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\begin{document}
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{
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~La Brouille\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Com\'edie en trois actes\\
~~~(Rep\'esent\'ee pour la premi\`ere fois \`a la Com\'edie-Fran\c{c}aise le 1er d\'ecembre 1930.)\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~A L\'eon Bernard\\
\\
~~~~~Personnages\\
Gabriel Pain, cinquante ans... MM. L\'eon Bernard.\\
Henri Dumas, quarante-six ans... Andr\'e Bacqu\'e.\\
Andr\'e Pain, fils de Gabreil Pain, vingt-six ans... Jean Marchat.\\
Bourdin-Lacotte, d\'eput\'e... Lucien Dubosq.\\
Un Dessinateur... Chandebois.\\
\\
Jeanne Dumas, femme d'Henri Dumas, quarante ans... Mlles B\'eatrice Bretty.\\
Elisabeth Pain, femme de Gabriel Pain, quarante-cinq ans... Catherine Fonteney.\\
Sylvette Dumas, fille d'Henri Dumas, dix-neuf ans... H\`el\`ene Perdri\`ere.\\
Madame Dumas, m\`ere, soixante-dix ans... Jane Faber.\\
Une bonne.\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Acte Premier\\
(Chez Henri Dumas.)\\
(Un bureau-salon d'une simplicit\'e confortable et moderne. A droite, une porte, dont les deux battans sont ouverts, donne sur une salle \`a manger. A gauche, le mur est garni de livres sur leurs rayons. Au fond et au lilieu, porte. Divans, table de travail, tables \`a th\'e.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene Premi\`ere\\
(Jeanne, Dumas, Bourdin-Lacotte, puis Elisabeth et Pain, puis Madame Dumas, puis Sylvette et Andr\'e.)\\
(Au lever du rideau, une bonne d\'epose sur une table plac\'ee au milieu et un peu \`a gauche, un plateau charg\'e d'un service \`a caf\'e. Jeanne entre la premi\`ere, venant de la salle \`a manger, d'o\`u parviennent des bruits de voix; elle s'empresse vers la table; Dumas et Bourdin-Lacotte viennent ensuite.)\\
~~~Bourdin-Lacotte. Non, mon cher, plaisanterie \`a part, nous avons s\'eance \`a deux heures et demie, et il est deux heures vingt-cinq.\\
~~~Dumas, (consultant sa montre.) A peine! Avec un taxi vous serez \`a la Chambre en dix minutes. Vous avez le temps de prendre une tasse de caf\'e. Allons! Jeanne!...\\
~~~Jeanne, (qui verse le caf\'e.) Mais oui! Tenez, monsieur, vous \^etes servi!\\
(Elle lui pr\'esente une tasse et le sucrier.)\\
~~~Bourdin-Lacotte, (prenant la tasse.) Madame, je suis honteux, mais je vais donc avaler \c{c}a comme les midinettes, vous savez, dans les bars, quand c'est l'heure de rentrer \`a l'atelier. Avec cette diff\'erence que je vais me sauver, moi, sans m\^eme jeter mes six sous sur le comptoir. \\
(Il rit et hume une gorg\'ee de caf\'e.)\\
\\
midinettes~~~ミーハーの女の子、(パリ洋裁店の若い)女店員\\
\\
~~~Dumas. Evidemment, la discussion du budget des Colonies vous int\'eresse au premier chef.\\
~~~Bourdin-Lacotte. Eh! mon cher! tout m'int\'eresse au premier chef. Vous ne me verriez pas moins ponctuel s'il s'agissait du budget de la Justice ou m\^eme celui des Beaux-Arts. (Dumas sourit.) Non, je ne plaisante pas! Je repr\'esente des marchands de cacahuettes, c'est entendu, mais j'estime, avec un certain nombre de mes coll\`egues, que la mission du parlementaire d\'epasse un peu le mandat de l'\'elu. Ah! oui!\\
(Il boit.)\\
\\
cacahuettes~~~落花生\\
\\
~~~Jeanne. Vous dites: l'ambition du parlementaire?\\
~~~Bourdin-Lacotte. Non, madame: la mission, la mission!... (Riant.) L'ambition aussi, naturellement!... Excellent caf\'e!\\
(Entrent Elisabeth et Pain.)\\
~~~Elisabeth, (bas, \`a Pain.) Ce n'est pas une raison pour faire une pareille t\^ete.\\
~~~Pain, (de m\^eme.) Je fais la t\^ete qui me pla\^it.\\
~~~Elizabeth. Tu n'as pas ouvert la bouche.\\
~~~Pain. C'\'etait plus poli.\\
(Ils s'approchent de la table. Appara\^it madame Dumas.)\\
~~~Madame Dumas, (se retournant vers la salle \`a manger.) Allons, jeunes gens! Venez prendre le caf\'e!\\
(Elle va s'asseoir vers la gauche. Jeanne lui portera une tasse de caf\'e. Andr\'e et Sylvette entrent, devisant et riant. Sylvette vient aider Jeanne \`a faire le service.)\\
~~~Sylvette, (\`a Elisabeth.) Elisabeth, combien de morceaux du sucre?\\
~~~Elisabeth. Deux, ma ch\'erie.\\
~~~Bourdin-Lacotte. Je vous en prie, ne vous pressez pas pour moi. L\`a! J'ai fini.\\
