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{
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~La Brouille\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 3\\
(M\^eme d\'ecor qu'au deuxi\`eme acte.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 1\\
(Au lever du rideau, la sc\`ene est vide. Andr\'e entre par la gauche, referme la porte sans bruit, court \`a la porte de droite, s'assure qu'il ne vient personne de ce c\^ot\'e, puis va au t\'el\'ephone.)\\
~~~Andr\'e, (au t\'el\'ephone.) All\^o! (Un temps.) Mabillon, 83-19. (Un temps.) Oui, s'il vous pla\^it. (Un temps.) Mabillon, 83-19? (Moins haut.) C'est Sylvette? (Un temps.) C'est toi, Sylvette? Ah! mais oui, comme convenu! N'aie donc pas peur de r\'epondre, petit oiseau! Fais: Cui-cui! (Un temps.) C'est \c{c}a! Bonjour, ma ch\'erie! Tu es seule? On peut bavarder? (Un temps.) Moi aussi. Papa est en haut chez les dessinateurs. Dis donc, avant tout: si nous sommes d\'erang\'es, l'un ou l'autre, on raccroche brusquement, hein? Fausse communication. Et tu me t\'el\'ephones ce soir \`a onze heures. (Un temps.) Bon! Accordons nos montres. (Il tire sa montre.) A la mienne, il est quatre heures trente-sept exactement. Parfait. Eh bien, mon petit, la situation me para\^it stationnaire. La visite de ta m\`ere n'a rien amen\'e de d\'ecisif. Papa n'a m\^eme pas voulu en parler \`a maman, pour s'\'epargner, m'a-t-il dit, d'interminables commentaires. En somme, il a eu raison; maman n'aurait pas compris que ta m\`ere soit venue s'informer d'un architecte pour le casino. (Un temps.) Non, elle n'est pas venue pour \c{c}a, \'evidemment: je te donne la version paternelle. En attendant... (Un temps.) Parfaitement!... Oui, mon tr\'esor! Je te vois dire \c{c}a: que tu es gentille! Tu as raison, c'est une histoire qui dure trop et plus elle dure, plus elle s'aggrave. (Un silence.) Ils vont se calmer, oui! Mais se buter aussi! Il peut se former un d\'ep\^ot de rancune! Tr\`es dangereux! Il faut l'emp\^echer; il faut entretenir la crise pour la r\'esoudre et je suis d'avis que tu \'ecrives cette lettre \`a papa tout de suite. Et moi j'\'ecris \`a ton p\`ere. (Un temps.) Eh bien, fais un brouillon, tu me le liras ce soir. En substance, voil\`a: tu es boulevers\'ee, tu es malade de chagrin, tu sens que ton p\`ere est lui-m\^eme d\'echir\'e... (Un temps.) Oui, tu exag\`eres un peu! Enfin tu as pris la secr\`ete r\'esolution d'appeler au secours ton vieux Painpain, ton d\'efenseur, ton second p\`ere et de plus le glorieux auteur de ton Andr\'e. (Un temps.) Non, blague \`a part, tu comprends, mon petit, il faut que ton p\`ere et le mien puissent \'echanger nos lettres, par la poste, comme deux bou\'ees de sauvetage. Tu n'imagines pas ce qu'on peut \^etre sentimental, \`a leur \^age! (Un temps.) Mais oui, ce sont deux tendres et... (Il tressaille et s'interrompt: Elisabeth entre \`a gauche. Apr\`es qu'elle a referm\'e la porte, il reprend, sur un ton chang\'e.) Non, monsieur! Je vous r\'ep\`ete que ce n'est pas ici. Il y a erreur!\\
\\
se buter~~~つまづく、頑なになる\\
\\
(Il raccroche le r\'ecepteur et quitte le t\'el\'elphone en allumant une cigarette.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Elisabeth, Andr\'e.)\\
~~~Elisabeth. Tu es encore l\`a? Je te croyais parti.\\
~~~Andr\'e. Je pars. Je vais au chantier.\\
~~~Elisabeth. Je voudrais demander quelque chose \`a ton p\`ere. Il est l\`a-haut?\\
~~~Andr\'e. Oui. Si tu montes, dis-lui donc qu'il n'y a personne ici pour rendre au t\'el\'ephone. Au revoir, maman! Je ne fais qu'aller et venir.\\
~~~Elisabeth, (l'embrassant.) Au revoir, mon petit. (Myst\'erieuse.) Verras-tu Sylvette?\\
~~~Andr\'e. Non, pas aujourd'hui. A tout \`a l'heure!\\
(Il sort \`a gauche. Seule, Elisabeth tout comme Andr\'e pr\'ec\'edemment, gagne la porte de gauche, \'ecoute un instant, puis s'empresse ver le t\'el\'ephone.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~Elisabeth, (au t\'el\'ephone.) All\^o, all\^o! Voulez-vous me donner Mabillon 83-19. (Un temps.) 83-19. Oui. (Un temps.) C'est toi, Sylvette? (Un temps.) Qh! c'est vous, Louise? Ici, madame Gabriel Pain. Est-ce que Madame est l\`a? Seule? (Un temps.) Ah! tr\`es bien. Voulez-vous lui demander de venir \`a l'appareil? Bon! (Un silence d'attente.)\\
