ai voulu faire une chose qui m'int\'eresse, avoir un travail que je puisse aimer.\\
~~~Capellan. Jusqu'ici, \c{c}a t'a plut\^ot mal r\'eussi!\\
~~~Robert. Est-ce que tu crois que je suis le seul de ma g\'en\'eration \`a trouver tous les chemins sans issue, toutes les places prises? Est-ce qu'on a pr\'evu autre chose pour nous que l'explication des classiques et la pr\'eparation militaire?\\
~~~Capellan. Oh! ne nous \'evadons pas dans les id\'ees g\'en\'erales, s'il te pla\^it! J'ai fait pour toi dix fois plus que mon p\`ere n'a pu faire pour moi. J'ai tout de m\^eme, jusqu'\`a ce jour, pr\'evu dans mon budget tes \'etudes, ton... apprentissage d'op\'erateur, ton entretien, tes d\'epenses, tes plaisirs. En \'echange de quoi tu m'as bern\'e, menti, pill\'e en toute occasion.\\
\\
bern\'e~~~だます\\
piller~~~略奪する\\
\\
~~~Robert. Ce n'est pas vrai!\\
(A ce moment, Paulette entre et se tient non loin de la porte, effar\'ee. Elle n'a \^ot\'e ni son chapeau ni ses gants. Capellan l'a vue, mais ne lui pr\^ete aucune attention. Il lui tourne le dos, continuant de faire face \`a Robert et de l'invectiver.)\\
\\
invectiver~~~罵る\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 5\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Robert, Capellan, puis Paulette.)\\
~~~Capellan. Tu trafiques de mon oeuvre et de mon nom; tu ne respectes m\^eme mon foyer. Tu as introduit ici un effront\'e de ton esp\`ece qui est devenu l'amant de Paulette, ce que tu ne peux ignorer.\\
\\
trafiques~~~不正取引をする\\
foyer~~~家庭、竃、暖炉\\
\\
(Paulette, sans \^etre vue de Capellan, fait \`a Robert de la t\^ete et du doigt un signe de d\'en\'egation tr\`es vif.)\\
~~~Robert. De qui parles-tu?\\
~~~Paulette, (avec un enjouement affect\'e.) De Maurice Cousin!\\
~~~Robert, (haussant les \'epaules.) Oh!...\\
~~~Capellan. Je sais ce que je dis.\\
~~~Robert. Et moi, je puis t'affirmer que Maurice Cousin n'a jamais \'et\'e pour Paulette qu'un copain.\\
~~~Capellan, (m\'eprisant.) Tes affirmations, tu sais...\\
~~~Paulette. Robert, tais-toi, je te prie. Tout cela est trop ridicule et humiliant.\\
~~~Robert. Maurice a une amie qu'il adore et que je connais.\\
~~~Capellan. Qu'est-ce que \c{c}a prouve?\\
~~~Paulette. Julien, comment peux-tu t'\'egarer au point de m\^eler ton fils \`a cette histoire, et m\^eme de lui en parler devant moi?\\
~~~Capellan. Je ne l'y m\^ele pas. Il s'y trouve m\^el\'e tout naturellement.\\
~~~Paulette. Et \`a propos de quoi, cette sc\`ene? On vous entend hurler de l'escalier.\\
~~~Capellan. A propos de quoi? Tu ne devines pas? C'est \`a ce joli monsieur que nous devons le bronze de l'h\^otel des Ventes.\\
~~~Paulette, (stup\'efaite.) Par exemple!\\
~~~Robert. Oui, c'est moi qui ai vendu un moulage en pl\^atre \`a une Am\'ericaine d'Hollywood.\\
~~~Capellan. Le cin\'ema lui procure au moins des relations.\\
~~~Paulette. Je pensais bien que ce n'\'etait pas Manesse, mais que ce soit toi, \c{c}a, alors...\\
(Elle pousse un soupir, \^ote machinalement son chapeau et sort en l'emportant.)\\
~~~Capellan, (\`a Robert, apr\`es un silence.) Combien l'as-tu vendu?\\
~~~Robert. Quinze cents.\\
~~~Capellan. Dollars?\\
~~~Robert. Non, francs.\\
~~~Capellan, (outr\'e.) Ainsi, pour 1.500 francs, moins le co\^ut du moulage, tu n'as pas h\'esit\'e \`a commettre une fripouillerie, \`a galvauder, falsifier cette petite chose \`a laquelle je tiens et que je t'avais donn\'ee parce que tu feignais de l'aimer.\\
\\
fripouillerie~~~詐欺\\
galvauder~~~(名誉などを)汚す\\
falsifier~~~偽造する\\
\\
~~~Robert. Je ne feignais pas.\\
~~~Capellan. 1.500 francs! Tu as sold\'e ton honneur \`a bas prix, vraiment! Il ne devait pas t'en rester beaucoup! Et ton amour de la sculpture donc!... Quant \`a ton amour filial, n'en parlons pas!\\
~~~Robert, (exc\'ed\'e.) Je veux m'en aller!\\
\\
exc\'ed\'e~~~手に余る、疲れる\\
\\
~~~Capellan, (avec \'eclat.) Oui, va-t'en! (Robert se dirige vers la porte.) Une minute! Tu vas prendre un taxi et aller chercher le moule de la bacchante chez toi. Imm\'ediatement! Je l'attends. Ensuite, tu me feras le plaisir de ne plus mettre les pieds ici, que j'y sois ou non. Et tu n'auras plus d\'esormais \`a compter sur moi! Ne me demande plus quoi que ce soit, n'est-ce pas?\\
~~~Robert. C'\'etait bien mon intention.\\
(Au moment o\`u il va sortir, Paulette entre et il s'efface devant elle.)\\
~~~Paulette, (angoiss\'ee.) Tu t'en vas?\\