~~~Dumas, (s'approchant de Bourdin-Lacotte, avec un verre et un flacon.) Un peu de fine?\\
~~~Bourdin-Lacotte. Non, non, je m'en vais, mon cher.\\
~~~Dumas. Elle est remarquable, vous savez! Allons, vous l'auriez d\'ej\`a bue.\\
~~~Bourdin-Lacotte, (prenant le verre.) Vous \^etes irr\'esistible. L\`a! L\`a! Merci. (A Gabriel Pain: apr\`es avoir go\^ut\'e la fine.) Monsieur Gabriel Pain, c'est bien \`a vous, n'est-ce pas, que mon ami le docteur Fillot doit sa maison de Possy?\\
~~~Pain, (r\'eticent.) A moi... oui...\\
~~~Bourdin-Lacotte. Ah! je vous f\'elicite! C'est exquis, c'est ravissant!\\
~~~Dumas. N'est-ce pas?\\
~~~Pain, (bourru.) Je ne suis pas de votre avis, monsieur. Le docteur Fillot a voulu des choses qui ont absolument d\'enatur\'e mes intentions, des choses qui sont contraires \`a...\\
~~~Jeanne, (l'interrompant.) Monsieur Bourdin-Lacotte, ne l'\'ecoutez pas! Rien n'a \'et\'e chang\'e \`a son projet. Le docteur n'a fait qu'y ajouter des d\'etails insignifiants.\\
~~~Pain. Insignifiants! Jeanne!\\
~~~Bourdin-Lacotte. Vous \^etes trop scrupuleux, monsieur! (Il boit.)\\
~~~Pain. Oui, je suis scrupuleux, moi.\\
~~~Elisabeth, (a mi-voix, \`a Pain.) Tais-toi donc!\\
~~~Pain, (de m\^eme.) Tu te plains que je ne parle pas!\\
~~~Sylvette, (enjou\'ee, \`a Pain.) Oh! qu'il a l'air m\'echant, aujourd'hui!\\
~~~Bourdin-Lacotte, (\`a Jeanne.) Madame, je suis confus, d\'esol\'e, navr\'e, mais je vous demande la permission de prendre cong\'e, malgr\'e tout le plaisir que j'aurais...\\
~~~Jeanne. Je vous en prie, monsieur, c'est trop compr\'ehensible.\\
~~~Bourdin-Lacotte. Le devoir! le devoir! le devoir!\\
~~~Madame Dumas, (\`a Bourdin-Lacotte.) Vous allez prononcer un discours, monsieur?\\
~~~Bourdin-Lacotte. Non, madame. Je n'ai pas m\^eme l'intention de placer un mot; mais nous achevons aujourd'hui de voter le budget des Colonies et il s'agit de battre le rappel pour que certaines subventions soient maintenues. Ce serait trop long \`a vous expliquer. Je vous pr\'esente mes respectes, madame. Ne vous levez pas, je vous en prie.\\
~~~Madame Dumas, (s'inclinant.) Monsieur, au plaisir.\\
~~~Bourdin-Lacotte, (\`a Jeanne.) Madame, tr\`es touch\'e de votre accueil.\\
~~~Jeanne. Au revoir, monsieur.\\
(Poign\'ees de mains.)\\
~~~Bourdin-Lacotte, (\`a Elizabeth et \`a Pain.) Madame, monsieur, charm\'e de vous conna\^itre. (A Pain.) Sans doute allons-nous avoir l'occasion de faire plus ample connaissance.\\
~~~Dumas, (posant sa main sur l'\'epaule de Pain, lequel demeure inerte et ferm\'e.) Parbleu!\\
(Poign\'ee de main, \`a laquelle Pain se contraint.)\\
~~~Bourdin-Lacotte, (\`a Sylvette et Andr\'e.) Au revoir, mademoiselle! monsieur! Mes voeux de bonheur. A quand la noce?\\
~~~Elisabeth, (insinuante.) Dans quelques mois...\\
~~~Jeanne. C'est \`a peine s'ils sont fianc\'es, ils ont le temps!\\
~~~Dumas. Ils ont le temps, ils sont jeunes!\\
~~~Bourdin-Lacotte, (aux jeunes gens.) Ne vous pressez pas, allez! Comme on dit chez nous: on se lasse plus vite d'\^etre \'epoux que d'\^etre fianc\'es.\\
(Il rit avec \'eclat. Mines de protestation des jeunes gens.)\\
~~~Madame Dumas. Il arrive aussi le contraire, monsieur!\\
~~~Bourdin-Lacotte. Mais oui, madame. Il faut bien les taquiner un peu. (A Andr\'e, apr\`es avoir regard\'e Sylvette.) Ah! jeune homme, tous mes compliments! (A Dumas.) Au revoir, cher monsieur Dumas. Ne vous d\'erangez pas (Confidentiel.) et comptez sur moi.\\
~~~Dumas. Merci! au revoir, cher monsieur.\\
(Bourdin-Lacotte sort au fond, reconduit un instant par Jeanne et Dumas.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 2\\
~~~~~~~~~~~~~~~~(Les M\^emes, moins Bourdin-Lacotte.)\\
~~~Dumas. Quel type!\\
~~~Andr\'e. Il se charge d'entretenir la conversation.\\
~~~Elisabeth. Il n'a pas arr\^et\'e de parler en mangeant.\\
~~~Sylvette. Et de manger en parlant! Ce qu'il a pu engloutir!\\
~~~Madame Dumas. D'o\`u est-il d\'eput\'e?\\
~~~Andr\'e, (\`a Dumas.) De la Guyane, n'est-ce pas?\\
~~~Dumas. Mais non, du Niger.\\
~~~Madame Dumas. Il est de ce pays-l\`a?\\
(Rires.)\\
~~~Dumas. Non, maman! C'est un Limousin. Mais il a bien fallu qu'il aille une fois tout de m\^eme au Niger pour faire son \'election.\\
~~~Pain, (avec un brusque \'eclat.) Ce n'est pas m\^eme certain.\\
~~~Dumas. Ah! Gabriel commence \`a s'animer! Gabriel, un peu de fine?\\