~~~Bonjour, Jeanne! (Un temps.) J'ai re\c{c}u votre petit mot si gentil. Cela m'a fait un bien! Savez-vous que vous m'\'ecrivez exactement ce que je vous aurais dit si je vous avais trouv\'ee? Comment va-t-on chez vous? Henri, Sylvette, la ch\`ere maman Dumas? (Un temps.) Tout comme ici, ma pauvre amie. Mais nous allons toutes les deux combiner nos efforts, n'est-ce pas? C'est trop affreux, c'est trop absurde. J'ai pens\'e... (Un temps.) Ah! Dites-moi vite cela, ma ch\'erie! (Un temps.) Oui... bien!... et alors? (Un temps. Avec \'emotion.) Il va venir? (Un temps.) Mais certainement! Gabriel est ici. Je le pr\'eviens tout de suite. N'est-ce pas? puisque vous alliez t\'el\'ephoner. (Un temps.) Ne pensez-vous pas que ce soit dangereux? Ils sont capables de se disputer de plus belle! (Un temps.) Oh! c'est certain: tout vaut mieux que... (Un temps.) Oui! Il faut l'esp\'erer. Et puis je me garderai bien de les laisser seuls. (Un temps.) Non? Vous croyez? (Un temps.) Eh bien c'est cela! Excellente id\'ee. Ne sonnez pas, frappez. Nous attendrons chez moi la fin de l'entretien et si nous les entendons crier trop fort... (Un temps.) C'est \c{c}a... c'est \c{c}a... Parfait! Entendu! (Pain entre \`a droite.) Au revoir!\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Pain, Elisabethe.)\\
~~~Pain. Qui est-ce?\\
~~~Elisabeth, (avec \'emotion.) C'est Jeanne.\\
~~~Pain, (de m\^eme.) Jeanne?\\
~~~Elisabeth. Oui, Jeanne, qui nous annonce qu'Henri va venir te voir, tout de suite! Il est en route. Il peut arriver dans un instant! Tu vois que j'ai eu pleinement raison de monter chez eux avant-hier. Je ne l'ai pas trouv\'ee, mais voil\`a le r\'esultat.\\
~~~Pain, (avec une \'emotion nuanc\'ee de regret.) C'est tout de m\^eme Henri qui fait le premier pas.\\
~~~Elizabeth. Eh bien, tu le souhaitais? Mais attention! Henri n'agit pas pr\'ecis\'ement dans le sens que tu crois. Enerv\'e, impatient, il a brusquement r\'esolu de s'expliquer avec toi, de vider la querelle. Naturellement, il faut tout de m\^eme esp\'erer...\\
~~~Pain, (l'interrompant, avec fermet\'e.) Il a raison! Et je suis \`a sa disposition. Il y a trois jours que j'ai envie de le faire, moi!\\
~~~Elisabeth. De faire quoi?\\
~~~Pain. D'aller voir Henri, de tout remettre en question, de...\\
~~~Elisabeth. Alors, mon ami, il est vraiment regrettable que tu ne l'aies pas fait!\\
~~~Pain. Mais si je ne l'ai pas fait, c'est \`a cause de toi!\\
~~~Elisabeth. A cause de moi? \c{C}a, par exemple...\\
~~~Pain. Tu sais bien que si j'avais seulement parl\'e d'aller voir Henri, tu aurais lev\'e les bras au ciel! Je t'aurais fait piti\'e. Il suffit que ce soit Henri qui prenne ce parti pour que tu regrettes aussit\^ot que je ne l'aie pas pris avant lui.\\
~~~Elisabeth. D'abord, tu le regrettes plus que moi. Et si tu \'etais all\'e voir Henri, tu ne te serais certainement pas comport\'e comme il va le faire, lui.\\
~~~Pain. Nous allons voir comment il va se comporter!\\
~~~Elisabeth. En tout cas nous ne souhaitons qu'une chose, Jeanne et moi, c'est que vous ne recommenciez pas la sc\`ene de l'autre jour!\\
~~~Pain. Jeanne t'a dit cela?\\
~~~Elisabeth. Nous nous le sommes dit ensemble. La r\'econciliation doit et peut se faire aujourd'hui.\\
~~~Sois ferme et calme! (Pain tambourine sur sa table, l'air volontairement distrait.) Tes arguments auront beaucoup plus de poids s'ils sont mesur\'es, si tu adoptes une certaine rondeur. Conviens que tu as \'et\'e un peu vif l'autre jour, mais maintiens tes griefs! Ne vas pas t'humilier! Ne prends pas cet air accabl\'e que tu as quelquefois. (Elle imite l'air accabl\'e.) "J'ai \'et\'e un peu vif, l'autre jour... " Non: (D\'esinvolte.) "J'ai \'et\'e un peu vif l'autre jour, voil\`a tout, c'est comme \c{c}a!" Tu m'\'ecoutes?\\
~~~Pain, (se ma\^itrisant.) Oui.\\
~~~Elisabeth. Mais tu sais, Henri est tr\`es fort! Demeure sur tes gardes! Ne te laisse pas impressionner ni s\'eduire. Emp\^eche aussi que la discussion ne d\'evie ou ne s'\'eternise. Comme au fond elle ne servira qu'\`a vous soulager l'un et l'autre, \`a un certain moment, il faudra couper court. Tu dis \`a Henri: Mon vieux, restons-en l\`a. Faisons la paix et parlons d'autre chose; parlons de nos enfants, parlons... \\
~~~Pain, (continuant.) Parlons de nos femmes; si j'avais suivi les conseils de la mienne, mon cher Henri, voil\`a ce que je t'aurais dit...\\
~~~Elisabeth, (vex\'ee.) Comme c'est fort! Comme c'est spirituel! Si tu les avais toujours suivis, les conseils de ta femme... (Tranchant.) C'est bon, mon ami, je ne te dirai plus rien.\\
~~~Pain, (avec bonne humeur.) Mais si, mais si, tu me diras encore.\\
~~~Elisabeth. Non. (Un silence.) Ton orgueil te perdra!\\
~~~Pain. Tout ce qui chez moi s'oppose \`a tes petites conceptions, tu appeles \c{c}a mon orgueil.\\
(Un long silence pendant lequel Pain va se coller \`a la fen\^etre ferm\'ee, tandis qu'Elisabeth \'etale ostensiblement des calques et des plans sur la table d'Andr\'e.)\\
~~~Elisabeth. Veux-tu me permettre encore un mot, Gabriel?\\
~~~Pain, (se retournant.) Je t'en prie.\\