~~~Robert. Je vais revenir.\\
(Il sort.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 6\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Capellan, Paulette, la Bonne.)\\
(Un long silence. Capellan arpente la sc\`ene. Paulette, assise, examine ses ongles pour se donner une contenance.)\\
~~~Paulette. Je reviens de chez Jeannine, essayer ma robe.\\
~~~Capellan. Je sais. (Un temps.) C'est vendredi aujourd'hui. Tu es pass\'ee chez le g\'erant?\\
\\
g\'erant~~~支配人、代表者\\
\\
~~~Paulette. Non.\\
~~~Capellan. Naturellement, tu as encore oubli\'e. Il re\c{c}oit aussi le mardi: vas-y mardi sans faute; marque-le sur ton agenda.\\
~~~Paulette. Je n'ai pas oubli\'e, je n'ai pas voulu y aller.\\
~~~Capellan. Pourquoi?\\
~~~Paulette. Parce que je ne t'avais pas pr\'evenu que j'irais.\\
~~~Capellan. Et alors?\\
~~~Paulette. Si le g\'erant m'avait fait attendre trois quarts d'heure comme la derni\`ere fois, tu n'aurais pas manqu\'e de me croire chez l'un de mes nombreux amants...\\
~~~Capellan, (apr\`es un silence.) Dans deux jours, tu n'auras plus \`a prendre toutes ces pr\'ecautions. Je vais partir.\\
~~~Paulette. O\`u?\\
~~~Capellan. A Grand-Br\'eau, retrouver mes amis Cassin. (Paulette tressaille.) Oh! je n'y resterai pas si longtemps qu'il y a deux ans. Ce ne sera pas n\'ecessaire. Quelques semaines, pour mettre une marge entre cette existence que j'ai eu la faiblesse de reprendre et celle que j'entends mener d\'esormais, seul, dans mon atelier.\\
~~~Paulette, (alarm\'ee.) Et moi?\\
~~~Capellan. Tu feras ce que tu voudras. Je ne suis pas en peine pour toi.\\
~~~Paulette. Julien!\\
~~~Capellan. Tout ce que tu voudras, avec qui tu voudras! \c{C}a ne te changera peut-\^etre pas beaucoup, mais tu n'auras plus besoin de me tromper.\\
~~~Paulette, (plaintive.) Je ne t'ai jamais tromp\'e! Quand j'ai commis cette folie, il y a deux ans, je t'ai pr\'evenu et je suis partie.\\
~~~Capellan. C'est-\`a-dire qu'Anjalbin \'etait un peu plus propre que les autres; il n'a pas voulu rester mon \'el\`eve, continuer de manger \`a ma table.\\
~~~Paulette. Les autres! Qui, les autres? Il n'y en a jamais eu d'autres!\\
~~~Capellan. Mais ne mens donc plus! C'est devenu tout \`a fait inutile. Je ne te retiens pas, je ne m'impose pas...\\
~~~Paulette. Tu es absurde, Julien! Il faut que tu me croies! Il n'a a jamais rien eu entre Maurice et moi, je te le jure!\\
~~~Capellan. Mais si.\\
~~~Paulette. J'ai toujours blagu\'e avec lui, comme avec la plupart de nos amis, et n'ai jamais \'eprourv\'e le besoin de me d\'efendre d'un badinage parfaitement inoffensif. Maurice n'est qu'un grad gosse charmant et superficiel...\\
~~~Capellan. Les femmes ont un go\^ut assez prononc\'e pour les grands gosses charmants et superficiels. En tout cas, elles ne leur tiennent pas les propos que tu tenais l'autre soir \`a Maurice Cousin si elles n'ont pas d\'ej\`a \'et\'e leur ma\^itresse. Elles ne les tutoient pas...\\
~~~Paulette, (l'interrompant.) Tout le monde se tutoyait!\\
~~~Capellan. Elles ne les appellent pas "mon amour"! en s'abandonnant sur leur \'epaule et en qu\^etant leur baiser!\\
~~~Paulette. J'\'etais ivre. Je n'ai aucun souvenir de ce fait.\\
~~~Capellan. Et tu \'etais ivre aussi le soir de votre petit d\^iner \`a Chantilly?\\
~~~Paulette. Quel d\^iner?\\
~~~Capellan. Tu le sais tr\`es bien! Tu as dit mot pour mot \`a ce gar\c{c}on: "Tu te souviens, mon amour, de notre petit d\^iner \`a Chantilly?"\\
~~~Paulette, (comme se souvenant brusquement.) Oh!... tu ne l'as pas ignor\'e, ce d\^iner. J'\'etais all\'ee aux courses \`a Chantilly avec Robert et son ami. Nous avons gentiment croqu\'e l\`a-bas les 105 francs que nous venions gagner; c'\'etait pr\'evu: tu avais ce soir-l\`a le banquet des Amis de Rodin. Tu n'en es pas rentr\'e si tard et, pourtant, j'\'etais d\'ej\`a au lit depuis une heure.\\
(Un silence.)\\
~~~Capellan. L'autre soir, vous ne vous \^etes pas l\^ach\'es une seule minute. Et, au d\'ebut, vous n'\'etiez pas saouls.\\
~~~Paulette. Voil\`a qui devrait bien te rassurer! Quand tu vois en soci\'et\'e un homme et une femme qui s'\'evitent syst\'ematiquement, tu peux \^etre s\^ur qu'ils couchent ensemble. Si Maurice ne m'a pas l\^ach\'ee de la soir\'ee, ce \`a quoi je n'ai pas pris garde, et si cela te d\'eplaisait tant, il fallait le lui dire, oui me le dire, sans attendre une heure et demie du matin!\\
