\documentclass[b5paper,12pt]{article}

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{
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~La Brouille\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte 2\\
(Le bureau de Gabriel Pain.)\\
(Portes au premier plan, \`a gauche et \`a droite.)\\
(Au fond, une grande fen\^etre et \`a sa droite un bureau sur lequel est pos\'e l'appareil t\'el\'ephonique. Autre fen\^etre sur le c\^ot\'e droit.)\\
(Trois hautes tables \`a dessin, sur leurs tr\'eteaux, garnissent le bureau, toutes trois plac\'ees perpendiculairement \`a la rampe; l'une devant la fen\^etre \`a droite, l'autre au milieu, le mur de gauche. Elles sont encombr\'ees de plans, de calques, d'instruments de dessin, et pourvues chacune d'un tabouret. Si\`eges au premier plan.)\\
(La pi\`ece est tr\`es claire et peu profonde.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene Premi\`ere\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Elisabeth, Gabriel Pain).\\
(Au lever du rideau, Pain est assis \`a la table du milieu, \`a gauche, et travaille distraitement. Elizabeth, en chapeau et en manteau, se tient debout de l'autre c\^ot\'e de la table et accoud\'ee \`a celle-ci.)\\
(Il y a un moment de silence comme il s'en produit au cours d'une discussion.)\\
~~~Elisabeth. Dis donc?\\
~~~Pain. Quoi?\\
~~~Elisabeth. Si, avant d'aller chez maman, j'essayais de voir Jeanne? Apr\`es trois heures, Henri sera s\^urement sort.\\
~~~Pain. Mais non, mais non!\\
~~~Elisabeth. Je lui dirais que je viens la voir sans que tu le saches.\\
~~~Pain. Malheureusement, je le saurais. Alors n'y va pas, je t'en prie.\\
~~~Elisabeth. Je ne lui parlerais pas de toi!\\
~~~Pain. Tu serais bien forc\'ee de le faire!\\
~~~Elisabeth. Ce que je voudrais, c'est maintenir un contact, parler des enfants, uniquement des enfants. Si Andr\'e doit continuer d'aller voir Sylvette, il faut au moins que Jeanne et moi soyons d'accord sur ce point. Chaque jour aggrave la rupture et en voil\`a d\'ej\`a cinq d'\'ecoul\'e depuis ce malheureux d\'ejeuner.\\
~~~Pain. Quatre!\\
~~~Elisabeth. Cinq en comptant aujourd'hui. Moi qui croyais que le soir m\^eme vous vous seriez raccommod\'es par t\'el\'ephone!\\
~~~Pain. Ne t'inqui\`ete donc pas des enfants pour l'instant. Ce n'est pas Andr\'e qui t'a demand\'e d'aller voir Jeanne?\\
~~~Elisabeth. Non.\\
~~~Pain. Alors, attends qu'il te le demande.\\
~~~Elisabeth. J'attendrai lontemps.\\
~~~Pain. Andr\'e est assez grand pour se charger lui-m\^eme de ses d\'emarches, surtout aupr\`es de Jeanne.\\
~~~Elisabeth. Garbriel, si par malheur ce mariage ne se faisait pas, je souhaite que tu n'aies rien \`a te reprocher! (Un silence.) Et qu'Andr\'e retrouve un parti comme celui-l\`a!\\
~~~Pain. Ma petite Elisabeth, justement parce qu'il s'agit d'un "parti comme celui-l\`a", j'estime qu'en ce moment, toute intervention de ta part, de notre part, serait d\'eplac\'ee.\\
~~~Elisabeth. Tu es ridicule.\\
~~~Pain. Je trouve---et te l'ai d\'ej\`a dit---que tu as toujours un peu manqu\'e de discr\'etion vis-\`a-vis des Dumas.\\
~~~Elisabeth, (protestant.) Oh!\\
~~~Pain. Si! Il y a deux ans, tu insinuais d\'ej\`a \`a tout propos et hors de propos que "nous finirions par marier ces enfants-l\`a" et tu les faisais rougir en les appelant: les amoureux.\\
~~~Elisabeth. Ils l'\'etaient.\\
~~~Pain. Mais oui. Les choses allaient d'elles-m\^emes assez bon train et n'\'echappaient \`a personne. Ce n'\'etait pas \`a toi de les marquer ainsi. Pour ma part, je me suis toujours fait un scrupule de n'intervenir en rien...\\
~~~Elisabeth. Eh bien oui, je m'en suis occup\'ee de ce mariage, moi, et je m'en f\'elicite! C'est peut-\^etre moi qui ai orient\'e Andr\'e vers Sylvette.\\
~~~Pain. Ta ta ta!\\
~~~Elisabeth. Et je n'\'eprouve aucune fausse honte \`a dire que je n'\'etais pas indiff\'erente \`a la situation, aux avantages mat\'eriels. Il est plus que jamais naturel qu'une m\`ere ait de telles pr\'eoccupations pour son fils. Je veux qu'Andr\'e puisse exercer son m\'etier avec une certaine facilit\'e. Je veux qu'il ignore la m\'ediocrit\'e que nous avons connue. Oui, monsieur!\\
~~~Pain. Moi aussi je le souhaite...\\
~~~Elisabeth. On ne le dirait pas! A cause d'Andr\'e, j'ai toujours pass\'e, moi, sur une foule de choses qui m'irritaient, qui m'humiliaient dans nos rapports avec les Dumas. Tu aurais bien d\^u en faire autant, mercredi dernier!\\
~~~Pain. Ah! \c{c}a, par exemple, Elisabeth, c'est un peu fort! C'est toi qui dis cela, toi qui m'as reproch\'e cent fois de supporter trop bien la d\'esinvolture et l'autorit\'e d'Henri et d'avoir l'air aupr\`es de lui d'un parent pauvre, d'un employ\'e, que sais-je!\\
~~~Elisabeth. Parfaitement, je d\'eplore que tu ne saches pas te mettre en valeur.\\
~~~Pain. Mercredi, avant d'aller d\'ejeuner chez lui, tu m'as accabl\'e de conseils et de recommandations au sujet de cette affaire du casino. Et si je suis arriv\'e l\`a-bas plein de m\'efiance et d'hostilit\'e...\\
~~~Elisabeth. C'est ma faute, \'evidemment. Est-ce aussi ma faute si tu as perdu toute mesure, si tu as d\'eraill\'e, avec une lourdeur!\\
\\
d\'eraill\'e~~~脱線する\\
\\
~~~Pain. Je n'ai pas d\'eraill\'e!\\
~~~Elisabeth. Je t'aurais souffl\'e de te taire \`a certains moments si j'avais pu!\\
~~~Pain. Tu aurais perdu ton temps! J'avais besoin de me soulager.\\
~~~Elisabeth. Est-ce que je me soulage, moi? Est-ce que je trahis la moindre impatience, quand l'horripilante m\`ere Dumas me rab\^ache que son fils est une v\'eritable providence pour ses amis, pour nous?\\
\\
horripilante~~~苛立たせる\\
rab\^ache~~~くどくどと繰返す\\
\\
~~~Pain. Libre \`a toi de...\\
~~~Elisabeth, (l'interrompant.) Et quand elle me fait observer que nous avons laiss\'e prendre \`a Andr\'e des habitudes de luxe, qu'il d\'epense trop, que...\\
~~~Pain. Pour \c{c}a, elle n'a pas tort.\\
~~~Elisabeth. Et quand Jeanne a insist\'e pour m'envoyer sa cuisini\`ere parce que nous avions les Delcourt \`a d\^iner?\\
~~~Pain. Elle l'a fait tr\`es gentiment. Elle sait bien que ta Mathilde est une gourde qui se noierait dans le bain-marie.\\
~~~Elisabeth. Ce n'est pas vrai. Et puis d'abord, j'\'etais l\`a, moi! J'ai d\^u accepter quand m\^eme cette cuisini\`ere qu'on m'imposait, parce que c'est Henri qui t'avait procur\'e la client\`ele des Delcourt.\\
~~~Pain. Sur le moment, tu \'etais enchant\'ee de cette solution.\\
~~~Elisabeth. Oui, vraiment, enchant\'ee d'avoir chez moi une fille qui s'est plainte que nous n'avions pas assez de vaisselle!\\
~~~Pain, (impatient\'e.) Tout cela n'a rien de commun avec les reproches que j'ai faits \`a Henri et que tu serais la premi\`ere \`a approuver si tu \'etais un peu logique avec toi-m\^eme.\\
~~~Elisabeth. Je suis tr\`es logique avec moi-m\^eme. Je dis que tu devais faire sentir \`a Henri certaines choses, mais avec adresse, avec mesure, sans le blesser.\\
~~~Pain. Le plus bless\'e des deux, \c{c}'a \'et\'e moi!\\
~~~Elisabeth. Quant \`a critiquer ses relations, c'\'etait bien la derni\`ere chose \`a faire.\\
~~~Pain. Je devais me montrer agr\'eablement surpris et tr\`es honor\'e de d\'ejeuner avec Bourdin-Lacotte!\\