~~~Pain, (bourru.) Oui!\\
~~~Dumas. Un cigare?\\
~~~Pain, (de m\^eme.) Non!\\
~~~Sylvette. En tous cas, c'est un gros effront\'e ce monsieur Bourdin-Lacotte.\\
~~~Jeanne. Oui, mais on ne peut pas dire qu'il soit absolument antipathique. Il a une certaine mani\`ere de friser la vulgarit\'e, de jouer le cynisme...\\
~~~Pain. Ah! vous appelez \c{c}a jouer! Vous appelez \c{c}a friser!\\
~~~Dumas. Le voil\`a qui se r\'eveille tout \`a fait, celui-l\`a! Le voil\`a qui nous revient. O\`u donc \'etais-tu?\\
~~~Pain, (agressif.) J'\'etais le plus loin possible de Bourdin-Lacotte et encore trop pr\`es de lui \`a mon gr\'e.\\
~~~Dumas. Evidemment! Je m'en doutais.\\
~~~Pain. Tu aurais bien d\^u t'en douter plus t\^ot et me pr\'evenir que tu avais invit\'e ce monsieur. Je ne serais pas venu.\\
~~~Dumas. Je sais, mon petit Gabriel; tu ne serais pas venu. Mais je voulais que tu viennes, moi, comprends-tu? Je voulais montrer ta noble t\^ete de bois \`a Bourdin-Lacotte.\\
(Pain se dresse et donne des signes d'irritation.)\\
~~~Sylvette. \c{C}a y est, ils vont encore se disputer!\\
~~~Elisabeth. Il y avait longtemps...\\
~~~Andr\'e. Mesdames, vous allez assister au match des poids lourds!\\
~~~Dumas, (poursuivant.) Oh! il a d\^u te trouver pour le moins renfrogn\'e!\\
\\
renfrogn\'e~~~顔を顰める\\
\\
~~~Jeanne. \c{C}a, oui!\\
~~~Dumas. Non: abruti ou intimid\'e. Quand on ne conna\^it pas ton sale caract\`ere...\\
~~~Pain, (haussant les \'epaules.) Peu importe, mon ami; comme je n'aurai jamais rien \`a faire avec ce flibustier.\\
\\
flibustier~~~海賊、詐欺師\\
\\
~~~Andr\'e. Vas-y, papa!\\
(Elisabeth lui fait signe de se taire.)\\
~~~Dumas, (\`a Pain.) Tais-toi donc. Tu n'en sais rien.\\
~~~Madame Dumas, (choqu\'ee.) C'est un d\'eput\'e!\\
~~~Pain, (\`a Dumas.) Si, je le sais! Et si quelque chose m'\'etonne, c'est que tu en puisses, toi, douter un seul instant!\\
~~~Dumas. Oh! Tiens, tu me fais suer!\\
~~~Sylvette, (marquant le coup.) Vlan!\\
\\
Vlan~~~ポカッ、ピシャッ、バタン\\
\\
~~~Jeanne, (\`a Sylvette, discr\`etement.) Sylvette, tais-toi.\\
~~~Pain, (\`a Dumas, \'elevant le ton.) Ecoute, mon vieux: tu es libre de recevoir chez toi tous les voyous et tous les forbans que tu voudras. Si je l'apprends, j'en serai toujours d\'e\c{c}u et navr\'e...\\
\\
voyous~~~非行少年、与太者、不良\\
forbans~~~海賊、悪党\\
\\
~~~Dumas, (l'interrompant.) Brave coeur!\\
~~~Pain, (poursuivant.) Mais une fois pour toutes, dispense-toi de m'imposer leur pr\'esence!\\
~~~Jeanne. Oh!\\
~~~Dumas, (piqu\'e au vif.) Je ne sais pas, inconscient que je suis, quels voyous, quels forbans, quels flibustiers je re\c{c}ois, mais c'est entendu, Gabriel, je renoncerai d\'esormais \`a te procurer des relations utiles. Tu es trop b\^ete et trop mufle!\\
~~~Elisabeth. Henri! C'est tr\`es bien \`a vous de faire conna\^itre des gens \`a Gbariel, mais pr\'evenez-le avant, ne lui imposez personne! Vous savez comme il est.\\
~~~Dumas. C'est justement parce que je sais que...\\
~~~Pain, (l'interrompant.) Il y a des relations dont \textit{je ne veux pas!}\\
~~~Jeanne. Bien qu'elles soient les n\^otres! Gabriel, \`a la fin, vous devenez offensant! Et quel origueil insupportable, quelle \'etroite vertu! Croirait-on pas que vous avez le monopole de la clairvoyance et de la propret\'e! Nous jugeons un Bourdin-Lacotte aussi bien que vous, allez! mais avec un peu plus de s\'er\'enit\'e. Il ne nous trouble pas!\\
~~~Dumas. Je le prends pour ce qu'il vaut, Bourdin-Lacotte!\\
~~~Pain. Mais tu le prends. Moi, je le laisse!\\
~~~Dumas. Oh! Je le prends, je le prends! Tu sais bien ce que je veux dire! On est constamment oblig\'e, dans une soci\'et\'e comme la n\^otre, de faire appel \`a des complaisances plus ou moins v\'enales, et quand il s'agit d'obtenir quoi que ce soit des pouvoirs publics, le plus simple est de s'assurer le concours d'un Bourdin-Lacotte. Avec \c{c}a qu'il ne t'arrive pas \`a toi-m\^eme.\\
~~~Pain. Non! J'offre l'ap\'eritif \`a des chefs de chantier, c'est tout. Et en tous cas je ne recevrais pas \`a ma table, avec mes amis, les gens \`a qui je devrais graisser la patte.\\
~~~Jeanne. Graisser la patte! Vous vous impressionnez vous-m\^eme avec des mots!\\
~~~Dumas. Ah! pour un homme d'esprit, tu n'as pas le sens des nuances!\\