~~~Elisabeth. Tu ne vas pas jeter les hauts cris? Je ne fais que te donner mon humble avis...\\
~~~Pain. Donne!\\
~~~Elisabeth. A ta place, moi, j'emp\^echerais que la conversation se fixe trop longtemps aujourd'hui sur l'affaire du Casino.\\
~~~Pain. Hein?\\
~~~Elisabeth. Vous allez en parler, c'est plus que probable. Mais il faudrait que ce soit d'une mani\`ere vague, et seulement parce qu'elle est cause du conflit.\\
~~~Pain. Bien entendu.\\
~~~Elisabeth. Et sans qu'aucune solution intervienne encore. (Pain se h\'erisse.) Dans quelques jours, en pleine d\'etente, il faut bien esp\'erer que tout s'arrangera. Tu laisseras venir Henri, tu te feras un peu prier...\\
~~~Pain, (avec \'eclat.) Nous ne reviendrons pas l\`a-dessus! Je t'ai dit et je te r\'ep\`ete que je ne ferai pas le casino, l\`a! Pour une foule de raison...\\
~~~Elisabeth. (Elle joint les mains et se contient dans un soupir.) C'est bien, mon ch\'eri. Je n'ai rien dit, je n'ai rien dit. Ou du moins je me suis laiss\'ee aller moi-m\^eme \`a parler trop.\\
~~~Pain. Trop t\^ot ou trop tard, tu parleras toujours inutilement sur cette question. Je ne ferai pas le casino.\\
~~~Elisabeth. Tu ne feras pas le casino.\\
(On entend une sonnerie.)\\
~~~Pain. On sonne. Ce doit \^etre Henri.\\
~~~Elisabeth, (troubl\'ee.) Oui! Je vais le faire entrer ici... Dis-moi, Gabriel, ne crois-tu pas qu'il serait pr\'ef\'erable que je reste avec vous?\\
~~~Pain. Ah! non, non!\\
~~~Elisabeth. La discussion sera forc\'ement plus...\\
~~~Pain, (l'interrompant avec impatience.) Non, Elisabeth! Laisse-nous seuls, je t'en prie.\\
~~~Elisabeth. C'est bon, c'est bon!\\
~~~Pain. Va, va le chercher. (Elisabeth sort \`a droite. Pain reste seul, adoss\'e \`a sa table, face au public, tendu vers la porte. Puis il se met \`a marcher.) Qu'est-elle en train de lui raconter?\\
(Il s'arr\^ete, \'ecoute un instant, puis marche r\'esolument vers la porte de gauche, comme pour aller lui-m\^eme chercher Henri. Avant qu'il atteigne cette porte elle s'ouvre et Henri entre.)\\
~~~Elisabeth, (\`a la porte.) Voil\`a! Je vous laisse.\\
(Elle referme la porte.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 5\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Pain, Dumas.)\\
(Au d\'ebut de cette sc\`ene, les deux amis montrent un empressement un peu gauche, une \'emotion contenue, une gravit\'e qui contrastent avec leurs propos. Ils retrouvenront progressivement le ton de familiarit\'e qui leur est habituel.)\\
~~~Dumas. Bonjour, Gabriel.\\
~~~Pain, (la main tendue.) Bonjour, mon vieux!\\
(Poign\'ee de main.)\\
~~~Dumas. Je ne te d\'erange pas? Tu n'as pas \`a sortir?\\
~~~Pain. Non. Je suis un peu attendu \`a Vaugirard, mais il est bien pr\'ef\'erable que j'y aille demain matin.\\
~~~Dumas. Ce n'est pas moi qui...\\
~~~Pain. Du tout, du tout.\\
~~~Dumas. Tiens, j'y suis pass\'e hier \`a Vaugirard. J'ai vu ta maison. Dis donc, \c{c}a c'est avanc\'e depuis un mois!\\
~~~Pain. Oui. (Tendant son \'etui.) Une cigarette?\\
~~~Dumas, (prenant une cigarette.) Merci. En somme elle est finie, cette maison. (Pain cherche des allumettes.) Ne cherche pas, tiens!\\
(Il donne du feu \`a Pain.)\\
~~~Pain. Ce serait habitable dans deux mois si les plombiers et les peintres se remuaient un peu.\\
~~~Dumas. En tout cas, c'est rudement bien, tu sais!\\
~~~Pain. Ah? \c{C}a te pla\^it? Assieds-toi donc!\\
~~~Dumas. On ne pense m\^eme pas aux sept \'etages. On ne voit qu'un beau bloc pur, rendu somptueux et comme all\'eg\'e par ces deux seuls bandeaux, l\`a-haut. Sur le plan, je ne m'\'etais pas du tout rendu compte de leur r\^ole \`a ces bandeaux-l\`a ni comme c'\'etait d\'elicat de d\'eterminer leur place, leur largeur, leur relief.\\
~~~Pain, (touch\'e.) Enfin, \c{c}a te semble r\'eussi?\\
~~~Dumas. Oh! sup\'erieurement.\\
~~~Pain. \c{C}a ne te para\^it pas trop d\'epouill\'e, trop froid?\\
~~~Dumas. Pas du tout! Il y a m\^eme une gr\^ace \'evidente, qui tient \`a je ne sais quoi, peut-\^etre aux seules proportions. Rien de communs avec ces morceaux de savon que font maintenant les autres.\\
~~~Pain. Ce que tu me dis me fait bien plaisir.\\
(Un silence.)\\
~~~Dumas. Ah! A propos des autres, voici pourquoi je suis venu: Jeanne m'a transmis tes renseignements sur Laruelle. je te remercie. Un peu plus...\\
~~~Pain, (l'interrompant.) Tu ne connaissais pas Laruelle?\\
~~~Dumas. Personnellement, non. Mais il a fait des choses qui t\'emoignent d'une certaine adresse.\\
~~~Pain, (l'interrompant vivement.) Parlons-en! Tu te rappeles bien l'affaire du Palais des F\^etes?\\
~~~Dumas. Vaguement.\\
~~~Pain. Eh bien, c'\'etait Laruelle!\\
~~~Dumas. Ah!\\