~~~Elisabeth. Mais non, tu sais parfaitement...\\
~~~Pain, (l'interrompant.) Il t'en impose aussi, celui-l\`a!\\
~~~Elisabeth, (s'irritant.) Il m'en impose moins qu'\`a toi, Gabriel!\\
~~~Pain. Bourdin-Lacotte m'en impose?\\
~~~Elisabeth. Il a pu lui-m\^eme en avoir l'impression!\\
~~~Pain, (criant.) Je ne pouvais tout de m\^eme pas l'\^oter de sa chaise et aller le jeter dans l'escalier. Je n'\'etais pas chez moi!\\
~~~Elisabeth. Le jeter dans l'esclier! Voil\`a! Tout de suite. Comme c'est fort, ou plut\^ot comme c'est faible! Je te l'ai toujours dit, les violents sont des faibles. Gabriel, tu devais traiter Bourdin-Lacotte comme une quantit\'e n\'egligeable. Au lieu de laisser tous les autres \'ecouter ses boniments, tu devais lui couper la parole, parler plus que lui, parler \`a Henri de tes travaux, de tes projets, r\'eels ou imaginaires, de ceux dans lesquels il n'est rien. (Pain travaille rageusement pendant qu'Elisabeth poursuit.) Tu devais donner l'impression que vous \^etes, toi et Andr\'e, d\'ebord\'es de besogne. Tu devais d\'ecupler l'importance de cette bo\^ite \`a loyers que tu construis; tu devais... tu m'\'ecoutes?\\
~~~Pain. Ah! oui, je t'\'ecoute!\\
~~~Elisabeth. Tu devais, une fois Bourdin-Lacotte parti, protester \`a son sujet, c'est entendu, mais beaucoup moins sur le fait qu'il est un ceci ou un cela, que sur la d\'esinvolture avec laquelle Henri venait de se servir de toi aupr\`es de lui!\\
~~~Pain, (avec \'eclat.) Mais bon Dieu! Je l'ai fait!\\
~~~Elisabeth. Bien trop brutalement, mon ch\'eri, et en brouillant tout, en envenimant la discussion! Tu pouvais tout dire en cinq minutes, sur un ton pos\'e, ferme et plut\^ot enjou\'e, sur le ton d'un homme qui, tout en ayant l'air de plaisanter, ne laisse rien passer de ce qui lui d\'epla\^it. Oh! Henri sait tr\`es bien faire \c{c}a, lui!\\
~~~Pain. Henri est Henri et moi je suis moi!\\
~~~Elisabeth, (appuyant sur les mots.) Surtout tu devais m\'enager \`a Henri le moyen de te parler du casino!\\
~~~Pain, (ironique.) Bien entendu!\\
~~~Elisabeth. Il t'en parlait. Et tu consentais n\'egligemment \`a \'etablir un projet, mais pour faire plaisir \`a Henri et en lui demandant du temps \`a cause de tes autres engagements.\\
~~~Pain. Et \c{c}a produisait un effet \'enorme. Henri est tellement b\^ete et je suis tellement rou\'e! Ah! non, tu sais, ils sont plut\^ot grossiers, tes trucs! (Un temps.) Ma petite Elisabeth, je n'ai jamais jou\'e la com\'edie devant personne. Ce n'est pas avec Henri et Jeanne que j'aurais pu commencer. D'ailleurs ces moyens sont mis\'erables et ne trompent personne.\\
~~~Elisabeth. Avec \c{c}a! Tout le monde les emploie---except\'e toi---et tout le monde s'y laisse prendre.\\
~~~Pain. Except\'e moi!\\
~~~Elisabeth. Toi surtout! Et puis il ne s'agissait pas de "tromper" Henri et Jeanne! Mais comprends donc que ce qu'il aurait fallu absolument, ce qu'il faudrait, dans ton int\'er\^et, dans celui de ton fils et enfin pour m\'enager un peu notre pauvre amour-propre, c'est---je te l'ai dit cent fois---que tu donnes \`a Henri l'impression que tu peux te passer de lui et que ton concours...\\
~~~Pain, (l'interrompant avec \'eclat.) Il n'en aura pas seulement l'impression, que je peux me passer de lui! Il en aura la preuve!\\
~~~Elisabeth, (incr\'edule.) \c{C}a!...\\
~~~Pain. Oui, je peux me passer de lui!\\
~~~Elisabeth, (dans un soupir.) Evidemment, comme tu peux te passer d'une nouvelle auto, comme je peux me passer d'un manteau de fourrure. (Un temps.) Comme Andr\'e peut se passer de la dot de Sylvette pour s'\'etablir.\\
~~~Pain. Oui, oui! Et plus facilement encore!\\
~~~Elisabeth, (indign\'ee.) Orgueilleux! Tu n'as pas h\'esit\'e \`a sacrifier le casino...\\
~~~Pain, (l'interrompant.) Encore le casino!\\
~~~Elisabeth. Qui repr\'esente deux millions de travaux...\\
~~~Pain. Deux millions et demi.\\
~~~Elisabeth, (poursuivant.) ... A la satisfaction de donner une le\c{c}on "de morale" \`a Henri, une le\c{c}on qui est parfaitement inutile et ridicule.\\
~~~Pain. Inutile et ridicule, puisqu'elle ne rapporte rien, n'est-ce pas!\\
~~~Elisabeth. Si tu crois que ton prestige s'en trouve augment\'e d'un pouce!\\
~~~Pain. Elisabeth, encore une fois, je n'ai ob\'ei qu'au besoin imp\'erieux de dire \`a un vieil ami ce que je pensais. Je ne suis ni un politique ni un com\'edien. S'il m'en co\^ute d'\^etre brouill\'e avec Henri, car il m'en co\^ute, ce n'est ni \`a cause du casino, ni \`a cause de mon prestige; et encore moins \`a cause de la dot de Sylvette. Si Andr\'e doit se marier, ce n'est pas une dot qu'il \'epousera. Et j'ajoute que je ne veux envisager aucune esp\`ece de combinaison pour me raccommoder avec Henri. Il est donc inutile de me harceler toute la journ\'ee avec \c{c}a. Tu serais bien aimable de me laisser travailler.\\
\\
harceler~~~しつこく悩ます\\
\\
~~~Elisabeth. Bien, bien, mon ami! N'envisage aucune esp\`ece de combinaison. Aussi bien, j'ai grand tort de me faire de la bile. D'un mot, tu viens de m'\'eclairer sur ce qui va se passer. Au revoir.\\
(Fausse sortie.)\\
~~~Pain. Qu'est-ce qui va se passer?\\
~~~Elisabeth. C'est encore toi qui feras le premier pas vers Henri.\\
~~~Pain. Non!\\
~~~Elisabeth, (ironique.) Vers ton vieil ami.\\
~~~Pain. Non!\\
~~~Elisabeth. Mais si, tu verras! Les r\^oles ne changeront pas.\\
(Andr\'e entre \`a droite.)\\
~~~Pain, (frappant du poing sur la table.) Non, non et non, je ne ferai pas l'ombre d'un geste vers Henri!\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Les m\^emes, Andr\'e.)\\
~~~Andr\'e, (Il d\'epose sur la table \`a droite une serviette avec laquelle il est entr\'e.) Encore? Maman, je t'en prie, laisse papa tranquille avec cette histoire!\\
~~~Elisabeth. Oh! c'est bien la derni\`ere fois que je lui en parle.\\
~~~Pain. Tu dis \c{c}a tous les jours.\\
~~~Elisabeth. Je m'en vais, je m'en vais! Au revoir, Gabriel.\\
(Elle s'approche de Pain et tend sa joue.)\\
~~~Pain, (l'embrassant de mauvaise gr\^ace.) Au revoir.\\
(Elisabeth se dirige vers la porte de gauche, accompagn\'ee d'Andr\'e qui lui prodigue des avis \`a voix basse.)\\
~~~Andr\'e, (\`a mi-voix, comme ils arrivent \`a la porte.) Tu lui dis exactement le contraire de ce qu'il faudrait!\\
~~~Elisabeth, (de m\^eme.) Non. Tu ne sais pas ce que je lui ai dit. Parle-lui de Sylvette. Dis-lui que tu voudrais que j'aille voir Jeanne.\\
~~~Andr\'e, (haut.) Au revoir, ma petite m\`ere!\\
~~~Elisabeth. Que j'aille voir Jeanne \`a ton sujet.\\
~~~Andr\'e, (la poussant du geste vers la porte et lui faisant signe de se taire.) Au revoir, au revoir, ma petite m\`ere! Embrasse grand-m\`ere, pour moi.\\
(Ils s'embrassent. Elisabeth sort.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Pain, Andr\'e.)\\
(Andr\'e gagne sa table \`a dessin en sifflotant et s'y installe. Il est face \`a la fen\^etre de droite et tourne le dos \`a son p\`ere.)\\
~~~Andr\'e. Alors dis-donc, je viens du chantier.\\
~~~Pain. Ah! oui?\\
~~~Andr\'e. Les plombiers am\`enent leur mat\'eriel. Ils commencent demain.\\