(Un silence. Capellan s'assied, la t\^ete dans les mains.)\\
~~~Capellan. Ah! qui croire! J'ai l'impression, depuis deux jours, et ce n'est pas la premi\`ere fois, de vivre dans une atmosph\`ere empest\'ee... Je d\'ecouvre \c{c}a et l\`a, par hasard, une trahison ou un mensonge. Mais il y a tous ceux que j'ignore.\\
~~~Paulette, (d\'esol\'ee.) Je ne te mens jamais!\\
~~~Capellan. Oh! l\`a l\`a!\\
~~~Paulette. Jamais gravement; jamais dans une intention laide. Je te fais des cachotteries dont je me dispenserais si je ne t'aimais pas. (Rire amer de Capellan.) Mais oui, Julien, je les fais pour ne pas te d\'ecevoir, pour t'\'epargner un souci ou une contrari\'et\'e.\\
~~~Capellan. C'est une attention qui peut aller loin.\\
~~~Paulette. Tu sais bien ce que je veux dire! Si j'ai fait un achat un peu trop co\^uteux, je ne te le dis pas, je m'arrange. Si je me suis trouv\'ee dans l'obligation de recevoir dans la journ\'ee des gens qui te d\'eplaisent, je passe leur visite sous silence. Quand j'ai...\\
~~~Capellan. Enfin tu m'aimes encore assez pour me mentir. C'est comme Robert, lorsqu'il fait en sorte que je le croie dans les studios de Joinville, alors qu'il est dans un caf\'e de Montparnasse ou au champ de courses d'Auteuil, c'est par \'egard pour moi, et s'il entreprend d'exploiter ma sculpture \`a son profit, c'est uniquement par d\'elicatesse et pour me taper un peu moins souvent.\\
~~~Paulette, (comme \`a elle-m\^eme.) Comment a-t-il pu faire cela! Quelle folie!\\
~~~Capellan. Le mot est indulgent et tu l'emploies volontiers.\\
~~~Paulette, (pr\'eoccup\'ee.) C'est toi qui l'as contraint d'avouer? Tu te doutais?\\
~~~Capellan. Non, il a avou\'e tout seul. C'\'etait, \'evidemment, plus prudent. J'aurais fini par savoir. On finit toujours par savoir, Paulette.\\
~~~Paulette, (apr\`es un silence.) Il lui devenait peut-\^etre intol\'erable de t'\'egarer plus longtemps.\\
~~~Capellan. Cela peut te devenir intol\'erable, \`a toi, de m'\'egarer?\\
~~~Paulette. Oui.\\
(Elle se met \`a pleurer.)\\
~~~Capellan, (s'approchant d'elle, troubl\'e.) Pourquoi pleures-tu?\\
~~~Paulette. Parce que...\\
~~~Capellan. Parce que tu m'as menti, tout \`a l'heure, en me disant que Maurice...\\
~~~Paulette. Mais non! ce n'est pas cela, je n'ai pas menti. C'est autre chose. Je vais te raconter...\\
~~~Capellan, (angoiss\'e, s'asseyant pr\`es d'elle.) Raconte, mais ne pleure pas! Allons! allons! ne pleure pas.\\
~~~Paulette. Tu vas \^etre outr\'e de ce que j'ai fait, de ce que nous avons fait...\\
~~~Capellan. Qui, vous? Qui avec toi?\\
~~~Paulette, (apr\`es avoir h\'esit\'e.) Devilder.\\
~~~Capellan, (atterr\'e.) Tu m'as tromp\'e avec Devilder?\\
~~~Paulette. Oh! mais non! Tu ne penses qu'\`a \c{c}a! (Un temps.) Je t'ai vol\'e avec Devilder!\\
~~~Capellan, (se levant et arpentant la sc\`ene.) Ah!... Compliments! D'habitude, il fait cela tout seul. Tu l'as pris sur le fait et il t'a int\'eress\'ee \`a...\\
~~~Paulette, (l'interrompant.) Tais-toi, \'ecoute-moi. C'\'etait il y a deux ans, pendant... enfin pendant que tu \'etait \`a Grand-Br\'eau. Moi, j'\'etais revenue seule ici, d\'esempar\'ee, d\'esempar\'ee \`a l'id\'ee que...\\
~~~Capellan. Oui, apr\`es?\\
~~~Paulette. J'avis besoin d'argent.\\
~~~Capellan. Tu en as demand\'e \`a Devilder?\\
~~~Paulette. Il m'en a pr\^et\'e. Mais un peu apr\`es, pour m'en faciliter le remboursement, il m'a propos\'e de faire fondre, discr\`etement, une \'epreuve en bronze...\\
~~~Capellan. Une \'epreuve de quoi?\\
~~~Paulette, (\`a voix basse.) De la petite bacchante.\\
~~~Capellan. Hein? D\'ecid\'ement!... Ah! le gredin! Il a profit\'e de mon absence pour faire ce coup-l\`a et il n'a pas voulu, tout de m\^eme, le risquer sans se couvrir! Il a mis ma femme dans l'affaire! Et toi!...\\
~~~Paulette. J'ai accept\'e. Ces bronzes lui avaient \'et\'e demand\'es pour le Japon. Ils y sont et n'en peuvent bouger, para\^it-il. Devilder m'a remis la moiti\'e du prix de vente. Voil\`a...\\
(Elle pleure.)\\
~~~Capellan, (apr\`es un silence, avec m\'elancolie.) D\'ecid\'ement, cette malheureuse bacchante... Et c'est au bout de deux ans que tu te d\'ecides \`a... \\
~~~Paulette, (l'interrompant.) Mon ch\'eri, tu ne peux savoir combien de fois j'ai d\'esir\'e t'avouer cela. Mais jusqu'ici je me suis toujours d\'efendu de te faire de la peine uniquement pour me soulager, moi.\\
~~~Capellan. Admirable! Et aujourd'hui?...\\