~~~Pain. C'est toi, Henri, qui ne l'as pas ou qui ne l'as plus! Il y a dix ans tu n'\'etais pas encore un brasseur d'affairs, mais, rappelle-toi, tu partageais encore toutes mes r\'epugnances et tu ne te serais abouch\'e sous aucun pr\'etexte, avec un monsieur comme Bourdin-Lacotte, qui est tout ce qu'on veut except\'e un honn\^ete homme. Rappelle-toi sa d\'eposition dans l'affaire Artaud! Rien que \c{c}a...\\
~~~Dumas. Mais, triple idiot, c'est qu'il y a dix ans je n'avais que faire de lui! Quant \`a ma r\'epugnance, elle vaut la tienne, entends-tu! bien que je n'\'eprouve pas le besoin de la proclamer!\\
~~~Pain. Oh! tu la surmontes admirablement.\\
~~~Madame Dumas, (\`a Pain.) Vous lui avez tout de m\^eme serr\'e la main quand il est parti.\\
~~~Pain. Oui, madame. Quand il est arriv\'e aussi; et je ne pardonne pas \`a Henri de m'avoir mis dans l'obligation de le faire!\\
~~~Jeanne. Mon Dieu, ce n'est pas si grave, Gavriel!\\
~~~Dumas. Tu n'\'etais pas forc\'e.\\
~~~Pain. Tu as beau jeu de me le dire maintenant! Tu sais bien que si, j'\'etais forc\'e, pour ne pas vous faire un affront \`a Jeanne et \`a toi. On ne refuse pas la main, sans explication, \`a un monsieur avec qui l'on est venu d\'ejeuner, chez un ami.\\
~~~Dumas. Allons! Tu comprends tout de m\^eme la civilit\'e pu\'erile et honn\^ete.\\
~~~Andr\'e. Trop pu\'erile pour se soucier d'\^etre honn\^ete.\\
~~~Sylvette. Moi je propose que l'incident soit clos!\\
~~~Jeanne. Moi aussi!\\
~~~Elisabeth. Ah! moi aussi!\\
~~~Andr\'e. Match nul, comme d'habitude. Mais avec un bl\^ame... disons l\^achement un petit bl\^ame, un l\'eger bl\^ame \`a M. Henri Dumas, qui aurait d\^u pr\'evenir M. Gabriel Pain de l'abominable rencontre \`a laquelle ce dernier s'exposait en acceptant de venir ici manger la dinde! (rires.)\\
~~~Pain, (\`a Dumas.) Ne me refais jamais cela, Henri!\\
~~~Dumas. Oh! sois tranquille! En dehors de ce que nous entreprenons strictement ensemble, je renonce d\'esormais \`a m'occuper de toi.\\
~~~Pain. Parfait.\\
~~~Dumas. Mais pour conclure, je te ferai tout de m\^eme remarquer, monsieur le d\'elicat, que tu as d\'ej\`a travaill\'e pour des citoyens qui ne valaient pas mieux que Bourdin-Lacotte.\\
~~~Elisabeth. Oh! qui donc?\\
~~~Dumas. Cette esp\`ece d'avocat, comment donc...\\
~~~Pain, (avec un calme affect\'e.) Percheron.\\
~~~Dumas. Percheron. Et Collinet: un affameur, un homme qui a fait sa fortune en accaparant les bl\'es pendant la guerre.\\
~~~Pain, (se contenant mal.) Henri, tu vas m'obliger \`a te dire des choses d\'esagr\'eables!\\
~~~Dumas. Tu veux donc te d\'epasser?\\
~~~Jeanne. Ah! ne recommencez pas!\\
~~~Pain. Henri, j'ai travaill\'e, en effet, pour Collinet, pour Percheron. J'ai travaill\'e pour d'autres crapules qui m'ont vol\'e, tu le sais. Et aussi pour un certain nombre d'honn\^etes gens. J'ai travaill\'e indistinctement pour tous ceux qui ont eu recours \`a moi. Je suis architecte comme d'autres sont m\'edecins ou cordonniers. Je fournis des id\'ees, des plans, des devis, je fais ex\'ecuter des travaux. Je ne suis pas l'oblig\'e de mes clients et leurs moyens d'existence me demeurent \'etrangers. Je vis de mon m\'etier et de lui seul.\\
~~~Dumas, (piqu\'e au vif.) Tandis que moi, n'est-ce pas, je n'ai pas de m\'etier?\\
~~~Pain. Eh bien non, mon vieux, tu n'as pas de m\'etier! Tu as l'intelligence, le sense des affaires. Tu ach\`etes et vends des terrains, des immeubles, des valeurs de toutes sortes. Tu lotis une plage, un bois; tu es en train de lancer une eau min\'erale au moyen d'un casino, ou inversement. C'est peut-\^etre tr\`es bien, mais tu as besoin de concours, d'appuis, d'influences. Tu as partie li\'ee avec toutes sortes de gens que tu ne choisis pas---que tu ne choisis plus!\\
~~~Dumas, (exc\'ed\'e.) Je fais ce qui me pla\^it!\\
~~~Pain. D'accord! Mais alors comprends qu'il ne me plaise pas, \`a moi, que tu me fasses venir comme figurant quand tu re\c{c}ois Bourdin-Lacotte!\\
~~~Jeanne. Comme figurant! Mais vous \^etes fou!\\
~~~Dumas. Qu'est-ce que \c{c}a veut dire? Je te somme de t'expliquer!\\
~~~Pain. \c{C}a veut dire que tu as d\'eclar\'e \`a Bourdin-Lacotte que je travaillais au projet d'un casino dont je ne sais rien moi-m\^eme.\\
~~~Dumas. Dont tu ne sais rien?\\