~~~Pain. Ils se mettront tout de suite \`a la couverture, hein?\\
~~~Andr\'e. Bien entendu.\\
~~~Pain. O\`u Pelgrin en est-il de ses enduits?\\
\\
enduits~~~塗料\\
\\
~~~Andr\'e. Au quatri\`eme \'etage. Seulement cet idiot a fait faire, sur le palier du troisi\`eme, des ouvertures de porte qui sont trop basses de cinq centim\`etres. Il a fallu que je lui mette le nez sur les cotes pour qu'il se rende \`a l'\'evidence. Il va corriger \c{c}a.\\
~~~Pain. J'esp\`ere qu'il ne s'est pas tromp\'e \`a tous les \'etages?\\
~~~Andr\'e. Non, j'ai v\'erifi\'e.\\
~~~Pain. Comment diable as-tu d\'ecouvert l'erreur? Le menuisier n'a pas encore livr\'e les portes?\\
~~~Andr\'e. Un vrai hasard. J'\'etais l\`a, contre la chambranle, \`a bavarder avec un copain qui \'etait mont\'e avec moi...\\
\\
chambranle~~~窓枠\\
\\
~~~Pain. Un architecte?\\
~~~Andr\'e. Non. Je l\`eve mon bras en l'air, l'\'etire contre le mur machinalement et en levant le nez, je m'aper\c{c}ois que mes doigts atteignent juste l'encoignure. Je me dis: tiens, voil\`a une porte de deux m\`etres treize. C'est ce que je fais, le bras vertical.\\
~~~Pain, (riant.) Eh bien, mon vieux, tu es reseign\'e sur ton anatomie, toi! A la bonne heure!\\
~~~Andr\'e. Non, mais je dispose comme \c{c}a de quelques mesures. Tr\`es commode quand on a oubli\'e son m\`etre. Et je te ferai remarquer que je ne suis pas moins renseign\'e sur la hauteur des portes. J'ai pens\'e tout \`a coup: comment, deux m\`etres treize? Ou j'ai grandi de cinq centim\`etres depuis peu, ou cette ouverture est trop basse.\\
~~~Pain. Il devait \^etre \'epat\'e, ton copain; qui \'etait-ce?\\
~~~Andr\'e. Mon copain? Oui, il \'etait assez \'epat\'e.\\
~~~Pain. Qui \'etait-ce?\\
~~~Andr\'e. C'\'etait... C'\'etait tout bonnement Sylvette.\\
~~~Pain. Ah! c'\'etait...\\
(Un silence. Andr\'e se penche sur la table.)\\
~~~Andr\'e, (dans un soupir.) Moi, il y a une chose que je me demande avec anxi\'et\'e.\\
(Un silence.)\\
~~~Pain, (se dressant, avec vivacit\'e.) Quelle chose?\\
~~~Andr\'e, (chantonnant.) Je me demande o\`u je vais fourrer ma salle de bain dans ce petit cochon de projet Delcourt.\\
(Un silence. Pain se replonge dans son travail.)\\
~~~Pain. Did donc, Andr\'e?\\
~~~Andr\'e. Oui?\\
~~~Pain. Qu'est-ce qu'elle dit, Sylvette? Qu'est-ce qu'elle dit de tout \c{c}a?\\
~~~Andr\'e. De tout \c{c}a quoi?\\
~~~Pain. Ne fais pas l'imb\'ecile, de ma brouille avec...\\
~~~Andr\'e. Elle en est d\'esol\'ee, parbleu.\\
~~~Pain. Et ses parents, qu'est-ce qu'ils disent? Que dit Jeanne?\\
~~~Andr\'e. Ah! Je n'en sais rien.\\
~~~Pain. Allons donc!\\
~~~Andr\'e. Je n'en sais rien! J'ai vu Sylvette quelques instants. Nous avons eu juste le temps de nous sentir un peu ensemble et de prendre rendez-vous pour aller dimanche matin au mus\'ee du Louvre. (Un silence. La t\^ete dans ses mains.) Elle irait tr\`es bien au rez-de-chauss\'ee, ma salle de bain. Mais ils la veulent au premier. Ils veulent des chambres de cinq sur sept, ils veulent un couloir o\`u l'on puisse passer trois de front sans se toucher et ils ont encore la pr\'etention de se laver.\\
~~~Pain. Tu n'as rien au fond de ton couloir?\\
~~~Andr\'e. Une penderie.\\
~~~Pain. Enl\`eve-la. Mets ta salle de bain au fond du couloir, en travers, en mordant de quarante sur chaque chambre.\\
(Il se l\`eve et va se pencher sur le projet d'Andr\'e.)\\
~~~Andr\'e. Evidemment. C'est enfantin. C'est ce que j'allais s\^urement trouver dans un instant.\\
(Il dessine.)\\
~~~Pain. C'est \c{c}a. Et tu cases deux petites penderies l\`a et l\`a.\\
~~~Andr\'e. Et j'\'eclaire ma salle de bain ici.\\
~~~Pain. Bien s\^ur... (Un peu nerveux.) Mais dis donc, fiston, laisse un peu \c{c}a, veux-tu? J'ai \`a te parler s\'erieusement.\\
~~~Andr\'e, (pivotant vers Pain.) Oui? De quoi? Encore de la brouille? Nous avions pourtant convenu...\\
~~~Pain, (l'interrompant.) Je veux te parler de Sylvette et de toi. Dis-moi, Andr\'e, vous vous entendez toujours bien, tous les deux, en d\'epit de ce qui est arriv\'e?\\
~~~Andr\'e. Comment donc!\\
~~~Pain. C'est l'ami qui te parle en ce moment et tu peux bien tout me dire. Tu as vu Sylvette probablement plusieurs fois depuis mercredi et vous n'avez pas \'et\'e sans commenter les \'ev\'enements. Cela n'a vraiment caus\'e aucun d\'esaccord, aucun petit froid entre vous?\\
~~~Andr\'e. Aucun.\\
~~~Pain. Tant mieux, tant mieux. Je ne craignais que cela. Il est vrai que les jeunes gens d'aujourd'hui...\\
~~~Andr\'e. Ne crois pas \`a de l'indiff\'erence, papa. Sylvette est absolument d\'esol\'ee de cette malheureuse histoire, \`a tous points de vue. Vendredi---je la revoyais pour le premi\`ere fois---elle a pleur\'e.\\
~~~Pain, (\'emu.) Ah?\\
~~~Andr\'e. Elle t'aime beaucoup, tu sais. Elle pleurait en t'injuriant, la pauvre petite.\\
~~~Pain, (se dressant.) Qu'est-ce qu'elle disait?\\
~~~Andr\'e. Oh! des choses gentilles, comme quand elle te donne des coups de poing. Elle disasit: "Quel sale type, moi qui l'aime tant, moi qui ne demande qu'\`a croire tout ce qu'il dit; quel braillard, quel bouledogue!" Enfin tout \c{c}a tr\`es tendre. Moi je me suis surtout appliqu\'e \`a la persuader que cette rupture ne pouvait durer, que tout s'arrangerait t\^ot ou tard.\\
~~~Pain. Et elle le croit?\\
~~~Andr\'e. Elle le croit et elle veut le croire.\\
~~~Pain. Et toi, qu'est-ce que tu en penses?\\
~~~Andr\'e. Dis-donc, ce serait plut\^ot \`a moi de te poser la question. (Pain se d\'etourne. Silence.) Je pense que le pire qui puisse arriver, c'est qu'Henri et toi observiez tacitement vis-\`a-vis l'un de l'autre, apr\`es quelques semaines, une esp\`ece d'affection plein de r\'eserve.\\
~~~Pain. Apr\`es quelques semaines?\\
~~~Andr\'e. Oui, enfin, quand il va s'agir de vous revoir pour marier vos enfants.\\
~~~Pain. Ah! oui...\\
~~~Andr\'e. Il serait navrant que vous vous en teniez l\`a. (Un silence.) D'autre part il est \'evident que ce n'est pas \`a toi de bouger.\\
~~~Pain. N'est-ce pas? Je ne peux \`a aucun prix...\\
~~~Andr\'e. Oh! tu ne peux pas! A moins que... Mais non, tu ne peux pas, tu ne peux pas!\\
~~~Pain. Je ne peux pas, je ne veux pas. (Un silence.) En somme, elle me donne tort, Sylvette? Tort sur toute la ligne?\\
~~~Andr\'e. Non. Plus maintenant. Je t'ai d\'efendu!\\
~~~Pain. Comment m'as-tu d\'efendu?\\
~~~Andr\'e. Parbleu, en d\'eveloppant des torts d'Henri dans cette affaire! Naturellement, avec du tact.\\
~~~Pain. Elle n'a pu convenir des torts de son p\`ere?\\
~~~Andr\'e. Mais si, tr\`es bien, trop bien: elle allait jusqu'\`a remarquer qu'en faisant venir Bourdin-Lacotte son p\`ere savait tr\`es bien ce qu'il faisait, tandis que toi, quand tu \'etais en col\`ere, tu ne savais plus ce que tu disais.\\
~~~Pain. Ah! c'est charmant! elle plaide pour moi l'irresponsabilit\'e!\\
~~~Andr\'e. J'ai mis les choses au point et rappel\'e la pr\'ecision, la gravit\'e et m\^eme la g\'en\'erosit\'e de tes reproches. J'ai protest\'e que la col\`ere ne t'avait pas tellement \'egar\'e, ce qui m'a entra\^in\'e \`a revendiquer pour toi quelques torts.\\
~~~Pain. Tu es bien gentil!\\