~~~Paulette. Il n'y avait que cette vilaine affaire-l\`a qui p\^ut justifier toutes les choses cruelles que tu m'as dites. En fait de trahisons ou de mensonges que tu ignorais, rien d'autre que cet arri\'er\'e! Rien d'autre, Julien! Nul p\'eril ne m'obligeait \`a te l'avouer; je n'avais pas, moi, comme Robert, un Manesse \`a disculper. Il a fallu que je parle, non seulement pour me d\'echarger enfin de mon unique remords, mais pour essayer de te donner un gage de sinc\'erit\'e, pour tenter de te d\'elivrer enfin de tes perp\'etueles soup\c{c}on... (Un silence.) Il y a aussi ce bronze de l'h\^otel des Ventes venant s'ajouter \`a ceux du Japon. Je l'ai tout de suite attribu\'e \`a Devilder et il me semblait que ma complicit\'e s'aggravait brusquement...\\
~~~Capellan. Ce bronze-l\`a ne pouvait pas venir de Devilder, qui apporte trop de prudence et de soins dans ses filouteries. Tu en sais quelque chose, Paulette!\\
(Il s'arr\^ete pr\`es d'elle et la regarde.)\\
~~~Paulette, (apr\`es un long silence, les yeux lev\'es vers lui, tr\`es pitoyable.) Me pardonneras-tu?\\
~~~Capellan. Quoi?\\
~~~Paulette. Mais cela, d'avoir accept\'e cette op\'eration, cet argent! Ne crois pas que Devilder m'y ait d\'ecid\'ee ais\'ement. Il a tout dit pour en att\'enuer la gravit\'e; il m'a surtout affirm\'e que tu n'en saurais jamais rien, que c'\'etait impossible... Tu \'etais parti, loin, pour me chasser de ta vie, de ton coeur. Ah! je n'en \'etais plus \`a une indignit\'e pr\`es...\\
~~~Capellan. J'\'etais devenu l'adversaire.\\
~~~Paulette, (avec \'elan.) Non! tu sais bien que non, mon ch\'eri!\\
~~~Capellan, (lui prenant la t\^ete dans les mains pour fixer son regard.) Paulette! c'est tout ce que tu avais sur la conscience?\\
~~~Paulette. C'est tout.\\
~~~Capellan, (h\'esitant.) Alors, vraiment...\\
~~~Paulette. Quoi?\\
~~~Capellan, (\`a mi-voix et avec anxi\'et\'e.) Il n'y a jamais rien eu entre toi et Maurice Cousin, dis?\\
~~~Paulette. M\'echant! (Avec des pleurs dans la voix.) Que faut-il te dire pour que tu me croies? Je ne peux pourtant m'accuser faussement de toutes les ignominies! Quand je me suis un instant d\'etourn\'ee de toi, il y a deux ans, ne l'ai-je pas fait loyalement? (Elle pleure.) Et n'est-ce pas moi qui, apr\`es... ?\\
~~~Capellan, (la calmant.) Tais-toi. Je n'ai rien dit! C'est fini, Paulette! Ne pleure pas, je veux te croire. Je te crois. (Il la blottit contre lui.) L\`a! Je suis peut-\^etre stupide parce que je t'aime et que j'ai toujours peur de te perdre.\\
~~~Paulette. Tu devrais pourtant savoir que c'est impossible.\\
~~~Capellan. En ce moment, je le sais... (incertain) je le sais!...\\
~~~Paulette, (lui passant les bras au cou.) Julien! c'est tout le temps, c'est toujours que tu peux en \^etre s\^ur! (Ils s'embrassent, puis Capellan la repousse doucement et la regarde.) Attends, je dois \^etre horrible. Veux-tu me passer mon sac... l\`a, derri\`ere toi. (Capellan atteint le sac, le lui donne. Elle extrait glace et bo\^ite \`a poudre et se refait une beaut\'e au cours des r\'epliques suivantes.) Je me suis souvent m\'epris\'ee, tu sais, \`a cause de ces maudits bronzes! Et toi, tu ne me m\'eprises pas trop?\\
~~~Capellan, (avec humeur.) Tais-toi donc! tu sais bien que je ne peux pas supporter de te voir t'humilier ainsi. Te m\'epriser!... C'est Devilder que je m\'eprise un peu plus. Il est tellement clair qu'il a profit\'e de ton d\'esarroi et qu'il t'a manoeuvr\'ee comme il a voulu!\\
~~~Paulette. C'est vrai... Maintenant que tu me le dis...\\
(Un temps.)\\
~~~Capellan, (soupirant.) Tout de m\^eme, si je m'attendais \`a cette histoire!\\
~~~Paulette. Et dire que tu t'attendais \`a pire! C'est cela qui est triste!\\
~~~Capellan. Pour moi, ce qui est triste, c'est que tu aies pu ne pas m'avouer cela tout de suite, dans les semaines qui ont suivi mon retour, alors que je te croyais plus p\`es de moi que jamais, et m\^eme ensuite, au cours de ces deux ann\'ees...\\
~~~Paulette, (l'interrompant.) Mais, encore une fois, mon ch\'eri, je me retenais de le faire! Je me l'interdisais! Je devais garder cette vilaine chose pour moi. Il me semblait que d'en faire part e\^ut \'et\'e l\^ache et cruel. Va, tu n'en aurais probablement jamais rien su si tu ne m'avais pas provoqu\'ee tout \`a l'heure.\\
~~~Capellan, (m\'elancolique.) Et tu m'aimes!\\
~~~Paulette. Justement, parce que je t'aime!\\