~~~Pain. Tu voulais lui t\'emoigner \`a quel point l'affaire est avanc\'ee; lui montrer que tu avais d\'ej\`a l'architecte.\\
~~~Dumas. Parfaitement!\\
~~~Pain. Tu t'es servi de moi comme d'un pantin, sans m\^eme daigner m'informer de tes intentions et de tes manoeuvres.\\
~~~Dumas. Elles \'etaient claires, et tu les avais s\^urement pr\'evues!\\
~~~Jeanne, (\`a Pain.) Henri vous en a parl\'e d\'ej\`a, de ce casino! Il s'agissait d'emp\^echer qu'un autre architecte...\\
~~~Madame Dumas. Obligez donc vos amis!\\
~~~Elisabeth, (\`a Jeanne.) Tout de m\^eme, il pouvait mettre Gabriel au courant...\\
(La discussion continue entre elles, \`a mi-voix.)\\
~~~Dumas. Gabriel, il m'est arriv\'e dix fois de disposer de toi pareillement sans que tu t'en plaignes le moins du monde. Je le faisais d'ailleurs dans ton int\'er\^et, tout comme aujourd'hui.\\
~~~Pain. Dans mon int\'er\^et, je sais, je sais! Qu'est-ce que tu ne ferais pas, dans mon int\'er\^et!\\
~~~Elizabeth. Convenez, Henri, qu'en servant les int\'er\^ets de Gabriel, vous servez quelquefois les v\^otres!\\
~~~Dumas. Oui, Elizabeth, je sers aussi les miens...\\
~~~Madame Dumas, (l'interrompant.) Pas toujours!\\
~~~Dumas. Et je regrette de ne pas servir exclusivement les miens; je regrette de n'\^etre pas un peu plus encore l'blig\'e de Gabriel.\\
~~~Pain, (l'interrompant.) Imb\'ecile! Et toi, Elisabeth, tu pouvais te dispenser...\\
~~~Dumas, (poursuivant.) Je regrette qu'un homme sans m\'etier, qu'un trafiquant, qu'un parasite social tel que moi ait eu l'indiscr\'etion de rendre queques services \`a un producteur, \`a un cr\'eateur comme Gabriel et l'ait emp\^eche\'e de faire deux ou trois sottises d'importance. Car c'est cela qui le rend hargneux et vindicatif.\\
\\
hargneux~~~喧嘩腰の、つっけんどんな\\
\\
~~~Pain. Moi?\\
~~~Dumas. Oui, c'est cela que tu ne me pardonnes pas.\\
~~~Pain. Tu d\'eplaces l\^achement le d\'ebat et tu ne peux croire ce que tu dis!\\
~~~Dumas. Je touche le fond m\^eme du d\'ebat.\\
~~~Pain. Ton oblig\'e ou non, est-ce que je me suis jamais priv\'e de te dire tout ce que je pensais de toi et de tes actes?\\
~~~Dumas. Non, mais tu le fais depuis quelque temps sur un ton rageur, comme si tu avais une revanche \`a prendre.\\
~~~Pain. Et toi tu me traites depuis quelque temps avec une d\'esinvolture qui me rappelle un peu trop tout ce que je te dois!\\
~~~Jeanne. C'est lamentable!\\
~~~Dumas. Qu'est-ce que je disais! Il va d\'ecouvrir tout \`a l'heure que je lui ai rendu service uniquement pour le domestiquer.\\
~~~Pain. Malgr\'e toi, Henri, malgr\'e toi, tu te m\^eles beaucoup plus de mes affaires que si je ne te devais pas d'argent!\\
(Dumas sursaute, indign\'e.)\\
~~~Elizabeth. C'est d'ailleurs bien naturel, et je le dis \`a Gabriel.\\
~~~Jeanne. Oh! Elisabeth!\\
~~~Dumas. Pourquoi naturel? Pourquoi? Entendez-vous par l\`a que c'est la dette qui m'int\'eresse plut\^ot que l'ami?\\
~~~Elizabeth. \c{C}a peut \^etre les deux.\\
~~~Dumas. Ah! Gabriel! Quel malheur que tu aies \'et\'e victime de la faillite Hesdin, et que j'aie eu les moyens de te renflouer! Non, Elizabeth ce n'est pas la dette qui m'int\'eresse, et vous le savez bien! Je m'en fiche de cet argent.\\
~~~Pain. Pas moi!\\
~~~Dumas. Pas toi! Je commence \`a m'apercevoir que je suis devenu pour toi le cr\'eancier autant que l'ami et je te jure que c'est la seule raison qui me ferait souhaiter d'\^etre rembours\'e!\\
~~~Pain. Tu seras rembours\'e avant peu, je l'esp\`ere bien!\\
~~~Madame Dumas, (\`a Pain.) Mais comprenez donc que s'il veut vous procurer des affaires, c'est justement pour vous aider \`a rembourser!\\
~~~Dumas. Tais-toi donc, maman!\\
(Jeanne explique tout bas \`a madame Dumas qu'elle prononce des paroles dangereuses.)\\
~~~Pain, (\`a madame Dumas.) Je le comprends, madame; je le comprends trop! Je ne veux pas qu'il m'aide \`a rembourser!\\
~~~Elisabeth. En cela, tu as tort, Gabriel!\\
~~~Dumas. Orgueuilleux!\\
~~~Pain. Orgueilleux, c'est possible, mais je ne veux pas te devoir deux fois cet argent; je ne veux pas que tu me prennes en tutelle et surtout je ne veux pas \^etre m\^el\'e \`a des affaires et \`a des milieux qui me d\'ego\^utent, l\`a!\\
~~~Dumas. C'est entendu, c'est entendu! Je renoncerai d\'esormais \`a ta pr\'esieuse collaboration. Tu peux aller construire des cabanes \`a lapins en banlieue!\\