~~~Pain. Il \'etait de m\`eche avec l'entreprise g\'en\'erale Cyrille et Cie. Il \'etait de m\`eche avec le rapporteur de la commission. Les devis \'etaient major\'es d'un tiers. Il touchait et faisait toucher, de tous les c\^ot\'es. Je pourrais te faire conna\^itre deux entrepreneurs qu'il a fait chanter et un autre qui ne s'est pas laiss\'e faire. Il y a d'ailleurs toute une s\'erie de belles histoires Laruelle. Tu l'as vu?\\
~~~Dumas. Oui. Nous avions m\^eme fix\'e un jour pour faire ensemble le voyage de Sainte-Fanny-les-Bains. Dans l'intervalle, Jeanne est venue te voir et...\\
~~~Pain, (l'interrompant, confidentiel.) Dis donc, Henri, \`a propos de cette visite de Jeanne, tu sais que je n'en ai rien dit \`a Elisabeth... parce que...\\
~~~Dumas, (complice.) Je sais. Jeanne m'a pr\'evenu.\\
~~~Pain, (g\^en\'e.) Tu comprends, je...\\
~~~Dumas, (vivement.) Oui, oui... Alors maintenant, voil\`a: j'ai besoin de te consulter. Je me suis prestement d\'ebarrass\'e de Laruelle. Tu as indiqu\'e, toi, les fr\`eres Plantin, Bayet, Pontcharreau...\\
~~~Pain. Oui. Les fr\`eres Plantin...\\
~~~Dumas, (l'interrompant.) Bayet, n'en parlons pas. Il est intimement li\'e avec le maire de Sainte-Fanny. Dans cette affaire, Bayet serait la cr\'eature de la municipalit\'e. Or la municipalit\'e voudrait des choses impossibles, d\'eplorables. \c{C}a serait trop long \`a t'expliquer.\\
~~~Pain. Comment la municipalit\'e ne te l'a-t-elle pas impos\'e, Bayet?\\
~~~Dumas. Elle a essay\'e. Mais j'ai object\'e que ma Soci\'et\'e avait son architecte; et \`a ce moment-l\`a, j'aurais jur\'e qu'elle en avait un. (Un temps. Pain regarde en l'air.) Comme c'est nous qui apportons les capitaux, sans lesquels il n'y a rien de fait, le maire n'a pas insist\'e.\\
~~~Pain, (nerveux.) Eh bien, il y a les fr\`eres Plantin. Ce sont eux les mieux qualifi\'es.\\
~~~Dumas. Oui, il y aurait les Plantin. Seulement voil\`a...\\
~~~Pain. Voil\`a quoi?\\
~~~Dumas. Ils ont appris les premiers ce que je voulais faire \`a Sainte-Fanny et sont venus m'offrir leur concours, il y a trois semaines. Ce sont des gens qui se remuent. Je les ai remerci\'e aimablement en leur confiant que mon meilleur ami s'appelait Gabriel Pain. Oh! ils ont tr\`es bien compris. M\^eme ils ont eu l'\'el\'egance de louer tes m\'erites.\\
~~~Pain. Tu aurais pu me mettre au courant de leur d\'emarche.\\
~~~Dumas, (sur un ton m\'elancolique.) Pourquoi? (Un temps.) Je t'aurais racont\'e \c{c}a incidemment, t\^ot ou tard; peut-\^etre mercredi dernier si... En tout cas, tu peux croire que je ne le ferais pas aujourd'hui si ce n'\'etait pour t'expliquer mon embarras.\\
(Un silence.)\\
~~~Pain, (avec un trouble dans la voix.) Eh bien, s'ils sont d\'ej\`a venus, les fr\`eres Plantin, raison de plus pour les appeler. Tu peux leur dire que ton ami Gabriel Pain...\\
(Il cherche.)\\
~~~Dumas, (continuant, de m\^eme.) ... est parti chasser le z\`ebre, ou l'otarie; ou restaurer la Grande-Muraille de Chine. Ou simplement que ledit Gabriel Pain abandonne l'affaire de Sante-Fanny-les-Bains \`a la suite d'un diff\'erend avec l'un des principaux commanditaires. Oui, mon vieux, j'ai tout de suite r\'esolu de m'adresser aux Plantin. Mais avec un peu de r\'eflexion, j'y ai reonc\'e. Comprends donc que si j'allais les chercher maintenant, ils penseraient tout simplement, en d\'epit de mes histoires, que tu as \'elabor\'e un projet qui n'a pas plu, auquel il a fallu renoncer.\\
~~~Pain. Pas forc\'ement!\\
~~~Dumas. Une fois install\'es dans l'affaire, ils ne verraient qu'une chose: leur r\'eussite apr\`es ton \'echec. Ils s'en feraient des gorges chaudes, ils s'en vanteraient \`a tout venant, car ils me paraissent avoir le sens de la publicit\'e, ceux-l\`a!\\
~~~Pain, (sur un ton qui d\'ement ses paroles.) \c{C}a me serait bien \'egal.\\
~~~Dumas. Je ne crois pas. En tout cas, \`a moi, \c{c}a ne serait pas \'egal. (Avec une \'emotion qu'il ne peut ma\^itriser.) \c{C}a me serait m\^eme intol\'erable, comprends-tu, Gabriel?\\
~~~Pain. Mon vieux...\\
~~~Dumas, (se ressaisissant.) Ah! si je n'avais pas mis ton nom en avant, \c{c}a irait tout seul. Mais ils savent, comme Bayet sait; Bayet et d'autres, des relations, des amis. Etant donn\'e que je suis \`a peu pr\`es le ma\^itre de cette entreprise, d\`es qu'on verra un autre architecte \`a ta place, on n'imaginera pas, bien s\^ur, les vrais motifs de ce changement: ils sont invraisemblables; mais je passerai pour t'avoir remerci\'e. Charmant! On en concluera que nous sommes brouill\'es ou que je t'ai sacrifi\'e \`a quelque combinaison. C'est l\`a une petite cons\'equence \`a laquelle je n'avais pas pens\'e d'abord, mais qui a frapp\'e Jeanne et \`a laquelle nous nous r\'esignerons mal, elle et moi, je te l'avoue.\\