~~~Capellan. C'est paradoxal!\\
~~~Paulette. Mais non, Julien! Voyons, si j'\'etais afflig\'ee d'une petite infirmit\'e, je ne sais pas, d'une dent bleue, par exemple, je ferais tout pour que tu ne t'en aper\c{c}oives pas. J'aurais peur de me sentir d\'epr\'eci\'ee \`a tes yeux. Parce que je t'aime et veux \^etre aim\'ee de toi!\\
~~~Capellan. Ce n'est pas tout \`a fait la m\^eme chose.\\
~~~Paulette. Ah! si je ne t'aimais pas...\\
~~~Capellan, (l'interrompant sous le coup d'une pens\'ee soudaine.) Et, dis-moi, Paulette, si... la chose que tu avais sur la conscience avait \'et\'e d'une autre nature, avait \'et\'e celle que j'appr\'ehendais... enfin... si tu m'avais tromp\'e?\\
~~~Paulette, (protestant.) Encore!\\
~~~Capellan, (pressant.) Me l'aurais-tu avou\'ee pareillement? Me l'aurais-tu avou\'ee?\\
~~~Paulette, (sur un ton de protestation.) Oui!\\
~~~Capellan. Sans avoir peur de me faire du mal?\\
~~~Paulette, (sur un ton mi-enjou\'e.) N... non, monsieur! Apr\`es ce que tu m'as dit... \c{c}'aurait \'et\'e tant pis pour toi! Tu aurais m\'erit\'e que je te fasse un peu de mal! Que j'invente une demi-douzaine d'aventures pour te confirmer dans la jolie opinion que tu as de moi!\\
~~~Capellan, (un peu confus.) Que veux-tu! mon enfant, si...\\
~~~Paulette, (l'interrompant, sinc\`ere.) Si j'avais eu un peu de courage tout \`a l'heure... (Se reprenant) et si j'avais eu le coeur de plaisanter, quand tu m'as dit: "Tu as eu Devilder pour amant", j'aurais r\'epondu: "Oui"!\\
~~~Capellan. Va, je ne me serais tout de m\^eme pas tromp\'e sur ce oui-l\`a!\\
~~~Paulette, (avec effort.) Qui sait?\\
~~~Capellan, (se m\'eprenant sur le trouble de Paulette et se rapprochant d'elle, tendrement.) Comprends, mon petit, que j'\'etais malheureux, que j'\'etais alarm\'e! Pourquoi es-tu si conquette avec les hommes, si dangereusement libre avec eux parfois?\\
~~~Paulette, (protestant.) Parce qu'on me fait boire. Tu n'as pu me voir ainsi que lorsque j'\'etais grise! Ce n'\'etait plus moi.\\
~~~Capellan. On dit que la v\'erit\'e est dans le vin.\\
~~~Paulette. Dans le vin, oui, pas dans les cocktails!\\
~~~Capellan, (amus\'e et attendri.) Alors, plus de cocktails, Paulette?\\
~~~Paulette. Ah! non, merci!\\
(Capellan lui prend la t\^ete dans les mains, la regarde et l'embrasse.)\\
~~~Capellan. Sale gosse!\\
~~~Paulette, (soupirant.) Pas si gosse que \c{c}a, mon ch\'eri! et d'autant plus coupable dans cette vieille affaire avec Devilder... Tu vas lui en parler? Que vas-tu faire?\\
~~~Capellan. Je ne sais pas encore. Mais ne crois pas qu'il l'emporte en paradis! Ah! non. Son petit trafic m'inqui\`ete moins que celui de Robert, mais il me r\'epugne encore plus!\\
~~~Paulette. Il t'inqui\`ete moins? Pourquoi?\\
~~~Capellan. Avec Devilder, je suis \`a peu pr\`es certain de la qualit\'e des bronzes. Et sa fraude est prudemment limit\'ee! S'il t'a d\'eclar\'e deux bronzes, c'est qu'il n'en a pas export\'e plus de quatre au Japon.\\
~~~Paulette. Quelle canaille!\\
~~~Capellan. Oh! tu peux \^etre s\^ure qu'il t'a vol\'ee aussi. C'est bien le moins!\\
~~~Paulette, (apr\`es r\'eflexion.) Maintenant, mon ch\'eri, ce que j'ai voulu avant tout, c'est m'accuser de ce que j'avais fait, moi. Tu penses bien que j'ai formellement promis \`a Devilder de garder le secret sur cette affaire. Eh bien, je ne voudrais pas qu'un homme comme lui puisse me reprocher de lui avoir manqu\'e de parole, de l'avoir d\'enonc\'e, moi, sa complice.\\
~~~Capellan. Tu as raison, il ne faut pas.\\
~~~Paulette. Tu aurais \'et\'e renseign\'e autrement que par moi, d'une mani\`ere que nous trouverons.\\
~~~Capellan, (apr\`es r\'eflexion.) Non, Paulette, je confondrai, je ch\^atierai Devilder sans faire \'etat de cette fraude \`a laquelle tu es m\^el\'ee. Car, en admettant que j'en puisse \'etablir l'origine, ce qui me para\^it fort improbable, ce serait alors \`a lui de te d\'enoncer, de te compromettre. (*) Non: je connais, h\'elas! une autre affaire semblable dans laquelle il a op\'er\'e tout seul.\\
\\
(*) ~~~芝居にはかけなかったが、原作にはここに台詞ありと。\\
\\
~~~Paulette, (indign\'ee.) Non!\\
~~~Capellan. Il s'agit d'un morceau plus important que la petite bacchante. J'ai d\'ecouvert cela par un hasard extraordinaire.\\
~~~Paulette. Il y a longtemps?\\
~~~Capellan. Il y a six mois.\\
~~~Paulette. Et tu n'as rien dit, rien fait?\\