~~~Andr\'e. Mais des torts sympathiques. Sylvette s'\'etait assez chiquement plac\'ee au-dessus de la raison d'\'etat, je veux dire de la raison de famille.\\
~~~Pain. Au b\'en\'efice de la raison du coeur.\\
~~~Andr\'e. Je me devais d'en faire autant. Il a \'et\'e entendu que vous aviez tort tous les deux, Henri et toi...\\
~~~Pain. Comment!\\
~~~Andr\'e. Tous les deux, mais pas \'egalement. Et nous vous avons maudits l'un et l'autre comme deux perturbateurs de la joie.\\
~~~Pain, (apr\`es un silence, en arpentant la sc\`ene.) Oui, j'ai des torts. Je n'irai pas bien s\^ur dire une pareille chose \`a ta m\`ere qui ne verrait dans cet aveu qu'une faiblesse. Mais je n'ai pas su me ma\^itriser. J'ai manqu\'e de sang-froid. On ne refait pas sa nature. (S'arr\^etant devant Andr\'e.) Puisque je m\'eprise Bourdin-Lacotte, que devais-je faire? Me comporter comme s'il n'avait pas \'et\'e l\`a. Ne pas le voir, ne pas l'entendre, ne pas lui r\'epondre. Lui couper la parole syst\'ematiquement et avec le sourire. Entretenir abondamment Jeanne et Henri de gens et d'affaires que cet individu ne conna\^it pas.\\
~~~Andr\'e. Voil\`a! C'est exactement ce que je disais \`a maman, ce matin.\\
~~~Pain. Et surtout, surtout, ne pas lui serrer la main! Oh! \c{c}a! Ensuite, lui parti, j'aurais attendu les reproches d'Henri, au lieu de lui en faire. Et nous aurions rigol\'e cinq minutes. Il ne m'en aurait peut-\^etre m\^eme pas fait de reproches, car il est fin, le bougre. Il aurait trouv\'e un moyen de marquer le coup, pour montrer qu'il avait compris et dans l'avenir il se serait prudemment abstenu de recommencer pareil tour. (Un temps.) Que veux-tu, on ne se refait pas.\\
~~~Andr\'e. Tu es trop nerveux, mon cher papa. Et au fond trop courtois, trop charitable.\\
~~~Pain. Tout \c{c}a entre nous, hein?\\
~~~Andr\'e. Bien s\^ur!\\
~~~Pain. Mais ce n'est pas ce que je voulais te dire. Revenons \`a ton mariage. (Un temps.) Mon petit Andr\'e, Sylvette est riche. Elle sera dot\'ee non seulement par ses parents, mais aussi par sa grand'm\`ere.\\
~~~Andr\'e. J'attendais cela!\\
~~~Pain. Je sais bien qu'il s'agit pour toi d'un mariage d'inclination; vous vous \^etes connues et aim\'es presque enfants, Sylvette et toi, et tu l'\'epouserais aussi bien si elle n'avait pas un sou.\\
~~~Andr\'e. Evidemment.\\
~~~Pain. Eh bien, \'etant donn\'ees toutes les obligations que nous avons d\'ej\`a contract\'ees envers Henri; \'etant donn\'e que notre situation \`a nous, architectes, p\`ere et fils, s'est r\'etablie \`a peu pr\`es gr\^ace \`a l'appui mat\'eriel des Dumas; \'etant donn\'e surtout ce qu'Henri m'a mis dans la regrettable obligation de lui dire, je veux te demander express\'ement deux choses, Andr\'e: \textit{primo}, de ne pas te marier avant d'exercer ton m\'etier \`a ton compte, en dehors de moi, f\^ut-ce dans les conditions les plus modestes.\\
~~~Andr\'e, (avec un peu d'impatience.) Mais c'est entendu!\\
~~~Pain. Ton beau-p\`ere d'ailleurs te fera travailler. \textit{Secundo}, tu mettrais le comble \`a mes voeux, Andr\'e, en refusant de g\'erer toi-m\^eme ou d'utiliser en rien la dot de Sylvette. Et m\^eme en la refusant, cette dot, l\`a!\\
~~~Andr\'e. Ici, je ne te suis plus, papa. Et crois que j'ai bien examin\'e la question.\\
~~~Pain. C'est le seul moyen de conserver ton ind\'ependance et ta dignit\'e.\\
~~~Andr\'e. Je crois exactement le contraire.\\
~~~Pain. Mon gar\c{c}on, la m\`ere Dumas trouve d\'ej\`a que tu mets trop cher \`a tes cravates!\\
~~~Andr\'e. Maman avait bien besoin de te raconter \c{c}a! Mais non, papa! La m\`ere Dumas trouve que le prix des cravates a terriblement augment\'e depuis sa premi\`ere communion; ce n'est pas la m\^eme chose! Elle s'indigne aussi bien du prix des oeufs ou des autobus. Elle en est rest\'ee au franc or. Quant \`a toi, mon p\`ere, c'est effrayant ce que tues rest\'e "roman d'un jeune homme pauvre"!\\
~~~Pain, (protestant.) Je suis rest\'e...\\
~~~Andr\'e, (l'interrompant.) Bien s\^ur, que j'aurais pris Sylvette sans un sou. Mais si elle en a, des sous, eh bien tant mieux! Je suis peut-\^etre capable de m'enlever \`a la force des jarrets mais si l'on me propose un tremplin, je serais vraiment stupide, coupable m\^eme, de le repousser du pied. Vais-je aussi, moi, d\'eclarer \`a Sylvette que son argent me d\'ego\^ute?\\
~~~Pain. Il ne s'agit pas de cela, mais...\\
~~~Andr\'e. Tu pr\'etends m\'epriser l'argent, papa, et tu lui donnes une importance, une importance! Tu en es obs\'ed\'e! A tout prendre, il vaut mieux l'avoir \`a son service que d'\^etre au sien.\\
~~~Pain. Oh! c'est un serviteur qui prend un terrible empire sur son ma\^itre! Quant \`a la dot de Sylvette...\\
~~~Andr\'e, (l'interrompant.) Quant \`a la dot de Sylvette, comment feindrais-je des pr\'ejug\'es que je n'ai pas, que je n'ai plus?\\
~~~Pain. Des pr\'ejug\'es!\\
~~~Andr\'e. Si je manque de cigarettes, je fume les tiennes.---Tiens, donne m'en une. Merci. A charge de revanche!---Je ne vais pas en faire un cas de conscience et tu ne me vois pas te les rendant scrupuleusement avec un int\'er\^et calcul\'e \`a raison de cinq cigarettes pour cent!\\
~~~Pain. Tu sais tr\`es bien que les billets de mille ne sont pas des cigarettes.\\
~~~Andr\'e. \c{C}a ne fait gu\`ere plus long feu.\\
~~~Pain. Ah! tu m'inqui\`etes! (Un temps.) D'ailleurs, soit dit sans te le reprocher, tu fumes mes cigarettes, mais je ne fume pas souvent les tiennes, tu n'en as jamais.\\
~~~Andr\'e, (riant.) Tu vois comme tu es mesquin! Attends un peu, bon Dieu! J'ai vingt-six ans et un brillant avenir devant moi! tu fumeras mes cigares! Et quant aux billets de mille de Sylvette, est-ce que je ne les \'equilibre pas avec cette valeur que je repr\'esente, moi, architecte dipl\^ome, jeune, travailleur et de plus ton \'el\`eve, \^o Gabriel Pain.\\
\\
mesquin~~~けちな、狭量な\\
\\
~~~Pain. Valeur purement hypoth\'etique, mon gar\c{c}on!\\
(Sonnerie de t\'el\'ephone.)\\
~~~Andr\'e, (allant au t\'el\'ephone, avant de saisir l'appareil.) Valeur dont je n'ai pas le droit de douter! Je consid\`ere que si je refusais (sonnerie) la dot de Sylvette, ce serait t\'emoigner que je n'ai aucune confiance en moi-m\^eme. (Sonnerie.) All\^o! Oui. (Un temps.) Non, c'est son fils. (Un temps.) Ah! c'est vous Jeanne! (Pain tressaille et s'agite.) Oui, il est l\`a, je vais l'appeler. (A Pain.) Viens, c'est Jeanne qui te demande.\\
~~~Pain, (h\'esitant et troubl\'e.) Jeanne? Qu'est-ce qu'elle veut?\\
~~~Andr\'e, (le poussant.) Mais vas-y donc!\\
~~~Pain, (t\'el\'ephonant.) All\^o!... Oui, bonjour, Jeanne. (Un temps.) Bien entendu, voyons. (Un temps.) Vous \^etes hors de cause. (Un temps.) Mais si! (Un temps.) Mais non! (Un temps.) Quand \c{c}a? (Un temps.) Bon, bon, je vous attends. (Un temps.) Non, il va sortir. (Un temps.) Non, non. Entendu. Eh bien, je vous attends. (Un temps.) Montez par l'escalier des dessinateurs, c'est plus court. C'est \c{c}a! Au revoir! (Il raccroche. A Andr\'e.) Elle veut me voir. Pour me faire des reproches, dit-elle; mais elle ajoute qu'elle ne peut rester plus lontemps sous l'impression de notre d\'epart de mercredi. Elle va venir tout de suite: elle est \`a deux pas d'ici. Elle t\'el\'ephone du bureau de poste.\\