~~~Jeanne, (\`a son mari, sur un ton de reproche.) Henri!\\
~~~Dumas. Ce n'est pas moi qui viendrai te troubler.\\
~~~Pain. Des cabanes \`a lapins, c'est toi qui voudrais m'en faire construiere... Ah!\\
~~~Dumas, (poursuivant sans l'\'ecouter.) Et \c{c}a te permettra de me rendre au plus vite mon argent qui te d\'ego\^ute.\\
~~~Sylvette, (alarm\'ee, \`a son p\`ere.) Papa!\\
~~~Pain, (se dirigeant vers la porte.) Oui, qui me d\'ego\^ute. Et je m'en vais, tiens!\\
~~~Andr\'e, (le retenant.) Papa! Sans blague!\\
~~~Dumas. Je ne te retiens pas!\\
~~~Pain. Elisabeth, Andr\'e, allons! Au revoir, Jeanne. Au revoir, madame Dumas. Au revoir, Sylvette.\\
~~~Elisabeth, (\`a sa suite.) Gabriel! Gabriel, tu es fou!\\
~~~Jeanne. Voyons, Gabriel!\\
~~~Elisabeth, (\`a Jeanne.) Emp\^echez-le de partir comme \c{c}a, Jeanne!\\
(Elles sortent toutes deux, bruits de voix. La porte demeure entreb\^aill\'ee et l'on entend jusqu'\`a la fin de la sc\`ene les voix de Pain, d'Elisabeth et de Jeanne.)\\
~~~Sylvette, (\`a Andr\'e, peleurante.) Tu ne vas pas partir, toi? Papa! Andr\'e ne va pas partir aussi, dis?\\
~~~Dumas, (dans un mouvement d'irritation.) Laisse-moi tranquille. (Il s'\'eloigne vers la gauche, d\'eplace des si\`eges brusquement et va se camper devant les rayons de biblioth\`eque, en grognant.) Ah, le mufle, le mufle!\\
\\
mufle~~~下品な奴、鼻面\\
\\
~~~Andr\'e, (\`a Sylvette, \`a mi-voix.) Il faut que je parte si je veux revenir, ma petite Sylvette. Ce n'est pas du tout le moment de se faire remarquer. Tu comprends bien qu'en restant j'aurais l'air de prendre parti contre papa. Et je lui saboterais sa sortie! (Il lui baise les mains.) Au revoir, mon petit! Au revoir!\\
~~~Elisabeth, (entr'ouvrant la porte du fond.) Andr\'e, nous partons.\\
~~~Andr\'e. Voil\`a, je vous suis! (Vivement, \`a Sylvette.) Tu vois! c'est assez grave; mais \c{c}a va s'arranger! Il le faut!\\
~~~Sylvette, (d\'esol\'ee.) Oh! oui!\\
~~~Andr\'e. Je te t\'el\'ephonerai avant ce soir pour te donner la temp\'erature.\\
~~~Sylvette. C'est \c{c}a! Je te la donnerai aussi.\\
~~~Andr\'e, (\`a madame Dumas.) Au revoir, madame Dumas.\\
~~~Madame Dumas. Au revoir, mon gar\c{c}on. Va, d\'ep\^eche-toi!\\
~~~Andr\'e, (de la porte, un peu h\'esitant.) Au revoir, Henri...\\
~~~Henri, (en sursautant.) Au revoir, Andr\'e.\\
(Andr\'e sort. Presque aussit\^ot Jeanne rentre.)\\
\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 3\\
~~~~~~~~~~~~Jeanne, Dumas, Madame Dumas, Sylvette.\\
~~~Jeanne, (avec une \'emotion mal contenue.) C'est trop fort! Et j'ai tout fait pour le retenir! Je ne pouvais tout de m\^eme pas me mettre \`a ses genoux!\\
(Elle va prendre son sac \`a main sur un meuble et en tire un mouchoir dont elle s'essuie les yeux.)\\
~~~Dumas, (sans la voir.) Je me demande pourquoi tu voulais le retenir. (Il se tourne vers elle.) Jeanne! Tu pleures?\\
~~~Jeanne. Ce n'est rien. L'\'enervement... l'humiliation.\\
~~~Madame Dumas. C'est un grossier personnage et un ingrat!\\
~~~Dumas. Ingrat, peu importe, mais j'ai d\'ecouvert chez lui, aujourd'hui, quelque chose que je ne soup\c{c}onnais pas, quelque chose d'amer, de haineux.\\
~~~Jeanne. Mais non. Tu sais bien que \c{c}a ne vient pas de lui, tout \c{c}a.\\
~~~Dumas. Et derri\`ere cet \'etalage de susceptibilit\'e, de vertu effarouch\'ee, il pourrait bien y avoir tout simplement du d\'epit, de l'envie.\\
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d\'epit~~~悔しさ、忌々しいさ\\
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~~~Jeanne. De l'orgueil, uniquement. De l'orgueil exploit\'e par cette pauvre Elisabeth.\\
~~~Dumas. Il m'a dit certaines choses qui ne viennent pas d'Elisabeth!\\
~~~Sylvette. Moi, papa, je pense que vous avez tort tous les deux, Gabriel et toi!\\
~~~Dumas. C'est encore heureux, ma petite fille, que tu ne me dises pas que j'ai tort tout seul! Ton souci d'impartialit\'e est vraiment admirable!\\
~~~Madame Dumas. On ne doit jamais donner tort \`a ses parents, mon enfant.\\
~~~Dumas, (\`a Sylvette.) Enfin, tu n'as donc pas entendu ce qu'il m'a dit, le papa de ton Andr\'e?\\
~~~Sylvette. Andr\'e n'a rien \`a faire ici et je suis s\^ure qu'il est le premier \`a reconna\^itre les torts de son p\`ere.\\
~~~Madame Dumas, (en apart\'e.) Les enfants d'aujourd'hui!\\