~~~Capellan. Pas encore. J'\'etais en plein travail. J'ai remis \`a plus tard la corv\'ee de nettoyage.\\
~~~Paulette. En attendant, tu continues de traiter Deviler en homme de confiance, de le recevoir en ami. C'est cela dont j'avais honte depuis deux ans. Je me disais souvent: "Si Julien savait!" Et depuis six mois tu savais?\\
~~~Capellan, (avec lassitude.) Il y a bien plus de six mois que je l'ai jug\'e. Il y a aussi longtemps qu'il le sait. \c{C}a ne le g\^ene pas. Nous vivons une \'epoque o\`u la canaillerie se porte beaucoup. Combien d'hommes en vue lui doivent leur prestige! Ce n'est d'ailleurs pas le cas de Devilder. Il me fait plut\^ot penser \`a ces domestiques fid\`eles, d'un d\'evouement certain et qui vous volent. On le sait, mais on les garde, jusqu'au jour o\`u ils vont par trop fort. (*)\\
\\
(*)~~~芝居にはかけなかったが、原作にはここに台詞ありと。\\
\\
~~~Paulette. Mais tu vas agir maintenant?\\
~~~Capellan. Oui. Pas demain. Je laisse d'abord Devilder s'occuper de cet affreux bronze.\\
~~~Paulette. Tu ferais mieux de t'en occuper toi-m\^eme.\\
~~~Capellan, (avec lassitude.) Je vais m'en occuper aussi... Ah! que tout \c{c}a me d\'ego\^ute! M'en aller d'ici!\\
~~~Paulette, (alarm\'ee.) Tu ne vas pas partir? Cette fois, si tu pars, je pars avec toi! Mais tu ne vas par partir, dis? Il ne faut pas. Tu as tellement \`a faire ici!\\
~~~Capellan. Je travaillerai aussi bien l\`a-bas, sinon mieux.\\
~~~Paulette. Il ne s'agit pas de sculpture pour l'instant, mon ch\'eri! Il ne s'agit pas de s'en aller sous pr\'etexte que l'atmosph\`ere est irrespirable, mais de changer l'atmosph\`ere puisqu'on le peut.\\
~~~Capellan, (sceptique.) On le peut?...\\
~~~Paulette. Oui, on le peut, et il n'y a rien \`a faire de plus pressant. Tu me fais penser \`a Thomassin qui se demande s'il va se retirer \`a Tahiti ou simplement aux A\c{c}ores pour fuir ce monde malade. Le beau courage!\\
(Elle prend une cigarette.)\\
~~~Capellan. Ce n'est pas la m\^eme chose.\\
~~~Paulette. C'est la m\^eme chose. Tiens, mon ch\'eri, c'est moi qui vais te faire la le\c{c}on, pour une fois. Que je t'embrasse, d'abord. (Elle l'embrasse.) Et puis, donne-moi du feu. Merci. Tu as \'epous\'e une femme qui t'adore et que tu adores.\\
~~~Capellan, (protestant avec enjouement.) Oh! que j'adore, \c{c}a!...\\
~~~Paulette. Oui, oui. Cette femme appartenait \`a un milieu d\'epourvu d'int\'er\^et et y menait une existence frivole. Au lieu de l'arracher \`a son milieu, toi, Capellan, tu l'y as suivie autant que tu as pu.\\
~~~Capellan. Le mien n'\'etait pas fait pour elle.\\
~~~Paulette. Elle se serait adapt\'ee \`a lui si tu l'y avais introduite avec un peu de patience et de fermet\'e. Chaque jour, tu t'es retir\'e \`a Montrouge et tu as laiss\'e ta femme \`a ses futilit\'es, \`a son agitation, \`a son ennui.\\
~~~Capellan. A ses go\^uts!\\
~~~Paulette. Non, elle n'a que des habitudes. Des go\^uts, elle n'en a pas. Il fallait lui en donner, lui en imposer qui fussent dignes des tiens.\\
~~~Capellan. C'est toi qui parles ainsi, Paulette? Et tu penses vraiment ce que tu dis?\\
~~~Paulette. Je le pense en ce moment et me d\'ep\^eche de le dire, f\^ut-ce \`a moi-m\^eme. Je pense que tu n'es pas logique, mon grand ch\'eri, si ce n'est dans ton atelier. Tu adoptes la soci\'et\'e de gens qu'au fond tu m\'eprises.\\
~~~Capellan. Je la subis.\\
~~~Paulette. C'est encore pire. Tu confies tes int\'er\^ets \`a un fripon. sachant comme j'incline \`a faire des sottises, tu me laisses toute licence d'en faire et tu deviens si furieux quand elles sont faites que ma seule ressource est de les dissimuler. Le jour o\`u la mesure est comble, o\`u tu te sens brusquement exc\'ec\'e de tout cela, au lieu d'y mettre bon ordre, tu veux t'en aller!\\
~~~Capellan, (avec humeur.) Et mon fils! Parle-moi de mon fils...\\
~~~Paulette, (l'interrompant.) J'allais le faire.\\
~~~Capellan, (poursuivant.) Puis-je emp\^echer qu'il ne soit menteur, paresseux, cynique? Et quel rem\`ede \`a sa s\'echeresse de coeur? Aussi bien tu peux \^etre tranquille en ce qui concerne Robert, je viens de prendre la mesure qui s'imposait.\\
~~~Paulette, (inqui\`ete.) Laquelle?\\
~~~Capellan. Je l'ai mis \`a la porte.\\
~~~Paulette. Oh!\\
~~~Capellan. Il va me rapporter le moule \`a pi\`eces qu'il a eu l'audace de faire faire, il ne mettra plus les pieds ici et je lui ai interdit de me demander quoi que ce soit d\'esormais.\\