~~~Andr\'e. Tant mieux, tant mieux!\\
~~~Pain, (arpentant la sc\`ene et s'agitant.) Je viens d'emp\^echer ta m\`ere d'aller la voir. Comme j'ai eu raison!... Dis, mon petit, avant qu'elle n'entre ici, tu fileras, veux-tu? Va te promener.\\
~~~Andr\'e. Entendu! (Un temps.) C'est peut-\^etre Sylvette qui lui a sugg\'er\'e de venir?\\
~~~Pain. Non. Je connais Jeanne. C'est une femme qui agit selon sa propre impulsion.\\
~~~Andr\'e. D'accord avec Henri.\\
~~~Pain. Je n'en sais rien. C'est vraisemblable. Tu sais, Henri doit tout de m\^eme se sentir un peu morveux. (Un temps.) Maintenant, il y a le casino. Il est possible qu'il veuille savoir si mon refus est bien d\'efinitif. Il ne peut croire que je renonce d\'elib\'er\'ement \`a une telle affaire. Il envoie Jeanne pour me tenter. Me tendre la perche! Il a besoin d'\^etre fix\'e.\\
~~~Andr\'e, (prudemment.) Et... en aucun cas tu ne reviendras sur ton refus?\\
~~~Pain, (brusquement irrit\'e.) Comment peux-tu me poser un pareille question? Comment peux-tu m\^eme concevoir qu'apr\`es ce que j'ai dit et entendu mercredi, je puisse, d\'ecemment...\\
~~~Andr\'e, (l'interrompant.) C'est bon, papa, c'est bon, je n'ai rien dit.\\
~~~Pain. Suis-je un pantin, un hurluberlu, et vais-je accourir au moindre signe apr\`es que l'on m'a renvoy\'e \`a mes cabanes \`a lapins? (Un silence.) Si Jeanne veut m'entreprendre sur l'affaire du casino, je me contiendrai. Je la prierai avec douceur et fermet\'e de ne pas revenir l\`a-dessus! Si nous devons envisager une r\'econciliation, il faut que ce soit strictement sur le plan de l'affection. J'ai \'et\'e violent, j'en conviens. Mais j'ai dit honn\^etement ce que je pensais et je continuerai de penser comme j'ai dit. Je maintiendra...\\
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pantin~~~操り人形\\
hurluberlu~~~そそっかしい人\\
cabanes~~~小屋\\
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(On entend une sonnerie vers la droite.)\\
~~~Andr\'e, (interropmpant son p\`ere.) On sonne! La voil\`a.\\
~~~Pain. Oui. Ce doit \^etre elle. Va, mon petit, va. Nous allons s\^urement parler de toi et de Sylvette.\\
~~~Andr\'e, (prenant son chapeau.) J'y compte bien. (Apr\`es un instant d'h\'esitation.) Ah! dis donc, papa...\\
~~~Pain. Quoi? Dis vite!\\
~~~Andr\'e. Si tu parles \`a Jeanne de la dot de Sylvette...\\
(Un jeune dessinateur, en blouse d'architecte, entre \`a droite apr\`es avoir frapp\'e.)\\
~~~Pain, (au dessinateur.) C'est madame Dumas?\\
~~~Le Dessinateur. Oui, monsieur.\\
~~~Pain. Je lui demande une seconde.\\
(Le dessinateur sort.)\\
~~~Andr\'e. Oui, si tu agites avec Jeanne la question dot, ne sois pas surpris si, par hasard, elle te r\'e\`ete \`a peu pr\`es ce que je viens de te dire. Je suis tout de m\^eme le fils de mon p\`ere: j'ai autant de scrupules que lui, et il y a d\'ej\`a quelques mois que j'ai eu l'id\'ee saugrenue d'engager avec Jeanne un d\'ebat sur la fortune de sa fille.\\
~~~Pain. Toi?\\
~~~Andr\'e. Et les arguments que je t'ai servis tout \`a l'heure, eh bien, ce sont \`a peu pr\`es ceux de Jeanne, \`a commencer par le plus mauvais d'entre eux: les cigarettes. Oui, mon vieux! Au revoir.\\
~~~Pain, (Il fait avec lui quelques pas en le bourrant de coups de poings affectueux.) Ah! cachotier! mystificateur! (Il lui serre les mains en lui souriant.) Mauvais gar\c{c}on! Sauve-toi!\\
(Andr\'e sort en riant, par la porte de gauche. Pain s'empresse vers celle de droite, sort un instant, et revient avec Jeanne devant laquelle il s'efface.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Pain, Jeanne.)\\
~~~Pain. Nous serons plus tranquilles ici.\\
(Il s'empresse d'aller prendre une chaise \`a droite, au premier plan, et la d\'epose pr\`es de sa table \`a dessin. Lui-m\^eme, au cours de cette sc\`ene, se tiendra tour \`a tour accoud\'e \`a la table, assis sur le tabouret ou camp\'e devant Jeanne.)\\
~~~Tenez, asseyez-vous, Jeanne. Ne trouvez-vous pas qu'il fait un peu chaud ici?\\
~~~Jeanne, (s'asseyant.) Oui... (Pain l'aide \`a \^oter sa fourrure.)\\
~~~Pain. Vous prendrez bien un peu de Porto?\\
~~~Jeanne. Non, merci, Gabriel.\\
~~~Pain, (allant vers le bureau.) Une cigarette, alors? J'ai de celles que vous aimez.\\
~~~Jeanne. Non, merci. Plus tard. (Pain revient aupr\`es d'elle.) Ah! mon ami! En me retrouvant ici et surtout en vous retrouvant, vous, tel que vous me plaisez, gentil, empress\'e, normal, enfin, je n'arrive pas \`a imaginer le Gabriel de mercredi et j'ai l'impression d'avoir fait un mauvais r\^eve. (Un temps.) Alors Andr\'e vient de sortir?\\
~~~Pain. A l'instant.\\
~~~Jeanne. Je sais qu'Elisabeth va voir sa m\`ere tous les lundis, c'est pourquoi j'ai pens\'e venir aujourd'hui. Je pr\'ef\'erais vous trouver seul.\\
~~~Pain. Henri sait que vous \^etes ici?\\
~~~Jeanne. Non. Je le lui dirai ce soir. Je ne suis pas comme vous, Gabriel: quand je veux faire des reproches \`a quelqu'un, je m'arrange pour que ce soit sans t\'emoin et \`a l'insu de tous.\\
~~~Pain. J'avoue n'avoir pas une telle ma\^itrise de moi-m\^eme, Jeanne. Mais il arrive, pourtant, que je puisse me contenir. Je l'ai fait par exemple chez vous, en pr\'esence de M. Bourdin-Lacotte. J'ai attendu pour ouvrir la bouche que cette esp\`ece de d\'eput\'e soit parti.\\
~~~Jeanne. Oui! Mais vous n'avez fait aucun effort pour vous contenir devant nous tous et voil\`a ce que je n'admets pas!\\
~~~Pain. Nous nous sommes disput\'es bien souvent, Henri et moi, devant vous tous!\\
~~~Jeanne. Jamais comme cette fois. Il n'y a pas de familiarit\'e qui autorise un certain manque d'\'egards.\\
~~~Pain, (avec humeur.) Si quelqu'un peut se plaindre d'un manque d'\'egards...\\
~~~Jeanne. Ecoutez-moi, je vous prie: ce que vous avez dit \`a Henri \'etait offensant. Et vous sentiez bien que ce l'\'etait d'autant plus que vous le lui disiez devant sa fille, sa m\`ere, sa femme. Mais ce l'\'etait pour elles aussi. Ce l'\'etait pour moi particuli\`erement, Gabriel.\\
~~~Pain, (interdit.) Pour vous?\\
~~~Jeanne. Pour moi. Je l'ai cruellement \'eprouv\'e. C'est cela que j'avais besoin de vous dire. Que vos violences de langage aient eu ou non quelque fondement, que vous ayez \'et\'e plus ou moins injuste, je mets cela pour le moment hors de question...\\
~~~Pain, (l'interrompant.) Henri...\\
~~~Jeanne, (de m\^eme.) Ne parlons pas encore d'Henri. C'est personnellement que je me plais de vous, mon ami. Vous m'avez d\'e\c{c}ue et pein\'ee...\\
~~~Pain. Jeanne, si j'ai pu...\\
~~~Jeanne, (avec \'emotion.) Pas un instant vous n'avez eu le souci de me m\'enager, moi, la ma\^itresse de maison, moi qui avais fait asseoir \`a ma droite ce "voyou", ce "farban", moi, votre h\^otesse et votre amie; votre plus ancienne amie... Je croyais pourtant...\\
~~~Pain, (lui prenant les mains.) Jeanne!\\
~~~Jeanne, (se d\'egageant doucement.) Tout ce que vous avez dit semblait fait pour m'humilier, m'humilier dans mon mari.\\
~~~Pain. Ah! j'\'etais \`a cent lieues de penser \`a vous!\\
~~~Jeanne, (indign\'ee.) Voil\`a! Vous dites cela comme si vous le trouviez tout nature! Que vous n'ayez pas pens\'e \`a moi, c'est justement ce que je ne vous pardonne pas!\\