~~~Pain, (avec \'emotion, plaquant ses mains sur les \'epaules de Dumas.) Henri! On verra bien que nous ne sommes pas brouill\'es. Nous ne le sommes pas! Il m'a suffi de te voir entrer ici pour m'en rendre compte.\\
~~~Dumas, (amer.) Mettons que nous nous soyons figur\'e l'\^etre.\\
~~~Pain. Excellente formule. Tiens, prends une cigarette.\\
(Un silence, pendant lequel tous deux allument une cigarette.)\\
~~~Dumas. Il y a une chose que je veux mettre au point. Tu t'es plaint que j'aie dispos\'e de toi; je l'avais fait, c'est entendu! Mais justement, cette fois, c'\'etait beaucoup moins pour t'apporter une affaire, pour "t'obliger", pour te faire profiter malgr\'e toi d'une op\'eration int\'eressante, que pour ma sauvegarde personnelle. J'avais dispos\'e de toi pour moi, entends-tu, beaucoup plus que pour toi. J'avais le plus grand besoin de ton concours, de ton aide, Gabriel! J'engage une partie s\'ev\`ere. Je suis entour\'e de fricoteurs, tu le sais trop, et celui que tu as vu chez moi est le moins dangereux. Je me suis trouv\'e dans l'obligation d'accepter des contrats pleins d'emb\^uches. On essayera d'interrompre les travaux, de les faire tra\^iner; des d\'edits sont pr\'evus. J'ai besoin que l'architecte de Sainte-Fanny soit avec moi et qu'il se m\'efie pour moi.\\
~~~Pain. Tu ne pouvais pas me le dire plus t\^ot?\\
~~~Dumas. Que veux-tu, je suis comme \c{c}a! Quand il m'arrive de pr\'evoir des difficult\'es, je n'en parle qu'au moment o\`u elles se pr\'esentent et si c'est indispensable pour les surmonter. En ce qui touche Sainte-Fanny, je n'ai m\^eme pas mis Jeanne au courant. Notre d\'esaccord a caus\'e suffisamment d'\'emotion chez moi. Je n'ai pas voulu y ajouter aucune inqui\'etude; surtout apr\`es les jolis propos que tu as tenus sur mes affaires.\\
~~~Pain. Henri! Tu sais bien---et Jeanne aussi---ce qu'il faut prendre et laisser de ces propos-l\`a! et qu'il en faut surtout laisser.\\
~~~Dumas. Mais il faut en prendre tout de m\^eme, hein? Il faut en prendre l'essentiel.\\
~~~Pain. Mon vieux, c'est la pr\'esence de Bourdin-Lacotte qui m'a exasp\'er\'e.\\
~~~Dumas. Je n'aurais pas d\^u l'inviter, c'est entendu. Je n'aurais pas d\^u \`a cause de toi; par \'egard pour toi.\\
~~~Pain. Pour toi-m\^eme, voyons!...\\
~~~Dumas. Moi? Je ne suis pas si formaliste et je ne me fais aucun scrupule de recevoir chez moi Bourdin-Lacotte, si mes affaires l'exigent. Ce ne serait grave que dans le cas o\`u je cesserais de juger et de m\'epriser les gens de son esp\`ece.\\
~~~Pain. Tu les m\'eprises, mais tu as partie li\'ee avec eux, c'est tout de m\^eme d\'econcertant.\\
~~~Dumas. J'ai partie li\'ee avec des individus de toutes les esp\`eces, de la meilleure \`a la pire! Voyons, Gabriel: on peut r\'epondre de ses amiti\'es, de ses sympathies, de ses opinions, mais on ne choisit pas ses relations d'affaires! Est-ce que tu choisis tes clients, toi?\\
~~~Pain. Non. Je suis choisi par eux.\\
(Un silence.)\\
~~~Dumas, (dans un soupir.) J'oubliais que pour toi, c'est diff\'erent. Evidemment toi...\\
~~~Pain, (sursautant.) Ah! oui, moi, je suis un "artiste", un "cr\'eateur"? C'est \c{c}a, hein? Tu penses \`a ce que je t'ai racont\'e mercredi: tu n'as pas de m\'etier! Henri! Henri! Tu ne vas pas me faire croire que tu as pris au s\'erieux un semblable paradoxe?\\
~~~Dumas. Oh! Un paradoxe!\\
~~~Pain. Mais oui, voyons! Tu sais bien que Pain, d\'echa\^in\'e, s'en va donner t\^ete baiss\'ee dans le paradoxe! Souviens-toi la fois o\`u j'ai soutenu que ton activit\'e n'\'etait qu'une forme de l'oisivet\'e! J'en ai rigol\'e moi-m\^eme le lendemain. Je me rends compte, apr\`es... Ah! mon ami, s'il y a une chose qui saute aux yeux, c'est que le type de cr\'eateur, de constructeur, c'est toi, plut\^ot que moi!\\
~~~Dumas. Allons donc!\\
~~~Pain. Mais si, c'est \'evident! Je le disais \`a Jeanne avant-hier et je ne lui apprenais vraiment rien du tout, va!\\
~~~Dumas, (heureusement surpris.) Ah! tu as dit cela \`a Jeanne!\\
~~~Pain. Tu n'es pas un ex\'ecutant, pas un manuel, pas un sp\'ecialiste, mais tu mettrais debout n'importe quoi: une ville, un budget, un emprunt, un office de transports dans le d\'esert!\\
~~~Dumas, (d\'etendu.) Fichtre!\\
~~~Pain. Tu es fait pour la mise en valeur, la mise en oeuvre, pour animer, organiser, diriger. Tu as des talents de chef. Je n'ai jamais vu personne qui sache, aussi s\^urement que toi, le meilleur parti qu'on peut tirer de tout et de tous. Tu \'evalues exactement toutes les id\'ees, m\^eme les tiennes. Et si tu fais des affaires, c'est moins en homme d'argent qu'en artiste, pour le plaisir de v\'erifier tes pr\'evisions, d'exercer ta force et ton imagination.\\