~~~Paulette. Ce n'est pas une solution.\\
~~~Capellan. Comment donc!\\
~~~Paulette. C'est, du moins, la pire. Robert est en ce moment sans ressources; tu le chasses et lui retires du jour au lendemain toute assistance. C'est maintenant plus que jamais qu'il va vivre d'exp\'edients!\\
~~~Capellan. Ou manger un peu de vache enrag\'ee. \c{C}a lui fera du bien.\\
~~~Paulette. Avec Robert, tu n'as jamais su qu'\^etre faible ou brutal, c'est un gar\c{c}on qu'on arriverait \`a prendre par les sentiments.\\
~~~Capellan. Il faudrait d'abord qu'il en e\^ut, des sentiments.\\
~~~Paulette. Il en a! D'abord, il a ton orgeuil. Et tu n'ignores pas que son cynisme, son d\'etachement ne sont qu'attitudes, que pudeur d\'eform\'ee, ne sont qu'un masque \`a la mode.\\
~~~Capellan. Eh bien, il ne l'\^ote pas souvent!\\
~~~Paulette. Non, il ne l'\^otera pas tout seul. Il faut le lui \^oter avec pr\'ecaution, sans qu'il s'en aper\c{c}oive.\\
~~~Capellan. Et ce tour de chenapan qu'il vient de me jouer, faut-il aussi l'attibuer \`a son masque? Et ce manque absolu d'\'egards pour moi, je ne dis pas pour le p\`ere, mais pour le sculpteur, pour l'oeuvre...\\
~~~Paulette. Il ne manque pas d'\'egards, Julien. C'est plus compliqu\'e que tu ne crois. Il y a entre vous des malentendus aggrav\'es comme \`a plaisir. En m\^eme temps que tu entretiens sa veulerie, tu l'humilies dans son orgueil. Tu le traites de propre \`a rien \`a l'instant m\^eme o\`u tu lui donnes de l'argent. Tu le diminues \`a tes propres yeux et aux siens, brisant du m\^eme coup sa r\'esistance \`a certaines faiblesses. Et puis, d'abord, vous manquez de v\'eritable intimit\'e. Robert d\'ejeune ici tous les jours, mais vous n'avez jamais ensemble un entretien qui d\'epasse le bavardage. C'est comme nous deux, mon ch\'eri: combien de fois par an nous payons-nous le luxe de nous livrer, comme aujourd'hui, le fond de nos pens\'ees?\\
~~~Capellan. C'est vrai... Mais, tu sais, Paulette, pour que les gens \'eprouvent le besoin de se montrer nus il faut une temp\'erature exceptionnellement d\'elicieuse ou insupportable... (Un temps.) Un entretien avec Robert! Je viens d'en avoir un, h\'elas! sur lequel je ne pense pas que nous puissions revenir de longtemps. Je ne me vois pas maintenant lui offrant de payer son terme ou de lui chercher du travail, en admettant que j'en aie le moindre d\'esir.\\
~~~Paulette. Il ne saurait \^etre question, mon ch\'eri, de rien lui offrir, mais plut\^ot de lui demander.\\
~~~Capellan. Lui demander quoi?\\
~~~Paulette, (apr\'es r\'eflexion.) Un service, pour commencer; un service qui ne soit pas \`a la port\'ee de tout le monde. Demande-lui, par exemple, de faire une dizaine de belles photographies de l'une de tes oeuvres. Tu le lui as d\'ej\`a demand\'e une fois: souviens-toi comme il \'etait ravi! Il en \^otait son masque!\\
~~~Capellan, (perplexe.) Je ne peux pas lui demander un service au moment o\`u je le flanque \`a la porte.\\
~~~Paulette. Pourquoi pas! Tu lui dis en substance: "Esp\`ece de sale type, il demeure bien entendu que je te donne ma mal\'ediction, mais je suis contraint de te demander un service que toi seul peux me rendre convenablement."\\
~~~Capellan. Ma petite enfant, je crains fort que tu ne te leurres. Mais il ne sera pas dit que j'aurai n\'eglig\'e cette exp\'erinence. Je vais demander \`a Robert de photographier \textit{le Jeune Fille assise}.\\
~~~Paulette. Tr\`es bien. (Un temps.) Et, demain apr\`es-midi, mon ch\'eri, tu ne travailles pas: tu me conduis au Louvre voir les nouvelles salles de sculpture.\\
~~~Capellan. Quelles nouvelles salles?\\
~~~Paulette. Enfin, celles qui \'etaient nouvelles il y a deux ans, celles que tu es all\'e voir \`a ton retour de Grand-Br\'eau. Souviens-toi: je t'ai demand\'e de t'accompagner. Tu n'as pas voulu. Tu m'as dit que \c{c}a m'ennuierait et que tu pr\'ef\'erais \^etre seul pour voir de la sculpture.\\
~~~Capellan, (un peu confus.) Moi, je t'ai dit \c{c}a?\\
~~~Paulette. Oui, monsieur!\\
~~~Capellan, (l'embrasssant.) Je ne te le dirai plus. Nous irons demain: le matin serait pr\'ef\'erable.\\
~~~Paulette. Non, l'apr\`es-midi, si tu veux bien, parce que j'irai au magasin du Louvre en sortant du mus\'ee, c'est le dernier jour de l'expositon de blanc.\\
(On entend le bruit d'une sonnerie.)\\
~~~Capellan, (un peu crisp\'e.) Voil\`a Robert.\\
~~~Paulette. Alors, tu lui demandes?\\