~~~Pain. Ma petite Jeanne, entendez-moi! J'\'etais en col\`ere, j'\'etais d\'echa\^in\'e. Henri me provoquait, m'excitait. Oui, j'\'etais trop loin de penser \`a vous. Pardonnez-moi! J'aurais d\^u...\\
~~~Jeanne. Pourtant vos premi\`eres paroles ont \'et\'e pour me rudoyer personnellement.\\
\\
rudoyer~~~手荒く扱う、邪険にする\\
\\
~~~Pain. Allons donc!\\
~~~Jeanne. Si, si! Quand j'ai dit que Bourdin-Locotte jouait le synisme, vous avez rugi (Elle l'imite.) "Vous appelez \c{c}a jouer?"\\
~~~Pain. Etes-vous donc tellement sensible \`a la moindre brusquerie?\\
~~~Jeanne. De votre part, oui. (Un temps.) C'\'etait la premi\`ere fois.\\
~~~Pain. Vrai? (Un temps.) Oui, c'est bien possible. Cela me touche beaucoup, Jeanne, que vous ayez fait cette remarque.\\
~~~Jeanne. C'est peut-\^etre la premi\`ere fois aussi que vous m'avez d\'eplu, que vos d\'efauts m'ont \'et\'e p\'enibles, m'ont sembl\'e laids.\\
~~~Pain, (enjou\'e.) Ils vous plaisaient, avant, mes d\'efauts?\\
~~~Jeanne, (apr\`es r\'eflexion.) Ils m'attendrissaient. Il me paraissaient ins\'eparables de ce qu'il y a de plus g\'en\'ereux dans votre nature.\\
~~~Pain. Je croyais que vous \'etiez venue pour me dire des choses d\'esagr\'eables.\\
~~~Jeanne. Oui!\\
~~~Pain. Eh bien, on ne le dirait pas!\\
~~~Jeanne, (mi-enjou\'ee.) Comment! Je vous dis que je ne vous aime plus.\\
~~~Pain. Vous \'evoquez surtout quelque chose... Quelque chose de bon dont nous n'avons jamais eu le courage de parler, tous les deux.\\
~~~Jeanne, (sans le regarder.) Quoi?\\
~~~Pain. Notre amiti\'e. La qualit\'e particuli\`ere de notre amiti\'e \`a nous deux.\\
~~~Jeanne. Taisez-vous. Je ne vous en parlerais pas si je n'avais \`a protester en son nom et je vous en veux de m'avoir forc\'ee d'y faire allusion, si discr\`etement que ce soit.\\
~~~Je n'estime pas, moi, que nous ayons manqu\'e de courage. Il y a des sentiments tellement complexes, tellement subtils qu'on risque de les profaner ou de les d\'enaturer en les d\'enon\c{c}ant.\\
~~~Pain. Il y a tout de m\^eme une petite l\^achet\'e \`a les taire tout \`a fait.\\
~~~Jeanne. Mais non, monsieur. Ils savent bien t\'emoigner tout seuls de leur existence. Il vaut mieux les taire que de leur manquer, comme vous l'avez fait mercredi.\\
~~~Pain. M\'echante! Au fond vous savez tr\`es bien que je leur ai manqu\'e en d\'epit de moi-m\^eme. Vous n'\'etiez pas en cause!\\
~~~Jeanne. Je l'\'etais plus que vous ne le croyez.\\
~~~Pain. Vous connaissez bien non seulement mon affection profonde pour vous, mais encore mon admiration, Jeanne; cette admiration respectueuse et tendre dans laquelle, en cherchant bien, on trouverait naturellement des traces...\\
~~~Jeanne, (l'interrompant.) Je sais. Taisez-vous!\\
~~~Pain, (poursuivant.) Des traces que vingt ann\'ees n'ont pu...\\
~~~Jeanne, (l'arr\^etant, \'emue.) Ah! pourquoi le dire!\\
~~~Pain, (\`a mi-voix.) C'est vous qui m'avez provoqu\'e, Jeanne! (S'\'ecartant d'elle sur un ton volontairement d\'egag\'e.) Et puis quoi? Est-ce l\`a une v\'erit\'e dont nous puissions avoir peur? Dites? Vous \^etes Jeanne Dumas, Jeanne la sage, Jeanne la bonne, Jeanne la droite.\\
~~~Jeanne. C'est tout?\\
~~~Pain. Oh! non, mais c'est assez pour une personne qui ne m'aime plus.\\
~~~Jeanne, (lui pressant la main.) Gabriel! Le moyen, maintenant, de vous dire de dures v\'erit\'e?\\
~~~Pain. Vous n'avez donc pas fini, Jeanne la juste?\\
~~~Jeanne. Je ne faisais que commencer. Mais je ne sais plus o\`u j'en suis.\\
~~~Pain. Il est tout de m\^eme impossible que vous ne compreniez pas ma fureur de mercredi. Henri m'a offens\'e aussi.\\
~~~Jeanne. Oui.\\
~~~Pain. Et si d'abord il n'avait pas introduit par surprise ce Bourdin-Lacotte dans une r\'eunion de famille...\\
~~~Jeanne, (l'interrompant.) Henri a eu tort \`a divers \'egards, je le lui ai dit.\\
~~~Pain. Il en convient?\\
~~~Jeanne, (apr\`es une h\'esitation.) Je ne vous r\'epondrai pas. Il n'appartiendrait qu'\`a Henri de le faire. Moi je ne peux convenir que de mes propres torts, dans cette malheureuse affaire; car j'en ai aussi.\\
~~~Pain, (surpris.) Contre moi?\\
~~~Jeanne. Contre Henri et... oui, contre vous aussi.\\
~~~Pain. Par exemple! Je serais bien curieux de les conna\^itre. Dites-les bien vite!\\
~~~Jeanne. Donnez-moi maintenant une de ces cigarette. (Pain s'empresse, lui offre une cigarette et la lui allume.) Merci. Oh! qu'elles sont bonnes. D'o\`u \c{c}a vient?\\
~~~Pain. Du Caire.\\
~~~Jeanne. Gabriel, il est \'evident qu'Henri, outre qu'il est naturellement autoritaire, affecte trop souvent de vous prendre en tutelle.\\
\\
tutelle~~~保護\\
\\
~~~Pain. Ah! certes!\\
~~~Jeanne. Il exerce un peu ostensiblement \`a votre intention un sens pratique, un sens des affaires qui vous fait \`a peu pr\`es d\'efaut.\\
~~~Pain, (protestant.) Qui me fait d\'efaut!\\
~~~Jeanne. Mais oui, \`a chacun ses qualit\'e! Vous \^etes un po\`ete, vous. Je continue. Vous avez souffert dans votre amour-propre de ce qu'a pu faire Henri pour vous \`a cause de la fa\c{c}on dont il l'a fait. Ou plut\^ot... Je dis tout, hein?\\
~~~Pain. Allez-y.\\
~~~Jeanne. J'ai l'impression qu'Elisabeth en a souffert pour vous plus que vous-m\^eme. Je la comprends. Les femmes sont surtout sensibles aux manifestation ext\'erieures. Vous, au fond, vous savez tr\`es bien qu'Henri vous aime et vous estime par-dessus tout. (Un silence.) Eh bien, Gabriel, cet empressement un peu indiscret d'Henri, cet \'etalage de sa force, cette main-mise sur vous qu'Elisabeth a pu croire int\'eress\'ee, j'en suis un peu responsable, moi!\\
~~~Pain. Comment cela?\\
~~~Jeanne. J'ai rendu Henri jaloux de vous, Gabriel. Jaloux d'une certaine sup\'eriorit\'e qu'il m'est arriv\'e bien maladroitement de vous reconna\^itre sur lui.\\
~~~Pain. Quelle sup\'eriorit\'e, mon Dieu?\\
~~~Jeanne. Mais, malheureux, pr\'ecis\'ement celle dont vous vous \^etes vant\'e mercredi! Vous avez dit \`a Henri qu'il n'avait pas un m\'etier, qu'il ne cr\'eait pas. Rien ne pouvait l'atteindre plus cruellement. Vous le lui avez dit devant moi, qui avais eu d\'ej\`a le malheur de penser cela tout haut, une fois! Henri sait que j'admire en vous l'artiste, le b\^atisseur, comme d'ailleurs il l'admire lui-m\^eme. Et il vous envie, Gabriel.\\
~~~Pain. Non?\\
~~~Jeanne. Mais si! Henri n'est pas moins orgueilleux que vous; il voudrait vous \'egaler, vous dominer de quelque mani\`ere. Lorsqu'il peut vous \^etre indispensable il en est doublement fier, il s'en flatte aupr\`es de moi, il vous le fait sentir inconsciemment. Voil\`a sa faiblesse \`a lui. Je vous assure qu'on peut l'aimer autant que la v\^otre et qu'elle n'a rien d'humiliant pour vous, au contraire!\\
~~~Pain. Ce que vous me dites l\`a me confond! Voyons, Jeanne, il est impossible qu'\`a une foule d'\'egards Henri ne se juge pas tr\`es sup\'erieur \`a moi! Il l'est! Il a des dons merveilleux, dangereux, m\^eme.\\
~~~Jeanne. Ce qu'on poss\`ede est sans valeur \`a c\^ot\'e de ce qui vous manque.\\