~~~Sylvette, (pousuivant.) Je voulais seulement dire qu'en invitant Bourdin-Lacotte avec les Pain, sans pr\'evenir Gabriel, tu devais bien t'attendre \`a indisposer celui-ci.\\
~~~Dumas. Et \`a me faire dire par lui que mon argent lui salit les mains et que ma maison est un rendez-vous de canailles, n'est-ce pas?\\
~~~Sylvette. Il n'a pas dit \c{c}a.\\
~~~Dumas. Il l'a dit, aux termes pr\`es!\\
~~~Madame Dumas. C'est odieux!\\
~~~Jeanne. Il est certain qu'il a \'et\'e tr\`es vilain.\\
~~~Sylvette, (accabl\'ee.) Oui.\\
~~~Jeanne, (\`a Dumas.) Il faut dire aussi que lorsque Gabriel est en col\`ere il n'a plus de contr\^ole sur ses paroles. Il accumule avec une esp\`ece de fr\'en\'esie des mots violents, absurdes, qui le meurtrissent lui-m\^eme, des mots qui seraient irr\'eparables, si...\\
~~~Dumas. Si quoi?\\
~~~Jeanne. S'il pouvait y en avoir d'irr\'eparables entre vous.\\
~~~Dumas. Si tu trouves qu'il n'y a pas eu aujourd'hui!\\
~~~Jeanne. Non. Il faut tout de m\^eme souhaiter...\\
~~~Sylvette. Ce n'est pas la premi\`ere fois que...\\
~~~Dumas, (l'interrompant.) Il y a une limite \`a tout! C'est la premi\`ere fois que je me sens offens\'e par Gabriel. C'est la premi\`ere fois qu'il sort d'ici sans me tendre la main, sans m\^eme... D'ailleurs je la lui aurais refus\'ee, sa main!\\
~~~Sylvette. Non...\\
~~~Dumas, (criant.) Si, je la lui aurais refus\'ee!\\
~~~Jeanne, (\`a Sylvette.) Tais-toi donc, Sylvette. (A Dumas.) Ce n'est pas ce que tu aurais fait aujourd'hui qui importe maintenant. C'est ce que tu feras, ce que fera Gabriel, quand vous vous reverrez.\\
~~~Dumas. Je ne le reverrai pas de si t\^ot!\\
(Geste et mine d\'esol\'ee de Sylvette que sa m\`ere exhorte au calme.)\\
~~~Madame Dumas, (\`a Dumas.) Je l'esp\`ere bien. Il a besoin d'une le\c{c}on.\\
~~~Dumas. De deux choses l'une: ou Gabriel m'a injuri\'e sciemment et entend que je consid\`ere son d\'epart comme une rupture, ou bien il a agi sans contr\^ole et sous l'empire de la col\`ere.\\
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sciemment~~~承知の上で\\
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~~~Jeanne. C'est plus que probable.\\
~~~Dumas. Dans l'un ou l'autre cas, ce n'est pas \`a moi de faire un geste vers lui.\\
~~~Madame Dumas. Ce serait un peu fort!\\
~~~Dumas. C'est impossible! J'attendrai qu'il m'exprime des regrets, par lettre ou de quelque autre mani\`ere.\\
~~~Sylvette. Et s'il ne le fait pas?\\
~~~Dumas. Eh bien, ma petite Sylvette, nous en resterons l\`a, si p\'enible que ce soit.\\
~~~Sylvette, (pleurante.) Mais alors, papa, et Andr\'e?\\
~~~Dumas. Ah! c'est \`a Andr\'e que tu penses, toi! Bien s\^ur! Mon plus cher, mon plus vieil ami se conduit avec moi comme un goujat, nous nous sentons, ta m\`ere et moi, humili\'es, meurtris, boulevers\'es, et tu es uniquement occup\'ee de tes petites affaires!\\
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goujat~~~無作法者、無礼者\\
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~~~Sylvette. Mes petites affaires! Mais je l'aime, et il m'aime! Tu pourrais bien comprendre aussi...\\
~~~Dumas. Eh bien, vous aurez tout le temps de mettre votre amour \`a l'\'epreuve. D'ailleurs pour l'instant il n'a aucune situation, Andr\'e.\\
~~~Sylvette. Si! Et tu m'as dit toi-m\^eme, hier, qu'il \'etait d\'ej\`a aussi fort que son p\`ere!\\
(Dumas hausse les \'epaules.)\\
~~~Jeanne. Ma ch\'erie, tu pouvais bien attendre \`a demain pour parler d'Andr\'e. Comme si nous n'y pensions pas aussi! Tiens, prends mon mouchoir!\\
~~~Sylvette. Non, je vais chercher le mien! (elle se l\`eve et se dirige vers la porte. A son p\`ere, avant de sortir.) Quand je pense que cette malheureuse dispute \'etait finie, que Gabriel se calmait et qu'il a fallu que tu l'excites de plus belle en lui disant qu'il avait travaill\'e pour... pour Percheron, pour...\\
~~~Dumas, (levant les bras.) Voil\`a! c'est moi qui ai tort!\\
(Sylvette sort vivement en claquant la porte.)\\
~~~Madame Dumas, (se levant.) Je veux aller parler \`a cette petite.\\
~~~Jeanne. Non, m\`ere, n'y allez pas!\\
~~~Dumas. Laisse-la donc pleurer un peu, \c{c}a lui fera du bien.\\
~~~Madame Dumas. Non, non, je veux lui parler.\\
(Elle sort.)\\
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 4\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Jeanne, Dumas.\\