~~~Capellan. Oui.\\
~~~Paulette. Commence par r\'egler avec fermet\'e la question du moule.\\
~~~Capellan. Evidemment. Et, apr\`es, tu m'aideras; enfin, tu me feras penser que j'ai quelque chose \`a lui demander.\\
~~~Paulette. Entendu.\\
~~~Capellan, (soupirant.) Ah! l'animal! (On frappe.) Entrez!\\
(La bonne entre, une lettre \`a la main.)\\
~~~La Bonne. C'est M. Robert, monsieur.\\
~~~Capellan. Eh bien, qu'il entre.\\
~~~La Bonne. Mais il n'est pas l\`a. Il est reparti. Il a dit qu'il ne pouvait pas rester. Il a apport\'e une petite statuette de femme nue et un paquet qu'il a mis sur la table du vestibule. Il m'a donn\'e cette lettre pour vous.\\
(Elle remet la lettre \`a Capellan et sort.)\\
~~~Capellan. Qu'est-ce que \c{c}a veut dire? (Il va \`a la porte, regarde dans le vestibule et revient en d\'ecachetant la lettre.) C'est la bacchante! Il en avait fait faire un second moulage, parbleu! (Il commence \`a lire la lettre.) Ah! non!... (Il reprend sa lecture \`a haute voix, en ma\^itrisant mal son \'emotion.) \textit{Mon p\`ere, voici le moule que j'ai fait faire et aussi ma bacchante, que je ne puis garder, car il est trop \'evident que tu regrettes ce pr\'esent, dont je me suis montr\'e indigne. D'ailleurs, te remettre le moule et conserver le mod\`ele, ce serait ne te rassurer qu'\`a moiti\'e. J'ai t\'el\'ephon\'e \`a Devilder pour lui apprendre la v\'erit\'e afin que tu n'aies pas \`a le faire. Je quitte Paris demain. Je souhaite tr\`es vivement que cette affaire lamentable n'ait pas d'autres cons\'equences. Puisses-tu retrouver au plus vite une paix n\'ecessaire \`a ton travail, et que je ne troublerai plus. Robert.}\\
(Un silence.)\\
~~~Paulette. O\`u peut-il aller!\\
~~~Capellan, (refoulant des larmes.) Quelle mis\`ere!\\
~~~Paulette, (allant \`a lui.) Mon ch\'eri! Au fond, tu vois, c'est plein de repentir cette lettre.\\
~~~Capellan. De morgue, d'ironie am\`ere.\\
~~~Paulette. Mais non! Il y a le masque, mais on sent quelque chose dessous.\\
~~~Capellan. J'ai manqu\'e de mesure tout \`a l'heure. Alors, il me rend la bacchante... pour me punir, le petit salaud!\\
~~~Paulette. Il te la rend parce qu'il est fier. Ce n'est pas si mal et tu peux croire qu'il lui en co\^ute. Il sera fier aussi quand il la reprendra.\\
~~~Capellan, (protestant.) Oh! \c{c}a!\\
~~~Paulette. Pas tout de suite, bien s\^ur! En attendant, il ne faut pas le laisser partir.\\
~~~Capellan. Mais si.\\
~~~Paulette. Partir o\`u? Il n'avait aucune affaire en vue.\\
(Un silence.)\\
~~~Capellan. Tu pourrais peut-\^etre lui mettre un pneu, pour t'informer, soi-disant \`a mon insu.\\
~~~Paulette, (songeuse.) Oui... (Se ravisant.) Non, non, mon ch\'eri. En te disant qu'il part, il est tr\`es possible qu'il te mente.\\
~~~Capellan. J'y pensais. Il veut faire un effet!\\
~~~Paulette. Cela prouve qu'il n'est pas tellement cynique. Ne l'humilie pas en d\'ecouvrant qu'il ne part pas. Attendons huit jours. Il aura eu le temps de revenir.\\
~~~Capellan, (inquiet.) Tout de m\^eme, s'il avait quelque imb\'ecillit\'e en t\^ete?\\
~~~Paulette. Ce n'est pas un imb\'ecile. Mais, si tu veux je vais lui \'ecrire tout de m\^eme, en mettant "faire suivre".\\
~~~Capellan. Tr\`es bien! Fais cela!\\
~~~Paulette. Et puis nous n'irons pas demain au mus\'ee du Louvre.\\
~~~Capellan, (surpris.) Parce que... ?\\
~~~Paulette. Tu voulais t'en aller. Eh bien, nous partirons tous les deux. Oh! quatre ou cinq jours seulement. Il ne s'agit pas d'une \'evasion \`a la Thomassin. Tu veux?\\
~~~Capellan. Oui. Le temps de faire la pose, de retrouver son \'equilibre...\\
~~~Paulette, (l'interrompant.) Et sa femme...\\
~~~Capellan. Avant le nettoyage.\\
~~~Paulette. Le temps de m\'editer les grandes r\'eformes.\\
~~~Capellan. Nous allons \`a Gran-Br\'eau?\\
~~~Paulette, (avec pr\'ecaution.) Moi, je pensais plut\^ot \`a un endroit comme Marlotte, au bord de la for\^et.\\
~~~Capellan. Evidemment, Grand-Br\'eau, ce doit \^etre beau en ce moment, mais il y a des souvenirs...\\
~~~Paulette. Surtout, mon ch\'eri, il n'y a pas de salle de bains.\\
~~~Capellan, (soupirant.) Allons \`a Marlotte, Paulette, au bord de la for\^et, avant de continuer la com\'edie!\\
~~~Paulette, (persuasive.) Elle est finie, mon ch\'eri!\\
(Elle l'embrasse.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau.)\\













}
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