~~~Pain. Si je lui ai dit qu'il n'avait pas de m\'etier, c'est parce que je le croyais trop persuad\'e du contraire. C'est qu'il me paraissait de plus en plus p\'en\'etr\'e de son importance!\\
~~~Jeanne. Il n'est que persuad\'e de sa force. Vous ne savez pas \`a quel point vous avez manqu\'e de g\'en\'erosit\'e en lui disant cela. Vous vivez avec lui depuis vingt ans et vous en le connaissez pas.\\
~~~Pain. Je le connaissais; mais il a chang\'e.\\
~~~Jeanne. Le fond ne change pas, ne peut changer! Quand je pense que vous avez pu consid\'erer Henri comme un vulgaire cr\'eancier soucieux de sa cr\'eance!\\
~~~Pain. Soucieux, non. J'ai pu croire seulement qu'il se sentait fort de sa cr\'eance et qu'il s'en autorisait pour...\\
~~~Jeanne, (l'interrompant.) Il s'autorise avant tout de votre amiti\'e, voyons, de votre confiance!\\
~~~Pain. N'emp\^eche que madame Dumas a d\'eclar\'e l'autre jour...\\
~~~Jeanne, (l'interrompant.) Ma pauvre belle-m\`ere! Comme si vous aviez l'habitude de faire \'etat de ce qu'elle dit! Et de votre c\^ot\'e, que vous puissiez souffrir de nous devoir quelques billets, que cette mis\'erable dette puisse vous peser, Gabriel, quelle tristesse!\\
~~~Pain, (avec une sourde irritation.) Ce n'est pas \`a moi qu'elle p\`ese.\\
~~~Jeanne. C'est \`a Elisabeth surtout, je sais. Mais \`a vous aussi! Et vous vous \^etes empar\'e de cette odieuse question d'argent avec une esp\`ece de fr\'en\'esie, comme si...\\
~~~Pain, (l'interrompant.) Dumas y a fait allusion avant moi.\\
~~~Jeanne. Non!\\
~~~Pain. Si!\\
~~~Jeanne. Ou dans un esprit tout diff\'erent du v\^otre. Entre des amis comme nous, est-ce que l'argent devrait compter? N'auriez-vous pas, vous, Gabriel, pr\^et\'e cette somme \`a Henri si le hasard l'avait mis \`a votre place et vous \`a la sienne?\\
~~~Pain. Parbleu!\\
~~~Jeanne. Voulez-vous que je vous dise, Gabriel? Eh bien, vous avez beau proclamer en toute occasion votre m\'epris de l'argent, vous lui donnez une importance ridicule!\\
~~~Pain, (souriant, pensant \`a son fils.) Ah! Oui, je sais!\\
~~~Jeanne. Pouquoi riez-vous? C'est tr\`es vrai ce que je vous dis l\`a. Vous avez d'ailleurs cette mesquine fiert\'e si r\'epandue en France et qui vous porte \`a rendre toujours l'\'equivalent de ce qu'on a pu vous offrir.\\
~~~Pain. Vous exag\'erez.\\
~~~Jeanne. Vous \^etes de ces gens qui, ayant \'et\'e invit\'es \`a d\^iner, ne peuvent dormir tranquilles tant qu'ils n'ont pas "rendu" ce repas \`a leures h\^otes, avec exactement le m\^eme nombre de plats et la m\^eme qualit\'e de vins. Une semblable comptabilit\'e est ridicule. Entre deux amis, elle devient offensante. Chacun doit tout naturellement disposer de l'autre et de ses biens. Quand Henri n'a pas de cigarettes, est-ce qu'il se fait un scrupule...\\
~~~Pain, (regardant Jeanne avec un sourire attendri.) De fumer les miennes. Et moi je fume ses cigares.\\
~~~Jeanne. Voil\`a!\\
~~~Pain. Ma ch\`ere petite Jeanne, je pourrais vous faire des objections s\'ev\`eres.\\
~~~Jeanne. Non.\\
~~~Pain. Je ne le ferai pas. Il me semble que ce serait sacril\`ege. Et puis au fond vous avez raison. Je vous demanderai seulement d'emporter tout \`a l'heure cette bo\^ite de cigarettes. Vous les aimez et ne les trouverez dans aucun bureau de tabac. C'est de la contrebande.\\
~~~Jeanne, (\`a mi-voix, s\'eductrice.) Apportez-les-moi, en venant faire la paix avec Henri!\\
~~~Pain, (brusquement raidi.) Non!\\
~~~Jeanne. Apr\`es tout ce que je vous ai dit! (Un silence.) Vous devez bien penser qu'Henri est tr\`es malheureux de cette rupture.\\
~~~Pain. Moi aussi. (Un temps.) Jeanne, je n'irai pas chez vous avant d'y \^etre invit\'e par Henri lui-m\^eme, et de recevoir l'assurance que je n'y rencontrerai plus de Bourdin-Lacotte.\\
~~~Jeanne. Que vous \^etes b\^ete! Alors vous, un homme plein de vie et de curiosit\'e, vous ne trouvez pas que Bourdin-Lacotte, c'est au moins un spectacle?\\
~~~Pain. Pardon! Henri ne me l'a pas propos\'e comme un spectacle!\\
~~~Jeanne. Vous \'etiez libre de le consid\'erer comme tel! Aussi bien, il est plus que probable qu'il ne mettra plus les pieds \`a la masion, ce monsieur.\\
~~~Pain. Je vous le souhaite.\\
~~~Jeanne. Henri \'etait oblig\'e de s'assurer de lui pour l'affaire de Sainte-Fanny-les-Bains, voil\`a tout!\\
~~~Pain, (scandalis\'e.) Voil\`a tout!\\
~~~Jeanne. Mon ami, si vous voulez refuser toute collaboration avec des hommes qui ne soient pas la puret\'e m\^eme, renoncez \`a rien entreprendre et retirez-vous au d\'esert.\\
~~~Pain. Jeanne! Je ne veux absolument pas d\'ebattre avec vous cette question; pas aujourd'hui! Je renocne \`a vous d\'eplaire, comme je renonce \`a l'affaire de Sainte-Fanny-les-Bains, purement et simplement.\\
~~~Jeanne. Mais Gabriel, que vous ayez mis Henri dans l'impossiblit\'e de compter sur vous, pour le casino de Sante-Fanny, que vous ayez affich\'e ce d\'edain, montr\'e tant d'incons\'equence, voil\`a bien ce qui me peine et me d\'epla\^it surtout. Henri ne m\'eritait tout de m\^eme pas de votre part un tel d\'esavoeu, un tel affront. Je ne parle pas de ce que vous sacrifiez d\'elib\'er\'ement \`a... \`a vos r\'epulsions.\\
~~~Pain, (\'enerv\'e, arpentant la sc\`ene.) Non, ma petite Jeanne. Laissons cela. (Un silence.) Henri cherche un architecte?\\
~~~Jeanne, (tristement.) Mais il l'a trouv\'e! Tout de suite! Vous comprenez qu'apr\`es ce que vous lui avez dit! \c{C}a n'a pas tra\^in\'e!\\
~~~Pain. Tant mieux! (Un silence.) Comme \c{c}a, Jeanne, une r\'econciliation sera plus facile, car elle se fera uniquement sur le plan de l'affection.\\
~~~Jeanne, (soupirant.) Comme c'est simple! (Un silence.) Alors, venez m'apporter vos cigarettes?\\
~~~Pain. Non, Jeanne.\\
~~~Jeanne. Vous ne voulez pas qu'il soit dit que vous aurez fait le premier pas?\\
~~~Pain, (faiblement.) Ce n'est pas cela.\\
~~~Jeanne. Si c'est cela! Soyez franc. Interrogez-vous. C'est cela, vilain orgueilleux!\\
~~~Pain. Mon amie, ne savez-vous pas que je mettrais pr\'ecis\'ement mon orgueil \`a faire le premier pas si...\\
~~~Jeanne. Si quoi?\\
~~~Pain. Comprenez donc, si j'\'etais seul!\\
~~~Jeanne. Ah! oui. Je n'y pensais plus.\\
~~~Pain. Vous la connaissez, ma pauvre Elisabeth. Ou elle me jugerait un homme faible et un capitulard, ou, ce qui serait pire, elle appr\'ecierait ma sagesse d'un point de vue trop pratique et une pareille m\'eprise me...\\
~~~Jeanne, (l'arr\^etant.) Taisez-vous! Je sais; vous avez raison. Il ne faut pas. Attendons. J'emporterai donc les cigarettes, certaine qu'au fond vous auriez \'et\'e heureux de me les apporter. Dites? (Pain fait un geste vague.) Oui. (Un silence.) Il est temps que je parte, maintenant; Elisabeth va rentrer. Il me semble que j'avais tant \`a vous dire encore. Les enfants...\\
~~~Pain, (ailleurs.) Comme c'est curieux, Jeanne!\\
~~~Jeanne. Quoi?\\
~~~Pain. Il y a des ann\'ees que nous n'avons parl\'e ensemble aussi librement qu'aujourd'hui, avec autant de confiance, d'abandon; et il faut que ce soit \`a la faveur de cette querelle avec Henri.\\
~~~Jeanne. Oui... Mais ce pourrait \^etre aussi bien \`a la faveur d'un autre \'ev\'enement, heureux ou malheureux, qui nous toucherait au point de nous faire un peu sortir de nous-m\^emes.\\