~~~Dumas. \c{C}a, je ne dis pas non.\\
~~~Pain. Seulement, comprends-tu, ce qui me d\'e\c{c}oit, c'est le milieu, le domaine de ton activit\'e. C'est de te voir aux prises avec toute cette vermine d'affaires et en coquetterie avec tous ces profiteurs. Je t'aimerais mieux dans une vraie jungle, sur une brave terre en friche ou m\^eme sur un navire en perdition. Ce serait plus digne de toi.\\
~~~Dumas, (apr\`es un silence.) Oui! Moi aussi j'aimerais mieux. Mais, je ne crois pas avoir le choix. Je suis tout naturellement port\'e l\`a o\`u je puis le mieux me d\'epenser. Toi aussi. Bon gr\'e, mal gr\'e, nous sommes solidaires de notre \'epoque; nous sommes au service d'une soci\'et\'e, nous prenons place dans une \'equipe.\\
~~~Pain. Si nous le voulons bien!\\
~~~Dumas, (appuyant sur les mots.) Si nous voulons exister! Si je ne peux pas supporter certains coudoiements et certaines odeurs, je n'ai qu'\`a quitter la place.\\
~~~Pain. Ou \`a changer de place.\\
~~~Dumas. Je ne peux pas faire que le terrain soit en friche.\\
~~~Pain. Il est toujours en friche.\\
~~~Dumas. Je ne peux pas faire que l'atmosph\`ere soit pure.\\
~~~Pain. Qui sait!\\
~~~Dumas. Sous pr\'etexte que j'organiserais le sauvetage mieux que personne, je ne peux pas souhaiter que le paquebot soit en perdition!\\
~~~Alors quoi? Sur ce paquebot vou\'e pour l'instant aux relents de cuisine et au jazz band, l'homme que je suis n'a que la ressource d'aller au fumoir, de faire une partie de pocker avec les premiers venus et de les gagner. Si ces messieurs sont de ma force au pocker, je t'assure que ce peut \^etre beau. (Petit rire indulgent de Pain.) Quoi?\\
~~~Pain. Rien, rien.\\
~~~Dumas. Il faut bien s'accommoder de l'\'equipe! Tu m'as dit un jour, toi, que tu r\^evais de construire dans une belle campagne, un "Palais des Enfants en vacanes".\\
~~~Pain. Oui.\\
~~~Dumas. Nous le construirons peut-\^etre un jour, mon vieux, mais en attendant, ce n'est pas \c{c}a que l'\'equipe te demande. Elle te demande plut\^ot des succursales de banques, des dancings, des tripots. Et tu les fais, tu les fais avec amour. Tu es architecte: architecture d'abord!\\
~~~Pain. Evidemment.\\
~~~Dumas. Crois-tu, par exemple, que si tu avais fait le casino de Sante-Fanny...\\
~~~Pain, (l'interrompant.) Comment, si j'avais fait? Mais tu sais bien que je le fais!\\
~~~Dumas. Tu fais le casino de Sainte-Fanny?\\
~~~Pain, (bourru.) Bien entendu, voyons! Apr\`es ce que tu m'en as dit, cela va de soi. Je ne peux tout de m\^eme pas te faire passer pour un farceur aux yeux de toute cette bande.\\
~~~Dumas, (exultant.) O vieux p\`ere Pain!\\
~~~Pain. Du moment que je... que nous sommes engag\'es \`a ce point et que tu as besoin de moi...\\
~~~Dumas, (de m\^eme.) Vieux p\`ere Pain, vieux Painperlin! Tu me fais un plaisir \'enorme, entends-tu?\\
~~~Pain. Bon, bon, \c{c}a va!\\
~~~Dumas, (poursuivant.) Pas seulement \`a cause de la posture absurde, humiliante o\`u me pla\c{c}ait ton refus, vis-\`a-vis de moi-m\^eme et des autres...\\
~~~Pain, (dans une bourrade.) Assez! Assez l\`a-dessus. Tu disais?\\
~~~Dumas. Qu'est-ce que je disais?\\
~~~Pain. Que si je faisais le casino...\\
~~~Dumas. Eh, oui, parbleu, que si tu faisais le casino ce sera en soi une belle chose...\\
~~~Pain. Aussi belle que ta partie de pocker.\\
~~~Dumas, (riant.) Dans son genre, oui!\\
~~~Pain. Entre nous soit dit, beau malin, avec ta parabole du paquebot, tu ne m'as pas du tout convaincu que l'on doive admettre \`a sa table le premier voyou venu, quand bien m\^eme il s'agirait d'une table de pocker.\\
~~~Dumas. Crois-tu que j'en sois tellement convaincu moi-m\^eme? Je suis un peu plus sociable que toi, voil\`a tout.\\
~~~Pain. Nous sommes tous trop sociables. Cette \'epoque est d'une complaisance!\\
~~~Dumas. Oui. Et je te confierai en secret, meilleur des Pain, que tes reproches sur ce point m'avaient quelque peu brouill\'e, ces jours dernier, non seulement avec toi, mais aussi avec moi-m\^eme.\\
~~~Pain, (\'emu.) Tant mieux, tant mieux!... Et moi, tous ces jours-ci, j'ai pris ta d\'efense.\\
~~~Dumas. Contre qui?\\
~~~Pain. Oh! pas contre toi! Contre moi! Je n'en finissais pas d'approfondir tes m\'erites et, naturellement, de ressasser toutes les grossi\`eret\'es que je t'avais dites.\\
\\
ressasser~~~くどくど繰返す、反芻する\\
\\
~~~Dumas. Grosse b\^ete!\\
~~~Pain. Au fond, vois-tu, tout le malheur est venu de ce que j'ai vid\'e mon sac devant tout le monde, les femmes et les enfants.\\
~~~Dumas, (approuvant.) Voil\`a, mon ami!\\