~~~Jeanne, (apr\`es un silence.) Non, certes, ce n'est pas toi qui as tort, Henri, et c'est dommage.\\
~~~Dumas. Pourquoi?\\
~~~Jeanne. Parce que si tu avais tort, il ne t'en co\^uterait pas de le reconna\^itre. Tu y mettrais m\^eme une sorte d'\'el\'egance, toi.\\
~~~Dumas, (flatt\'e.) Oui!\\
~~~Jeanne. N'est-ce pas? Et tout serait fini. Tandis que Gabriel ne voudra pas s'avouer qu'il a \'et\'e odieux et stupide tout en s'en rendant parfaitement compte. Et il va continuer d'accumuler contre toi des griefs imaginaires. Tu le connais!\\
~~~Dumas. Eh bien, qu'il accumule!\\
~~~Jeanne. Surtout si Elisabeth et Andr\'e commettent la maladresse de le d\'esapprouver.\\
~~~Dumas. Tr\`es juste!\\
~~~Jeanne, (apr\`es un silence.) Au fond il aurait \'et\'e pr\'ef\'erable que ce soit toi et non moi qui aies couru apr\`es lui pour le retenir.\\
~~~Dumas. Ah! non, merci bien!\\
~~~Jeanne. Si! Justement parce qu'il avait tort! Tu lui confisquais son chapeau comme tu l'as fait si souvent, tu l'appelais Pain-Perdu, Croustillant, \textit{et coetera}, et il restait, transfigur\'e, heureux, te boxant avec fr\'en\'esie pour marquer la d\'etente.\\
~~~Dumas, (dans un soupir.) C'est peu probable. En tous cas, apr\`es ce que je venais d'entendre, je t'assure que je n'avais aucune envie de le retenir.\\
(Un silence.)\\
~~~Jeanne. Que va-t-il arriver, maintenant!\\
~~~Dumas, (sombre.) Rien! moi, je ne bouge pas!\\
~~~Jeanne, (avec prudence.) Vous ne pouvez pas rester brouill\'es. D'abord cela cr\'ee une situation impossible \`a Sylvette et Andr\'e qui...\\
~~~Dumas, (avec impatience.) Je sais, je sais!... Impossible, non: rien n'est impossible. Dans leur cas, on s'accommode de tout. Et puis ils ne se marient pas demain! Le plus grave pour l'instant, c'est qu'il me faut trouver un architecte pour le casino!\\
~~~Jeanne. Attends un peu!\\
~~~Dumas. Non! Gabriel ne fera pas ce casino. Il ne veut pas et moi je ne veux plus, \`a aucun prix! J'y mets un point d'honneur!\\
~~~Ah! l'animal! Pour une fois o\`u il m'\'etait indispensable, o\`u j'avais besoin de quelqu'un sur qui me reposer enti\`erement, \`a tous point de vue!\\
~~~Jeanne. Voil\`a ce qu'il aurait fallu lui dire.\\
~~~Dumas. Mais j'allais le faire! Apr\`es d\'ejeuner! Je ne pouvais pas devant ce Bourdin-Lacotte, bien s\^ur! Et ensuite tu penses bien que je ne pouvais plus! (Il tire sa montre.) Bigre! je suis en train de me mettre en retard, moi! J'ai un rendez-vous \`a Neuilly. Tout \c{c}a est bien triste.\\
~~~Jeanne. Oui!\\
~~~Dumas, (embrassant Jeanne.) A ce soir!\\
~~~Jeanne, (l'embrassant.) Un ami de vingt ans! Un \^etre si d\'elicieux quand il veut.\\
~~~Dumas. Il veut de moins en moins. Et maintenant...\\
~~~Jeanne. Enfin, Henri, au fond, tu l'aimes toujours, nous l'aimons toujours?\\
~~~Dumas. Ah! je ne sais pas.\\
~~~Jeanne, (songeuse.) Quand je pense que c'est lui qui nous a fait nous conna\^itre...\\
~~~Dumas, (poursuivant.) Je ne sais plus si je l'aime et c'est cela que je ne lui pardonne pas. Au revoir, Jeanne.\\
~~~Jeanne. Au revoir, mon ch\'eri. N'y pense pas trop, va!\\
~~~Dumas, (avant de franchir la porte, avec un regain de col\`ere.) En tous cas, pour l'instant, je le d\'eteste!\\
(Il sort.)\\
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Sc\`ene 5\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Jeanne, puis Sylvette.)\\
~~~Sylvette, (elle entre \`a droite en s'essuyant les yeux.) C'est papa qui s'en va?\\
~~~Jeanne. Oui... Comment, tu pleures encore, Sylvette? Mais ma ch\'erie, avant de te d\'esoler comme \c{c}a...\\
~~~Sylvette, (l'interrompant.) Je viens d'envoyer promener grand'm\`ere. elle trouve que je ne suis pas assez corn\'elienne. Elle me compare \`a Chim\`ene!\\
(Jeanne \'eclate de rire et Sylvette se met \`a rire aussi.)\\
~~~Jeanne. Pauvre grand'm\`ere!\\
~~~Sylvette. En attendant qu'il vienne tuer papa en duel, je vais essayer d'avoir Rodrigue au t\'el\'ephone.\\
(Elle se dirige vers le bureau, \`a gauche, o\`u est plac\'e l'appareil.)\\
~~~Jeanne. Et si c'est son p\`ere qui te r\'epond?\\
~~~Sylvette. Oh! si c'est don Di\`egue, je ne dis rien, je raccroche. All\^o!...\\
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~(Rideau.)\\








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\end{document}