~~~Pain. Sans doute; \`a la condition, toutefois, que nous nous trouvions seuls ensemble, tels que nous voici pr\'esentement, ce qui ne nous est pas arriv\'e depuis...\\
~~~Jeanne, (l'interrompant, vivement.) Depuis fort longtemps, oui... C'est m\^eme \'etonnant.\\
(Un silence.)\\
~~~Pain. Jeanne, il m'arrive souvent de penser que nous avons, pour chacun des \^etres que nous aimons, une fa\c{c}on diff\'erente d'aimer, de faire la confidence de nous-m\^emes. C'est comme si, d'instinct, nous prenions pour lui parler une voix et des mots qui ne s'accordent qu'avec les siens... En famille, en soci\'et\'e, nous ne livrons de nous que le peu qui convient \`a tous \`a la fois et qui n'est proprement \`a personne.\\
~~~Jeanne. Oui...\\
~~~Pain. C'est pourquoi l'on ne go\^ute bien ses amis que s\'epar\'ement et pourquoi l'on peut se prodiguer \`a chacun d'eux sans l\'eser aucun des autres.\\
~~~Jeanne. C'est vrai.\\
~~~Pain. C'est ainsi pourquoi des \^etres comme vous et moi qui nous voyons beaucoup, mais jamais seul, peuvent \'eprouver, en d\'epit de leur vieille affection et d'une apparente intimit\'e, je ne sais quelle sensation d'\'eloignement, de s\'eparation.\\
~~~Jeanne, (frapp\'ee.) Oui... oui... quelquefois...\\
~~~Pain. Parce que vous \^etes venue aujourd'hui, Jeanne, je crois que je n'\'epouverai plus cela de longtemps. Mais il m'a sembl\'e parfois que nous renoncions tacitement, l'un et l'autre, \`a cette parcelle de notre domaine int\'erieur qui est malgr\'e tout notre bien commun...\\
~~~Jeanne, (l'interrompant, sur un ton de protestation.) Mais non!\\
~~~Pain, (poursuivant.) ... Notre bien indivis et inali\'enable, pour parler comme un notaire.\\
~~~Jeanne. Mais non, Gabriel! Il me semble au contraire que ce qui est tacite entre nous, c'est... c'est une fid\'elit\'e \`a certains souvenirs, c'est une profonde estime r\'eciproque, une tendresse de vieux copains... Et puis d'abord, pour ce qui me concerne, ce n'est pas tellement tacite! Tous ceux qui nous entourent, et Henri le premier, vous diront que je vous aime beaucoup. Je ne me prive pas de le montrer ni de le dire et de le dire \`a vous-m\^eme!\\
~~~Pain. Peuh! vous me le dites devant tout le monde. \c{C}a ne compte pas! Je viens de vous expliquer pourquoi. (Enjou\'e.) Je pr\'ef\`ere cent fois vous entendre dire \`a moi tout seul que vous ne m'aimez plus.\\
~~~Jeanne, (touch\'ee.) Monstre!\\
~~~Pain. Il faudra que je me dispute ainsi tous les deux ou trois ans avec Henri, quitte \`a vous d\'eplaire un petit peu, pour que vous veniez me dire, comme vous l'avez fait aujourd'hui, que vous ne m'aimez plus.\\
~~~Jeanne, (enjou\'ee.) Oh! je ne le vous dirai pas deux fois! Et d'abord ne croyez pas que vous ne m'avez d\'eplu qu'un petit peu! Vous m'avez d\'eplu \'enorm\'ement! Il y a une chose qui me d\'esole, qui me r\'evolte et qui est irr\'eparable, quoi qu'il arrive.\\
~~~Pain. C'est?\\
~~~Jeanne. Que vous ne fassiez pas le casino de Sainte-Fanny.\\
~~~Pain, (insouciant avec affectation.) Ah! oui. Ce n'est pas tellement grave.\\
~~~Jeanne. C'est absurde. (Un silence.) Enfin!\\
(Elle se l\`eve.)\\
~~~Pain. Quel architecte Henri a-t-il trouv\'e?\\
~~~Jeanne, (apr\`es une h\'esitation.) Laruelle.\\
~~~Pain, (fron\c{c}ant les souircils.) Laruelle? Paulin Laruelle?\\
~~~Jeanne. Oui.\\
~~~Pain, (avec \'eclat.) Mais c'est un chenapan! Henri est fou! Il ne sait donc pas? Laruelle! Quand il ne corrompt pas les entrepereneurs il les fait chanter! Laruelle a eu des proc\`es \'edifiants! et retentissants! Sans compter qu'il va lui b\^atir une cochonnerie! Les architectes ne manquent pas! Il y a Bayet, il y a Pontcharrau, il y a les fr\`eres Plantin, il y en a dix, des gens de talent, consciencieux, honn\^etes. Laruelle! Je pourrais vous raconter des histoires!...\\
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chenapan~~~ならず者、ろくでなし\\
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~~~Jeanne, (qui l'a \'ecout\'e avec un plaisir et une ga\^it\'e contenus.) Ecoutez Gabriel: m'autorisez-vous \`a r\'ep\'eter \`a Henri ce que vous me dites de Laruelle?\\
~~~Pain. Mais parbleu oui!\\
~~~Jeanne. Et \`a noter les noms que vous venez de me donner?\\
~~~Pain. Je vous en prie. Mais Henri les conna\^it.\\
~~~Jeanne, (tirant de son sac carnet et crayon.) Ce n'est pas s\^ur. Vous dites Bayet? i, deux l?\\
~~~Pain, (\'epelant.) Non: B.A.Y.E.T... Les fr\`eres Plantin, qui ont fait l'\'eglise de la rue d'Avilly et le Nouvel Alcazar. Pontcharreau, Jean Pontcharreau...\\
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\'epelant~~~綴りをなおして\\
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(On entend sonner.)\\
~~~Jeanne. Oh! c'est Elisabeth! Je me sauve. Merci.\\
(Elle se l\`eve et remet son carnet dans son sac.)\\
~~~Pain, (sans conviction.) Pourquoi? Restez!\\
~~~Jeanne. Non, non. Il faudrait tout remettre en question. Je me sauve par l\`a.\\
(Elle d\'esigne la porte de droite.)\\
~~~Pain. Vous avez le temps. Elle ne va pas venir ici tout de suite. Lui dirai-je que vous \^etes venue?\\
~~~Jeanne, (sans conviction.) Si vous voulez. Faites comme bon vous semblera... Mais en tout cas tout ce que nous avons dit...\\
~~~Pain, (poursuivant.) Demeure entre nous, bien s\^ur!... (Un temps.) Non, je ne lui dirai pas que vous \^etes venue. Je pr\'eviendrai Andr\'e.\\
~~~Jeanne. Bon. Il vaut mieux n'avoir pas \`a parler du casino \`a Elisabeth.\\
~~~Pain. Voil\`a!\\
~~~Jeanne, (atteignant la porte.) Mes cigarettes!\\
~~~Pain, (s'empressant.) Oh! pardon.\\
(Il les lui donne.)\\
~~~Jeanne. Il y en a une que je ne fumerai pas.\\
~~~Pain. Pourquoi?\\
~~~Jeanne. Pour la garder; en souvenir.\\
~~~Pain. Merci!\\
(Il lui presse les mains, puis l'attire et lui donne un baiser sur le front.)\\
(Elle sort. Pain regagne lentement sa table, allume une cigarette et s'installe, distraitement. Apr\`es qulques instans, Elisabeth entre \`a gauche.)\\
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 5\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Elisabeth, Pain.)\\
~~~Elisabeth. (Elle a \^ot\'e son manteau et son chapeau.) Bonjour, mon ch\'eri. Andr\'e est sorti?\\
~~~Pain. Oui. Comment va ta m\`ere?\\
~~~Elisabeth. Aussi bien que possible. Mais je ne viens pas directement de chez elle.\\
~~~Pain, (sans lever la t\^ete.) Ah?\\
~~~Elisabeth. Non... Ecoute, Gabriel, je suis tout de m\^eme all\'ee chez Jeanne.\\
~~~Pain. C'\'etait bien la peine de me consulter. Et alors?\\
~~~Elisabeth. Elle n'\'etait pas l\`a. Il n'y avait personne.\\
~~~Pain. Tant mieux.\\
~~~Elisabeth, (voluble.) Oui, \`a la r\'eflexion, je trouve que c'est bien pr\'ef\'erable ainsi. Tu comprends, la femme de chambre va lui dire que je suis venue. C'est une visite qui ne m'aura rien co\^ut\'e; un bon mouvement tout \`a notre avantage et apr\`es lequel nous n'avons plus qu'\`a attendre. N'est-ce pas?\\
~~~Pain, (dans un soupir, apr\`es avoir lev\'e la t\^ete et consid\'er\'e un instant Elisabeth.) Parfaitement.\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau)\\







}
\end{document}