~~~Pain. D'abord, si nous avions \'et\'e seuls, la discussion n'aurait pas pris ce tour-l\`a. tu ne m'aurais pas excit\'e pour amuser les autres.\\
~~~Dumas. C'est vrai.\\
~~~Pain. Surtout, les mots n'auraient pas eu le m\^eme sens, la m\^eme valeur offensive.\\
~~~Dumas. Mon vieux, nous ne devrions jamais discuter devant nos femmes. Andr\'e a raison, \c{c}a tourne toujours au match. C'est ridicule. Quand j'ai raison tu ne veux pas en convenir devant Elisabeth parce qu'elle te reprocherait d'avoir c\'ed\'e. Quant \`a moi, j'ai cette petite faiblesse de ne pas vouloir m'avouer battu devant Jeanne; que veux-tu!\\
~~~Pain. Oh! je te comprends. Moi-m\^eme, devant Jeanne...\\
~~~Dumas. Nous sommes deux petits orgueilleux, quoi!\\
~~~Pain, (confidentiel.) Mais capables de d\'eposer toute esp\`ece d'orgueil, d\`es que nous nous trouvons seul \`a seul.\\
~~~Dumas, (de m\^eme.) Oui, mon fils!\\
~~~Pain. Capables de d\'eposer tous les masques, nous deux, hein? Capables de nous d\'eboutonner jusqu'au nombril, comme de vieux complices que nous sommes!\\
~~~Dumas. Tiens, tu me fais penser \`a une chose que Jeanne me disait hier; une chose tout \`a fait juste: c'est que nous avons avec chacun une fa\c{c}on diff\'erente d'\^etre nous-m\^eme.\\
~~~Elle expliquait cela, ma foi, tr\`es joliment, avec une comparaison emprunt\'ee \`a la musique... Je ne me rappelle plus. Tu comprends, d\`es que nous nous trouvons seuls ensemble, toi et moi, chacun de nous, d'instinct, se comporte d'une certaine mani\`ere qui convient \`a l'autre, qui ne convient qu'\`a lui. Il y a d'ailleurs certaines r\'eaction, certains sentiments, certains souvenirs, qui nous constituent un domaine priv\'e, dans lequel nous nous plaisons malgr\'e nous.\\
~~~Pain, (dans un trouble contenu.) A propos de qui te disait-elle cela, Jeanne?\\
~~~Dumas. Tu dois bien t'en douter! Voyons: \`a propos de toi et de moi. Elle \'etait persuad\'ee que si nous nous retrouvions dans notre domaine priv\'e, tout s'arrangerait entre nous. Tu vois qu'elle ne se trompait pas. D'ailleurs elle \'etait venue voir le Pain perdu, pour se rendre compte.\\
~~~Pain, (comme \`a lui-m\^eme.) Et comme elle a bien fait!...\\
(On frappe \`a la porte de gauche, qui s'entreb\^aille.)\\
~~~La voix d'Elisabeth. On peut entrer?\\
~~~Pain, (allant vers la porte.) Oui! Ou plut\^ot, non! Une minute, Elisabeth, une minute. (La porte se referme.) (Retournant \`a Dumas, confientiel.) Qu'est-ce qu'on lui dit?\\
~~~Dumas. Qu'est-ce qu'on lui dit? Eh bien, mais... que nous avons reconnu chacun nos torts; moi le premier! Moi le premier, entends-tu? \c{C}a lui fera plaisir.\\
~~~Pain. Tu es bien gentil, mais... par exemple pour le casino?\\
~~~Dumas. Elisabeth va \^etre enchant\'ee que tu le fasses, mon vieux!\\
~~~Pain. Oui, seulement... j'avais proclam\'e que je ne t'en parlerais pas.\\
~~~Dumas. C'est moi qui t'en ai parl\'e! C'est moi qui t'ai demand\'e de le faire pour m'obliger. C'est la pure v\'erit\'e!\\
~~~Pain. Tu ne m'as pas demand\'e...\\
~~~Dumas. Comment! J'ai cri\'e au secours! Je savais bien que tu viendrais.\\
~~~Pain. Embrasse-moi!\\
~~~Dumas. Comme du bon Pain!\\
(Ils s'embrassent.)\\
~~~Pain. Et tu embrassera Jeanne pour moi.\\
~~~Dumas. Tu vas pouvoir le faire toi-m\^eme: elle doit \^etre l\`a!\\
~~~Pain. Alors c'est un complot? (Il court vers la porte de gauche qu'il ouvre et crie \`a tue-t\^ete:) Elisabeth! Elisabeth! Jeanne!\\
~~~Voix, (en coulisse.) Voil\`a! Voil\`a!\\
(Pain revient aupr\`es de Dumas. Entrent Sylvette et Andr\'e.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 6\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~(Pain, Dumas, Sylvette, Andr\'e, puis Elisabeth et Jeanne.)\\
(Sylvette et Andr\'e, laissant la porte ouverte derri\`ere eux font deux ou trois pas circonspects, puis s'arr\^etent et observent Pain et Dumas.)\\
~~~Pain, (\`a Dumas.) Comment, eux aussi?\\
~~~Dumas, (\'eclatant de rire.) \c{C}a, mon vieux, c'est de l'impr\'evu!\\
~~~Andr\'e, (\`a Sylvette.) Dis donc, \c{c}a n'a pas l'air d'aller trop mal?\\
~~~Sylvette, (courant \`a la porte rest\'ee ouverte.) Vous pouvez venir, l'arri\`ere-garde!\\
(Andr\'e a rejoint Pain et Dumas avec lesquels il \'echange de vigoureuses poign\'ees de main.)\\
~~~Dumas. Et si \c{c}'avait eu l'air d'aller mal?\\
~~~Andr\'e. Nous \'etions d\'ecid\'es \`a intervenir, Sylvette et moi.\\
~~~Sylvette, (qui a rejoint Andr\'e.) Andr\'e demandait brusquement \`a papa la main de sa fille...\\
~~~Dumas. Encore?\\
~~~Sylvette, (poursuivant.) Et moi, je mettais Painpain \`a la torture: comme \c{c}a!\\
(Elle saute au cou de Pain et l'embrasse. Entrent Jeanne et Elisabeth.)\\
~~~Pain. J'\'etais perdu! Bonjour Jeanne!\\
~~~Jeanne. Alors?\\
~~~Elisabeth. C'est la paix?\\
~~~Dumas. Fra\^iche et joyeuse et sans victoire!\\
~~~Pain. Plus l'ombre d'une ombre entre cet individu et moi! Jeanne, on s'embrasse!\\
(Pain et Jeanne s'embrassent.)\\
~~~Dumas, (\`a Elisabeth.) On s'embrasse!\\
(M\^eme jeu.)\\
~~~Andr\'e, (\`a Sylvette.) Ah! on s'embrasse!\\
(M\^eme jeu.)\\
~~~Elisabeth. Ils peuvent nous embrasser! Sans nous, \`a l'heure actuelle, ils seraient \`a se morfondre chacun de leur c\^ot\'e.\\
\\
morfondre~~~待ちあぐねる、待ちくたびれる\\
\\
~~~Pain, (regardant Jeanne.) Sans aucun doute!\\
~~~Sylvette, (d\'esignant Pain et Dumas.) Et eux! Ils ne se sont pas embrass\'es!\\
~~~Dumas. Il y a longtemps que c'est fait!\\
~~~Pain. Petite innocente! Comme si nous avions attendu ton invitation!\\
~~~Andr\'e. Il y a une demi-heure qu'ils se racontent des blagues tandis que nous attendons dans l'angoisse!\\
~~~Elisabeth, (na\"ivement.) C'est vrai?\\
~~~Dumas. Rigoureusement vrai.\\
~~~Jeanne. Des blagues qui vous ont conduits \`a vous embrasser!\\
~~~Pain. Exactement.\\
~~~Elisabeth. Je pense que vous vous \^etes tout de m\^eme expliqu\'es, une fois pour toutes!\\
~~~Pain. Oh! nous n'avons pas fini!\\
~~~Dumas. Nous n'aurons jamais fini!\\
~~~Sylvette. Enfin, dites-nous un peu comment \c{c}a s'est pass\'e?\\
~~~Elisabeth, (\`a Jeanne.) Nous le saurons chacune de notre c\^ot\'e.\\
~~~Andr\'e. Nous voulons une version unique!\\
~~~Pain. Vous n'aurez rien du tout! Huis clos! secret!\\
~~~Jeanne. Parfaitement. \c{C}a ne nous regarde pas.\\
~~~Andr\'e. Ils n'osent pas nous dire qu'ils n'ont pas eu le courage de s'expliquer!\\
~~~Elisabeth. C'est bien possible.\\
~~~Sylvette. Nous demanderons \`a grand'm\`ere de les confesser...\\
~~~Dumas, (\`a Elisabeth.) Si, Elisabeth, nous nous sommes expliqu\'es. Votre mari s'est montr\'e d'une violence! Il a \'et\'e jusqu'\`a me reprocher mon mad\`ere qui sentait le bouchon. Et il ne lui a pas suffi que je lui demande pardon \`a genoux. Il a fallu que je m'engage \`a lui apporter la t\^ete de Bourdin-Lacotte (rires), et il l'aura, quand je devrais la lui sculpter sur un marron.\\
~~~Pain, (\`a Jeanne, Sylvette et Andr\'e qui se trouvent pr\`es de lui.) C'est inexact! je suis bien oblig\'e de vous confier...\\
(Il poursuit \`a voix basse au milieu des rires.)\\
~~~Dumas, (\`a Elisabeth.) Il est vrai que de mon c\^ot\'e, eh, eh! de mon c\^ot\'e...\\
~~~Elisabeth, (confidentiellement.) Dites-moi, mon petit Henri, et pour le casino?\\
~~~Dumas, (de m\^eme.) Pr\'ecis\'ement: de mon c\^ot\'e donc, j'ai demand\'e \`a Gabriel, comme un tr\`es grand service, de revenir sur son refus. Si je devais renoncer \`a son concours, je me trouverais dans un embarras terrible.\\
~~~Elisabeth. Et... il a accept\'e?\\
~~~Dumas. Il acceptera. J'en ai l'impression tr\`es nette.\\
~~~Elisabeth. Il acceptera: comptez sur moi!\\
~~~Sylvette, (au milieu des rires.) Non? C'est vrai?\\
~~~Pain. Demande \`a ton p\`ere: Henri! a-t-il \'et\'e stipul\'e dans le trait\'e de paix que vous restiez \`a d\^iner avec nous?\\
~~~Dumas. Attends, je ne me souviens pas tr\`es bien...\\
~~~Pain. Allons! sois de bonne foi!\\
~~~Dumas. C'est possible, c'est bien possible.\\
~~~Elisabeth. Ah! oui, nous vous gardons! Seulement mes pauvres enfants ce sera un d\^iner bien improvis\'e.\\
~~~Andr\'e. Qu'est-ce que cela fait!\\
~~~Jeanne. Mais c'est que le n\^otre nous attend!\\
~~~Pain. Je vais t\'el\'elphoner moi-m\^eme \`a votre cuisini\`ere qu'elle peut aller au cin\'ema.\\
~~~Dumas. On pourrait plut\^ot lui demander de venir nous faire ici son fameux souffl\'e?\\
~~~Elisabeth, (soudain contrari\'ee.) Mais non, voyons!... Je m'y oppose absolument!\\
~~~Jeanne. Pourquoi?\\
~~~Pain, (vivement, en emp\^echant du geste Elisabeth de r\'epondre.) Je vous emm\`ene au restaurant!\\
~~~Elisabeth, (rassur\'ee.) Voil\`a!\\
~~~Sylvette. Oui, oui!\\
~~~Dumas, (imp\'eratif.) Alors, si l'on ne d\^ine pas ici, c'est moi qui vous invite!\\
~~~Pain, (haussant le ton.) Non, non, mon vieux. Rien \`a faire!\\
~~~Dumas. Tu vas voir \c{c}a!\\
~~~Pain. C'est moi qui vous ai invit\'es tout \`a l'heure.\\
~~~Dumas. Oh! \c{c}a m'est \'egal. Maintenant, c'est moi.\\
~~~Pain. Dis donc, mon petit Henri, tu ne vas pas recommencer comme \c{c}a, tout de suite, \`a faire l'autoritaire, hein?\\
~~~Dumas, (apr\`es r\'eflexion, souriant.) Tu as raison: pas tout de suite! Je ne dis plus rien. C'est toi qui nous invite.\\
~~~Pain. Quel cynisme!\\
~~~Dumas. Va, t\'el\'ephone \`a la maison; qu'on y r\'eentende enfin ta voix!\\
~~~Pain, (allant au t\'el\'ephone.) Mademoiselle! Voulez-vous me donner Mabillon 83-19?\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau)\\









}
\end{document}